(TL)O.C.2 Cours sur l`orateur idéal de Cicéron INTRODUCTION : Au

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(TL)O.C.2
Cours sur l'orateur idéal de Cicéron
INTRODUCTION :
Au programme de cette année figurent la justice, le droit, le langage. Un thème difficile et
conflictuel qui met aux prises deux catégories de personnels : philosophes et les juristes. Le
problème d’un tel thème, c’est le divorce communément admis entre, d’une part, les philosophes,
spécialistes d’utopies et de modélisations, et, d’autre part, les juristes, techniciens du droit, qui
seraient davantage préoccupés par le montant de leurs honoraires que par la justice. Une histoire
drôle met d’ailleurs en scène un avocat. Lors d’un dîner mondain, un chirurgien est accablé de
questions médicales par sa voisine de table. Agacé, il demande à son vis-à-vis, avocat de son
métier, s’il est en droit de considérer, juridiquement, la conversation comme une consultation et,
donc, de demander des honoraires. L’avocat répond alors « oui, il s’agit bien d’une consultation
et quant à vous, Docteur, vous me devez 200 Euros ».
Derrière cette blague assez méchante pour les professions libérales, il y a une véritable
problématisation juridique : quelle est la différence entre une conversation et une consultation ?
D’ailleurs, il faut distinguer la consultation, qui, juridiquement, a lieu lorsqu’une question
purement technique ne requiert pas d’investigation complexe. Le juge peut alors charger une
personne qu’il commet de fournir une simple consultation. La consultation juridique, elle, se
définit comme l’avis donné par un juriste professionnel dans un litige donné. La consultation
médicale, elle, est définie dans l’article 55 du Code de la Santé publique. En procédure civile, la
consultation désigne donc la mission confiée par le juge où le tribunal à un technicien et qui
consiste, quand l’examen des faits ne nécessite pas des investigations complexes, à donner son
opinion verbalement ou éventuellement par écrit, après examen contradictoire des faits litigieux.
Revenons à notre reproche initial : les philosophes revendiquent souvent une ignorance et
un mépris juridique et les juristes s’accommodent fort bien de leur ignorance philosophique. Que
peut-on
dire
de
ce
divorce ?
1) il est ancien
2) il est au fondement d’importantes erreurs pas tant juridiques que philosophiques.
Pourquoi ce divorce est-il ancien ? Parce qu’il est revendiqué par le Platon du Protagoras. Lors de
son procès, le Socrate personnifié refuse ou revendique son ignorance de la rhétorique et prétend
parler au nom de la recherche de la vérité. Mon but n’est pas ici de refaire le procès de Socrate,
mais d’analyser les conséquences du divorce qu’il revendique. Nous verrons plus tard ce que
Cicéron pense de ce divorce.
Les conséquences qu’il entraîne sont dommageables. Citons pêle-mêle :
le mépris de beaucoup de professeurs de philosophie vis-à-vis des sophistes qui sont pourtant
leurs véritables ancêtres puisque, après tout, les enseignants de philosophie sont salariés. Cette
erreur persiste. Je me souviens d’un collègue soutenant que Socrate a tenu la meilleure défense.
Cela paraît pour le moins discutable.
Un divorce droit/ philosophie qui explique que juristes et philosophes, souvent, ne s’entendent
pas.
D’importantes erreurs sur la philosophie romaine. Je soutiens pour ma part qu’il y a une
philosophie romaine et que les Romains ne se sont pas contentés de produire une contrefaçon de
philosophie grecque. Le droit de la propriété intellectuelle n’existant pas dans l’antiquité, notre
représentation qui attribue aux Grecs les maths, la philosophie, la médecine et aux Romains le
droit paraît discutable. Les Romains ont certes inventé la science du droit.
Faut-il donc prendre acte de ce divorce et reconnaître comme inconciliables l’interrogation
philosophique et les sciences juridiques ?
En tout cas, dans l’état actuel, 1) la philosophie est largement ignorante du droit et 2) le droit
revendique une ignorance de la philosophie.
Le problème se pose alors de l’inflation du judiciaire :
la plupart des chefs d’Etat sont avocats maintenant : N.Sarkozy, T. Blair, A.Merkel, Zappatero,
F.Fillon, B.Obama…
on assiste au développement d’un droit communautaire et international éminemment
problématiques.
On assiste à un processus de judiciarisation des rapports sociaux : recours divers/ procédures
d’arbitrage/ problèmes de propriété intellectuelle/ droit des affaires/ droit des brevets, des dessins
et modèles, des bases de données.
Aujourd’hui, nous donnerons la parole aux juristes.
Quels sont les principaux reproches formulés par les juristes à la philosophie ?
Reproche 1) D’après Hauriou, la philosophie du droit n’existe pas. Le droit naît de l’Etat et la
compréhension du droit nécessite donc une philosophie de l’Etat. On peut facilement objecter que
le droit peut exister indépendamment de l’Etat, notamment dans la coutume. Le danger de ravaler
le droit à la seule volonté du prince, c’est de tomber dans le positivisme.
Reproche 2) Selon Carbonnier, la philosophie du droit est une discipline originale qui articule des
jugements de valeur et doit donc se distinguer de la sociologie du droit, qui privilégie quant à elle
les énoncés empiriques. On répondra qu’il n’est après tout pas évident que la sociologie n’utilise
que des énoncés descriptifs.
Reproche 3) argument ad hominem : la philosophie du droit concerne les philosophes et non pas
les juristes. D’après cette position, le juriste s’attache à la personne et le philosophe à l’essence
du droit. Cette position ne tient pas. La philosophie du droit nécessite un bagage en droit. Il ne
faut pas, dit M Villey, tailler une part trop large aux philosophes. La science du droit suppose
admise une conception du droit, de son objet, de son essence. Or, on a du mal à trouver chez
Descartes, Pascal, Kant, Hegel, Nietzsche, Kierkegaard, Freud, Sartre, Heidegger une réelle
expérience du droit.
D’où le diagnostic de M Villey : nous n’avons pas de philosophie juridique. Si, dit M Villey, au –
dessus de la poussière d’idéologies successives qu’étudient les historiens, il y a une philosophie
juridique, elle reste à réinventer.
Pourquoi parler de réinvention ? Le préfixe laisse en effet entendre que cette philosophie
juridique existe. C’est celle de Cicéron. On peut distinguer plusieurs figures de Cicéron :
le classique qui nous a fait éventuellement souffrir en cours de latin lors de traductions épiques
des Tusculanes
le politique, consul des Verrines ou du Pro Murena, ami-ennemi de César/ Antoine/ Caton.
Le théoricien de l’éloquence, auteur du De l’invention, du De Oratore, du Brutus, de l’Orateur
L’enseignant qui forma au patronat judiciaire plusieurs jeunes gens de l’aristocratie équestre ou
sénatoriale.
Le philosophe ? C’est toujours en discussion. Les Lois, après tout, s’apparentent à une copie de la
République mais Cicéron a rhétorisé la philosophie. Il a , d’une part, introduit une dimension
philosophique dans la rhétorique et, d’autre part, introduit la rhétorique dans la philosophie en
développant un langage philosophique original qui mêle démonstration et persuasion.
Un avocat passionné par la défense. C’est la figure qui m’intéresse le plus. Cicéron prononça 150
discours dont 58 sont conservés. On peut les classer en deux grandes catégories, celles des
harangues, ou discours politiques prononcés devant le peuple ou le Sénat et celle des discours
judiciaires, pour l’accusation ou la défense devant les tribunaux. D’après les études livrées par
J.E.Granrud dans The Classical Journal, 1912-1913, Cicéron eut gain de cause dans 82% des cas.
Cicéron ne rédigeait pas ses discours. Les textes que nous avons sont des versions révisées,
réécrites, augmentées ou abrégées pour publication par son secrétaire Tiron. De ce point de
vue, il partage l’opinion de Maître Henry Torrès qui refusait de voir en Poincaré un avocat
sous prétexte qu’il « écrivait ses plaidoiries ». Cf : Robert Badinter, L’Exécution p 41-45. De
plus, Cicéron a la passion de la défense comme Torrès. Cicéron est donc le seul philosophie
occidental qui est aussi avocat. Sa philosophie de l’art oratoire, de la rhétorique, est au centre
de sa pensée et constitue une véritable expérience de philosophie juridique. Avec Cicéron se
dégage une conception du droit comme visant la justice et qui constitue le point focal autour
duquel s’orientent et s’articulent toutes les dimensions de sa réflexion.
On peut objecter que Cicéron est dépassé et ne présente rien de plus qu’un intérêt historique.
Je ne prétends pas ici faire de l’histoire du droit puisque je ne suis pas romaniste. J’ai deux
objectifs :
donner des éléments factuels, procéduraux et jurisprudentiels exploitables dans une épreuve sur la
justice. Pour ce faire, je me fonderai sur les plaidoiries.
Montrer l’actualité de la théorie de Cicéron pour comprendre les problèmes contemporains en
matière de justice. Je me fonderai sur le De Oratore.
S’agit-il donc de faire du neuf avec du vieux ? Non. Aucune philosophie juridique n’a été
véritablement élaborée en Occident depuis Cicéron et je pense que c’est d’elle qu’il faut partir. Je
répondrai donc dans un premier temps à l’objection historicisante en déterminant les éléments qui
font la romanité de la philosophie cicéronienne pour exposer ensuite la philosophie du De
Oratore .
La romanité de Cicéron :
Je voudrais ici prendre en compte une objection a priori indépassable : celle d’après
laquelle Cicéron serait dépassé. Que faut-il entendre par la notion de romanité ? Il convient de
distinguer la rhétorique romaine de la rhétorique grecque pour comprendre l’originalité de
Cicéron et de Rome. Chez les Romains, pas de héros beau-parleur. Le modèle archaïque
romain est plutôt celui de l’orateur qui parle à bon escient, qui compte sur son statut, sur son
âge, sur sa noblesse, sur son prestige qui doivent garantir le poids et l’autorité des paroles.
Celui qui parle est écouté, non pas tant à cause de ses paroles, qu’à cause de sa position dan la
cité, qui donne à ses paroles la valeur nécessaire. La parole, à Rome, est une affaire sérieuse,
elle est à l’origine sacrée et engage l’ordre du monde. Elle est performative, comme cela se
voit d’ailleurs dans la procédure formulaire. Dans l’ancien droit romain, c’est la plaideur lésé
qui, poursuivant la restitution de son droit, dirige la procédure. Le plaideur poursuit
personnellement et par sa force personnelle l’objet qu’il réclame. Cependant, l’Etat l’oblige à
faire contrôler la régularité de son action. Les magistrats chargés de ce contrôle seront
successivement le roi, le collège des pontifes, les consuls puis les préteurs à partir de -367.Le
citoyen romain doit se plier à des rites.
ex : Soit un propriétaire souhaitant reprendre son esclave à un voleur. Il amène l’esclave au
tribunal, pose sur sa tête une baguette et prononce une formule : Gaius Institutes IV 6 : Je dis
que cet esclave est mien en vertu du droit quiritaire.
Conséquence : pour intenter un quelconque procès, il faut pouvoir couler sa prétention dans
l’une de ces formules admises par la coutume et acceptées par le préteur. Performative la
parole est par elle-même une action qui possède une efficace et produit une situation
nouvelle. La parole sert à ordonner, permettre, énoncer des règles. Le but n’est donc pas de
prononcer des discours brillants ou subtils mais des paroles appropriées auxquelles on peut se
fier. La parole doit susciter la confiance et être à la fois énergique et brève.
