Deux figures politiques en particulier, Per Albin Hansson et Gustav Möller
, marqueront
l’émergence de l’Etat-providence suédois et contribueront à lui donner ses traits distinctifs.
Dès le milieu des années 1920, Per Albin Hansson – pas encore Premier Ministre mais déjà
très influent au sein du parti social-démocrate - s’écarte d’une analyse en termes de lutte des
classes, cette approche étant trop restrictive selon lui. La sociale démocratie doit au contraire
s’adresser à des groupes beaucoup plus larges, voire à tous les citoyens
(Antman, 1996a ;
Esping-Andersen, 1988; Tilton, 1988 ; Stjernø, 2005). Lors d’un discours devant le Parlement
en 1928 Per Albin
va utiliser la métaphore du « foyer du peuple » (Folkhem) pour présenter
sa vision de cette société englobante et égalitaire qu’il veut construire, un foyer dans lequel
chacun a sa place et dans lequel chacun peut vivre dans la sécurité et le bien-être:
Les fondations d’un foyer sont la solidarité et l’empathie. Dans un bon foyer, il n’y a ni
privilégiés ni laissés pour compte, il n’y a ni de chouchous ni d’enfants illégitimes. Nul
ne regarde l’autre de haut, personne ne cherche à s’octroyer des avantages au
détriment des autres, les forts n’écrasent pas et ne pillent pas les plus faibles. Dans un
bon foyer règnent l’égalité, la sollicitude, la coopération, la serviabilité. Appliqués au
grand foyer du peuple et des citoyens, ces principes signifient la destruction de toutes
les barrières sociales et économiques qui divisent actuellement les citoyens entre
privilégiés et laissés pour compte, entre dominants et dépendants, entre riches et
pauvres, entre parvenus et appauvris, dépouilleurs et dépouillés. (Per Albin Hansson,
1928, cité dans Tilton 1988:371, notre traduction).
Cette métaphore du « foyer du peuple » deviendra rapidement synonyme de cet Etat-
providence universel qui s’occupe de ses citoyens tout au long de leur vie, du berceau à la
tombe (pour reprendre l’expression de W. Beveridge), et a également fonctionné comme un
symbole unificateur de la nation suédoise.
Gustav Möller va lui aussi militer pour une redistribution des ressources. S’inspirant de ce qui
se faisait au Danemark (où un programme de retraite minimal quasiment universel a été mis
en place dès 1895), il présente un programme d’assurances sociales qui se distingue à la fois
du système bismarckien et du système sélectif de protection sociale : la protection sociale ne
doit pas se limiter aux ouvriers mais couvrir toute la population. Elle doit fonctionner sur la
base de critères clairement définis et non selon un examen des ressources stigmatisant. Ce
système d’assurances sociales doit permettre aux citoyens de ne pas avoir à dépendre de
Trois autres personnages clefs de la sociale démocratie de cette époque méritent également d’être cités : Ernst
Wigforss, un des plus grands idéologues du parti et Ministre des finances pendant 17 ans, de 1932 à 1949, et
Alva et Gunnar Myrdal, deux éminents sociaux-démocrates qui marqueront fortement la politique familiale et la
politique du logement (Olsson, 1993).
Il reprend en cela l’analyse de Hjalmar Branting, fondateur du parti social-démocrate. Deux ans après la
révolution russe, Branting considère avec une forte réprobation les résultats de cette révolution et la mise en
place d’une dictature du parti communiste. Branting soutient que le socialisme ne peut aboutir si les autres
classes sociales sont subordonnées à la classe ouvrière. Un sentiment de solidarité entre toutes les classes
sociales doit être encouragé et développé. Les travailleurs doivent, selon Branting, apprendre à ne pas voir leurs
opposants comme des ennemis qui doivent être éliminés par la violence ; l’objectif doit être au contraire de les
rallier à la cause socialiste par la persuasion. Ce n’est qu’ainsi que le socialisme véritable peut être créé (Stjernø,
2005, en particulier pp. 113-115).
Voir également : Berman, Sheri (2006), The Primacy of Politics. Social Democracy and the Making of Europe’s
Twentieth Century, Cambridge University Press.
Per Albin Hansson, ce « père de la Suède », sera communément appelé de son prénom par les Suédois et
aujourd’hui encore, il reste dans les mémoires et dans les livres comme simplement « Per Albin ».