La Passion du rural | Tome 2 | chapitre XIII
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Chapitre XIII
Les néoruraux, nouveaux acteurs de la transformation
rurale
Le puissant désir de campagne que j’évoque dans le titre de ce deuxième tome et qui
transcende le processus de mutation du Québec rural, se manifeste largement par le
phénomène de la néorurali dont on peut observer des signes tant dans les régions
rurales centrales que dans les territoires périphériques et intermédiaires.
Les néoruraux, qui sont pour la plupart d’ex-citadins, forment une part importante et
grandissante de la population rurale d’aujourd’hui. Les territoires ruraux sont reconquis
et recomposés en grande partie grâce à eux. Des rangs désertés par les populations
agricoles au cours des années 60 et 70, ont repris vie petit à petit sur la base de
nouvelles fonctions et de nouveaux « modes d’emploi » introduits par les néoruraux.
Plusieurs cohortes de néoruraux se sont succédées au fil des ans, parfois à l’intérieur
d’une même communauté rurale. Les « hippies » et les « baba-cools » de la fin des
années 60 (dans la foulée des soixante-huitards en France) ont inauguré ce mouvement.
Bien que le désir de vivre sur une ferme, qu’on pouvait à l’époque acquérir à très bas
prix, fût souvent le motif de départ, bien peu ont persisté dans un projet agricole durable.
De nombreuses expériences, incluant les « communes », se sont vite soldées par des
échecs, faute de préparation, de ressources et de qualifications, ou dus à un effritement
de la cohésion et à l’abandon des projets.
D’autres sont arrivés et pour plusieurs d’entre eux il s’agissait plus du choix de « vivre à
la campagne » que d’un « retour à la terre ». Bien que l’agriculture et l’élevage ne furent
pas exclus, souvent orientés vers de nouvelles productions (maraîchage, arbres fruitiers,
élevages de moutons, chèvres, alpagas…), en bio, selon d’autres modes de gestion et sur
de plus petites surfaces, d’autres motivations sont venus nourrir cet engouement pour la
campagne. L’attrait d’une meilleure qualité de vie, la valeur attribuée aux paysages et à
l’environnement naturel, le milieu jugé propice pour élever une famille, la perspective de
pouvoir vivre plus aisément en harmonie avec ses convictions personnelles, le coût de la
vie moins élevé qu’à la ville, sont les principales raisons du choix des néoruraux.
Le phénomène de la néoruralité est aujourd’hui une réalité et une force très présentes
dans les campagnes du Québec. Des chercheurs universitaires s’y intéressent mais aussi
des observateurs en régions qui engagent le dialogue sur le sujet en exploitant les divers
média sociaux. C’est dans ce contexte que le blogue Neorurale.ca a été créé à l’automne
2013 par Cassiopée Dubois
1
. Parmi les chroniqueurs de ce bloque, je rédige la
1
« Cassiopée Dubois est la fondatrice de ce blogue. Native de Trois-Rivières, élevée en Abitibi-
Témiscaminque, étudiante dans l’Outaouais, ex-journaliste de la Côte-Nord et Beauceronne d’adoption,
Cassiopée est animatrice, rédactrice, blogueuse et relationniste. C’est une mordue des communications. La
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« Chronique du prof ». Voici quelques textes publiés dans cette chronique au cours des
mois de décembre à juillet 2014.
74. La 3e Politique nationale de la ruralité en direct de mon salon
2
C’est par un curieux hasard que j’écris mon premier texte dans cette Chronique du Prof
du blogue Néorurale.ca, le jour du dévoilement de la 3e Politique nationale de la ruralité.