La seule école à laquelle on peut apprendre cet usage de la parole, pour les Romains, c’est
celle de la coutume ancestrale (mos majorum). Etant donnée l’importance de la structure
gentilice et l’omnipotence juridique du Pater familias, la famille constitue le premier lieu de
l’éducation. Le père prend son fils en charge et lui enseigne à lui ressembler en imitant ses
paroles et ses comportements. L’éducation oratoire était donc intégrée dans un processus plus
complet, qui consiste à former l’être social par les leçons et l’exemple, ainsi qu’à transmettre
les valeurs de la classe et de la famille.
Tacite, explique ainsi dans le Dialogue des orateurs : « Chez nos ancêtres, le jeune
homme qui se destinait à l’éloquence judiciaire et politique, après avoir reçu chez lui un
commencement de formation et l’esprit nourri de bonnes études, était conduit par son père ou
ses proches à l’orateur qui occupait le premier rang dans la cité. Il devait s’habituer à
fréquenter sa maison, à l’accompagner au dehors, à entendre tout ce qu’il disait, soit au
tribunal, soit dans les assemblées ; c’était au point qu’il assistait même aux plaidoiries par
courtes répliques, qu’il était présent aux discussions violentes, et qu’il apprenait pour ainsi
dire à combattre au milieu même de la mêlée. »Or, dans cette éducation, l’apprentissage du
droit est essentiel. Quid de Cicéron ? Il fut formé par deux grands jurisconsultes : son père le
conduisit auprès de Quintus Mucius Scaevola l’Augure et auprès du cousin de celui-ci,
Quintus Mucius Scaevola le Pontife.
 ce modèle idéologique de la rhétorique fait écho à un vieux fonds pragmatique, paysan,
militaire dont les Romains étaient fiers et qu’ils revendiquaient volontiers.
Qui sont donc les grands prédécesseurs de Cicéron ? Leurs discours sont perdu ou bien
transmis par Cicéron dans le Brutus, ou bien par Salluste, Tite-Live, Denys d’Halicarnasse,
Plutarque et les érudits de l’Empire comme Aulu-Gelle.
Le premier discours important est prononcé, d’après la légende , en -494 : c’est l’apologue
des membres et de l’estomac qu’aurait prononcé Menenius Agrippa pour calmer la plèbe.
Cette éloquence possède deux caractéristiques : 1) elle se déploie dans le contexte des luttes
sociales et 2) il s’agit d’une éloquence pré-technique qui repose sur une simple narration et
non pas sur une démonstration argumentée. Suit au tournant des IV et IIIè siècle le travail du
consul Appius Claudius Caecus, qui réforme l’alphabet et divulgue le droit.
Prochaine grande figure : Caton l’ancien (234-149) : le premier orateur à publier. Dans le
Brutus, Cicéron prétend avoir lu plus de 150 discours de Caton. Son style se marque par
l’efficacité, la variété des tons et des formes ( surtout l’invective), un style raide, rugueux, peu
rythmique. C’est aussi le premier théoricien de la rhétorique lorsqu’il dit à son fils que
« l’orateur est un homme de bien, habile à parler ». Autrement dit, la simple compétence
oratoire ou la maîtrise technique se suffisent pas à définir l’orateur. Celui-ci est surtout
dépositaire de qualités morales et sociales qui appartiennent aux bon citoyens, c’est-à-dire
aux hautes classes, attachées aux structures et valeurs de la société humaine. Une deuxième
sentence de Caton nous est parvenue : « Possède le sujet, les mots suivront » Caton distingue
ici la maîtrise du cas dans sa dimension factuelle et jurisprudentielle de la simple maîtrise des
mots qui permettra de plaider. Il ne refuse pas la rhétorique mais il condamne bel et bien une
rhétorique qui en serait que technique et langage. Caton est un traditionaliste et non pas un
archaïque. Il se réclame ses valeurs traditionnelles, réaffirme la légitimité du patronat, le rôle
du Bonus Vir, l’importance de la fides tout en intégrant des nouveautés, en parlant sans
relâche, en publiant et en conceptualisant. Cicéron se montre plus nuancé à l’égard des
Gracques et de leur éloquence. Dans le Brutus, il déclaire : « Si seulement Tibérius Gracchus
et Caius Carbo avaient eu la volonté de bien gérer l’Etat comme ils eurent le talent de bien
parler… »Cette rhétorique révolutionnaire des Gracques suscita d’ailleurs un regain de la
rhétorique des Boni dans la rhétorique sénatoriale des IIè et Ier siècles.
Marcus Antonius, grand père du triumvir et Lucius Licinius Crassus, deux des interlocuteurs
du De Oratore, fournissent des exemples typiques de l’orateur romain, avec la dimension
politique que cela comporte. Ils parcourent le cursus honorum jusqu’ au consulat et à la
censure, exercent le pouvoir proconsulaire dans une province. Antonius remporte le triomphe
et Crassus le manque de peu. D’après Cicéron, Antonius excelle dans le genre judiciaire. Il
est d’une efficacité redoutable grâce à la force de ses démonstrations, à l’action persuasive et
à sa mémoire. Antonius ne recherche pas le style, il ne publie d’ailleurs pas pour ne pas avoir
« un jour à nier avoir dit ce qu’il lui faudrait n’avoir pas dit » ( Cf : Cicéron, Pour Cluentius).
Antonius entend garder les mains libres pour défendre par tous les moyens chacun de ses
clients successifs. Il croit à la pratique et à l’expérience. Crassus, lui possède une vaste
culture générale et des connaissances particulièrement étendues en matière de jurisprudence.
Il excelle dans le style, la forme, l’art de la réplique. Il s’est illustré notamment dans la causa
curiana : une difficile affaire de succession. En -93, un citoyen romain avait fait établir un
testament en faveur d’un enfant dont la naissance était présumée. Une clause prévoit que si
l’enfant devait mourir avant sa majorité, l’héritage irait à son tuteur. Pb : le citoyen meurt et
l’enfant ne naît pas. Le tuteur réclame donc son héritage, conformément à la lettre du
testament. On lui oppose que puisque la naissance n’a pas eu lieu, la clause n’a pas lieu
d’être. Scaevola fait jour la lettre du testament. Crassus, lui , fait jouer la volonté du testateur,
que le testament manifeste. Crassus a certes le droit contre lui, mais fia tusage de la
rhétorique pour remporter le procès.
I) Etude d'un extrait de L'Orateur (-46):
Il est possible de décomposer l'étude du présent extrait en quatre moments:
Introduction: §43 à 46 inclus
L'Orator est le troisième membre d'une trilogie que Cicéron a consacré à la théorie de l'éloquence
et de l'art oratoire. Le chef d'oeuvre et l'exposé le plus systématique, à cet égard, c'est le De
Oratore, dialogue en trois livres, qui fournit l'exposé le plus systématique qui soit de la
philosophie de Cicéron. Suit le Brutus et enfin l'Orator, ouvrage épistolaire dédié à Brutus par
Cicéron.
Cicéron a donc déjà grandement traité de l'éloquence à cette date. L'Orator est rédigé en -46 sur
les instances de Brutus, le futur conspirateur des Ides de mars. Le De Oratore, lui, a été rédigé en
-55. Pourquoi Cicéron entreprend-t-il de traiter à nouveau de l'éloquence? Pour deux raisons/
1/ Son oisiveté, son isolement sa dépression: Rome est encore secouée par les derniers
soubresauts de la guerre civile. César à vaincu Pompée à Pharsale en _48. Cicéron s'est retiré de
la vie politique et est bouleversé par le suicide de Caton d'Utique,
Comme toujours, lorsque l'action politique lui et fermée, il se retire vers la théorie
Il revendique d'ailleurs constamment ce mouvement de va et vient entre l'action et la
contemplation, comme il le fait dans le préambule général du De Oratore: "ils me paraissent
singulièrement heureux ces hommes qui, au sein d'une cité bien gouvernée, comblée d'honneurs,
florissants d la gloire que leur méritaient leurs actions, ont pu régler le cours de leur existence de
manière à vivtre tour à tour au service de l'Etat sans danger et dans la retraite avec dignité."
En l'occurrence, Cicéron force ici le trait car souvent, ses retraites sont rien moins que sereines:
elles correspondent bien plutôt à des périodes d'exil forcés motivées qui sont rendues nécessaires
par le danger ou la disgrâce.
2/ un élément de contexte, contemporain de la rédaction de l'ouvrage: il se trouve confronté à une
nouvelle génération d'orateurs, de rhéteurs, de plaideurs, d'avocats, menés par Brutus.
Ce dernier interpelle Cicéron sur un pb précis, qui semble à première vue uniquement technique
et de devrait donc concerner que les spécialistes de l'art oratoire:
pb: quel est parmi les trois genres de styles de l'art oratoire, i.e. le style simple, le style modéré, le
style sublime, celui qui l'emporte sur tous les autres?
L'enjeu est de plus grande importance qu'il n'y paraît: c'est toute une conception de l'art oratoire
qui se trouve remise en question et Cicéron doit répliquer en dressant le portrait de l'orateur idéal.
Cicéron entend donc se placer son le patronage de Platon et de la théorie des idées afin de dresser
ce portrait.
Qu'est-ce que la théorie platonicienne des Idées? Pour esquisser la figure de l'orateur parfait,
Cicéron part de la philosophie de Platon afin d'envisager l'idée d'une éloquence parfaite.
Cependant, il n'en reste pas pour autant dans le domaine de la spéculation métaphysique.
Pourquoi? Parce le contexte littéraire est tendu et la pure philosophie ne peut pas, selon Cicéron,
fournir une réponse satisfaisante dans une débat sur l'éloquence elle-même. C'est que l'sart
oratoire est prêt à se transformer avec la mutation des cadres politiques dans lesquels il s'était
jusque-là épanoui.
L'opuscule s'adresse à un professionnel, à un interlocuteur éclairé. Il est destiné à un esprit déjà
familier des différents principes oratoires dont il traite.
Dans la Rhétorique, Aristote a défini trois genres du discours: le discours judiciaire, le discours
délibératif, le discours démonstratif ou épidéictique. Dans le discours délibératif, l'homme d'Etat
conseille ou déconseille une réforme ou une action. Dans le discours épidéictique, l'orateur loue
ou blâme qqch. Le discours judiciaire, lui, prend sens dans le contexte d'un procès. Il y a d'un
côté l'accusation et de l'autre la défense. Ces discours se distinguent par les fins respectives qu'ils
visent. Le discours délibératif vise l'uile ou le nuisible, car il consiste à exhorter au mieilleur et à
dissuader du pire. Le discours épidéictique vise le beau ou le laid. Le discours judiciaire, lui,
porte sur des faits passés qu'il tente de déterminer comme justes ou injustes, c-à-d comme
conformes au droit et/ou à l'équité ou comme contraires aux lois et/ou à l'équité. Cicéron ne
s'attache ici qu'au premier, c-à-d aux plaidoiries devant les tribunaux, à l'éloquence qu'il a luimême pratiquée avec un immsens succès.
De plus, il faut voir que l'Orator naît en plein conflit: ce conflit s'appelle la querelle des Attiques
et des Asianistes.
Qui sont les Attiques ou néo-attiques? Les orateurs qui pratiquent une éloquence sobre et
dépouillée. Leur modèle? Thucydide, le père de l'histoire et le rédacteur de L'histoire de la guerre
du Péloponnèse. Sa langue se veut sèche, nerveuse, dénuée de passion et d'ornements.
Quid de la langue de Cicéron? La lecture des plaidoiries est sans appel à ce propos: sa langue est
vive, éclatante, animées de puissantes figures de style et d'élans passionnés.
Cicéron a en effet subi l'influence du grand orateur Hortensius ainsi que celles des rhéteurs et des
philosophes grecs dont il fut l'élève à Rhodes, l'un des bastions de l'asianisme.
