Il y a dans la liturgie des heures une oraison que j’aime beaucoup et que je cite de mémoire : « Seigneur accueille dans ton silence le bruit de notre monde, et fais descendre sur nous ta paix, ton Fils Jésus Christ notre Seigneur » Je l’aime bien car la réalité de notre monde est bruyante, mais pas simplement du bruit des autoroutes ou des avions qui saturent nos tympans de banlieusards, mais notre monde est littéralement empli de fureur, de multiples fureurs : fureurs de la guerre, fureur de la violence sous toutes ses formes, fureur qui parfois n’épargne pas notre cœur s’il lui arrive de se laisser gagner par la haine, ou simplement l’amertume ou même le murmure. C’est tout cela, tous ces bruits, le plus souvent pas très harmonieux, que nous demandons à Dieu d’accueillir dans son grand, son beau silence, et en retour, nous lui demandons de faire descendre sur nous sa paix, son grand Shalom. Mais cette paix, la paix de Dieu, l’oraison l’identifie à Jésus, le Christ. Il est la paix, la paix de Dieu, le Shalom messianique en personne. « Seigneur accueille dans ton silence le bruit de notre monde, et fais descendre sur nous ta paix, ton Fils Jésus Christ notre Seigneur » Cette oraison est une oraison pour ce temps de Noël. Qu’est-ce que Noël sinon la venue sur notre terre, au milieu des fureurs de notre terre, nous avons célébré mercredi la fête des saints Innocents, massacrés quelques jours à peine après la naissance de Jésus, Noël est donc la venue sur notre terre, au beau milieu des fureurs de notre monde, de la Paix en personne, du Prince de la Paix. Désormais le monde, notre vieux monde balafré, divisé, abîmé par la violence est devenu la bonne terre où prend racine, solidement, un germe de paix, venu parmi nous frêle et vulnérable comme un enfant. Oui, du plus haut du ciel, du plus profond du silence de Dieu, un enfant nous est né, un fils nous a été donné, présent désarmé de Dieu, présence désarmée de Dieu plantée au cœur du chaos du monde. Un regard, un sourire, un cœur qui bat : voilà comment Dieu féconde la terre et y plante son germe de paix. Cet enfant grandira, il sera à son tour transpercé, et de son cœur ouvert jailliront, un jour le sang et l’eau qui viendront à bout de l’antique malédiction. Ce germe de paix sera mis en terre, il deviendra à son tour le grain qui meurt et qui portera un fruit abondant de vie et de paix. « La paix soit avec vous » dira-til à ses disciples effrayés au soir de Pâques. Mais n’allons pas trop vite, l’enfant, le présent de Dieu, la paix de Dieu est aujourd’hui encore un petit enfant blotti dans les bras de sa mère. Nous fêtons aujourd’hui 1er janvier Marie, mais Marie célébrée en tant que mère de Dieu, magnifique titre de ce qui est la plus ancienne fête mariale de la tradition romaine. Une semaine après avoir fêté la venue en notre chair du Verbe, la liturgie tourne notre regard vers celle qui lui a donné sa chair d’homme, Marie, la terre admirable, terre de la promesse, la bonne terre en qui Dieu a planté ce germe de Paix, le Prince de la Paix, son Fils. Et qui lui a donné sa chair d’homme. « Seigneur accueille dans ton silence le bruit de notre monde, et fais descendre sur nous ta paix, ton Fils Jésus Christ notre Seigneur » C’est d’abord en Marie, dans le sein de Marie, que le Seigneur a fait descendre sa paix. Saint Luc nous dit que Marie gardait toutes ces choses en son cœur. Qu’est-ce à dire ? Le verbe grec employé par Luc, vous le savez est symbolizein, rassembler, le contraire de diabolizein, diviser. Marie rassemblait, relisait ou reliait toutes ces choses dans son cœur. Que relisait-elle ? D’abord les Ecritures, la longue attente de son peuple, les promesses répétées du Dieu dont, Vierge fidèle, elle savait mieux que quiconque qu’il était le Dieu fidèle, et qu’il tiendrait sa promesse. Et puis elle relisait et reliait tous ces évènements : la salutation de l’ange, la grossesse d’Elisabeth, le tressaillement de l’enfant en elle au moment de la salutation de sa cousine, la magnanimité de Joseph, le voyage à Bethléem, l’auberge pleine à craquer, l’installation dans la précarité d’une crèche, tous ces évènements, elle les méditait, les gardait, les relisait, alors qu’elle tenait dans ses bras, Jésus, l’Emmanuel, l’Enfant de la promesse. Tous ces évènements auraient dû mettre de l’agitation, du brouhaha, de l’inquiétude, au sens étymologique de non quies, dans son cœur et pourtant le cœur de Marie, aujourd’hui, à Bethléem, est un cœur apaisé, comme il le sera tout au long de l’itinéraire de ce Fils, cœur parfois douloureux, transpercé même, mais qui demeure toujours capable de relire, de relier ces évènements épars, étranges parfois à vue humaine, pour y lire la trace de l’accomplissement des promesses de Dieu. Dieu que j’aimerais avoir un cœur semblable à celui de Marie, capable de lire la présence de Dieu au milieu de tant d’évènements épars et chaotiques. Un cœur semblable au cœur de Marie. C’est peut-être ce que je demande quand je fais à Dieu cette prière : « Seigneur accueille dans ton silence le bruit de notre monde, et fais descendre sur nous ta paix, ton Fils Jésus Christ notre Seigneur » Seigneur accueille dans ton silence le bruit de mon cœur, de notre cœur et fais y descendre et demeurer, comme en celui de Marie, ton Fils, qui est ta Paix, la grande paix biblique qui tapissait le cœur de Marie mieux que l’eau ne recouvre le fond des océans. Oui, chers amis, Jésus est la plus grande bénédiction qui soit tombée sur la terre, oui Jésus est la plus grande bénédiction qu’un cœur humain puisse recevoir, comme l’a reçu, telle une bonne terre prête à accueillir de bonnes semailles, le cœur virginal de Marie. Et nous pouvons, nous devons désirer que notre cœur, nos familles, nos communautés, notre monde reçoive ce don, ce présent, cette présence de Dieu, Dieu lui-même, en Jésus. Ce don, ce présent, cette présence, cette bénédiction à nulle autre pareille, est précisément ce qu’annonçait en l’invoquant sur ses proches l’auteur du Livre des Nombres dans la première lecture : “Que le Seigneur te bénisse et te garde ! Que le Seigneur fasse briller sur toi son visage, qu’il te prenne en grâce ! Que le Seigneur tourne vers toi son visage, qu’il t’apporte la paix !” Et si, en pensant à Jésus, présent et présence de Dieu offerts au monde, accueillis par Marie, si plutôt que de nous souhaiter une bonne année, de meilleurs vœux, nous nous souhaitions les uns les autres d’accueillir Jésus, comme Marie, de le recevoir, au milieu des tumultes de notre pauvre cœur, de nos existences cabossées, Jésus, Prince de la Paix, désarmé, souriant qui veut faire sa demeure en nous. La plus grande bénédiction, le plus beau souhait qui puisse être fait à un humain. Oui, “Que le Seigneur te bénisse et te garde ! Que le Seigneur fasse briller sur toi son visage, qu’il te prenne en grâce ! Que le Seigneur tourne vers toi son visage, qu’il t’apporte la paix !” C’est le meilleur, le plus beau, le plus grand, et le plus doux de ce que nous pouvons nous souhaiter les uns aux autres en ce début d’année. Amen !