Intervention de Police Chaumont

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Paul LÖWENTHAL
1315 Piétrebais, le
Rue du Beau-Frêne 4
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27 mai 2017
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DIGNITE HUMAINE
Je réagis volontiers – sans être philosophe ni membre du CAPP – au compterendu de sa discussion du 26.1.2007.
Statut d’une définition
Voici quelques lignes d’un texte non publié que j’ai consacré à des enjeux
controversables en matière de droits de l’homme.
Il y a un principe, reconnu universellement dans son abstraction et qui
acquiert par là valeur d’absolu : c’est la dignité humaine. Elle est l’intuition
première et fondamentale des droits humains, elle est la référence qui donne
son sens à tout le reste. Elle justifie qu’on puisse parler de droits humains.
Toute discussion étant vaine sans cela, nous y voyons (et nous en faisons) un
postulat de base, que nous posons, nous, comme indiscutable et universel.
On y dénonce pourtant un concept flou, qu’on peine à seulement définir.
En anthropologie philosophique, on peut identifier une dignité humaine dans
une « valeur » reconnue à tous les êtres humains : « tous les hommes et tout
l’homme », selon le mot du pape Paul VI. Ce qui nous renvoie au concept de
valeur, bien sûr : à vouloir définir a priori chaque mot, on se situe fatalement
dans une chaîne qui remonte de concept en concept et, comme le dictionnaire,
finit par tourner en rond. Aucun système ne peut être auto-référé, tout
système, y compris philosophique ou juridique, trouve nécessairement son
sens, ses objectifs, ses critères de légitimité ou de validité en dehors de lui,
dans une intuition ou un principe ultime qui est posé a priori. Cela ne
condamne ni le dictionnaire, ni la philosophie – ni les réalités ou idéaux qu’on
peine à définir.
Mais on peut aussi redescendre la chaîne conceptuelle. Juger que telle
notion est fondamentale, ultime, et qu’on ne peut la circonscrire qu’en
« redescendant » la chaîne pour lui donner une concrétisation, un contenu :
dans cette ligne, la dignité humaine se définit par les droits humains qui la
traduisent. Au risque de multiplier les définitions ? Forcément, puisque « on ne
peut définir que ce qui n’a pas d’histoire » (Nietzsche).
Le principe est diversement fondé selon les cultures et, surtout, selon les
fois et convictions. Certains fondent la dignité humaine sur une foi religieuse :
la croyance à, et en, un être humain fait à l’image de Dieu et en qui Il
s’incarne.1 D’autres affirment cette dignité – et ils l’établissent par là même,
car c’est déjà en soi un acte d’éminente dignité, de prise de dignité, qui réalise
par lui-même ce qu’il affirme : c’est l’humanisme philosophique. Dans les deux
cas, nous avons affaire à une affirmation symbolique, le symbole étant pris au
sens plein d’un signe qui contribue à réaliser ce qu’il signifie : sacrement (signe
efficace de l’amour de Dieu) pour le croyant, principe fondateur (signe efficace
d’une vocation morale) pour l’incroyant. Dans les deux cas, un acte « originel »
– création/grâce ou conscience/décision – renvoie à chaque être humain.
1
Je prends ici la lecture chrétienne.
–2–
Les passages-clé dans ce qui précède me semblent être
- « tout système, y compris philosophique ou juridique, trouve nécessairement
son sens, ses objectifs, ses critères de légitimité ou de validité en dehors de
lui, dans une intuition ou un principe ultime qui est posé a priori. »
- « la dignité humaine se définit par les droits humains qui la traduisent. Au
risque de multiplier les définitions ? Forcément, puisque « on ne peut définir
que ce qui n’a pas d’histoire ».
Des pierres de touche
Comment concrétiser la dignité humaine ?
Au niveau individuel, je citerai Adam Smith : « La première valeur pour un
individu, est de pouvoir se regarder avec respect. ». De plus en plus d’auteurs
font converger leurs critères vers ce celui-là, qui rejoint St Augustin : « ama et
quod vis, fac ». C’est ma conscience personnelle, informée et formée comme dit
Rome, qui est l’ultime conseil et me dit si j’ai bien agi. C’est assurément
pertinent, mais me semble ériger une condition nécessaire en condition
suffisante.
Au niveau interindividuel, plus complètement « personnel », je retiendrai
(comme le PACC) la reconnaissance.
C’est d’abord Kant et le refus de l’instrumentalisation (en fait, d’une
instrumentalisation totale : sinon, on devrait prohiber le contrat d’emploi,
notamment…). Le PACC pose la question : « est-ce parce que l’homme a une
dignité inaliénable qu’il ne peut être traité comme un moyen ? Ou à l’inverse,
est-ce parce qu’il est en lui-même une fin absolue qu’il a une dignité
inexpugnable ? » Le dernier paragraphe de mon extrait de texte sur les droits
humains suggère que la première réponse est la réponse croyante, judéochrétienne et sans doute musulmane, et que la seconde est celle de l’humanisme
athée.
C’est ensuite et à mes yeux surtout, Buber, Levinas, Ricœur, Ladrière… et mon
regard responsable qui dit la dignité de l’autre et me permet de percevoir la
mienne. Ce qui (retour à l’individuel) ouvre la voie à des devoirs envers soimême, que même nos religions (sauf l’islam ?) ont renoncé à défendre.
