Chapitre 4 : La politique de distribution sur Internet Le commerce électronique sur Internet est en développement rapide et son potentiel est très variable selon les secteurs et la valeur ajoutée spécifique qu’il peut apporter au client final. Il peut être analysé en quatre types : 1) Le modèle de la désintermédiation : substitution à un canal traditionnel. 2) Le modèle de la réintermédiation: apparition de nouveaux intermédiaires entre le client et le producteur, ou parfois entre le client et les distributeurs. 3) Le modèle de la rétromédiation : le producteur se fait intermédiaire entre les clients et ses distributeurs. 4) Le modèle de la distribution multicanale : système faisant appel à plusieurs circuits pour le même type de produits. I- La désintermédiation 1- Le principe de la désintermédiation : Lors de la période d’émergence du commerce électronique sur Internet, certains acteurs ont cru pouvoir annoncer la disparition des intermédiaires. Le rêve d’un marché parfaitement transparent semblait pouvoir se réaliser grâce à une technologie qui facilite grandement la transmission et le retraitement des informations. Le développement du commerce électronique a pu apparaître dans ce contexte comme une remarquable opportunité pour les producteurs. En favorisant la désintermédiation, ou la vente directe des producteurs aux consommateurs, l’Internet semblait donner aux producteurs de nouveaux atouts : − Les producteurs pourraient court-circuiter les distributeurs et regagner ainsi leur indépendance. − Les fabricants pourraient désormais vendre en ligne l’ensemble de leur catalogue de produits y compris les produits de niche, souvent peu susceptibles d’intéresser les distributeurs en raison de l’étroitesse de leurs débouchées. − Les producteurs regagneraient le contact direct avec les clients qu’ils pourraient exploiter à leur profit sous forme d’études de clientèle ou de marketing relationnel ; − La marge de distribution serait réintégrée chez le producteur. 2- Les conditions de réussite de la désintermédiation Le succès de la désintermédiation par Internet repose sur la réunion de 5 conditions : - Il faut amortir les frais de structure : La vente directe nécessite une infrastructure particulière, qui passe par un site Web de contact ou de vente et par une logistique de prise de commande, de stockage, de facturation et de distribution à distance des produits. Cette infrastructure peut se révéler très coûteuse et difficile à gérer pour le producteur. - Il faut une marque forte : La marque sur Internet joue deux grands rôles. Elle génère du trafic (la notoriété conduit les clients vers le site) et elle crée la confiance du consommateur (la confiance est nécessaire pour que le client laisse ses coordonnées ou passe à l’achat). Sans marque forte, il y a peu de chance que le consommateur visite directement le site du producteur. - Il faut des achats à forte valeur : Le consommateur ne va pas visiter le site d’un producteur, et comparer les producteurs entre eux, pour de petits achats : recourir à son distributeur habituel est largement suffisant. En revanche, acheter directement après avoir comparé les offres des producteurs, a un sens pour les achats à forte valeur. - Il faut un avantage de prix pour le client : Seul un avantage tarifaire important conduit à un phénomène de substitution favorable à la vente directe sur Internet. En commercialisant ses produits sur Internet, l’entreprise peut faire bénéficier à ses clients des économies de coût qui proviennent de la suppression des intermédiaires. Pour qu’un tel avantage prix soit possible, il faut néanmoins que le producteur ait des coûts de gestion de la vente directe compétitifs et qu’il n’ait pas peur des conflits de réseaux. - Il faut ne pas craindre les conflits de canaux de distribution : Si le producteur vend directement à ses clients par Internet, en leur faisant bénéficier d’une réduction de prix, une telle politique tarifaire entraînerait une forte opposition de ses réseaux de distribution. Ainsi, soit le producteur opte pour la vente directe exclusive, soit il opte pour une distribution multicanale, mais dans ce cas, il doit vendre en direct ses produits au même prix que ses distributeurs. II- La réintermédiation : 1- Le principe de la réintermédiation : La réintermédiation est l’apparition de nouveaux intermédiaires remplissant de nouvelles fonctions et créant une nouvelle valeur ajoutée telles que : - la mise en contact d’acheteurs et de vendeurs, - l'organisation d'enchères, - la comparaison des offres et les conseils d'achat, - les achats groupés, - sécurisation et garantie des transactions en ligne Elle a connu une période faste, car elle a été le terrain de prédilection des start-ups lors de la période d’émergence du commerce électronique dans la deuxième moitié des années 90. La réintermédiation constitue une superposition entre les clients d’une part et les producteurs et les distributeurs d’autre part. Les nouveaux intermédiaires sur Internet ne se substituent pas aux distributeurs traditionnels. Un grand nombre de ces nouveaux intermédiaires s’intègrent dans les relations entre les clients et les producteurs ou distributeurs plutôt qu’ils n’ont vocation à les remplacer. Ce sont alors des infomédiaires. Leur valeur ajoutée provient de la gestion de l’information plutôt que de la manipulation de biens. 