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Questions internationales février 2010
La gouvernance internationale du climat
Christian de Perthuis
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et Raphaël Trotignon
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La stabilité du climat est le prototype d’un bien commun dont bénéficie chaque habitant de la
planète qu’il se trouve. Pour préserver ce bien, il est nécessaire de réduire radicalement les
émissions globales de gaz à effet de serre. Individuellement, chaque acteur ou pays a intérêt à ce que
l’effort de réduction soit porté par les autres. Réciproquement, si un groupe de pays s’engage dans
une action ambitieuse, le risque est grand que cet effort soit annulé par les autres pays n’ayant pas
de contrainte. Cette situation très particulière fait de la donne climatique un cas d’école des
questions de gouvernance internationale en matière d’environnement. Cet article rappelle en
premier lieu la façon dont se sont constituées les instances permettant de coordonner l’action
internationale face au changement climatique. Il détaille ensuite les domaines dans lesquels s’exerce
cette coordination : l’information scientifique, le système d’engagements, le dispositif de normes et
de vérifications, les instruments économiques. Il conclut sur les évolutions possibles de la
gouvernance internationale du climat à la suite de la conférence de Copenhague.
Les discussions sur le changement climatique ont commen au niveau international il y a
maintenant plus de trente ans. La première conférence mondiale sur le climat s’est tenue à Genève en
1979. A cette occasion a été lancé un vaste programme de recherche climatologique mondial, confié
à l’Organisation météorologique mondiale (OMM), au Programme des Nations unies pour
l’environnement (PNUE) et au Conseil international des unions scientifiques (CIUS), destiné à
établir une base de connaissances scientifiques sur le sujet complexe et peu maîtrisé du changement
climatique. Le GIEC (Groupement Intergouvernemental d’experts du climat, IPCC en anglais), crée
en 1988, lui succéda pour servir d’appui aux discussions international sur le sujet. En décembre 1989
la deuxième conférence mondiale sur le climat s’est tenue à La Haye. Elle réunit 149 pays. Sa
déclaration finale préconise la mise en place de négociations en vue d’une convention internationale
sur les changements climatiques. Signée en 1992 au terme du sommet de la Terre de Rio de Janeiro,
cette convention constitue le texte fondateur des accords climatiques internationaux.
La Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques
Signée en 1992 par plus de 120 pays au sommet mondial de la Terre de Rio, la Convention Climat
(Convention Cadre des Nation Unies sur les changements climatiques) est entrée en vigueur le 21
mars 1994. Elle a été ratifiée par 192 pays, c'est-à-dire par à peu près tous les pays du monde. Seule
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Professeur à l’Université Paris Dauphine et directeur du PREC, programme de recherche en économie du climat de la
Chaire Finance et Développement Durable (Paris Dauphine Ecole Polytechnique), auteur de Et pour quelques degrés
de plus…Nos choix économiques face au risque climatique, chez Pearson
christian.deperthuis@prec-climat.org
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Chargé d’étude à CDC Climat Recherche et doctorant au PREC, auteur de Comprendre le réchauffement climatique,
chez Pearson
raphael.trotignon@cdcclimat.com
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exception significative : l’Irak. La Convention Climat a été moins médiatisée que le protocole de
Kyoto qui en est le principal texte d’application. C’est pourtant elle qui pose les fondements de la
coopération internationale en matière d’action contre le changement climatique.
La Convention Climat met d’abord en place une structure de gouvernance internationale du risque
climatique. Son organe suprême est la Conférence des Parties (COP) qui réunit les représentants de
tous les Etats ayant ratifié la convention. Ses procédures donnent à tout pays, petit ou grand, une voix
équivalente conformément aux principes des Nations Unies. Avec 192 parties, on imagine la
complexité des prises de décision qui en résulte et les risques induits de blocage ou d’immobilisme.
La COP doit statutairement se réunir une fois par an. La Convention Climat introduit ainsi un
processus continu de négociation internationale sur le changement climatique.
La COP est dotée d’un secrétariat opérationnel basé en Allemagne à Bonn. Ce secrétariat met en
application les décisions qui sont prises. Il assure également la collecte des informations que chaque
partie à la Conférence s’est engagée à fournir. Ce travail technique ne doit pas être sous-estimé. Il
permet d’assurer de multiples échanges d’information entre pays sur les émissions de gaz à effet de
serre.
On ne peut cependant pas considérer la COP comme une sorte de gouvernement international du
climat. En ratifiant la Convention Climat, les Etats signataires ne renoncent à aucune parcelle de leur
souveraineté. Ils ne délèguent aucun pouvoir de décision ou de police à un quelconque exécutif
mondial.
