Pascale Moulévrier Habilitation à diriger des recherches

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Pascale Moulévrier
Habilitation à diriger des recherches
Soutenance le 15 octobre 2012
14h30
MSH Ange Guépin Nantes
Résumé
Le travail présenté dans le cadre de cette HDR articule deux parties.
L’ambition de la première partie – Apprendre un métier, chapitres 1 et 2 – est de revenir sur
mon parcours de chercheur, de sociologue, c’est-à-dire de tenter une « socio-analyse
professionnelle », qui d’emblée fabriquerait ma trajectoire universitaire (étudiante et
enseignante) comme l’objet même de l’expérience. La relecture analytique des différentes
phases d’apprentissage de mon « métier de sociologue » se distingue d’une socio-analyse
globale qui prendrait pour objet la totalité de mon histoire biographique. Ce choix relève
d’une volonté de puiser dans l’itinéraire ce qui participe très directement à me construire
comme sociologue – et quelle sociologue ? –, à isoler les éléments fondateurs d’une posture
professionnelle socialement construite. Pour ce faire, j’ai choisi de distinguer ce que je
nomme des logiques d’apprentissage, la première consacrée aux méthodes, la seconde, au
positionnement, en accord et en confrontation avec les postures et les théories des autres
sociologues. En aucun cas, il ne s’agit d’une sociologie de ma propre sociologie au sens d’un
travail d’épistémologie, mais plutôt du regard – réflexif – porté par une sociologue sur sa
propre expérience de la sociologie, espérant ainsi tirer des ficelles jusque là emmêlées. Cette
lecture a posteriori offre une liberté inédite avec le temps chronologique, permettant ainsi de
faire se rencontrer – après coup – des moments différents, s’imposant à une mémoire
réactivée sociologiquement et participant ensemble à la fabrication du métier et de l’individu
qui ici l’incarne.
La seconde partie – Pour une sociologie générale des conduites économiques, chapitres 3 à 5
– propose, en restituant les enquêtes et les analyses les plus récentes, de prolonger l’examen et
l’exposé de cette posture. Il s’agit ici de proposer une sociologie des banquiers, de l’argent, de
l’économie sociale et solidaire, constituée à partir d’investigations nombreuses sur ces trois
terrains remobilisées, retravaillées à l’occasion de cette HDR. En effet, les questionnements
formulés au moment où l’on entre sur un terrain, où l’on construit un objet, trouvent des
réponses qui souvent permettent de nouvelles questions, qui supposent alors de nouvelles
enquêtes. Le temps de l’analyse est un temps long qui profite de l’accumulation de données et
d’idées. En ce sens, la seconde partie de ce travail s’apparente à un point d’étape de ma
contribution à la sociologie ; une sociologie qui, en s’attachant à en découdre avec la réalité, à
en passer par le terrain, à multiplier les sources de recueil de données, à interroger les
catégories indigènes d’appréhension du monde, à questionner et confronter les modèles
d’analyse disponibles en sociologie et plus largement en sciences humaines et sociales,
ambitionne de proposer des théories explicatives des conduites individuelles pensées comme
indissociables des formes d’organisation sociale au sein desquelles elles se déploient. La
question des échelles – d’investigation et d’analyse – traverse l’ensemble des travaux, euxmêmes marqués par un désir de comprendre ce qui, dans le micro renseigne sur des
mécanismes plus généraux d’organisation sociale et découle en même temps de logiques
macro-sociales. La sociologie défendue ici est une sociologie des imbrications d’échelles, de
la pluralité des causes, du recodage permanent des systèmes de croyances au service d’un
ordre social à la fois stable et mouvant.
Ainsi, la sociologie des banquiers, initiée par les travaux sur le Crédit Mutuel au moment de
la thèse, a donné lieu, depuis une dizaine d’années, à une série d’enquêtes qui permettent
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aujourd’hui, par la comparaison des trajectoires, des pratiques professionnelles, et des
discours des « banquiers » des différentes banques, par l’examen du processus de
positionnement spécifique des différents établissements dans l’espace bancaire, de soutenir
l’hypothèse de l’hétérogénéité du champ bancaire, des relations bancaires qui s’y déploient et
d’en comprendre les ressorts (chapitre 3). Travailler à la compréhension de ce champ bancaire
et des pratiques professionnelles de ses agents a conduit parallèlement à interroger ce qui est
au cœur même des activités et des relations bancaires : l’argent. Sa circulation peut prendre, à
l’échelle des individus, et au seul regard des produits et des services bancaires proposés, des
formes diversifiées – épargne, crédit, investissement, spéculation. La question de la rencontre
socialement construite entre un « banquier » et un client « ajustés », étudiée à l’aune des
positions historiquement acquises des banques sur l’espace bancaire et des trajectoires de
leurs agents est également fouillée à partir des usages sociaux de l’argent des différentes
catégories sociales d’individus. Ainsi, interroger les manières de faire avec l’argent dans le
quotidien de la gestion du budget domestique de ceux que les « banquiers » appellent les
« clients » s’est progressivement imposé comme un outil complémentaire pour appréhender la
relation bancaire et finalement plus globalement le rapport à l’argent des populations dans une
société au sein de laquelle les relations monétarisées se sont généralisées (chapitre 4). Qu’il
s’agisse des « banquiers » ou des clients, des banques commerciales ou des associations de
microcrédit, ce que ces travaux permettent enfin de comprendre c’est que les conduites
économiques sont des lieux d’investissements tout autant moraux que financiers. Ainsi,
l’HDR est ici l’occasion de remobiliser les analyses des banques mutualistes, elles-mêmes
prolongées par des investigations dans les associations de microcrédit et les institutions de
finances solidaires et enrichies des recherches menées par Matthieu Hély sur le travail
associatif, et de mettre à jour les processus de construction de la vocation « sociale et
solidaire » des entreprises associatives, coopératives et mutualistes et de leurs agents, de
poser la question de l’autonomie ( relative ?) des espaces – économique, politique, religieux et
moral – et de proposer une lecture en termes de porosité des frontières entre des institutions
souvent pensées comme opposées – l’Etat et le marché par exemple (chapitre 5).
Enfin, travailler sur les activités, les relations, les organisations économiques, c’est, pour le
sociologue, envisager cette question économique comme question sociale. C’est donc
rejoindre en ce sens les théories produites dans le cadre de ce qu’il convient d’appeler
aujourd’hui la sociologie économique. Pour autant, l’existence de ce sous-espace de la
sociologie ne doit pas faire oublier les limites de la spécialisation et oblige à interroger ce
qu’est cette sociologie économique, ancienne ou nouvelle. Ces auteurs spécialistes peuvent-ils
participer à une explication plus fine de conduites économiques que par ailleurs ils ont
contribué à présenter – souvent en opposition aux paradigmes utilitaristes des économistes –
comme éminemment sociales ? A quoi sert la spécialisation dans la construction d’un point de
vue sociologique ? En réponse à ces questions, la seconde partie a comme ambition
transversale de défendre la possibilité d’une sociologie générale de l’économie, au principe
d’une réflexion sur la non-autonomie des espaces sociaux et au fondement de mon rapport à la
sociologie économique. A partir des mobilisations possibles ou impossibles de certains
ouvrages ou articles pour rendre compte des phénomènes que j’ai étudiés, j’essaierai de
montrer qu’il est aujourd’hui illusoire, en tant que sociologue travaillant sur l’économie, de
faire sans la sociologie économique mais qu’il est souvent fructueux de « penser avec » et de
« penser contre ».
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