les acteurs des relations internationales

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LES ACTEURS DES RELATIONS
INTERNATIONALES
SEMESTRE 4
IEP TOULOUSE
Michel-Louis MARTIN
Nous sommes dans un monde post-westphalien : on fait référence à une période
historique, la période westphalienne qui a commencé à prendre forme au XVIIe siècle, les
traités de 1648 qui mettent fin à la guerre de 30 ans, de même qu’à l’autorité des grands
acteurs du moyen-âge. Le monde était constitué d’Etat, mais aussi d’autorités supranationales
(pape, empereur). On a des autorités féodales qui posent un problème de légitimité des
monarques. Après 1648, on a une période formation des Etats modernes, avec un centre, le
monopole de la justice, de la force. Ce met en place cette structure, la notion d’Etat évolue :
« ordre » chez Machiavel, qui devient une population qui s’identifie à un monarque.
L’empereur et le pape perdent leur rôle. L’idée de souveraineté se crée à cette époque : seuls
les Etats sont souverains.
La période westphalienne pose une simplification de l’ordre international, que vont
subsumer 4 idées :
 L’idée de souveraineté ou d’absolutisme étatique, c’est-à-dire qui implique un
monde international décentralisé, au cœur duquel seuls les acteurs légitimes sont
les Etats ; ces Etats sont égaux entre eux, indépendants.
 L’idée de non-interférance dans l’ordre intérieur d’un Etat.
 La possibilité pour les Etats de formuler librement leur politique extérieure, hors
de toute autorité supranationale (Saint Empire, pape), mais aussi de toute morale
internationale.
 La légitimité de la guerre, l’usage de la force étant le moyen de l’autorité de l’Etat,
ce qui rend obsolètes les concepts scolastiques (guerre juste/injuste).
Cette matrice figure au plan international d’autres phénomènes qui se produisent dans
d’autres domaines, comme la doctrine smithienne en économie, la doctrine d’autorégulation
institutionnelle.
Cet agencement semble remis en cause aujourd’hui, remise en cause qui a même peutêtre commencé au siècle dernier. Certains parlent de période bipolaire et de période postbipolaire : cette conception pose problème. C’est vrai que les Etats perdent quelque peu leur
souveraineté.
Du point de vue des acteurs, ce qui frappe, c’est l’hétérogénéité croissante de l’arène
internationale. Elle se manifeste de deux façons : une modification profonde de la nature des
Etats, différent de l’Etat westphalien ; l’apparition de nouveaux acteurs capables d’affecter
l’agenda international.
Il y a une double modification des Etats. Au plan quantitatif, les Etats se multiplient :
au XIXe siècle, on dénombrait une vingtaine d’Etats, il n’y avait que des Etats « sains », forts.
Ce chiffre va augmenter après la Première Guerre mondiale, avec l’éclatement des empires ;
et après la Seconde Guerre mondiale, éclatement des empires coloniaux. Dans les années 60,
il existe à l’ONU une soixantaine d’Etats. Dans les années 90, on passe à quasiment 200
Etats. Le système international est aujourd’hui un système jeune : une poigné d’Etats ont plus
de 200 ans, beaucoup ont moins de 50 ans et n’ont pas de grande expérience militaire,
diplomatique, encore liés à d’autres Etats. La genèse de ces Etats et surtout de ces nouveaux
Etats affecte leur stabilité. Les Etats-Nation, autrement dit une conjonction entre une identité
nationale et une souveraineté nationale. D’autres Etats sont nés des les revendications
souverainistes du XIXe siècle, nations issues de l’échec de l’épopée bolivarienne entre autres,
qui sont bien territorialisées. Troisième catégorie, celle des systèmes politiques où la
revendication nationale s’effectue en-dehors de toute communauté nationale, l’Etat par
amalgamation, revendiquées par des élites. Dans la meilleure des hypothèses, cette création
d’Etat réussi (Sénégal), dans d’autres cela ne marche pas.