La Convention établit deux organes subsidiaires permanents : l'Organe Subsidiaire de Conseil
Scientifique et Technologique (SBSTA en anglais) et l'Organe Subsidiaire pour la mise en
application (SBI en anglais). Ces organes donnent des avis à la COP. Ils sont ouverts à la
participation de toutes les Parties. Les gouvernements envoient des représentants experts dans les
domaines respectifs de chaque organe. Le SBSTA et le SBI se réunissent traditionnellement en
parallèle de la COP, deux fois par an.
La che du SBSTA est d’alimenter la COP en information sur les questions scientifiques,
technologiques et méthodologiques. Le SBSTA joue un rôle important dans la gouvernance
mondiale du climat en servant de lien entre l'information scientifique fournie par les sources expertes
telles que le Groupe Intergouvernemental d'Experts sur l'Évolution du Climat (GIEC) et les
orientations politiques de la COP. Le SBSTA travaille de près avec le GIEC, lui demandant parfois
des études et des informations spécifiques. Les deux domaines majeurs de son travail sont la
promotion du développement et du transfert de technologies et l’amélioration des recommandations
pour les communications nationales et les inventaires d’émissions. Il effectue également un travail
méthodologique sur des sujets spécifiques comme l'utilisation des terres et la foresterie.
Le SBI conseille la COP sur toutes les questions relatives à la mise en œuvre de Convention. Elle est
chargée d’examiner les informations contenues dans les communications nationales et les inventaires
d’émissions des Parties pour évaluer l’effectivité de la Convention dans son ensemble. Le SBI passe
également en revue l’appui financier alloué aux Parties non Annexe I pour les aider à mettre en
œuvre leurs engagements au titre de la Convention, et conseille la COP sur les orientations du
mécanisme financier géré par le Fonds pour l'Environnement Mondial (FEM).
Les trois principes de la Convention Climat
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La Convention Climat ne fournit pas seulement un cadre de discussion multilatérale entre pays. Elle
avance trois principes qui doivent fonder la coopération internationale face au risque climatique.
Le premier principe de la Convention Climat est la reconnaissance par le droit international de
l’existence du réchauffement climatique et de son lien avec les émissions anthropiques de gaz à effet
de serre. Le second principe fixe à la communauté internationale, au nom du principe de précaution,
l’objectif de plafonner la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. La Convention
Climat recommande que le niveau de ce plafond prévienne de « toute interférence humaine
dangereuse pour le climat ».
Le troisième principe de la Convention Climat est celui de la « responsabilité commune mais
différenciée » face au changement climatique. Responsabilité commune signifie qu’en ratifiant la
convention, chaque Etat reconnaît porter une partie de la responsabilité collective. Responsabilité
différenciée signifie que chacun n’a pas le me degré de responsabilité suivant son niveau de
développement. La différenciation du degré de responsabilité est un critère d’équité. Il garantit que
les plus faibles ne porteront pas le fardeau de la contrainte. Ses fondements sont peu discutables,
mais il faut s’accorder sur sa traduction opérationnelle.
En pratique, ce troisième principe a fortement impacté le type de gouvernance mise en place. La
Convention Climat classe les pays en deux groupes : les pays industrialisés et les pays en
développement. Les premiers, à l’origine des trois-quarts des émissions mondiales de gaz à effet de
serre accumulées depuis 1850, portent une responsabilité historique prépondérante. Ils sont recensés
dans l’Annexe I. On les nomme communément « pays de l’Annexe I ». Ils regroupent les pays qui
étaient membre de l’OCDE en 1990 ainsi que la Russie, l’Ukraine et les pays d’Europe de l’Est. Les
seconds regroupent les pays considérés comme en développement en 1990. Ils n’ont clairement pas
les mêmes responsabilités dans l’accumulation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. La
Convention rappelle que leur priorité est de mobiliser des ressources pour le développement. A ce
double titre, les pays hors Annexe I n’ont pas à porter le même niveau d’engagement que les pays de
l’Annexe I. Le protocole de Kyoto va inscrire dans le marbre cette interprétation binaire de la
différenciation du degré de responsabilité.
L’architecture du Protocole de Kyoto
Certaines COP n’ont pas laissé de grands souvenirs. D’autres ont marqué l’histoire de l’action
collective face au changement climatique. C’est le cas de la troisième COP qui s’est réunie en 1997 à
Kyoto : le fameux protocole du même nom y a été signé en séance plénière. Le protocole de Kyoto
est le principal texte d’application de la Convention Climat. Les pays de l’annexe I y ont posé des
engagements de plafonnement de leurs émissions (-5,2% en moyenne d’ici 2012 par rapport à 1990).
