Moyen âge 1. Histoire de la langue française Pour rendre compte de l'évolution d'une langue, le linguiste distingue traditionnellement deux sortes de facteurs : des facteurs internes, c'est-à-dire des mécanismes de changements proprement linguistiques, dus aux modifications et au réaménagement des systèmes, et des facteurs externes, à savoir les modifications de la société, des techniques, etc., ainsi que les événements historiques. Ces causes non linguistiques ont sur le lexique une action nettement discernable, mais il est impossible de mettre directement en rapport avec un fait historique un fait de syntaxe quel qu'il soit. On peut seulement affirmer que les périodes de faiblesse politique et de désordre social accélèrent l'évolution d'une langue, tandis qu'un pouvoir fort et la centralisation ont tendance à la fixer. D'autre part, les changements linguistiques sont très lents, beaucoup plus lents que les changements sociaux ; aussi n'est-il pas rare de voir certaines évolutions freinées ou stoppées par l'apparition de nouveaux facteurs externes avant d'être arrivées à leur terme. Cet enchevêtrement des causes rend délicate l'interprétation de leurs effets. Du latin au français L'histoire du français, langue romane, commence au latin, non pas au latin classique mais au latin « vulgaire » ou « populaire » ou encore « roman commun » : on appelle ainsi ce que l'on suppose avoir été la langue parlée dans la partie occidentale de l'Empire romain. Les invasions germaniques en Gaule entraînent, avec le morcellement et la faiblesse du pouvoir politique, la ruine des lettres et des études latines et une accélération de l'évolution qui fait éclater le gallo-roman en dialectes multiples répartis en deux groupes principaux : le groupe d'oïl au nord et le groupe d'oc au sud. En même temps, un nombre assez important d'éléments germaniques pénètrent dans la langue. L'ancien français s'est constitué dans le domaine d'oïl. Ses caractères dominants sont ceux des variétés écrites et parlées en Île-de-France, par suite de circonstances historiques et politiques (unification du pays par les rois de France autour de Paris, leur capitale). Le premier texte en langue romane qui soit parvenu est celui des Serments de Strasbourg (842). Depuis la conquête de César, en 51 avant J.-C., huit siècles se sont écoulés, pendant lesquels le latin parlé par les colonisateurs romains s'est profondément transformé. 1 La situation linguistique Tout au long de son histoire, l'unification linguistique de la France est liée à son unification politique et aux progrès de la centralisation. La cour du roi, fixée à Paris, est malgré quelques éclipses une des plus brillantes ; la capitale doit aussi son rayonnement intellectuel à ses écoles et à son Université. La centralisation de l'administration et du pouvoir judiciaire va dans le même sens. Aussi, il semble bien que se soient élaborées très tôt dans le domaine d'oïl des variétés écrites communes, scripta administrative, koïne littéraire, plus ou moins fortement teintées de traits dialectaux selon les époques et les régions, mais intelligibles dans tout le Nord et ne s'identifiant à aucun dialecte localement parlé. Au xiie siècle, la langue des œuvres littéraires présente des différenciations provinciales : normandes (Béroul), picardes (Jean Bodel) ou champenoises (Villehardouin, Chrétien de Troyes). Au xiiie siècle, de nombreux témoignages montrent le prestige et l'influence croissante de l'ancien français « commun », illustrée à partir de 1276 par l'immense succès du Roman de la Rose. La période d'équilibre classique de l'ancien français se situe aux xiie et xiiie siècles. Le lexique de l'ancien français, en harmonie avec la société médiévale, est dans l'ensemble concret et technique, c'est-à-dire tourné vers les réalités rurales ou guerrières et la vie pratique ; d'autre part, le système féodal et le monde courtois font naître un vocabulaire indiquant des rapports hiérarchiques ou aristocratiques complexes. . Richesse et diversité morphologique, telles sont donc les caractéristiques du vocabulaire médiéval. Au xvie siècle, l'autorité royale se renforce ; François Ier, par l'ordonnance de VillersCotterêts (1539) abolissant l'emploi du latin dans les tribunaux, inaugure une politique linguistique. Cependant on a toutes les raisons de penser que cet acte autoritaire entérine une évolution déjà bien avancée dans les faits. De même, dans le Midi, la scripta de l'administration royale avait achevé de se substituer à la scripta locale provençale dès le xve siècle. Les guerres d'Italie, les luttes intérieures brassent les hommes et les idées. L'imprimerie – le premier imprimeur s'était installé à Paris en 1470, Gutenberg a modifié l’imprimerie en 1440 – donne naissance à un commerce important et change les conditions de lecture, de composition littéraire et d'uniformisation de la langue. Le mouvement humaniste de la Renaissance est un retour aux sources grécolatines qui a autorisé une relatinisation de la langue écrite. Mais il s'accompagne de l'ambition nouvelle de hisser le « vulgaire » français sur le même plan que le latin, et de réflexions approfondies sur les divers moyens de cultiver dans ce dessein l'idiome national. L'expression la plus brillante de ces préoccupations se trouve dans la Défense et illustration de la langue française de Joachim du Bellay. Cet intérêt nouveau pour les problèmes linguistiques fait naître la philologie, une réflexion grammaticale digne de ce nom, ainsi que les premiers dictionnaires, « thresors » 2 français-latins (Jean Nicot, Robert Estienne). Petit à petit, le français gagne la médecine, les mathématiques, la philosophie, etc. Sa victoire sur le latin sera complète à la fin du xvie siècle malgré la persistance jusqu'au xviie siècle d'une littérature latine d'ailleurs assez médiocre. Le xviiie siècle est marqué dans son ensemble par la montée de la bourgeoisie et les mises en question de toute sorte. Pourtant, certains pensent que la langue classique doit être fixée dans sa perfection ; ils élaborent une théorie puriste rigoureuse, dont les défenseurs vont de Voltaire à l'Académie, fondée non plus sur un usage vivant quoique restreint, mais sur des règles tirées des grands écrivains. (Ce purisme-là n'est pas tout à fait mort !) Ces soucis restent limités aux milieux littéraires, car la curiosité du public qui s'élargit (la ville compte autant que la Cour, les cafés autant que les salons) se tourne vers les problèmes « philosophiques ». En conséquence de quoi ce siècle voit la naissance de la presse et une expansion sans précédent de l'édition : gazettes, libelles, encyclopédies trouvent sans cesse de nouveaux lecteurs. L'usage du français continue à s'étendre aux dépens du latin et des dialectes. L'enseignement, particulièrement celui des jésuites, était jusqu'alors entièrement tourné vers le latin. Timidement et en ordre dispersé, on essaie de dispenser un enseignement en français ; d'abord dans les « petites écoles » jansénistes : de cette expérience est sortie la Grammaire générale dite de Port-Royal (1660) dont l'influence fut considérable. Puis J.-B. de La Salle impose non sans mal son Syllabaire françois dans les écoles élémentaires qui se multiplient dans le royaume à partir de 1700. Mais les progrès sont lents dans les collèges, et l'Université reste la Bastille du latin. Le bouleversement politique et social de la Révolution ne pouvait manquer d'avoir des incidences importantes sur l'évolution du français et sur son expansion. La classe bourgeoise accédant au pouvoir, le bon usage aristocratique est remplacé par l'usage bourgeois, surtout par celui de la bourgeoisie parisienne qui s'imposera définitivement un peu plus tard, vers 1830. Cependant, le système morpho-syntaxique de la langue écrite, littéraire et oratoire, « bien national » pour lequel les révolutionnaires professaient un grand respect, reste intact. Il n'y a que des germes de changements qui se développeront plus tard. On ne saurait en dire autant du lexique, plus sensible comme toujours aux faits externes. De nombreux facteurs accélèrent le mouvement d'expansion amorcé plus tôt ; les mots de caractère technique qui pénétrèrent en foule dans le français commun sont surtout des termes ayant trait au fonctionnement des institutions nouvelles, administratifs, politiques et juridiques, qui atteignent les masses populaires. 3