Je comptais me mettre en route tôt hier pour assister à l’événement. On résiste
difficilement à une invitation de la Première ministre rédigée en ces termes :
« La Première ministre du Québec, Madame Pauline Marois, a l’honneur de vous
inviter à la cérémonie de lancement de la Politique nationale de la ruralité 2014-
2024, le jeudi 5 décembre 2013 à 13 h 30, Salle du Conseil législatif de
l’Assemblée nationale du Québec. Pour l’occasion, la première ministre sera
accompagnée du ministre des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation
du territoire et ministre des Transports, M. Sylvain Gaudreault, et du ministre
délégué aux Régions et ministre responsable de la région de la GaspésieÎles-de-
la-Madeleine, M. Gaétan Lelièvre. »
Mais voilà, j’habite à 275 km à l’est de la colline parlementaire, au sud du fleuve, et les
humeurs de la météo rurale du mois de décembre sont peu sensibles aux événements
protocolaires de la Capitale nationale. À 7 h 00 hier, les côtes glacées du 5e rang de St-
Mathieu-de-Rioux sur les contreforts des Appalaches, et les prévisions de givre pour la
région de Québec s’avéraient peu compatibles avec les tapis feutrés du Salon rouge de
l’Assemblée nationale.
C’est donc dans le confort de la chaleur radiante du poêle à bois et drapé des volutes des
gâteaux aux fruits mis au four, que j’ai assisté au déroulement de la cérémonie du
lancement de la 3e Politique nationale de la ruralité, en direct sur le web.
Dans le contexte de restriction budgétaire qui contraint les ministères à la frugalité, il faut
se réjouir que la PNR ait été renouvelée et dotée d’un budget bonifié de 70 M $ pour un
total de 470 M $ pour les dix prochaines années. Il est vrai que peu de politiques génèrent
autant de retombées économiques, sociales, culturelles et environnementales que la poli-
tique de la ruralité, participative et entièrement décentralisée dans sa mise en œuvre.
Depuis l’automne, je collabore au sein d’un comité mandaté par le MAMROT pour faire
un bilan des PNR 1 et 2 et formuler des recommandations au ministre en vue de l’élabo-
ration de la PNR 3. On nous avait invités à l’audace et à l’innovation. Notre rapport a été
néoruralité est définitivement son style de vie. Elle aime travailler au développement de sa communauté,
participer aux activités mondaines, vivre en famille et acheter des souliers. Son mode de vie rural lui
convient parfaitement, tant que le réseau Wifi fonctionne! » (Extrait de sa présentation sur le blogue).
2
Vachon, Bernard ; La chronique du Prof : http://neorurale.ca/2013/12/la-3e-politique-nationale-de-la-
ruralite-en-direct-de-mon-salon/, 6 décembre 2012.
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remis à la fin de l’été et devrait être disponible prochainement en version numérique sur
le site du MAMROT.
Il me tarde de connaître le contenu de la PNR 3 pour juger de la distance entre les deux
textes.
75. Pour en savoir plus sur la néoruralité et les néoruraux
3
Les néoruraux, qui sont pour la plupart d’ex-citadins, forment une part importante et
grandissante de la population rurale d’aujourd’hui. Les territoires ruraux sont reconquis et
recomposés en grande partie grâce à eux. Des rangs désertés par les populations agricoles
au cours des années 60 et 70, ont repris vie petit à petit sur la base de nouvelles fonctions
et de nouveaux « modes d’emploi » introduits par les néoruraux.
Plusieurs cohortes de néoruraux se sont succédées au fil des ans, parfois à l’intérieur
d’une même communauté rurale, Les hippies et les babacools de la fin des années 60
(dans la foulée des soixante-huitards en France) ont inauguré ce mouvement. Bien que le
désir de vivre sur une ferme, qu’on pouvait à l’époque acquérir à très bas prix, fût
souvent le motif de départ, bien peu ont persisté dans un projet agricole durable. De
nombreuses expériences, incluant les communes, se sont vite soldées par des échecs,
faute de préparation, de ressources ou de qualifications.