2- Les limites de la réintermédiation : La réintermédiation, qui a donné lieu à un remarquable mouvement de créativité et d’innovation commerciale (portails généralistes ou spécialisés, enchères en ligne, groupement d’achat, agents intelligents, places de marché électroniques, ...), souffre aujourd’hui de l’assèchement du financement des start-ups. Le déclin d’entreprises a été particulièrement sévère et seuls les entreprises et les modèles les plus performants ont survécu. • L’insuffisance de la valeur apportée aux clients : Plusieurs observateurs ont remis en cause l’existence des nouveaux intermédiaires sur Internet. On se demande alors quel avantage concurrentiel ces nouveaux intermédiaires apportent-ils ? Permettent-ils réellement une réduction des prix ? Créent-ils une différenciation valorisée par les clients ? Les réponses à ces questions sont souvent très nuancées voire sans réponse. • Des difficultés de rentabilité avec de faibles volumes, au début : L’objectif assigné aux entrepreneurs du net par les investisseurs a longtemps été la part de marché et la croissance plutôt que la rentabilité. Lorsque l’heure des comptes a sonné, la rentabilité des nouveaux modèles commerciaux s’est souvent révélée très problématique. Dans une économie d’information, où le coût marginal de traitement de l’information est très réduit mais où les coûts d’investissement sont très élevés (interface web, infrastructures informatiques, établissement des partenariats commerciaux, coût de communication pour établir la notoriété...), le volume d’activité est déterminant pour assurer la rentabilité. De nombreuses entreprises n’ont pu atteindre ce niveau d’activité. De plus, l’attrait des modèles reposait parfois sur des marges très faibles qui étaient intenables à terme. • Les atouts des concurrents multicanaux : Enfin, les acteurs traditionnels du commerce se sont réveillés et se sont appuyés dans leur développement sur leur solidité financière, sur la puissance de leurs marques d’enseigne ainsi que sur les synergies avec leur activité traditionnelle. Ils peuvent alors proposer aux clients une pluralité de canaux de contacts et d’achats alors que les nouveaux intermédiaires sont limités au canal Internet. III- La rétromédiation : Internet peut conduire à repenser les modes de relation entre producteurs, distributeurs et clients. Un troisième modèle que peut favoriser Internet est la rétromédiation. A défaut de proposer aux clients d’acheter en ligne, un site de marque peut orienter les clients vers des sites de commerce électronique ou vers des distributeurs traditionnels. Ce sont ces derniers qui réalisent la transaction pour le compte de la marque. Dans une politique de rétromédiation le producteur transforme les visiteurs de son site web en prospects pour le compte des distributeurs. Les rôles des différents acteurs sont ainsi complémentaires : − Le producteur tire avantage du contact direct avec ses clients et prospects en leur fournissant de l’information sur l’offre, en proposant du conseil à l’achat et en développant une politique relationnelle (fidélisation, service après-vente). − Ne voulant pas proposer un service de vente directe sur son site web, le producteur génère du trafic vers les points de vente (magasins, sites marchands, etc.) qualifiant ainsi des prospects pour ses distributeurs. − Ce sont les distributeurs qui réalisent la transaction finale. La politique de rétromédiation a été surtout adoptée dans l’industrie automobile. Le site d’un constructeur automobile donne les informations nécessaires sur les modèles commercialisés et renvoient le client internaute vers le concessionnaire le plus proche de son domicile. IV- Le modèle multicanal Dans le modèle multicanal, Internet est pensé comme un canal commercial complémentaire des autres canaux de ventes ou de contact et non comme un canal de substitution. La logique du multicanal satisfait la demande des clients et peut répondre à plusieurs objectifs de la part de l’entreprise. Le modèle multicanal se traduit dans différents types de stratégies commerciales de complémentarité ou d’intégration. 