Le problème qui se pose n'est pas tant le morcellement, mais dans la logique qui anime
ce morcellement. A l'inverse des revendications classiques, elles présentent aujourd'hui des
caractères « identitaristes », c'est-à-dire selon Thual qui procède d'un besoin de rester entre
soi, un rejet de l'autre, psychologie exclusiviste, auquel s'ajoute un sentiment victimaire,
sensation de persecussion. La démarche nationalitaire, on peut craindre qu'elle opère dans le
registre de la violence. C'est ce qui est à l'origine des épurations ethniques. Au Sri Lanka, le
conflit dure depuis deux décennies, avec plusieurs mouvements, parfois mafieux, contre les
autorités: une partition du pays déboucherait sur des souverainetés précaires.
Un Etat, c'est d'abord une démographie, un territoire suffisamment grand. L'exemple
pédagogique serait les Îles Fidjis: un groupe mafieux prend en otage le gouvernement, ce qui
paralyse le pays. L'économie est aussi une source de division pour les pays. On peut parler de
« ré-ensauvagement du monde », avec la multiplication des guerres civiles. La multiplication
se fait donc de manière étrange, avec des Etats faibles, intoduction d'une nouvelle distinction,
car autrefois l'Etat était nécessairement fort. Ces disparités n'étaient pas aussi marquées, sauf
dans le cas de guerres. Aujourd'hui on pénètre les Etats, les autorités étant noyautées par les
réseaux mafieux, sorte de captation d'Etat; on n'a plus besoin de guerre pour avoir un Etat
paradoxal (narco-Etats). Ce phénomène de l'érosion étatique peut être amorcé également par
les politiques des Etats eux-mêmes, ou par des politiques dictées, notamment par des bailleurs
de fonds, ce qu'on pourrait appeler « l'Etat mince », dépendant d'organisations internationales
ou d'organismes privé.
Ce qui est nouveau aujourd'hui, c'est la multiplication des acteurs non-étatiques, avec
parfois plus d'efficacité que les Etats eux-même. Ces acteurs existaient déjà auparavant,
comme l'Eglise, mais ce qui est nouveau, c'est aujourd'hui leur nombre. Il y a 4 façons d'agir à
l'international: faire du lobbying auprès d'Etats ou d'organisations internationales; promouvoir
certaines normes, conscientiser certaines sociétés civiles; exercer des prérogatives et exercer
des services qui se substituent dans certains secteurs aux Etats; avoir des impacts directs sur
les relations internationales, avec l'usage de la force (terrorisme, boycott).
Les acteurs non-étatiques
Cette catégorie regroupe des entités qui se sont construites par « voie de
fédéralisation » de l'espace public: ce sont des entités qui vont se former par exemple à partir
d'Etats. Cette fédéralisation peut se faire par le haut ou par le bas, supra ou infra étatique. Ce
n'est pas très nouveau. Certaines ont si bien réussi à revendiquer ce rôle international que ce
sont aujourd'hui quasiment les premiers acteurs des relations internationales (ONU, FMI,
OMC, ...). C'est par le biais que ces organisations que les Etats agissent aujourd'hui, ce qui
leur donne une certaine légitimité. Leur nombre a augmenter depuis un demi-siècle de façon
considérable: 350-400. Les Etats sont souvent membres de ces organisations. L'idée de
multiplication de ce type d'acteurs ne va pas à l'encontre de la prolifération des Etats.
Tous les acteurs non-étatiques ne sont pas des acteurs internationaux: certains
affectent les relations internationales, d'autres pas. Certains acteurs sont concurrents dans
certains espaces, certaines temporalités. Ce sont des acteurs internationaux par leur capacité à
interférer dans la création de normes internationales, et dans leur impact sur les relations
internationales, notamment par la contrainte. On a ces nouveaux acteurs à des niveaux
différents: le niveau régional concurrence le niveau national. Les organisations intergouvernementales sont des multiplicateurs de puissance pour les Etats, mais deviennent aussi
des acteurs à part entière. Peter F.Diehl montre cette importance des organisations intergouvernementales.
Sur un registre peu institutionnalisé, on a les « grands blocs », des entités mal-définis
qui, selon Z.Laïdi, se présentent comme des communautés de sens. On peut en distinguer
plusieurs: un bloc pan-américain, presque à connotation néo-monroeiste, avec un regard en
commun sur les autres, malgré leurs différences; un bloc asiatiques, avec des contentieux et
des valeurs communes; le bloc orthodoxe; le bloc islamique.