Pour résumer: Brutus accuse donc Cicéron d'appartenir au courant asianiste et cherche à le lui
faire avouer. L'enjeu pour Cicéron, c'est de réfuter l'atticisme de Brutus pour définir sa propre
conception de l'atticisme. Alors que Brutus entend limiter strictement l'atticisme au style simple,
Cicéron le définit par sa polyvalence: l'orateur attique est celui qui excelle à manier tous les
styles.
L'Orateur est donc ancré dans cette actualité qui lui confère un caractère polémique.
A travers l'Orateur il s'agit donc, une fois encore, de défendre la conception définie dans le De
Oratore, véritable traité de philosophie cicéronienne.
Comment décrire donc l'activité de l'orateur parfait, ou idéal, appelons-le l'orateur Alpha?
Th: trois opérations définissent l'activié de l'orateur parfait;
Texte: "L'orateur doit considérer trois choses: ce qu'il dit, dans quel ordre et de quelle façon il le
dit"
Ces trois opérations sont l'inventio, la dispositio et l'elocutio
Inventio: se définit comme l'étape d'imagination.Il s'agit de l'action de découvrir
Source: Invenio, is, ire, veni, ventum: trouver, apprendre, inventer, découvrir
Dispositio=def: l'arrangement, la disposition, l'organisation
Dispono, is, ere, posui, positum: placer en séparant, distinctement, mettre en ordre, disposer les
troupes, répartir, arranger, régler, ordonner
Elocutio=def:action de parler, manière de s'exprimer, expression
Eloquor, queris, qui, locutums ou loquutus sum: parler, s'exprimer, s'expliquer, dire, énoncer,
exposer, exprimer.
Il s'agit là des opérations classiques constitutives de l'activité oratoire. Cicéron en traite à
plusieurs reprises Ainsi a-t-il rédigé un traité de l'invention, De Inventione
Il en traité aussi, bien évidemment, dans le De Oratore, à travers la parole de Crassus:
De Oratore: "Ainsi j'ai appris que le premier de voir de l'orateur est de s'appliquer à persuader;
qu'ensuite la matière de l'éloquence a tout entière pour objet ou bien une question indéfinie,
générale, sans détermination de personnes ni de temps, ou bien un cas réel, une question
concernant des personnes t un temps déterminées; que dans les deux hypothèses, quel que soit le
point discuté, on examine si le fait a eu lieu, et alors, quelle en est la nature, de quel nom
l'appeler, parfois, comme le veulent quelques-uns, si l'acte est légitime ou non; que d'autre part,
certaines controverses portent sur l'interprétation d'un texte, quand il y a équivoque contradiction,
opposition entre la lettre et l'esprit; qu'enfin à chacune de ces espèces correspondent des
arguments qui lui sont propres. J'ai appris que parmi les causes qui en rentrent pas dans les
questions générales, on distingue deux genres, le judiciaire et le délibératif; qu'il en existe un
troisième, lequel s'occupe de distribuer l'éloge ou le blâme; que tous le trois ont leurs lieux (ou
sources de preuves): le judiciaire, qui a l'équité pour but; le délibératif, qui se propose l'utilité de
ceux auxquels s'applique le conseil; le démonstratif, où l'on s'efforce d'exalter le mérite de la
personne qui est louée.
Toutes les facultés de l'orateur s'exercent dans le cadre des cinq divisions suivantes:
1) découvrir d'abord les arguments convenables
2) ceux-ci une fois trouvés, non seulement les ranger,mais les répartir suivant leur degré
d'importance et les disposer avec sagacité
3) puis les revêtir des ornements du style
4) ensuite les fixer dans sa mémoire
5) enfin les faire valoir par une action noble et grâcieuse
il ne peut y avoir de discours sans que l'orateur procède à cinq opérations: il doit trouver
les arguments (inventio), les agencer (dispositio), mettre en forme le discours avec
l'ornement des mots et des figures, ce que nous appelons aujourd'hui le "style"
(elocutio), débiter le discours avec des gestes et une diction étudiés (actio), et recourir à
la mémoire (mémoria). Tout cela constituait le fonds d'enseignement des rhéteurs.
Cependant, Cicéron redéfinit son propos; il ne s'agit pas de rédiger un manuel à l'usage des
orateurs On ne donnera donc pas de règles, mais puisqu'on doit dresser le portrait de l'orateur
parfait, il faut nécessairement définir en quoi consiste la perfection de son activité.
--> hypothèse de travail: l'orateur parfait est celui qui accomplit avec perfection l'inventio, la
dispositio, l'elocutio
Pb: une telle hypothèse repose sur un présupposé: dans l'art oratoire, les trois opérations auraient
la même importance et des valeurs respectives strictement égales.
Quel rapport les trois opérations entretiennent-elles donc les unes avec les autres?
Cicéron ne nie pas l'importance de l'inventio et de la dispositio mais la relativise par rapport à
celle qu'il assigne à l'elocutio
Th: inventio et dispositio constituent des conditions nécessaires mais non pas suffisantes de l'art
oratoire.
Pourquoi?
Parce que ces deux démarches, à la différence de l'elocutio, ne sont pas propres à l'art oratoire.
--> inventio et dispositio sont des démarches communes à toutes oeuvres de l'intelligence.
Csqce: Cicéron ne sépare pas l'imagination de l'intelligence. L'intelligence ne se contente pas de
classer/ ranger/trier comme le dirait Bergson. Elle est aussi imagination.
Mais l'intelligene n'est-elle pas une qualité que doit posséder l'orateur Alpha? Si,mais
l'intelligence n'est pas propre à l'art oratoire.
L'intelligence, pourrait-on dire, est une condition nécessaire mais non pas suffisante de l'art
oratoire.
On supposera donc sans développer dit Cicéron, que notre orateur parfait connaîtra donc les
sources des preuves et des arguments.
De quoi S'agit-il? De ce que vous avez étudié avec moi en classe de Première L: les types
d'arguments.
Autrement dit, l'orateur parfait sera bien inspiré d'avoir fréquenté Aristote, notamment l'Organon,
plus précisément les Topiques, dont Cicéron avait rédigé un abrégé, et les Réfutations
sophistiques. De même, il aura tout intérêt à avoir lu la Rhétorique.
Quelles sont les sources des preuves et des arguments? Il s'agit de ce qu'Aristote appelle les
Topoi, que l'on traduit en français par les lieux communs.
D'après la logique de Port-Royal, les lieux communs sont des classes générales dans lequelles on
peut ranger toutes les preuves et arguments dont on se sert.
Exemple donné par Aristote en Topiques II: savoir que lorsque nous aurons prouvé une
attribution universelle affirmative ( tous les hommes sont mortels), nous aurons par là-ùême
démontré l'attribution particulière affirmative ( x est mortel). De même, aussi, quand nous aurons
démontré une attribution universelle négative ( aucun homme n'est immortel), nous aurons par là
même démontré l'attribution particulière négative (X n'est pas immortel).
Quel est donc le domaine dans lequel l'orateur devra exercer ? C'est le domaine de la controverse,
du débat.
--> il s'agit là pour Cicéron d'une des caractéristiques distinctives du discours oratoire par
différence d'avec le discours littéraire, philosophique, poétique, religieux, historique.
Un orateur qui doit accomplir la fonction d'inventio doit donc se poser trois questions à propos de
la chose en débat:
1) cette chose existe-t-elle? POur répondre à cette question, il est nécessaire de relever des
indices.
Ex: Murena s'est-il ou on rendu coupable de corruption électorale?
Il semble en tout cas y avoir des indices: il a serré des mains, organisé des cortèges, du pain et
des places de spectacle ont été distribués en son nom sur le forum.
2) quelle est la nature de cette chose: ici se fait ressentir la nécessité d'une définition juridique.
En effet, qu'est-ce qu'une déf?une locution qui indique la signification et détermine la nature d'un
terme. Depuis Aristote, on détermine la définition comme l'activité par laquelle on indique
l'appartenance de la chose à définir à un genre ainsi qu'une distinction spécifique
Ex: l'homme est un animal doué de raison.
Ex: les agissements de Murena sont-ils ou non constitutifs d'une infraction de corruption
électorale telle qu'elle est définie par la loi?
Oui: En -358, une loi avait supprimé les tournées électorales. Les coupables encoururent d’abord
une peine d’inéligibilité de 10 ans puis l’exclusion du Sénat et l’inéligibilité perpétuelle.
Lorsqu’il fut consul, Cicéron renforça ce dispositif législatif de lutte contre la corruption par la
loi Tullia qui interdit de payer des gens pour grossir les cortèges des candidats ainsi que d’offrir
des banquets et des fêtes sous peine d’être exilé 10 ans.
Troisième question: quelles sont ses qualités: c-à-d quels sont les éléments constitutifs du pb de
droit? Pour répondre à cette question, il faut avoir présent à l'esprit les principes du bien et du mal
et de l'équité.
Qu'est-ce que l'équité? Elle est définie par Aristote en Ethique à Nicomaque L V/
résumé de l'appareil aristotélicien:
Justice=def; une vertu éthique qui consiste dans une disposition à choisir ce qui est juste (une
médiété).
Justice globale= vertu/ justice partielle=loi
La justice partielle se distingue en deux espèces: la justice distributive: consiste à répartir des
honneurs, des richessses, ddes avantages entre les membres d la communauté politique. Elle a
alors pour impératif de prendre en compte les prétentions et les droits de chaque citoyen par
rapport aux autres.
La justice corrective: elle a pour buts de régler les rapports entre personnes. Il peut s'agir de
rapports contractuels ( vente/achat/ prêt/ garantie/ location/dépôt) ou de rapports non-contractuels
( infractions). Elle est régie par un impératif de stricte égalité arithmétique non proportionnelle.
--> peu importe la nature des personnes commettant l'infraction. La justice corrective a pour but
de rétablir l'égalité arithmétique en réparant le préjudice.
Qu'est-ce donc que l'équité? La marge de manoeuvre dont dispose le juge pour appliquer la loi
générale au cas particulier.
Or, la loi est toujours trop générale pour pouvoir respecter le principe de l'égalité juridique.
--> l'équité doit donc corriger la loi et participe de la justice en assurant l'égalité juridique;
Quand le juge mobilise-t-il l'équité d'après Aristote?
Soit:
a) quand il est confronté à un cas particulier qui 'nest pas inclus dans les dispositions générales de
la loi.
b) quand il est confronté à un cas particulier qui pourrait rendre injuste l'application de la loi, trop
générale: il s'agit d'éviter l'abus de justice.
Pour Aristote, l'équité que le juge mobilise dans on jugement est un élément de droit positif
qu'elle complète. En effet, la formulation juridique comporte des risques; ces risques sont palliés
par l'équité.
Formule-bilan: l'équité est un correctif de la loi dans les limites ou elle en défaut en raison de con
universalité.
c) quand le politique doit prendre le relais duj udiciaire par décret.
Aristote distingue en effet le décret, qui s'applique à une situation spéciale et varie selon elle. La
loi, elle, se caractérise par sa forme invariable; en tant que telle elle est censée s'appliquer à toutes
les circonstances.
De la lthéorie de l'équité, Aristote déduit celle de l'honnête homme. Qui est l'honnête homme?
Celui qui ne fait pas d'abus de justice.
Ainsi Richard Bodeüs définit-il l'équité comme l'inclination à ne jamais tirer avantage d'une loi
qui laisserait place à l'injustice. La justice spéciale a pour correctif l'équité, vertu du juge,
nécessaire parce que els affaires humaines sont toujours des affaires humaines.