1- Les objectifs d’une politique multicanale - Accroître le niveau de service aux clients : Internet est un remarquable outil pour fournir de l’information et du service. De même qu’il est difficile d’imaginer aujourd’hui qu’une grande marque ne propose pas de « service consommateur » au téléphone, la présence sur Internet fait désormais partie des attentes de base des clients à l’égard d’une grande marque ou d’une entreprise. - Fidéliser les clients : Le multicanal s’inscrit dans une logique de fidélisation qui permet de développer la « part de client », c’est-à-dire faire de faire en sorte que les clients achètent moins chez les concurrents et plus chez soi. Elle permet aussi de prolonger la « durée de vie » du client, c’est-à-dire prolonger la relation avec les clients et réduire le taux d’attrition (défection). Offrir aux clients la possibilité d’avoir une relation commerciale avec l’entreprise à travers plusieurs canaux ce qui permet de multiplier les occasions de vente (développer la part de client) et de réduire les raisons d’aller voir chez le concurrent (réduction du taux d’attrition). - Développer les ventes et recruter de nouveaux clients : Une politique multicanale vise à accroître le chiffre d’affaires de l’entreprise. De même que dans la distribution traditionnelle, la multiplication des points de vente vise à saturer l’espace commercial, de même le multicanal vise à multiplier les points de contact avec les clients, soit qu’on touche de plusieurs façons le même client, soit qu’on touche des clients différents. 2- La mise en oeuvre des stratégies multicanales a- Le développement séparé : La première étape d’une politique multicanale consiste à ouvrir de nouveaux canaux de distribution, parallèlement aux canaux existants. Certaines entreprises ont privilégié le développement séparé des activités Internet, en décidant de créer une filiale autonome, ou d’externaliser les nouvelles activités en ligne. Si les lancements d’activités séparées sur Internet ont répondu aux spécificités du net, il est très vite apparu que cette séparation n’est pas sans inconvénients et qu’elle ne garantit aucunement le succès de l’opération. Les inconvénients majeurs du développement séparé des activités sont : − Des coûts doublés, la nouvelle activité se développant indépendamment de l’ancienne et nécessitant des infrastructures et des équipes propres ; − Des interactions difficiles entre la maison-mère et la division Internet en raison de la séparation des organisations et du management ; − L’impossibilité, après la chute des marchés financiers, de faire financer l’activité en ligne par une entrée en bourse. Le mouvement a donc été vers la réintégration des activités Internet dans l’entreprise. b- L’intégration des réseaux Les entreprises s’efforcent désormais de multiplier les synergies entre les canaux pour gérer un client multicanal. Cette politique est plus avantageuse pour les entreprises et leurs collaborateurs mais également beaucoup plus compliquée à mettre en oeuvre. Il ne suffit pas en effet d’accumuler les canaux, mais bien de les optimiser. En multipliant les canaux, on multiplie les compétences nécessaires (avec le risque de défaillances de qualité de service), on accumule les coûts et on a également tendance à dupliquer tous les services proposés par l’entreprise. Le marketing s’est jusqu’à présent soucié de politiques de segmentation, qui consistent traditionnellement à adapter son offre à des segments déterminés de clients. L’enjeu du multicanal oblige aujourd’hui les entreprises à ajouter deux éléments de complexité supplémentaires à leur politique : - L’adaptation de l’offre aux canaux de distribution et de communication : quels produits et services associés pour quels canaux de contact ? Faut-il proposer la même offre à travers tous les canaux ou adapter son offre à chaque canal et spécialiser aussi les canaux de contact par produits et services associés ? - L’adaptation des canaux aux segments de clients : les entreprises doivent intégrer la pluralité des canaux de contact à leur politique de segmentation. Quelle est le degré de spécialisation qu’elles veulent adopter dans leur gestion des canaux de contacts (spécialisation par offre / par segment de client) L’objectif d’une entreprise doit être moins d’acculer les canaux de distribution ou de communication que d’optimiser ces canaux. Optimiser les canaux signifie qu’on ne cherche pas à dupliquer mais à compléter les canaux. La duplication de tous les services par tous les canaux peut être pratique pour le client mais coûteuse et risquée pour l’entreprise. L’optimisation signifie trouver un équilibre entre une logique de coût et une logique de service.