Au niveau infra-étatique, on a la montée en puissance d'entités intra-nationales ou
transnationales (régions, coopération inter-régionale). Ces groupes peuvent être des opérateurs
internationaux, car ce sont de forts opérateurs économiques ou financiers, s'émancipant
quelque peu du pouvoir central. C'est une sorte d'autonomisation, qui ont leur propre agenda,
leurs propres objectifs. Ce sont les produits d'une coopération régionale (zone baltique). Ce
dynamisme, s'il est associé à des formes de nationalisme, à un sentiment d'appartenance fort,
cela peut entraîner des revendications étatiques.
Il y a donc toujours une dialectique entre infra et supra étatique, avec l'émergences de
nouveaux acteurs. Le monde contemporain est un monde pluralisé.
L'individu devient lui aussi un acteur des relations internationales. James Rosenau et
Marcel Girard montrent qu'une partie de notre regard est aujourd'hui international. On se
perçoit comme membre d'une communauté, on se mobilise sur les sujets internationaux.
On a d'autres types d'acteurs sui generis. Les premiers sont des acteurs non-étatiques,
mais territorialisés, c'est-à-dire en particulier les fronts de libération, les organisations
indépendantistes. C'est le cas par exemple de l'OLP, avec une armée, un statut diplomatique,
et qui a réussi à fonder une entité étatique.
On a aussi des entités non-étatiques, non-partiellement territorialisées, entités transnationales: c'est le cas de l'Eglise catholique. C'est le cas aussi des EMN (500 à 600 ont un
rôle hégémoniques), avec une réelle capacité à influer sur les relations internationales, avec
des budgets aussi importants que certains pays, ce qui leur donne le pouvoir d'interférer dans
les relations internationales: orientation des fiscalités locales, des modes de consommation,
des modes d'organisation (républiques bananières). Certaines multinationales remplissent
même des missions de l'Etat, en particulier la sécurité, avec une privatisation de la violence
institutionnelle: elles assurent des missions qui étaient auparavant assurées par la police ou la
gendarmerie. On privatise des pans entiers de l'action étatique, jusqu'à l'instruction de troupes
ou le renseignement. Cette privatisation peut permettre aussi de soutenir l'action publique: des
troupes privées sont embauchées par les Etats dans certains conflits. Cilliers et Mason, dans
Paix, profit et pillage, montrent que cette privatisation de la violence se fait dans des Etats
faillis, avec le recrutement d'enfants sodats, ou de mercenaires, à qui on accorde des
concessions pour les payer. Sous la direction de Jean-Jacques Roche, Insécurité publique,
sécurité privée montre cette évolution.
Les ONG sont des organisations internationales non-territorialisées: certaines se
définissent comme des facilitateurs de paix, que l'on retrouve sur les terrains de conflits.
Thomas Weiss et Gordenker, dans NGOs, the UN and global governance. Les ONG restent
très dépendantes des Etats, car ceux sont eux qui les finances.
Autre catégorie d'acteurs non-étatiques, ce sont les entités de nature dictueuses, les
mafias, les organisations terroristes. Les études sont plus rares pour ces entités. Ce sont des
entités émergentes, car on les voit presque fonctionner sous nos yeux. On les appelle OCT,
organismes criminels transnationaux. Certaines de ces entités sont anciennes (mafias).
Beaucoup de ces entités se reconvertissent en organisations délinquantes quand elles ne
l'étaient pas encore. Ce sont de véritables pieuvres profitant du phénomène de globalisation.
Les contrôles sont difficiles. L'ambiguïté du statut de ces organismes doit être explicitée: il y a
des zones où l'Etat est absent. On a observé que certains de ces groupes fournissaient des
services que l'Etat ne fournissait pas: les cartels rendent des services (protection, aide aux
familles, aux communautés). Le processus de démocratisation est cher pour ces pays.
Le monde post-westphalien apparaît comme un ordre très multicentré avec un
entrecroisement de pouvoirs. On parle aussi de néo-médiévalisme, avec une multiplication des
allégences. La société féodale est en fait une société très régulée, très hiérarchisée. On parle
plutôt de réensauvagement de la scène internationale, vision un peu simpliste.