--> cela s'appuie su rlarrière-fonds de physique et de cosmologie d'Aristote
Cf: De Caelo
L'orateur doit également avoir en vue l'équité, ce qui le distingue du pur et simple juriste, qui ne
se fonde que sur sa connaissance parfaite du driot civil.
ex: Murena n'a fait que respecter les usages des campagnes électorales. Il a donc été élu
légitimement dans un contexte difficile. La protection de la sûreté de l'Etat nécessite qu'on valide
son élection même si des indices de corruption existent.
Cependant, si l'orateur ne doit pas se laisser enfermer dans la stricte définition juridique, il ne
saurait renonce r l'universel pour se concentrer uniquement sur les circonstances particulières
d'une affaire donnée.
Texte: Cicéron fonde cela au moyen d'une distinction: alors que l'orateur commun se laisse
enfermer par les circonstances particulières de l'affaire, l'orateur parfait doit avoir recours à la
généralisation.
Pourquoi? Parce que, conformément à ce que soutiendrai Aristote dans les Topiques: la preuve du
général emporte celle du particulier.
En effet, ce souci du général transparaît dans la production de l'avocat.
Th de Cicéron: l'avocat doit produire des thèses.
Objection: n'est-ce pas là le travail du philosophe?
Réponse de Cicéron: il s'agit là d'un point commun, parmi tant d'autres souvent revendiqués par
Cicéron, entre les démarches de l'avocat et du philosophe.
Cicéron se réfère à la théorie de la thèse telle qu'elle est déterminée par Aristote:
cf: Topiques I,11: "Une thèse est un jugement contraire l'opinion courante, émis par quelque
philosophe notable: par exemple, qu'il n'y a pas de contradiction possible, comme le soutenait
Antisthène, ou que tout est en mouvement, selon Héraclite, ou que l'être est un, comme le dit
Mélissos. La thèse peut encore être une assertion que nous pouvons justifier par un raisonnement
contraire aux opinion courantes: par exemple, que tout ce qui est n'est ni devenu, ni éternel,
d'après ce que les Sophistes prétendent, car, disent-ils, un musicien qui est grammairien est ainsi,
sans être devenu grammairien et sans l'être éternellement.
Que la thèse pourtant soit aussi un problème, c'est là une chose évidente, car il résulte
nécessairement de ce que nous avons dit, ou bien que le vulgaire est, sur la thèse, en désaccord
avec les sages, ou bien qu'il y a désaccord parmi les sages ou au sein du vulgaire, attendu que la
thèse est un jugement contraire à l'opinion commune."
Pour résumer: la thèse est toujours référée à un problème et nécessite des argumentations. Elle un
raisonnemnet original, justifiée, dans le contexte d'une controverse. De ce point de vue, l'orateur a
donc bel et bien pour fonction de produire des thèses et Cicéron peut à bon droit revendiquer
l'existence d'un lien entre l'activité de l'avocat et celle du philosophe.
Ce lien est mis en place dès le De Oratore dans les différents discours de Crassus, le porte-parole
de Cicéron.
Crassus: "Lorsque dans un discours se présentera, comme souvent il arrive, l'obligation de
recourir aux grands développements sur les dieux immortels, la piété, la concorde, l'amitié, les
droits du citoyen, les droits de l'homme, le droit des nations, l'équité,l a tempérance,la grandeur
d'âme, enfin sur toutes sortes de vertus, ce sera une belle clameur, je n'y attends , de la part des
écoles et des sectes philosophiques: elles crieront que toutes ces questions sont leur bien propre et
n'appartiennent absolument en rien à l'orateur.
Jamais je ne niera que certaines connaissances ne soient de la compétence spéciale de ceux qui
ont mis toute leur application à les apprendre et à s'en servir; mais je ne reconnaîtrai pour
véritable et parfait orateur que celui qui sur tous les sujets pourra déployer une élocution riche et
variée.
Veut- on maintenant embrasser dans une définition l'idée complète,la force exacte du mot
orateur? Celui-là seul, à mon avis, est digne d'un si beau nom qui développera n'importe quel
sujet avec toutes les qualités voulues d'invention, de disposition, d'élocution, de mémoire, en y
ajoutant encore de la noblesse dans l'action.
La philosophie est divisée en trois parties: l'étude des obscurités de la natures, les méthodes
subtiles du raisonnement, la science des moeurs et d la vie, négligeons les deux premières, pour
faire une concession à notre paresse; mais la troisième, qui a toujours été du domaine de
l'éloquence, l'abandonner, ce serait ne plus laisser à l'orateur aucun moyen d'atteindre les
sommets de son art. Ainsi tout ce qui , dans la philosophie, concerne la conduite de la vie,
l'orateur devra l'étudier à fond.
Cicéron parle plus explicitement en son nom propre dans le texte même de l'Orator:
IV.§14: Etablissons dès maintenant ce que 'on comprendra mieux par la suite: la philosophie est
nécessaire à la formation de notre orateur idéal. Ce n'est pas qu'elle embrasse tout, non. C'est
plutôt parce qu'elle est aussi utile à l'orateur que la gymnastique à l'acteur (il est souvent très
juste, en effet, de comparer les petites chose aux grandes). Car personne, sans la philosophie, ne
peut traiter avec ampleur et majesté des sujets aussi divers et aussi importants.
La philosophie est donc une propédeutique à l'art oratoire Elle possède une utilité thétique et une
utilité instrumentale. Parce qu'il vise l'équité, parce qu'il traite d'affaires humaines, parce qu'il doit
mobiliser des catégories générales, parce qu'il doit appliquer avec équité ces catagories générales
à des circonstances particulières, l'orateur n'est pas un simple jurisconsulte. Il doit disposer d'une
culture et d'un savoir-faire philosophique.
Cicéron va plus loin: l'art oratoire achève la philosophie car il se soucie de disposer d'une
élocution et d'une action qui lui permettront de toucher le populaire, ce à quoi les philosophes,
enfermés dans des querelles de spécialistes cultivés, ont renoncé.
Comment déterminer plus avant cette activité de l'avocat?
I- La théorie de l'invention et de la disposition
Premier requisit l'orateur alpha doit disposer d'une connaissance approfondie et efficace, c-à-d
empreinte de discernement, des lieux communs et arguments définis par Aristote dans les
Topiques, dont Cicéron rédigea un abrégé à l'attention de son ami le juriste Trébatius Testa.
Pourquoi Cicéron précise-t-il qu'il faut une connaissance empreinte de discrnement? Parce que
les lieux ne pensent pas, ne conçoivent pas. Ils ne sont que des instruments, qui nécessitent un
usage lucide et empreint de discernement.
Csqce: connaître l'ensemble des lieux communs, ce n'est pas encore savoir parler.
--> la connaissance des lieux est une condition nécessaire mais non pas suffisante de l'art oratoire
et plus particulièrement de la plaidoirie.
Quelle est donc la qualité fondamentale de l'orateur alpha? La mémoire a certes son importance,
mais elle n'est pas tout L'orateur doit être pourvu d'un jugement sain,lucide, précis. D'où
l'importance d'avoir étudié la philosophie. L'orateur dispose donc d'une certaine marge de
manoeuvre par rapport aux lieux .
En effet, Cicéron décrit précisément l'attitude de l'orateur par rapport aux lieux:
il doit
a) connaître les lieux
b) s'arrêter et s'étendre sur les preuves qui lui sont utiles
c) atténuer ce que certaines preuves peuvent avoir de choquant contre sa thèse
d) supprimer complètement ce qu'il serait impossible de réfuter
e) détourner l'attnetino de l'auditoire
f) présenter des contre-arguments plus solides que les arguments qui lui sont présentés
L'inventio participe donc d'un travail de manipulation et Cicéron dresse bel et bien de l'orateur un
portrait de manipulateur. Les philosophes ont beau jeu de critiquer cette attitude chez l'orateur.
Celui-ci se préoccupe non pas de la vérité, mais de la défense ou de l'accusation, auxquels il doit
soumettre tout son savoir-faire. A lui de présenter des faits une analyse, une version rien moins
qu'objective mais plausible qui permette d'arracher la conviction des jurés ou au contraire de les
plonger dans le doute. Pourquoi? Parce que les affaires humaines restent des affaires humaines, et
qu'il n'y a ps de science exacte des affaires humaines. Le droit et la plaidoirie sont des sciences et
des techniques du discours. Le plus habile l'emporte.
Ici, Cicéron préfigure les analyses de Perelman .
Il est possible de citer un exemple qui illustre cela et la distinction entre jurisconsulte, une
profession que Cicéron ne porte pas dans son coeur, avocat:
l
la cause de Manius Curius et de Marcus coponius:
Il s'agit d'une cause très célèbren dont Cicéron parle souvent. Dans ce procès, la lettre est en
conflit avec l'esprit.
Un homme, sur le point de mourir, croyant sa femme enceinte, institutait son héritier l'enfant
présumé, et ajoutait que, si cet enfant mourait avant sa majorité, l'héritage reviendfrait à M
Curius, le tuteur désigné. Il n'y eut pas d'enfant. Curius réclame l'héritage. Mais Copinius, parent
du défunt, prétend que le testament était nul, puisque l'entant, n'étant pas né, n'avait pas pu mourir
avant d'être majeur et qu'ainsi la clause n'était plus observée.
Crassus: quand elle fut plaidée devant les Centumvirs, quel concours de gens! Quelle attente
excitée! Q.Scaevola , mon contemporain et mon collègue, l'homme du monde le plus versé dans
la science du droit, et qui joint aux lumières de l'esprit le plus pénétrant l'élocution la plus soignée
et la plus précise, celui enfin que j'ai coutume d'appeler Le plus grand orateur d'entre les
jurisconsultes et le plus grand jurisconsulte d'entre les orateurs, défendait Coponius par la lettre
du testament et les droits du texte; il soutenait qu'à moins qu'un posthume ne fût né réelent, puis
décédé avant sa majorité, une personne ne pouvait hériter, lorsqu'elle avait été instituée héritière
pour succéder à un posthume qui viendrait à naître et mourrait mineur. Moi, je m'attachais à
l'intention du testateur,lequel avait voulu, du moment qu'il n'aurait pas de fils parvenu à l'âge de
majorité, que M Curius fût son héritier. Eh bien! L'une t l'autre, pour plaider cette cause, avonsnous cessé un instant de nous plonger dans les consultatiosn des jurisconsultes, les recherches de
cas analogues, les formules de testament, c-à-d dans le droit civil?
Passons maintenant à la dispotion:
Un discours, dit Cicéron possède quatre parties, qiu sont les quatre parties reconnues et prescrites
par la rhétorique classique:
Ces quatre parties sont:
1) l'exordium: introduction
2) la narratio: consiste dans l'exposé des faits
3) confirmatio: présentation des arguments
4) Peroratio: conclusion.
N.B. Ces différentes parties font d'ailleurs l'objet de nouvelles divisions. La confirmatio,
par exemple, comprend la propositio, où l'on définit le point à débattre; l'argumentatio,
développement dse raisons probantes; la refutatio, consistant à réfuter les arguments de
l'adversaire; l'altercatio, forme de provocation à coups de questions insistantes;
l'amplificatio, où l'on cherche à élever le débat et la difressio, visant à l'éclairer par des
considérations qui ne le touchent pas directement
Cicéron développe ensuite une métaphorique du combat pour présenter sa théorie de la dispositio:
L'exorde est un vestibule ouvrant sur la cause par des accès lumineux.
La narratio a pour but de s'emparer des esprits
La confirmatio doit établir la position et esquiver les objections.
Au début et à la fin de chaque étape, l'avocat placera les arguments les plus solides et mettra les
plus faibles au milieu. De la même façon, l'armée romaine place les éléments les plus forts, c-àde l'infanterie et la cavalerie en tête et à l'arrière-garde de la colonne et les bagages au milieu.
