
4  Pour admirer, il faut être deux. Narcisse, épris de sa propre image reflétée dans 
une fontaine, languit de désespoir devant son idole insaisissable ; il est condamné à 
mourir et à se transformer en fleur des enfers qui porte son nom. 
 L’admiration  dépend  des  idéaux  du  moi ;  certaines  personnes  seront 
admiratives devant un chercheur ou un écrivain, mais indifférentes devant un grand 
sportif qu’elles jugeront certes remarquable, mais pas admirable. 
   Le beau et le bien font partie des idéaux de tout sujet, mais les critères de ces 
valeurs différent selon les individus. 
 
 L’admiration de l’élève pour son professeur : selon Lacan, cette admiration 
« au  stade  du  miroir  »  a  pour  fonction  première  « d’établir  la  relation  avec  une 
image  certes  supérieure,  mais  à  laquelle  on  voudrait  s’identifier,  ne  serait-ce que 
pour  se constituer ».  Il  n’y  a  rien  de  soumis  dans  cette  attitude ;  l’admiration  est 
d’ailleurs  assez  égoïste : « en  lui,  c’est  moi  que  je  voyais »  (fonction de  miroir  – 
admirer, c’est toujours se mirer un peu ).  
 
  Les artistes ou les penseurs, ceux qui expriment le mieux la condition humaine, 
ont  toujours  admiré  d’autres  artistes,  penseurs  ou  créateurs,  dans  leur  champ 
d’activités ou dans un autre. 
 Nous  prendrons  l’exemple  de  l’admiration  de  Van  Gogh  pour  Millet : les 
deux  artistes  ont  la  même  dévotion  pour  le  Christ ;  le  semeur,  la  gerbe  sont  les 
symboles de l’aspiration vers l’infini ; mais, comme Millet, Van Gogh fait passer son 
sentiment religieux par la peinture sans recourir à des sujets directement religieux.  
Van  Gogh  admire  Millet  pour  son  labeur  acharné,  sa  vie  simple  dans  une 
chaumière  avec  sa femme et  ses huit enfants et  sa  foi traduite simplement par  la 
représentation de  travaux  des  champs :  L’homme  à  la  houe,  à  la  silhouette  et  au 
visage  abrutis  de  fatigue,  montre  l’homme  voué  à  gagner  sa  vie  à  la  sueur  de  son 
front ; Le Semeur est chargé d’espoir ; d’un geste auguste, il déploie au-dessus de la 
terre retournée les graines d’or, semence sacrée qui va la fertiliser.  
 
Le perroquet de Flaubert est un bon exemple d’admiration passionnée pour 
un animal, magistralement décrit par l’écrivain dans sa nouvelle « Un cœur simple » : 
la  servante  Félicité  s’éprend  d’un  perroquet  Loulou, « oiseau radoteur digne de sa 
bêtise » ; à la mort de l’animal, elle le fait empailler et l’honore comme une relique 
sacrée, sanctifiée et confondue avec une image du Saint-Esprit : 
 « Le Père, pour s’énoncer, n’avait pu choisir une colombe puisque ces bêtes-
là n’ont pas de voix, mais plutôt un ancêtre de Loulou .   
Félicité contracta l’habitude idolâtre de dire ses oraisons agenouillée devant 
le perroquet ; quelquefois, le soleil entrait par la lucarne, frappait son œil de verre 
et en faisait jaillir un grand rayon lumineux qui la mettait en extase. 
En apothéose, le jour de la Fête-Dieu, la servante au grand cœur, en agonie, 
croira  s’élever  dans  les  cieux  entrouverts  comme  emportée  par  un  perroquet 
gigantesque, planant au dessus de sa tête ». 
                 D.GERARDIN 
          
*Fiche établie d’après l’ouvrage « L’admiration » coll. Autrement 1999.