La situation linguistique
Tout au long de son histoire, l'unification linguistique de la France est liée à son
unification politique et aux progrès de la centralisation. La cour du roi, fixée à Paris,
est malgré quelques éclipses une des plus brillantes ; la capitale doit aussi son
rayonnement intellectuel à ses écoles et à son Université. La centralisation de
l'administration et du pouvoir judiciaire va dans le même sens. Aussi, il semble bien
que se soient élaborées très tôt dans le domaine d'oïl des variétés écrites communes,
scripta administrative, koïne littéraire, plus ou moins fortement teintées de traits
dialectaux selon les époques et les régions, mais intelligibles dans tout le Nord et ne
s'identifiant à aucun dialecte localement parlé. Au xiie siècle, la langue des œuvres
littéraires présente des différenciations provinciales : normandes (Béroul), picardes
(Jean Bodel) ou champenoises (Villehardouin, Chrétien de Troyes). Au xiiie siècle, de
nombreux témoignages montrent le prestige et l'influence croissante de l'ancien
français « commun », illustrée à partir de 1276 par l'immense succès du Roman de la
Rose.
La période d'équilibre classique de l'ancien français se situe aux xiie et xiiie
siècles. Le lexique de l'ancien français, en harmonie avec la société médiévale, est
dans l'ensemble concret et technique, c'est-à-dire tourné vers les réalités rurales ou
guerrières et la vie pratique ; d'autre part, le système féodal et le monde courtois font
naître un vocabulaire indiquant des rapports hiérarchiques ou aristocratiques
complexes. . Richesse et diversité morphologique, telles sont donc les caractéristiques
du vocabulaire médiéval.
Au xvie siècle, l'autorité royale se renforce ; François Ier, par l'ordonnance de Villers-
Cotterêts (1539) abolissant l'emploi du latin dans les tribunaux, inaugure une politique
linguistique. Cependant on a toutes les raisons de penser que cet acte autoritaire
entérine une évolution déjà bien avancée dans les faits. De même, dans le Midi, la
scripta de l'administration royale avait achevé de se substituer à la scripta locale
provençale dès le xve siècle. Les guerres d'Italie, les luttes intérieures brassent les
hommes et les idées. L'imprimerie – le premier imprimeur s'était installé à Paris en
1470, Gutenberg a modifié l’imprimerie en 1440 – donne naissance à un commerce
important et change les conditions de lecture, de composition littéraire et
d'uniformisation de la langue.
Le mouvement humaniste de la Renaissance est un retour aux sources gréco-
latines qui a autorisé une relatinisation de la langue écrite. Mais il s'accompagne
de l'ambition nouvelle de hisser le « vulgaire » français sur le même plan que le latin,
et de réflexions approfondies sur les divers moyens de cultiver dans ce dessein
l'idiome national. L'expression la plus brillante de ces préoccupations se trouve dans la
Défense et illustration de la langue française de Joachim du Bellay. Cet intérêt
nouveau pour les problèmes linguistiques fait naître la philologie, une réflexion
grammaticale digne de ce nom, ainsi que les premiers dictionnaires, « thresors »