Après avoir succintement présenté sa théorie de l'inventio et de la dispositio, Cicéron en vient à
l'elocutio.
II) La théorie de l'élocution
a) considérations générales
Cicéron formule un jugement de valeur; dans la pratique de l'orateur Alpha, l'elocutio est la
matière la plus importante;
--> à rattacher à l'importance que les avocats, Torrès, Badinter, accordent à l'oralité des
plaidoiries.
Pour argumenter ce jugement de valeur, Cicéron regarde, une fois plus vers la philosophie. Aussi
fait-il explicitement référence aux philosophes sceptiques et néo-aadémqiues que Cicéron a
connus lors de ses études à Rhodes/
Carnéade: philosophe sceptique du IIè sièce fondateur de la nouvelle académie
Clitomaque: disciplue du premier
Charmadas: élève du second.
Th: aux dires des plus grands philosophes le style a une certaine importance en philosophie
Cicéron: a fortiori a-t-il davantage d'importance en rhétorique et pour l'orateur.
Cicéron concentre donc la recherche: quel est le genre d'élocution qu'i faut préférer pour l'orateur
parfait?
Contrairment à Bergson et aux partisans du scepticisme linguistique qui voient dans le langage un
obstacle à l'expression de la pensée, Cicéron soutient que le langage se caractérise par sa
malléabilité, sa souplesse, sa flexibilité.
-->il est donc l'instrument rêvé de manipulation à des fins de défense et d'accusation.
Le langage est la meilleur des choses, puisque, dit Cicéron:
Th: le langage peut se plier à tous nos désirs.
Preuve: la diversité des styles, qui permettent à la pluralité des sentiments de s'exprimer.
Constat: la fréquentation des prétoires permet de l'établir: il existe différents types d'orateurs qui
se distinguent par leurs styles, c-à-d leur usage du langage.
Ex: les orateurs loquaces qui résument l'éloquence à la volubilité (=def: flot de paroles manquant
de style et de précision qui servent à noyer le poisson).
Ex: les orateurs assez dramatiques jouant des silences, des pauses, des respirations.
Ex: les orateurs très analytiques tout en douceur et en uniformité
Ex: les orateurs passionnés, empreints de sévérité ou de tristesse.
Comment analyser cette galaxie de discours et d'orateurs si différents les uns des autres?
En mobilisant la distinction classique, sur laquelle Brutus lui-même interroge Cicéron: il y a trois
types d'orateurs qui correspondent aux trois genres de styles: l'orateur et le style simple/ l'orateur
et le style simple, l'orateur et le style modéré, l'orateur et le style sublime.
b) Elocution et action
L'orateur possède deux moyens d'expression, l'élocution et l'action, c-à-d la voix et le geste, le
non-verbal. Ce dernier fait partie intégrante de la plaidoirie. Malheureusement, elle ne transparaît
pas dans l'écriture. Voilà pourquoi les orateurs rechignent à publier leurs discours, car l'action n'y
transparaît pas. Une plaidoirie est faite pour être entendue, vue, vécue et non pas lue.
L'action est l'éloquence du corps, elle mobilise les intonations et inflexions de la voix ainsi que le
geste. Là encore, l'orateur devra faire preuve de discernement, de jugement de prudence dirait
Aristote.
Qu'est-ce que la prudence? Elle fait l'objet de l'Ethique à Nicomaque. On peut même affirmer,
que la prudence constitue la vertu essentielle qu'un homme digne de ce nom doit s'appliquer à
développer selon Aristote.
Prudence=def: Ethique à Nicomaque: disposition à agir de façon délibérée, consistant en une
médiété relative à nous, qui est rationnellement déterminée et comme le déterminerait l'homme
prudent.
quelques explications:
Disposition à agir: chez Aristote, contrairement à Platon, la vertu n'est pas affaire de
connaissance théorique. Elle est affaire de disposition, de tempérament, de caractères (=def:
ensemble de dispositions). Il faut donc s'atteler à former un caractère prudent.
le choix délibéré: une conduite ne peut être jugée vertueuse ou vicieuse que si elle est fondée sur
un choix délibérée. Sur quoi délibérons-nous? Sur ce qui n'est ni accidentel ni nécessaire; ce qui
est à la portée des hommes et qui a lieu la plupart du temps.
médiété: chez Aristote, la vertu consiste toujours dans le moyen-terme entre deux vices: le
courage est par ex le moyen-terme entre la lâcheté et la témérité
comme le déterminerait l'homme prudent: la prudence est un savoir pratique, appliqué qui ne
s'appuie pas tant sur des défs et des considérations théoriques que sur des modèles pratiques.
Le modèle proposé par Aristote: Ulysse.
L'orateur parfait doit savoir choisir les bonnes intonations de voix et prendre le ton propre au
sentiment qu'il voudra susciter.
L'action, conjonction du geste et de la voix, se voit attribuer des places de choix ( 1è/2è/3è avec
l'effet d'hyperbole) par Démosthène. Cette référence, Cicéron ne la fait pas au hasard.
Démosthène est perçu comme le meilleur orateur grec de tous les temps et Brutus partage ce
sentiment.
-- en Démosthène, les Romains voient le paradigme de l'orateur, i.e. l'orateur parfait. Reste à
savoir si Démosthène est un orateur au style simple( ce qui conforterait Brutus) ou au style
sublime (ce qui conforterait Cicéron)
L'éloquence dit Cicéron, n'est rien sans l'action et l'action ne perd rien de sa force sans
l'éloquence. L'action joue donc dans l'art oratoire un rôle de premier plan.
Csqce: ce qui caractérise l'orateur parfait: sa capacité d'analyse des situations et sa capacité
d'adaptation aux situations; en un mot, sa prudence, au sens aristotélicien.
--> l'orateur qui aspire à la perfection parlera d'une voix forte dan le feu de l'émotion, d'une voix
douce dans les moments d'accalmie, d'une voix profonde quand il voudra être grave et d'une voix
touchante dans les passages pathétiques.
Concernant la musicalité de la voix, Cicéron affirme qu'elle a son importance, même si l'impératif
de musicalité ne se fait pas aussi fort dans l'art oratoire que dans l'art théâtral.
Argument: Eschine et Démosthène vont jusqu'à railler mutuellement leur propension à
l'exagération dans l'action.
Note: Démosthène dénonce la voix tonitruante d'Eschine, primant à ses yeux par l'éclade ses
jurlements. Eschine dénonce avec la même virulence Démosthène, lui reproche son ton, ses cris,
ses pleurs ainsi que la faculté de pouvoir si facilement passer d'un registre à l'autre pour tromper
et attendrir son auditoire.
Cicéron en appelle à plus de simplicité: que l'on se contente de respecter la distribution naturelle
des accents propre à la langue que l'on emploie.
Dans son analyse de la voix, Cicéron mobilise la distinction classique posée entre autres par
Chrysippe et qui sera reprise plus tard par Epictère entre ce qui dépend de nous et ce qui ne
dépend pas de nous (mes jugements, mes passions, mes représentations dépendent de moi).
S'il ne dépend pas de nous d'avoir ou non une belle voix, il dépend bien de nous de l'habituer à
travailler et de l'exercer.
Quid du geste? Il doit être empreint de modération, mais pas inexistant.
Du point de vue de son attitude corporelle, l'orateur Alpha se tient droit, évite d'aller et venir,
s'avance rarement et jamais violemment vers l'auditoire. Il ne parle pas avec les mains
Le visage ne doit pas grimacer et ne pas faire preuve d'affectation. Il seconde la voix.
Cicéron se réfère ensuite aux étymologies pour établir que l'élocution éclipse toutes les autres
qualités de l'orateur.
C'est un raisonnement courant chez les Anciens: l'ancienneté d'un terme est gage de sa valeur.
Toujours cette réfrce sacro-sainte au mos majorum.
--> de la notion d'élocution, les Grecs auraient rité le mot rhétor et les Latins l'adjectif eloquens
pour désigner celui qui maîtrise l'invention, la disposition, l'action.
Note: le substantif retor (le rhéteur, l'orateur) vient d ela même racine que le verbe eirein ( dire,
parler), de même qu'eloquens (éloquent, qui a le talent de la paorole) est le participe présent de
eloquor, queris, qui, locutus ou loquutus sum, parler énoncer.
En résumé: il n'est pas nécessaire d'être un grand orateur pour parvenir à maîtriser l'invention,la
disposition,l'action. Il faut maîtriser l'élocution pour être un grand orateur.
III- Typologie comparée des styles de discours
Après avoir identifié dans l'élocution la qualité propre de l'orateur, Cicéron engage une
comparative des différents types de discours.
Il commence par comparer l'orateur au philosophe. Certes, l'histoire nous montre que certains
philosophes étaient habiles dans l'art de bien parler.
Cicéron cite Théophraste, Aristote, Xénophon, Platon.
Pourtant, le style philosophique ne convient pas en procès.
Pourquoi? Parce qu'il manque de vigueur, de mordant. Les plaidoiries retiennent ces éléments de
la hargangue.
Qu'est-ce qui caractérise donc le style philosophique pour Cicéron? La Sérénité. La philosophie
n'est pas tant, à lire Cicéron, une pratique du discours qu'une pratique de la conversation, c-à-d de
l'échange dialogué et courtois apaisé de toute passion. Cela correspond certes à la préférence
donnée par les anciens au dialogue en matière de philosophie
Petite caractéristique cicéronienne du discours philosophique
a) i traite de sujets tranquilles:la vertu, l'être
b) il a pour but d'instruire les auditeurs, pas de leur faire éprouver des passions
c) la séduction y est un défaut. Le discours philosophique n'a pas pour but de séduire l'auditoire,
mais de le convaincre rationnellement au moyen d'arguments rationnels.
la philosophie est donc une discussion plutôt qu'un discours. Elle emploie donc une langue douce
et académique. L'action et la séduction n'y ont pas de valeur.
Cicéron se représente donc la philosophie comme une vierge chaste pudique, réservée.
A contrario, la plaidoirie n'a pas pour but de convaincre. Elle a pour but de toucher le coeur des
jurés, de leur faire éprouver des émotions, soit la certitude soit le doute. Elle porte sur des sujets
orageux, comme l'argent, les dettes, les obligations, les infractions, les délits, les crimes, les
héritages, les élections. SOn but, c'est d'exciter les passions profitables au parti représentées par
l'orateur.
Malheureusement, Cicéron ne donne pas d'image censée représenter l'art oratoire.
l'orateur est donc un captator (séducteur, celui qui cherche à saisir, à surprendre qqch), un parfait
séducteur qui manipule et charme ses auditeurs afin de remporter la cause qu'on lui a confiée,
dans la défense comme dans l'accusation. Il connaît donc les traits et les mots qui galvanisent la
foule, soucieuse du rythme, et manipule les passions humaines: colère, haine, violence, ruse.
Voilà pourquoi l'art oratoire produit des discours.
Quel rapport l'orateur entretient-il avec le sophiste? Ce dernier cherche également à plaire. Est-ce
à dire que l'orateur est un sophiste?
Cicéron attire l'attention de Brutus sur un danger: les sophistes ont tendance à tenter de
s'approprier les ornements de la plaidoirie. Cpdt les buts respectifs du sophiste et de l'orateur de
sont pas les mêmes.
En effet le premier veut plaire à l'auditoire le plus nombreux possible
Pour le second, la séduction n'est pas une fin en soi, elle est un moyen d'obtenir gain de cause. La
séduction doit déboucher sur la persuasion chez l'orateur. Alors que le sophiste veut apaiser l'âme
au moyen d de beaux discours, l'orateur veut la troubler, c-à-d produire une passion, un
sentiment utile à sa cause: une intime conviction ou un doute qui débouchera sur une décision
favorable la cause défendue.