D’autres sont arrivés et pour plusieurs d’entre eux il s’agissait plus du choix de « vivre à
la campagne » que d’un « retour à la terre ». Bien que l’agriculture et l’élevage ne soient
pas exclus, souvent orientés vers de nouvelles productions (maraîchage, arbres fruitiers,
élevage de moutons, chèvres, alpagas…), en bio, selon d’autres modes de gestion et sur
de plus petites surfaces, d’autres motifs sont venus nourrir cet engouement pour la
campagne. L’attrait d’une meilleure qualité de vie, la valeur attribuée aux paysages et à
l’environnement naturel, le milieu jugé propice pour élevé une famille, le coût de la vie
moins élevé qu’à la ville sont les principales raisons du choix des néoruraux.
Dans le rang 5 où j’habite, sur les hautes terres de la municipalité rurale de Saint-
Mathieu-de-Rioux, au cœur de la MRC des Basques dans le Bas-Saint-Laurent, il y a déjà
eu 14 fermes actives (et 34 chevaux). L’année qui a suivi notre arrivée en 1979, le dernier
agriculteur de métier abandonnait sa terre faute de relève.
Au cours des 10 années qui ont suivi, notre petite ferme ovine de 125 brebis s’est
développée dans le cadre d’un projet de vie à la campagne, dans lequel les cinq membres
de la famille étaient impliqués et y trouvaient plaisir.
Au milieu des années 60, les travaux du Bureau d’aménagement de l’Est du Québec
(BAEQ) avaient ciblé 83 paroisses rurales du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie pour
3
Vachon, Bernard ; Blogue Néorurale.ca, La chronique du Prof : « Mais qui sont ces nouveaux ruraux ? »,
18 décembre 2013, http://neorurale.ca/2013/12/mais-qui-sont-ces-neoruraux/
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être « fermées » pour cause d’inaptitude à répondre aux critères de l’agriculture produc-
tiviste. La forte mobilisation des populations concernées (les Opérations Dignité) n’a pu
empêcher la fermeture sauvage d’une dizaine de paroisses, notamment derrière Matane et
du déplacement de leurs résidents. Dans cette même pensée planificatrice, le ministère de
l’Agriculture avait envisagé de « fermer » les rangs 4 et 5 de la municipalité de Saint-
Mathieu-de-Rioux. Des programmes agricoles n’étaient plus accessibles aux agriculteurs
de ces rangs et des subventions étaient accordées pour la démolition des bâtiments de
ferme.
Plusieurs granges et autres bâtiments sont aujourd’hui disparus dans le rang 5 (comme
dans le rang 4), mais presque toutes les maisons ont été conservées et novées et sont
occupées. De fait, ne restent plus de cette période de ruralité agricole que trois granges et
trois hangars à machinerie qui ont été rénovées et affectés à d’autres usages.
Les fonctions résidentielle et de villégiature se sont substituées à une agriculture non
viable sur des terres rocheuses et pentues, et cette présence humaine contribue à
l’occupation du territoire, à l’entretien des paysages et au dynamisme renouvelé de la
communauté. Il est révélateur de rappeler qu’une partie des matériaux de charpente des
bâtiments démolis ont servi à la construction de chalets autour du grand lac de Saint-
Mathieu et ailleurs sur le territoire.
Les nouveaux résidents permanents et saisonniers donnent lieu à une économie résiden-
tielle et à une vitalité sociale qui renouvellent la communauté agricole d’autrefois.
Parmi les nouveaux résidents du rang 5, dont les plus anciens sont arrivés il y a 35 ans, il
y a un pilote d’hélicoptère, un pilote de navire au long cours, un couple de médecins, une
chercheure en épidémiologie de l’Université Laval, un entrepreneur en informatique, un
directeur de la recherche-développement d’une société de Québec, une archéologue, une
graphiste, un menuisier-charpentier, trois professionnels retraités, etc.