Au niveau collectif, j’ai mentionné les droits de l’homme : il y a énormément de
questions qui se posent derrière cette affirmation pourtant universelle. Leur
universalité, justement, dans la pluralité des cultures. Leur indivisibilité, alors
que des droits de plus en plus nombreux et d’ordre divers entrent de plus en plus
souvent en conflit. Leur hiérarchisation, par conséquent. Leur liste officielle,
qu’on jugera incomplète : la responsabilité ou la justice sociale n’en sont pas…
J’ajouterai donc cette “définition” qu’au nom du C.I.L. j’ai fournie de la justice
devant Dieu : « l’égalité dans la différence, où la différence est cherchée dans
les besoins de personnes, sans souci de mérite ni de réciprocité. » Parce que
hommes et parce que dans le besoin. Ceci a des implications considérables pour
l’évolution de nos régimes sociaux : cela justifie, par exemple, l’État social actif
“responsabilisant” à l’anglaise, mais condamne son application culpabilisante et
excluante à la belge.
–3–
Des questions philosophiques
Je prends d’abord quelques questions posées par le rapport du PACC. J’en tire
une conclusion ensuite.
1. « Une question existentielle qui précède les grandes questions : Il se pourrait
que la dignité de la personne soit une grande question de la philosophie, peutêtre même précède-t-elle celles de l’être (l’ontologie) ou du sens de la vie. » En
fait de question existentielle, il y a la réponse sartrienne, que « l’existence de
l’homme précède son essence », qui est en rapport direct avec la dignité d’êtres
capables d’une auto-détermination consciente et autonome.
2. La question de l’être de raison, capable d’autonomie et qui serait seul
concerné. Au risque d’exclure les grands criminels, les aliénés mentaux, les
comateux irréversibles – et les petits enfants, que le rapport oublie. La réponse
est chez Aristote, pour qui l’essence d’un être inclut ses potentialités. Ouf pour le
nouveau-né ! La question semblera moins évidente pour les monstres
d’inhumanité et pour les embryons, que je m’excuse d’ainsi rapprocher. Le refus
de la peine de mort s’applique-t-il à ces derniers ? Où commence et où « finit »
la personne humaine ?
3. J’aime l’idée que « La dignité serait la résistance qu’oppose l’homme fragile et
meurtri à ce qui le nie. (…) Plus l’humanité est outragée, plus la dignité s’exprime
comme appel et résistance, plus nous ressentons dans nos entrailles « l’indignation » qui nous saisit. » Là, c’est plutôt l’euthanasie qui fiat son entrée dans
le débat.
4. « Reconnaître l’égale dignité des être humains, riches et pauvres, loin de
s’accommoder des inégalités, exige au contraire de les combattre. Pourtant, à
droite de l’échiquier politique, nombreux sont ceux qui estiment que les
inégalités représentent une donnée naturelle de la "société des individus", un
état de fait qui ne porte atteinte à la dignité que dans les situations d’extrême
pauvreté. Dans le camp de la gauche, la conviction prévaut que toutes les
inégalités entament la dignité des personnes et qu’il appartient à l’ordre politique
de les combattre sans répit et par toutes les voies démocratiques.
Collectivement, la lutte pour la reconnaissance de l’égale dignité apparaît comme
le combat que mène le peuple pour son émancipation. »
Je hasarderai comme réponse ce nouvel extrait de mon texte sur les droits
humains :
« Nous pouvons exprimer tout cela en termes de libertés. Il en est à trois
niveaux. Premier niveau : une latitude ou absence de contrainte, qui constitue
une condition matérielle nécessaire, toute négative : ce sont, pour l’essentiel,
les droits-libertés. Deuxième niveau : une faculté ou capacité d'exploiter ses
latitudes, ou de s'en créer : une assurance psychologique, une compétence
scientifique, des moyens financiers, une capacité intellectuelle de discernement
moral : on y rangera les droits-créance.2 Troisième niveau, une autonomie responsable. Seul l'exercice de cette responsabilité est d'ordre éthique, mais il
n'est évidemment possible que si l'on dispose de latitudes et de facultés.
Les libertés du modèle libéral individualiste, qu’on peut dire de "droite",
sont des latitudes, assorties de responsabilité. Ce modèle tend à négliger les
facultés nécessaires à l’exercice effectif de ses droits, parce que leur effectivité
passe par des interventions politiques telles que réglementations et
2
Ces libertés « négatives » et « positives » fondent l’idée de développement professée par Amartya Sen.
–4–
redistributions qui brident certaines libertés individuelles. Mises au contraire en
avant par la "gauche", ces facultés impliquent des politiques actives à l’endroit
de la plupart des droits sociaux et culturels : santé, éducation, logement,
emploi, sécurité d’existence… Elles postulent une responsabilité collective,
promue parfois au détriment de la responsabilité individuelle. »
A ces considérations pointillistes, j’ajouterai que, contrairement au PACC,
beaucoup de réflexions sur la dignité humaine « loupent » leur portée collective.
On se borne à l’inter-individuel, ce qui est très, et à mon avis trop, en phase
avec la culture actuelle, où un individualisme triomphant ou frileux, complices
objectifs, réduisent le social à l’inter-individuel. Ceci n’est pas un plaidoyer pour
le holisme : c’est une constatation commune à maint sociologue, dont le plus
radical est Alain Touraine, naguère auteur de La production de la société et qui
annonce à présent la mort de la « société sociale »3.
Ces questions me semblent s’inscrire dans une question de principe, qui conduit
à énoncer une conviction, avant d’apercevoir une responsabilité : qu’est-ce que
l’être humain ? C’est donc la question d’une anthropologie philosophique qui
fasse place aux collectivités. Question majeure pour toutes les fois et convictions
et qui l’est forcément aussi pour l’humanisme personnaliste.
3
Un nouveau paradigme. Pour comprendre le monde d’aujourd’hui. Paris, Poche (Essais) n° 4395, 2005.
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