Le sophiste recherche le plus plaisant. L'orateur recherche les artifices qui rendront son discours
le plus plausible. La séduction ne joue pas de rôle dans la philosophie. Elle est fin dernière de
l'activité sophistique. Elle n'est qu'un moyen au service de la persuasion chez l'avocat.
L'étude comparative s'articule donc sur le rôle de la séduction au sein des discours philosophique,
sophistique, oratoire.
Quel rapport l'orateur entretien-il donc avec l'historien? Le style historique recherche davantage
l'objectivité et articule descriptions précises et hagrangues IL manque d'impétuaosité, de
véhémence. C'est ce qui le distingue de la plaidoirie, qui n'a pas de prétention scientifique,
contrairement l'histoire depuis Thucydide
Quel rapport le discours oratoire de plaidoirie entretient-il alors avec le discours poétique?
Cicéron envisage une opinion courante: c'est la versification et le soucie du rythme qui distingue
le style du poète de celui du rhéteur.
Or, comme cela a déjà été indiqué, le discours poétique n'a pas l'apanage du rythme et de la
versification. Ces éléments, on les retrouve tout aussi bien chez certains philosophes, comme
Platon et Démocrite.
Quel critère de distinction faut-il donc mobiliser pour distinguer efficacement le discours
poétique de la plaidoirie?
Th: le discours poétique dispose d'une plus grande liberté que la plaidoirie, toujours triplement
déterminée par les faits, le droit, les convenances.
D'où provient cette plus grande liberté du discours poétique?
Th: le discours poétique s'attache davantage aux mots qu'aux pensées, ce qui le distingue du
discours oratoire.
th: c'est son caractère désintéressé, parce qu'il est un jeu formel sur les mots et les possibilités du
langage, qui caractérise véritablement le discours poétique. Dans l'art oratoire, au contraire, la
mise en forme est toujours et indépassablement au service du propos et de l'objectif poursuivi, cà-d la défense et l'accusation.
IV) Les fonctions de l'orateur et l'impératif de bienséance:
De l'analyse des éléments constitutifs du discours oratoire, Cicéron remonte à la téléologie du
disocurs oratoire.
Th: le discours oratoire possède trois objectifs: prouver/plaire/émoiuvoire
th: Dans n'importe quelle causes, l'orateur doit renseigner son auditoire, l'instruire (docere),
éveiller en lui la sympathie (placere) et savoir l'émouvoir en faisant appel au pathétique (movere)
Ici flectere, qui signifie également "détourner, diriger les esprits".
--> Le contrôle de l'émotion est donc au coeur même du processus de persuasion ainsi que de la
pratique de l'art oratoire.
A
Comment y parvenir? A chacune de ses fonctions correspond un ton, un style, une élocution
L'orateur parfait, le véritable attique, n'est donc pas celui qui décide de s'enfermer
méthodologiquement dans le style simple. C'est celui qui sait exercer sa prudence et son
discernement pour choisir le style selon la fonction qu'il a à remplir.
Mise en place d'une correspondance de typologies: la typologie des styles et celles des fonctions
docere ou prouver: style simple
placere: style tempéré
movere: style sublime
Pb: ces fonctions du discours oratoire sont-elles à mettre sur le même plan ou, au contraire, faut-il
introduire entre elles des relations hiérarchiques?
Cicéron répond à cette question en formulant des jugements de valeur
th: en matière de discours politique et de plaidoiries
1) prouver est une nécessité: ce n'est pas encore suffisant: nous sommes en droit et non pas en
philosophie pure
2) plaire est une douceur: il ne faut pas s'en priver, comme en philosophie, mais pas non plus s'en
contenter comme le font les sophistes: cela n'est qu'un supplément.
ex: importance du mot d'esprit, de la plaisanterie, à laquelle Cicéron consacre de nombreux
développements approfondis dans le De Oratore
3) émouvoir est une victoire
Une victoire a plus de valeur qu'une simple douceur et qu'une pure nécessité.
--> contrôler l'émotion de l'auditoire est donc la fonction ultime du discours oratoire. Cette
fonction le caractérise et permet de le distinguer des autres formes de discours, poétiqu',
philosophique, littéraire, historique.
Th: si l'orateur émeut l'auditoire, la cause est gagnée.
En quoi consiste l'importance de cette hiérarchie? La hiérarchie des fonctions permet
d'instrumentaliser la hiérarchie des styles pour répondre au pb posé par Brutus à Cicéron: puisque
:
(i) Emouvoir est le but ultime de la plaidoirie: l'orator veut être un très habile captator qui
manipulera l'auditoire après l'avoir séduit
(ii) cette fonction nécessite qu'on ait recours au style sublime ou véhément et qu'on le maîtrise
--> le style sublime est le style que doit maîtriser l'orateur parfait
Csqce: l'atticisme réel ne se limite pas à la maîtrise du style simple (laconisme), comme le pense
Brutus.
Reste à savoir , puisqu'il est établi que la maîtrise du style sublime est une nécessité pour définir
l'orateur parfait, cela signifie-t-il pour autant que le style sublime résume à lui seul l'ensemble des
compétences de l'orateur parfait?
Cela est peu probable lorsqu'on prend en compte les exigences que Cicéron fait peser sur la
formation de l'orateur idéal: une formation généraliste, philosophique; l'orateur doit disposer
d'une culture générale qui lui permette de développer la prudence au sens aristotélicien et le
discernement.
V) L'impératif de la bienséance:
Cicéron répond ici explicitement à la question posée plus haut
§70
Requisit d'un bon orateur: il faudra donc un jugement insigne et un talent immense pour maîtriser
et doser les effets de ces trois styles
Csqce: l'orateur parfait se définit par sa polyvalence. Il ne se résume pas à la maîtrise d'un seul
style. Il lui faut maîtriser les trois et savoir en user bon escient.
Qu'est-ce qui garantit le bon usage de ces trois styles?
Th dans le discours comme dans la vie, tu respecteras les bienséances.
Que faut-il entendre par la notion de bienséance? C'est la trad du grec prépon et du latin decorum:
=def: ce qui convient, les convenances, ce qui est approprié aux circonstances.
La connaissance des convenances relève d'un savoir pratique, appliqué, d'un bon sens et d'un
jugement qui procède de la psychologie sociale, de la familiarité avec les fonctionnements de la
scté.
Comment développer cette connaissance? 1) par l'étude de la philosophie qui traite des moeures
2) par les lectures littéraires (Pro Archias) et 3) par la fréquentation des prétoires, initiée dès le
plus jeune âge.
Cicéron dresse ensuite la liste, non limitative et non exhaustive, des éléments qui appartiennent
au decorum, aux convenances, d'une situation donnée;
-les circonstances: ex: Murena a-t-il ou non dansé? Dans quelles circonstances?
-le rang: quelle est la généralogie de Murena? Celle de Rufus?
-Le prestige: la carrière militaire donne-t-elle plus ou moins de titres au consulat que la carrière
de jurisconsulte?
-l'âge
- le lieu
-l'époque
l'auditoire
--> autant d'éléments susceptibles de définir des convenances différentes, auxquelles
correspondront des styles différents
Ex: Mitterrand à Robert Badinter: on ne parle pas devant le Parlement comme on parle à la Cour
d'assises.
Csqce: le style qu'il faut adopter dpd du sujet, du caractère du locuteur, de celui de l'auditeur, et
des circonstances
Ce qui caractérise l'orateur idéal c'est donc sa plasticité, son jugement, son discernement, sa
capacité d'adaptation et son aptitutde à s'adapter aux convenances.
Qu'est-ce qui fonde l'importance des convenances et de la bienséance?
Leur caractère transversal: les philosophes en traitent dans leurs traités de philosophie morale.
Les grammairiens en parlent quand il commentent les poètes. Les orateurs n'ont de cesse d'en
discuter à propos de tous les genres de causes et de toutes les parties du discours.
Cicéron illustre cette importance des convenances et de la bienséance au moyen d'une caricature:
rien n'est plus inconvenant que de plaider avec grandiloquence une affaire de gouttière (droit civil
simple) devant un seul juge, et d'évoquer avec réserve et simplicité la grandeur du peuple romain.
Suit une typologie des erreurs potentiellement imputables à l'insuffisance de prise en
considération des convenances et bienséances:
-erreur sur les styles oratoires à utiliser
- erreur sur la personnalité: des juges, des adversaires
--> il faut donc des connaissances de psychologie sociale appliquée. Ce que les Romains avaient
coutumes d'appeler la prudentia=def: la prudence, le discernement des choses bonness ou
mauvaises, indifférentes, connaissances pratiques. C'est l'ensemble des connaissances appliquées
qui forme la sûreté de goût provenant des habitues acquises. Elle inclut également la
connaissance du mos majorum: la coutume des ancêtres, les usages du peuple romain, en matière
de guerre, de droit, de politesse, de rapports sociaux.
--> ex: tempéraments d'origines religieuse et coutumière au droit absolu du pater familias
reconnu par le droit romain.
Pour finir, Cicéron met en place une distinction capitale entre les deux notions de devoir et de
bienséance.
Devoir=def: idée d'une loi morale absolue que tout le monde doit observer, en tout temps et en
tout lieu.
Bienséance=def: l'ensemble des obligations relatives, propres à des circonstances ainsi qu'à des
personnes déterminées.
--> il s'agit d'une connaissance pratique fondée sur la prudence, le discernement, le tact qui relève
de la pratique, de la culture, des habitudes acquisese.
Il convient d'applique rcette connaissance des bienséances tant dans les actes, les paroles, la
physionomie, la démarche, le choix du style, le geste, la voix, l'élocution
-->l'orateur parfait est celui qui sait, par sa culture, sa maîtrise, son caractère, son jugement, sa
prudence, adapter son élocution et son action aux affaires qu'il plaide en ayant toujours le souci
du decorum, des convenances.
Pour Cicéron, l'importance du respect des convenances se fait encore plus vive chez l'orateur. Il
termine par une gradation d'illustrations:
"Si le poète évite cet écueil, le plus dangereux de tous; si on ne lui pardonne psa de placer dans la
bouche d'un honnête homme des propos malhonn$etes ou de prêter à un sot le langage d'un sage;
si le peintre du sacrifice d'Iphigénie, ayant représenté Calchasen proire à la tristesse, Ulysse plus
triste encore, Ménélas accablé, a senti qu'il fallait voile rla tête d'Agameno parce qu'il ne pouvait
pas rendre avec son pinceau le comble de la douleur; si l'acteur enfin recherche la bienséance,
que devons-nous attendre de l'orateur? Vu l'importance des convenances, c'est à lui de voir ce
qu'il vconveint de dire, dans les détails comme dans l'ensemble de son propos.
Conclusion:
Cicéron marque donc son attachement à la théorie des trois styles, que Brutus et les siens
entendait malmener. En effet, c'est la maîtrise des trois styles selon le souci des convenances qui
définit l'orateur parfait. Il importe donc de préserver cette théorie. Cette théorie, défendue par
Cicéron, jouera un rôle considérable dans la littérature occidentale. D'après cette théorie générale
de l'art oratoire, le discours parfait cherche à remplir trois fonctions, instruire, plaire et émouvoir.