Pour certains d’entre eux, les technologies d’information et de communication, incluant
Skype et les téléconférences, permettent le travail à distance, pour les autres elles repré-
sentent un lien interactif précieux avec les membres de leurs familles et les amis éloignés,
tout en offrant diverses sources d’information, de divertissement et d’achat à distance
(livres, CD, graines de semences, etc.).
Pour ceux et celles intéressés à en savoir plus sur le phénomène de la néoruralité et des
néoruraux au Québec et en France, voici quelques liens et hyperliens :
Pour le Québec :
http://www.ruralite.qc.ca/fr/Enjeux/Migration-et-neoruralite
http://www.planete.inrs.ca/webzine/le-nouveau-retour-a-la-campagne
http://www.cjrs-rcsr.org/V34/4/CJRS-RCSR-34-4-02hDomon.pdf
http://www.vrm.ca/Cap_neoruraux.asp ?ID=1190
http://www.cerium.ca/La-neoruralite-au-Quebec-facteur
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Pour la France :
http://www.ipsos.fr/ipsos-marketing/actualites/2003-06-04-neo-ruraux-portrait-citadins-
venus-s-installer-campagne
http://www.journaldunet.com/management/dossiers/031010vert/lead.shtml
http://immobiliermodedemploi.fr/enquetes/la-neo-ruralite-un-phenomene-de-societe/
http://www.ruralinfos.org/spip.php ?article1339
http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/20120326trib000690289/la-neo-ruralite-
grande-oubliee-de-la-campagne.html
http://www.capital.fr/art-de-vivre/diaporamas/changer-de-vie-a-la-campagne-8-portraits-
de-neo-ruraux-heureux
76. Nouvelle ruralité, néoruraux et 3e Politique nationale de la ruralité
4
La présence d’ex-citadins en milieu rural, qui contribuent à stabiliser, voire à faire croître
la population de plusieurs territoires ruraux, n’est pas une réalité nouvelle au Québec.
Mais ce mouvement a pris davantage d’ampleur depuis le milieu des années 70.
Parce qu’il s’inscrit dans une tendance lourde de la société et qu’il participe au renouveau
de la ruralité, ce mouvement devient un sujet d’intérêt pour les média, pour les cher-
cheurs mais aussi pour les décideurs politiques et les professionnels de l’aménagement du
territoire. Les néoruraux transforment l’activité économique et sociale des communautés
rurales en introduisant de nouvelles pratiques, de nouveaux comportements et de
nouvelles valeurs.
Il y a 11 ans, pratiquement jour pour jour, Radio-Canada, présentait un reportage sur le
thème des néoruraux (http://www.radio-canada.ca/actualite/enjeux/reportages/2002/2002-
12-10/neoruraux.shtml). Le sujet est loin d’être épuisé et la connaissance de ce phé-
nomène et de sa contribution à la ruralité contemporaine se poursuit. Le blogue
Neorurale.ca participe à ce processus de compréhension par des flexions, des témoi-
gnages et des récits de portions de vie de néoruraux.
Hier soir, nous avons partagé notre table avec de « vieux » amis arrivés comme nous à la
fin des années 70 dans la petite municipalité rurale de St-Mathieu-de-Rioux, sise dans le
haut-pays de Trois-Pistoles. La communauté était alors au plus creux de sa
déstructuration marquée par l’abandon des fermes, l’exode des jeunes familles, la
fermeture des commerces et la présence d’un climat de profonde morosité. Au cours des
35 années qui ont suivi, on a assisté à un renversement radical de la situation. Il ne reste
plus que quatre fermes en activité mais un nouveau dynamisme s’est progressivement
développé auquel les nouveaux arrivants ont largement contribué. Que de souvenirs ont
rejailli !
4
Vachon, Bernard ; Blogue Néorurale.ca, La chronique du Prof : http://neorurale.ca/2013/12/la-chronique-
du-prof-la-nouvelle-ruralite-et-ses-neoruraux/, 9 décembre 2013.
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