manière absolue la vision que le thème m'a fait entrevoir intuitivement, au plus profond de
mon esprit. Ce n'est qu'ainsi qu'on peut vraiment travailler."
Le livret de Manon Lescaut passa des mains de Marco Praga, auteur de pièces de théâtre, à
celles du poète Domenico Oliva; celui-ci le confia à son tour aux dramaturges Luigi Illica et
Giuseppe Giacosa- les habiles artisans des trois livrets suivants de Puccini - sans compter
l'aide occasionnelle, mais ô combien précieuse, du compositeur Ruggero Leoncavallo et de
Luigi Ricordi. Au terme d'un pareil carrousel , il n'est pas étonnant que personne n'ait
revendiqué la paternité du livret, qui fut en conséquence présenté comme anonyme, à la veille
de la première au Teatro Regio de Turin. "Je sors à l'instant d'un Teatro Regio débordant
d'enthousiasme chaleureux d'un public élégant, et j'ai encore dans les oreilles les
applaudissements prodigués à Manon Lescaut, qui a remporté un succès triomphal." C'est
ainsi qu’Alfredo Colombani, le correspondant du Corriere della Sera, commença son article
la nuit du 1er avril 1893. Il fut bientôt rejoint par le chœur quasi unanime de la critique, qui fit
définitivement sortir Puccini de l'anonymat, l'auréolant d'une gloire qui ne devait désormais
plus le quitter.
La lente composition de "La Bohème".1896
Disposant maintenant d'une fortune considérable, Puccini ne se permit qu'une seule dépense
de prestige: l'achat d'une villa à Torre del Lago, dans sa Toscane natale, qu'il considéra
pendant toute sa vie comme un véritable refuge.
Ce fut dans cette propriété qu'il commença la composition de La Bohème, deux mois à peine
après la création de Manon. Mais il ne vint à bout de cette nouvelle partition qu'après trois ans
de dur labeur; trois années au cours desquelles il connut toute une série de remises en question
et de longues périodes stériles pendant lesquelles il s'adonnait à son violon d'Ingres favori: le
chasse. L'écriture du livret fut ainsi abandonnée et reprise maintes et maintes fois, et cette
valse-hésitation suscita de nombreuses disputes avec les librettistes.
La création de La Bohème se déroula également au Teatro Regio de Turin, le 1er février 1896,
sous la direction d'Arturo Toscanini. Elle remporta un succès certes notable, gagna peu à peu
la faveur du public et finit par s'imposer définitivement, deux ans plus tard, après un succès
grandiose remporté à Paris.
Les querelles autour de "La Tosca". 1900
Après La Bohème, Puccini revint à un vieux projet qu'il avait nourri alors qu'il composait
Edgar: mettre en musique le drame de Victorien Sardou, La Tosca, qu'il avait vu jouer par la
grande Sarah Bernhardt, à Milan en 1889. De tous les livrets de Puccini, c'est la rédaction
de celui de La Tosca qui connut le plus de rebondissements et de querelles entre compositeur,
librettistes, et éditeur. Giacosa, en effet, y travailla à contrecœur car il n'était pas entièrement
d'accord avec le thème. Ricordi, quant à lui, ne fut jamais satisfait du troisième acte de l'opéra.
Mais le grand succès que l'œuvre remporta le 14 janvier 1900 au Teatro Costanzi de Rome
donna raison à Puccini.
Par ailleurs, depuis cette première, La Tosca fut considérée à tort comme relevant du courant
vériste qui dominait alors les scènes européennes. (La création de Cavalleria rusticana avait
en effet eu lieu en 1890, celle de I pagliacci deux ans plus tard, et il existe déjà un grand
nombre d'imitateurs.)