Quant au discours, il s'articule autour de quatre grands points: l'exordiume, la narratio, la
confirmatio et la peroratio. Il ne peut y avoir de discours que si l'orateur procède à cinq
opérations: il doit trouver les arguments (inventio), les agencer (dispositio), mettre le discours en
forme avec l'ornement des mots e tdes figures (elocutio), débiter le discours avec des gestes et
une diction étudiés (actio) et recourir à la mélmoire (mémoria). Cicéron reprend et défend donc le
fond d'enseignement des rhéteurs. Quand il cherche à définir l'éloquence parfaite, Cicéron doit
évoquer sa violence, son éloquence sournoise et pervers, comparée à la vierge chaste, pudique,
réservée que constitue l'éloquence philosophique. Parce qu'il cherche à troubler les âmes,
l'orateur doit être un parfait séducteur, un captator. Il manipule et charme se auditeurs pour
remporter la cause qu'on lui a confiée, dans la défense comme dans l'accusation. Même si
Cicéron, comme Torrès, maque sa préférence pour la défense. C'est que sauver un client comme
Muréna, inculpé dans une affaire de corruption électorale, ou poursuivre Verrès ou Catilina sont
tout autant des victoires personnelles que des batailles pour la défense de la république. Cicéron
est sorti grandi de ces combats, faisant figure de défenseur de la République.
Les succès remportés au barreau ont d'ailleurs permis à l'avocat de gravir les échelons du Cursus
honorum jusqu'à la charge suprême de consul. En effet, Cicéron est un Homo novus auquel sa
naissance ne donnait aucun privilège sur lequel s'appuyer. Les Verrines furent un admirable
tremplin. Inversement, le consul qu'il est devenu en -63 af ait de sa situation politique un
argument irréfutable et décisif pour emporter l'acquittement de Muréna.
A la différence des autres professionnels du discours, l'historien, le poète, le sophiste, le
philosophe, l'orateur ne cherche pas seulement à instruire, à séduire, à émouvoir, ou à parvenir à
un accord rationnel. Il est le véritable professionnel de la rhétorique, telle qu'elle est définie par
Aristote comme art consistant à savoir mobiliser tout ce qui est propre à persuader. L'orateur
parfait parvient donc à susciter une adhésion intégrale, à la fois intellectuelle et émotionnelle; il
doit remporter l'approbation, soulever l'admiration, attirer les clameurs et les applaudissement. La
séduction lui sert à exciter les passions, retourner le sesprits pour leur inculquer d'autres idées.
Usant de sa prudence, de son discernement, il joue des styles et de la captatio afin de captiver,
subjuguer l'auditeur. En ce sens, toute l'activité de l'orateur repose bel et bien sur une
métaphysique, une physique, une rhétorique, une éthique aristotélicienne et l'art oratoire constitue
le sas qui permet d'accéder au bonheur tel que le définit Cicéron comme comme conjonction de
l'action politique et de contemplation philosophique. C'est là l'apport de la philosophie
cicéronienne.
Captatio=def: action de chercher à saisir, à surprendre. Action de capter.
II) Pratique et théorie judiciaires : la philosophie juridique de Cicéron :
L’analyse de la romanité de Cicéron nous a permis de poser d’une part le référentiel au sin
duquel se déroule son activité d’avocat et, d’autre part de dégager les branches toujours vives
du droit romain. Comment Cicéron concilie-t-il la pratique et la théorie ? Comment vit-il
l’alliance du droit et de la philosophie au sein de la rhétorique et comment en rend-t-il
compte ?
Les plaidoiries :
plaidoyer pour Murena :
Il
s’agit
d’un
procès
pour
corruption
électorale.
Restituons le contexte : soutenu par Jules César qui veut briser l’opposition du Sénat, Catilina se
présente aux élections consulaires. Il est opposé à Décimius Julius Silanus, à Servius Sulpicius
Rufus et Publius Licinius Murena. Qui est Murena ? Un vaillant soldat de la guerre contre
Mithridate et un magistrat qui fut successivement questeur, préteur, propréteur en Gaule
cisalpine. Murena et Silanus remportent les élections. Catilina, lui,part préparer une révolte en
Etrurie. Servius Sulpicius Rufus, « le premier juriste de tous les temps » aux dires de Cicéron,
poursuit Murena. Il reçoit le soutien de Caton d’Utique, à propos duquel Cicéron écrira dans sa
correspondance qu’ « avec la plus grande honnêteté, il fait parfois du tort au pays ». Que peut-on
dire de Murena ? Il a respecté scrupuleusement les usages d’une campagne électorale à Rome :
on l’a vu serrer des mains au forum, offrir des banquets, organiser des fêtes, distribuer de l’argent
et des places de théâtre. A Rome, en période d’élections, il était courant de voir des sociétés se
former pour donner leurs voix aux candidats les plus offrants. En -358, une loi avait supprimé les
tournées électorales. Les coupables encoururent d’abord une peine d’inéligibilité de 10 ans puis
l’exclusion du Sénat et l’inéligibilité perpétuelle. Lorsqu’il fut consul, Cicéron renforça ce
dispositif législatif de lutte contre la corruption par la loi Tullia qui interdit de payer des gens
pour grossir les cortèges des candidats ainsi que d’offrir des banquets et des fêtes sous peine
d’être exilé 10 ans. Cicéron prend pourtant la défense de Murena et soutient la thèse que les
principes doivent, dans certaines circonstances, plier devant la raison d’Etat. Catilina menace
l’ordre et les fortunes. On ne saurait, dit Cicéron, se permettre , au nom de l’honnêteté, d’arracher
à la République un de ses soutiens.
Quid de l’argumentation de Cicéron ?
Dans l’exorde, Cicéron ressent le besoin de justifier son intervention. D’après Caton, en
effet, un consul comme Cicéron, auteur d’une loi contre la corruption électorale ne doit pas
intervenir dans le procès de Murena. Cicéron répond au moyen d’une analogie : « Si des les
revendications touchant la propriété, la garantie contre les risques d’une procès est fournie par
celui qui l’a proclamé consul soit là de préférence comme sûr garant de la faveur accordée par le
peuple et son défenseur dans le péril qu’il court. » Il y a donc obligation de consul sortant à
consul désigné, de la même façon qu’il existe une obligation entre le vendeur et l’acheteur et
c’est à un consul de défendre un consul. Il n’y a donc pas contradiction. Suit l’analyse de la loi
Tullia. Celui qui a fait la loi Tullia peut-il intervenir dans un procès pour corruption ? Il y aurait
donc un conflit entre la loi Tullia, que Cicéron-consul a mise en œuvre et la loi qui oblige
Cicéron-avocat à défendre un citoyen en péril. Les devoirs de l’amitié, dit Cicéron, l’emportent
sur la loi. De plus, Cicéron entend établir que Murena n’a pas enfreint la loi. Caton reproche
ensuite à Cicéron son inconséquence quand, d’une part, il chasse Catilina et, d’autre part, il
défend Murena. Pour répondre, Cicéron distingue son naturel, (càd sa nature et ses habitudes qui
le portent à la pitié et à l’humanité et donc à la défens) de l’intérêt publique, quand celui-ci
réclame de la vigueur et de la sévérité, Cicéron prétend savoir faire preuve d’une vigueur
contrainte. Nouvelle objection : en défendant Murena, Cicéron manque aux devoirs de l’amitié
envers Rufus. Ce à quoi Cicéron répond en redéfinissant les devoirs de l’amitié : il était de son
devoir de faire campagne en faveur de Rufus, ce qu’il a fait. Une fois les élections passées, les
devoirs de l’amitié l’oblige à défendre Murena.
Cicéron : « Mon opinion, ma conviction, c’est que je t’ai dû contre le succès de Murena tout
l’appui que tu as pensé pouvoir me réclamer ; contre son acquittement, je ne te dois rien. »
« Murena et moi, messieurs les jurés, nous sommes liés par une profonde et vieille amité et
lorsqu’il s’agit d’un procès capital, Rufus ne parviendra pas à al détruire, sous prétexte que c’est
lui qui l’a emporté sur cette amitiés dans la compétition électorale. » Refuser la défense à un ami
est criminel dit Cicéron. La refuser à un malheureux est cruel. La refuser à un consul est
arrogant.Cicéron passe ensuite en revue les trois chefs d’accusation portés contre Murena :
la vie privée de Murena est répréhensible
les titres de Murena au consulat sont moindres que ceux de Rufus
Murena a enfreint la loi
Premier chef d’accusation : On reproche à Murena d’avoir vécu en Asie. Faux, répond Cicéron.
Il est allé en Asie pour des campagnes militaires au cours desquelles il s’est distingué. En Asie,
Murena, a servi dans la seule guerre que Rome y ait menée, a respecté les ordres de son père et
fait montre de piété filiale et a remporté la victoire et le triomphe personnel, ce qui prouve qu’il
est favorisé par la fortune.
 la gloire a donc envahi le séjour de Murena
Objection : Murena a dansé en Asie.
Réponse de Cicéron : cela est impossible à circonstancier : la danse n’est que l’ombre de la
débauche, que Caton mobilise à défaut de pouvoir établir la réalité de la débauche.
Deuxième chef d’accusation : les titres de Murena au consulat sont moindres que ceux de Rufus
.Rufus entend se prévaloir de sa naissance, de sa vie irréprochable et de son activité.
Cicéron fait valoir que les titres de Muréna sont égaux. Il n’est pas patricien ? Cicéron caricature
la position et soutient qu’à trop pousser la distinction des patriciens et des plébéiens, on ferait tout
aussi bien de ramener la plèbe sur l’Aventin. De plus, il existe des familles considérables et
hnorables dasn la plèbe et, également, que plusieurs aïeux de Murena ont été préteurs. Rufus
argumente ensuite qu’il a été élu questeur avant Murena. Pour Cicéron, l’antériorité
chronologique ne remet pas en question l’égale dignité de Murena et de Rufus. L’ordre de
proclamation ne correspond pas forcément à celui du mérite. Suit l’examen de leurs activités
respectives après la questure. Rufus a fait son service militaire à Rome, puis a mené une carrière
juridique en proposant des consultations. Il a apppris le droit civil et s’est consacré aux services
de ses clients. Il a donc vécu au gré des autres. Quid de Murena ? Il fut membre de l’Etat-major
de Lucullus, a commandé une armée, a remporté des succès militaires et Lucullus atteste
personnellement des grandes qualités de Murena.
Cicéron soutient ensuite que la gloire militaire donne plus de titre au consulat que l’exercice du
droit : « Vous veillez en pleine nuit, toi pour des consultations de tes clients, lui pour arriver au
but qu’il veut atteindre. Ce qui te réveilles, c’est le chant des coqs, lui, le son des trompettes. Tu
arranges une action en justice, lui range son armée en bataille ; tu as soin de mettre tes cliens à
l’abri d’une surprise, même préoccupation chez lui pour les villes et les camps. Vous possédez les
moyens par lesquels on écarte, lui les troupes ennemies, toi les eaux de pluie. Vous êtes maîtres
dans l’art, lui d’étendre les territoires, et toi, de le s borner. » La valeur militaire l’emporte donc
sur toutes les autres parce qu’elle a fait la gloire de Rome, parce qu’elle donne la gloire
éternelles, parce qu’elle a fait l’Empire et parce qu’elle protège toutes les autres professions et
occupations. L’apprentissage du droit civil n’est pas la bonne route qui mène au consulat car elle
n’attire de plus ni sympathie ni reconnaissance. Or, u consul doit savoir entraîner le peuple et le
Sénat ; il faut du charisme et la chose militaire en donne. Bien au contraire, soutient Cicéron la
science du droit civil est une science mesquine, dont la réputation passée ne reposait que sur les
mystères aujourd’hui révélés. Une science faite d’imagination et de fantaisie qui ne saurait
mener au consulat. « Personne ne peut être considéré dans une science qui n’a de valeur nulle
part, pas plus en dehors de Rome, qu’à Rome, au moment des vacances judiciaires ; personne ne
peut être regardé comme un expert, dans une matière que tout le monde connaît et où il ne peut y
avoir par suite sujet de contestation…Si vous m’échauffez la bile, avec toutes mes occupations, je
vous déclarerai qu’il me faut trois jours pour être jurisconsulte. » Cicéron va plus loin : la carrière
de jurisconsulte ne regroupe en son sein que des avocats ratés. Si on demande le salut à son
avocat, dit Cicéron, au jurisconsulte on ne demande que des remèdes salutaires. De plus,
décisions et conseils du jurisconsulte sont menacés par l’orateur et ont de toute façon besoin
d’être soutenus pour l’orateur. Et Cicéron de conclure : deux carrières peuvent mettre les hommes
au plus haut des rangs : celle d’un grand orateur et celle d’un grand avocat.Cicéron répond
ensuite à Caton qui soutient que la guerre contre Mithridate fut une « guerre de femmelettes . »
Cicéron répond en instrumentalisant une confusion pour soutenir que les guerres contre les Grecs
ne sont pas dignes de mépris. Ici, Cicéron fait passer Mithridate pour un Grec pour répondre à
Caton. De toute façon, le mépris pour l’ennemi asiatique n’est pas acceptable. Après tout, Caton
l’Ancien a fait la guerre contre Antiochus, roi de Carthage (on remarquera la géographie
hésitante
et
large
de
Cicéron).