Un premier pas a ainsi été franchi en direction d’une restriction du droit à émettre des gaz à effet de
serre. Comme les plafonds d’émission ainsi définis devaient être convertis en permis distribués aux
Etats et échangeables entre eux, un marché interétatique du carbone était de facto crée.
La COP de Marrakech, en 2001, a précisé ce dispositif en détaillant notamment les règles de
fonctionnement des mécanismes économiques. Les plus importants d’entre eux sont le marché
international des permis précédemment cité et les deux mécanismes de projets : la Mise en Oeuvre
Conjointe (MOC) et le Mécanisme pour un Développement Propre (MDP). Avec le MDP, les pays
développés peuvent remplir une partie de leurs engagements en finançant des projets réducteurs
d’émissions dans les pays en voie de développement qui n’ont pas de contrainte sur leurs émissions.
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Ces instruments économiques destinés à fonctionner au plan international sont incontestablement la
grande innovation du protocole de Kyoto qui a fixé simultanément un objectif global de
plafonnement des émissions et des instruments économiques visant, au travers de la tarification du
carbone à l’échelle internationale, à inciter les Etats et les acteurs privés à réduire leurs émissions. La
portée des engagements de Kyoto a été fortement édulcorée par la non ratification du protocole par
les Etats-Unis et la générosité des plafonds accordés aux pays de l’ex-URSS. L’une des grandes
inconnues de l’avenir de la gouvernance climatique internationale concerne le rythme de
déploiement de ces instruments économiques dont la mise en place sur le terrain contribue, bien plus
que la nature juridique des accords signés, à la crédibilité des engagements de long terme des Etats.
Pour entrer en vigueur, le protocole de Kyoto devait être ratifié par au moins 55 parties à la
Convention couvrant au moins 55 % des émissions de 1990 de l’annexe I. Comme les Etats-Unis
représentaient 34 % de ces émissions, leur retrait annoncé explicitement par le Président Bush
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en
2001 subordonnait l’entrée en vigueur du Protocole à sa ratification par la République de Russie
permettant d’atteindre les 55% d’émission. Ceci fut fait par la Douma fin 2004 ce qui permit au
protocole de Kyoto d’entrer en vigueur en février 2005.
Le protocole de Kyoto réunit ainsi un second groupe de 184 pays, engagé par ses dispositions. Après
sa ratification par l’Australie fin 2007, il regroupe l’ensemble des pays développés et de l’ex bloc
soviétique qui sont engagé à réduire leurs émissions sur la riode 2008-2012. La grande majorité
des pays en développement ont par ailleurs ratifié le protocole qui ne leur crée aucune contrainte
supplémentaire mais leur donne la possibilité d’accéder au MDP et donc à des financements
supplémentaires sous forme de crédits carbone. La différence principale entre le groupe COP et le
groupe Kyoto est la présence des Etats-Unis dans le premier et leur absence du second.
De Bali à Copenhague
En décembre 2007, la COP de Bali a lancé ce qu’on appelle la « feuille de route » de Bali (Bali
Roadmap) qui est un processus de négociation destiné à déterminer les règles s’appliquant après
2012. Cette feuille de route fixait une échéance, la COP de Copenhague de décembre 2009, et deux
enceintes de négociation, la premre dans le cadre de la COP comprenant les Etats-Unis, la seconde
dans le cadre de Kyoto et ne comprenant pas les Etats-Unis.
Pendant deux ans, plusieurs milliers de négociateurs se sont réunis dans le cadre de ces deux
enceintes, sans parvenir à produire des textes de compromis. Les deux pommes de discorde
principales ont concer d’un côté la demande d’élargissement des engagements réclamée par les
pays développés aux pays émergents dont le poids dans la croissance des émissions est devenu
prépondérant et de l’autre les demandes de transferts de ressource des pays en développement au titre
des transferts de technologie et de l’aide à l’adaptation au changement climatique.
La conférence de Copenhague s’est ainsi ouverte sans que les politiques ne disposent d’un projet
d’accord qu’ils puissent signer, quitte à trouver des arbitrages de dernière minute. Les procédures
classiques de la machine onusienne se sont révélées inadaptées à cette situation, la règle de
l’unanimité étant particulièrement contreproductive. Faute de consensus, la 15ème COP a débouché
sur un texte de nature juridique différente, baptisé « Accord de Copenhague ». Cet accord a été
préparé par quatre pays émergents - la Chine, le Brésil, l'Inde et l'Afrique du Sud et les Etats-Unis.