De toute façon, Mithridate fut un ennemi redoutable, trois choses le prouvent :
le Sénat l’a longtemps préparée
elle a duré longtemps
le Général Lucius Lucullus en a tiré beaucoup de gloire
le peuple a confié à Cneus Pompée et le soin de la terminer.
Quant à l’objection chronologique selon laquelle Rufus fut préteur avant Murena, Cicéron
fait valoir que c’est le propre des suffrages populaires que d’être changeants comme la mer. Ce
n’est pas, après tout, la première fois dans l’histoire de Rome, que le peuple change d’avis.
Pourquoi, cpdt, Murena a-t-il donc échoué à la préture ?
Deux choses lui ont fait défaut pendant la campagne, d’après Cicéron : la possibilité de faire
donner des jeux et l’absence d’amis pour être témoins de ses libéralités et de son courage. De
plus, le bilan de la préture de Murena est meilleur que celui de la préture de Rufus. Il a exercé la
juridication civile ; il s’agit d’un emploi important qui procure gloire, esprit d’équité,
reconnaissance. Il a admiré une province et l’a bien fait. Rufus, lui, devait poursuivre les
concussionnaires : fonction lugubre et affreuse. Rufus a de plus refusé d’aller en province.
Bilan : 1) Murena et Rufus ont des titres égaux au consulat
Murena a eu plus de fortunes dans l’exercice de ses charges.
En quoi Rufus est-il donc inférieur à Murena ?
Premier défaut : Rufus ne sait pas mener une candidature car il effraie ses adversaires et perd la
confiance des électeurs en s’acharnant à poursuivre ses adversaires comme Murena. Deuxième
défaut : Rufus se disperse. En poursuivant inlassablement, et en concentrant son attention sur
l’accusation, il néglige sa campagne. Il est impossible de préparer et de faire marcher de front une
accusation et une campagne électorale. Au cours de cette accusation, Rufus a trop demandé. Il a
demandé, dit Cicéron qui feint d’avoir légiféré pour Rufus, une loi sur la corruption électorale : la
loi Tullia, complétée par la loi Calpurnia. Il a demandé également une peine plus grave contre les
plébéiens, l’exil des sénateurs, la totalisation des suffrages, le vote de la loi manilia, l’égalité du
crédit, du rang et du suffrage dans l’élection du candidat.
 toutes ces mesures qui lui frayaient la voie pour accuser fermaient à Rufus la porte de
l’élection.
Cicéron dresse un bilan implacable de cette action de Rufus : « Tu as fait naître chez le peuple la
crainte que Catilina ne devînt consul pendant que tu négligeais ta campagne au profit de ton
accusation. » Ce faisant, Rufus a fait le jeu de Catilina qui dédaigne Murena, compte Rufus
comme un accusateur plus disposé à lui intenter un procès qu’à lui disputer sérieusement le
consulat. Conséquence : tous ceux qui craignaient Catilina votèrent Murena.
Murena, en revanche, a pour lui :
-un père et des ancêtres très considérés
- une jeunesse tout à fait correcte
-sa carrière d’aide de camps
-sa justice comme préteur
- les jeux qu’il a fait donner
-son gouvernement provincial
-le sérieux de sa campagne : il ne menace personne et ne cède pas aux menaces
- il a trouvé une aide dans la peu suscitée par Catilina
Troisième chef d’accusation : Murena s’est rendu coupable de corruption électorale
Cicéron voit en Caton la clé de l’accusation dont il craint « beaucoup plus le prestige que les
attaques »Or, dit Cicéron, il n’est pas légitime qu’un accusateur puisse user de son crédit dans un
procès. Et l’on aura beau objecter que Caton n’est pas homme à accuser sans s’être fait une
opinion. Cette objection, dit Cicéron, procède de l’argument d’autorité. On ne saurait estimer
légitimement que le jugement de l’accusateur sur l’accusé puisse avoir valeur de jugement
préalable. Il conviendrait donc, dit Cicéron, non pas de corriger la nature de Caton mais de
l’adoucir. La nature de Caton correspond d’après Cicéron correspond à la doctrine la stoïcienne
de la façon la plus rigoureuse : pas de modération, pas de douceur. La nature de Caton est toute
d’honorabilité, de sérieux, de tempérance, de grandeur d’âme et de justice.
C’est une critique de l’idéal stoïcien que propose ensuite Cicéron : « Les qualités divines,
hors pair, messieurs les jurés, que nous constatons chez Marcus Caton, lui sont, sachez-le,
personnelles, l’absence de celles que nous aimerions quelquefois à trouver chez lui vient toujours
non de sa nature, mais de son maître.
Suit un petit portrait cicéronien et donc critique du sage stoïcien :
le sage ne se laisse jamais émouvoir par la faveur
le sage ne pardonne jamais une faute
il n’y a de miséricordieux que l’homme sot ou inconstant
c’est manquer de virilité que de se laisser fléchir ou apaiser
les sages, fussent-ils complètement difformes, sont beaux
les derniers des mendiants , riches
en esclavage, rois
ceux qui ne sont pas des sages sont des esclaves fugitifs, des exilés, des ennemis, des insensés
toutes les fautes sont égales
tout délit est un crime abominable
ce n’est moins coupable d’étrangler sans nécessité un coq que son père
le sage ne hasarde pas d’opinion, ne regrette rien, ne se trompe en rien, ne change jamais d’avis.
Contre les stoïciens, Cicéron se réfère à des philosophes prônant la douceur et la
modération : Platon et Aristote
Petit portrait cicéronien du philosophe idéal dont Caton devrait s’inspirer :
la faveur joue un rôle dans le monde
un homme de bien a pitié
il existe des genres de fautes et des peines différentes
la fermeté n’exclut pas le pardon
le sage lui-même se fait souvent une opinion sur ce qu’il ne sait pas
le sage s’irrite parfois
il se laisse fléchir et apaiser
il revient parfois sur ses déclarations
s’il trouve mieux, il abandonne au besoin sa décision
toutes les vertus se règlent sur un juste milieu.
Si Caton, avec son naturel, avait eu d’autres maîtres, dit Cicéron, il aurait été enclin à la douceur.
Là où les stoïciens disent ne pardonne rien, il faut dire Non, pardonne quelquefois, pas toujours.
Là où ils disent ne fais rien par faveur, il faut dire non, résiste à la faveur lorsque devoir et
loyauté l’exigeront. Là où ils disent ne te laissent pas émouvoir par la pitié, il faut dire oui, elle
aboutit au relâchement de la discipline mais pourtant il y a quelque mérite à être humain. Là où
ils disent persiste dans ta décision, il faut dire, certainement, à moins que sur cette décision, une
autre, meilleure, ne l’emporte. Une question demeure : Murena a-t-il enfreint la loi ? Cicéron
n’entend pas défendre les manœuvres électorales. D’après la loi Tullia : « Si des électeurs ont été
payés pour aller au-devant des candidats, si on les a enrôlés poru leur faire escorte, si des places
ont été données à des tribus pour les combats de gladiateurs et de même si des festins ont été
donnés à la masse, ceci constitue des infractions à la loi Calpurnia. » Or, dit Cicéron, on n’a pas
prouvé que l’acte a été commis. Certes, il y a eu une escorte, des billets de spectacle, des
banquets, mais après tout, beaucoup de gens,à son retour de province, se sont rendus à sa
rencontre. C’est l’usage pour un candidat au consulat. A charge, pour l’accusation, de prouver
que ces gens ont bel et bien été payés. L’accusation affirme que des billets de spectacle ont été
répartis par tribus et on a fait des invitations en masse à un festin. Réponse de Cicéron : c’est une
coutume historique.
-Ce n’est pas un crime, d’après le Sénat, d’aller au-devant des personnes ;ç’en est un si l’on est
payé pour le faire
-Ce n’est pas un crime, d’après le Séant, de faire escorte ; ç’en est un si l’on a été enrôlé.
-Ce n’est pas un crime de donner des festins et des billets de spectacle ; ç’en est un de le faire à
tous sans exception.
Caton reproche à Murena de demander le pouvoir suprême en excitant la sensualité des hommes.
Réponse de Cicéron : ce sont là des coutumes, des institutions héritées des Anciens.
« La haine du peuple romain va au luxe des particuliers, il estime la magnificence dans l’Etat ; il
n’aime pas les festins somptueux : bien moins dans la ladrerie et l’incorrection ; il veut qu’on
tienne compte des devoirs à remplir et des circonstances, qu’on fasse alterner le travail et le
plaisir. »
Autrement dit, les Romains ne sont pas des Spartiates. Il existe des usages, condamnables du oint
de vue des pures et simples principes philosophiques, mais justes du pint de vue des principes de
la vie politique. Après tout, Caton se soumet lui aussi aux usages notamment lorsqu’il emploie
un nomenclatureur. Il ne faut donc pas enlever aux citoyens les jeux, les combats, les banquets. Il
ne faut pas non plus enlever aux candidats les marques de bienveillance établies par l’usage :
c’est une preuve de générosité et non pas de largesse répréhensible. Enfin, Cicéron rappelle
l’utilité de Murena : n’oublions pas que l’ennemi est dans l’Urbs. En l’espèce Caton se trompe
lorsqu’il prétend soutenir Rufus pour le bien de l’intérêt public. Les partisans de Catilina
souhaitent bel et bien que Murena, un consul sans reproche, bon général, lié par son caractère et
sa situation au salut de la République , soit exclu de la défense de Rome. Or, malheureusement,
le mandat de Cicéron a pris fin. Les partisans de Catilina souhaitent n’avoir à Rome qu’un seul
consul qui ne pourra pas exercer sa charge avant l’élection d’un nouveau consul et donc un
gouvernement sans appui.
Au contraire, conserver Murena, c’est disposer d’une aide, d’un défenseur, d’un allié du
gouvernement, d’un consul désintéressé, d’un consul exigé par les circonstances, doté d’une
heureuse fortune, sachant faire la guerre, doté d’une valeur intellectuelle, doté d’expérience.
 le jugement que rendront les jurés concernera Murena et Rome elle-même.
Péroraison
Cicéron demande aux jurés de veiller à l’ordre, à la paix, au salut et à la vie des personnes et des
citoyens. Cicéron recommande donc Murena comme un consul occupé de l’ordre, partisan des
gens de bien, énergique contre la sédition, intrépide à la guerre, hostile à la conjuration qui
ébranle le régime.
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