L’Europe, le Japon et les autres pays industrialisés s’y sont rapidement ralliés et, après une période
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En réalité, le Sénat américain qui a la haute main sur la ratification de tout accord climatique international avait
exprimé dès 1997 son hostilité par un vote unanime à la ratification d’un tel traité.
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de flottement, la majorité des pays en développement. Il y a peu de chance que l’accord de
Copenhague se transforme en un traité climatique prenant juridiquement la suite du protocole de
Kyoto du fait du pouvoir de véto qu’exercera un petit groupe de pays rassemblant en particulier
Cuba, le Venezuela, la Bolivie et le Koweit, très hostiles à l’accord.
Ce texte affirme la nécessité de limiter le réchauffement planétaire à 2°C par rapport à l’ère
préindustrielle. Il ne comporte pas d’engagement global contraignant de réduction des émissions de
gaz à effet de serre mais enregistre les engagements pris par les différents pays en maintenant la
distinction entre pays de l’annexe I et les autres. Fin février 2010, les pays de l’annexe I avaient fait
parvenir des engagements dont le cumul aboutit à une réduction de l’ordre de 6 % de leurs émissions
de 2020 relativement à 1990. Les grands pays émergents ont de leur côté transmis des engagements
qui sont exprimés en termes relatifs, soit en pourcentage du PIB, soit en écart relativement à un
scénario tendanciel. Les instruments économiques sont les parents pauvres de l’accord de
Copenhague qui se contente d’énoncer des promesses très générales de transferts financiers Nord-
Sud sans en détailler précisément les modalités, les destinataires et encore moins les sources précises.
Les quatre piliers de la gouvernance climatique internationale
Au lendemain de la conférence de Copenhague, la gouvernance climatique internationale est ainsi
constituée de trois couches superposées : la convention climat de 1992 et ses 192 parties, le protocole
de Kyoto et ses 184 signataires, l’accord de Copenhague approuvé fin février 2010 par 70 pays.
L’évolution de cette gouvernance va dépendre de la façon dont on pourra agencer les quatre piliers
que la convention climat et le protocole de Kyoto avaient tenté de réunir dans un ensemble
homogène : l’information sur la connaissance scientifique du changement climatique ; le système
d’engagement ; les normes et systèmes de calcul et vérification ; les instruments économiques.
- La promotion et la diffusion de l’information scientifique. L’une des principales activités du
GIEC consiste à procéder, à intervalles réguliers, à une évaluation de l’état des connaissances
relatives au changement climatique, publiés sous la forme de « rapport d’évaluation ». Ces
informations ont servi de catalyseur aux négociations. Le premier rapport d’évaluation du GIEC,
rendu public en 1990, joua un rôle décisif dans l’adoption de la Convention Cadre sur le Changement
Climatique en 1992. Sans la publication du deuxième rapport en 1995, il est vraisemblable que le
protocole de Kyoto n’aurait pas vu le jour. Le troisième rapport, en 2001, a contribué à l’adoption
des accords de Marrakech qui ont rendu opérationnel le protocole de Kyoto. Le quatrième rapport
publié en 2007 a élargi la prise de conscience du risque climatique dont a témoigné le nombre de
chefs d’Etat s’étant déplacés pour participer à la conférence de Copenhague. Le GIEC prépare
actuellement son cinquième rapport d’évaluation (AR5), qui paraîtra en 2014. Le GIEC est
périodiquement l’objet de campagnes de dénigrements plus ou moins orchestrées par les médias.
Certes, le fonctionnement et la gouvernance de cette institution sans équivalent peuvent et doivent
être améliorés. Mais, son rôle à l’amont de la négociation climatique est irremplaçable.
- Le système d’engagements. Au lendemain de la conférence de Copenhague, deux systèmes
d’engagement coexistent. Celui de Kyoto a fait l’objet d’un traité qui ne couvre plus qu’à peine le
tiers des émissions mondiales du fait de sa non ratification par les Etats-Unis et de l’absence
d’engagement de la part des économies émergentes. Le second dont le statut juridique n’est pas
précis regroupe un nombre plus élevé de pays sur des objectifs à géométrie variable et qui ont peu de
chance de réintégrer le système actuel de gouvernance climatique internationale. Le réalisme et
l’efficacité conduisent à anticiper que les futurs accords contraignants et ambitieux de réduction
d’émission de gaz à effet de serre se prendront à l’avenir dans des instances plus réduites : en
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