L'Etat westphalien est totalement autonome dans la politique internationale, il n'a
personne au-dessus de lui. Il n'y a pas d'inérence, avec un vide de valeurs morales. On rentre
dans un monde où ces différents principes semblent remis en causes. Les relations entre les
différents acteurs semble obéïr à un « cahier des charges normatif », qui a toutes les
caractéristiques d'une morale internationales, structuré autour d'un certain nombre
d'exigences, dont la violation est susceptible d'entraîner des sanctions. C'est le respect des
droits de l'Homme, la démocratie, la bonne gouvernance, la protection des « biens communs
de l'humanité » (environnement), soit quelques uns des caractères impératifs de ces relations.
Le développement de cette éthique internationale vient de différents facteurs,
phénomène d'anglo-saxonisation: ces sociétés ont toujours été plus morales. Les Américains
sont les premier à vouloir moraliser l'ordre international au lendemain de la Première Guerre
mondiale (wilsonnisme). Désormais, la moralité doit régler les comportements dans les
relations internationales. Cette morale se dilate, et prend une ampleur mondiale. Cette éthique
se construit sur des postulats: la démocratie est le meilleur des régimes, l'émission d'oxyde de
carbonne est mauvaise, ... Il y a une dimension un peu axiomatique. On ne plus gérer les
choses partitivement. La défense de cette morale s'accomode peu du souverainisme, et la
défense de cette morale conduit à contourner les Etats. Toute décision prise au niveau d'un
Etat a un impact au-delà de l'Etat: on est obligé de prendre en compte ses effets sur l'extérieur.
Il ne peut être admis que ces décisions portent atteinte aux valeurs ou au patrimoine de
l'humanité. Cette moralisation de l'ordre international est le fait marquant de cette ère postwestphalienne.
Il existe aujourd'hui un devoir d'ingérence envers le contre-venant à la morale
internatioanle. La première ingérence a été la récupération d'Eichmann par Israël en Amérique
du Sud.
La légitimité du recours à la force armée pour régler les conflits inter-étatiques n'est
plus d'actualité dans le monde actuel. C'est le troisième principe westphalien battu en brèche:
l'emploi de la force armée n'est pas proscrit, il doit être maintenu comme moyen ultime de
prévention ou de sanction. Ce qui a changé, c'est la mise en oeuvre de la force armée: pour
être légitime, ce recours doit être décrété par une instance supranationale, et si possible mise
en oeuvre de façon collective. Par ailleurs le recours à la force armée ne saurait se faire sans
contrainte, ce qui est un paradoxe: ce recours doit être modulé et limité dans le temps. Le but
de la l'usage de la force armée n'est plus la victoire: l'anéantissement est aujourd'hui exclu, le
but étant le rétablissement du statut quo, de la situation antérieure. Le but de la Guerre du
Golfe était de libérer le Koweït et non pas de vaincre Saddam Hussein. On module le choix
des armes en fonction de la mission et du niveau de menace de l'adversaire (usage d'avions
jaguars). Il ne s'agit pas de sur-tuer, mais de faire le minimum.
Avant même d'en arriver là, il faut épuiser un certain nombre de ressources: la
diplomatie, l'interposition, la dissuasion, l'embargo économique. L'évolution technologique
permet aujourd'hui de réaliser des frappes préventives chirurgicales. Le problème qui se pose,
c'est la multiplication des tensions en raison de l'hétérogénéité profonde du monde, ce qui fait
que cette communauté internationale est en surcharge.
Aujourd'hui les ONG sont très présentent dans les zones de conflits, où elles sont aussi
très actives, surveillant l'éthique des interventions militaires. On retrouve le droit médiéval de
rentrer en guerre. Il existe des cours d'éthique dans les académies militaires. Il y a une autre
contrainte sur l'usage de la force: l'éthique face aux médias, avec le problème de la légitime
défense. L'opinion publique demande des guerres sans morts, d'où l'automatisation des armes
grâce à la technologie. Ce sont des guerres qui n'ont pas le degré de brutalité qu'elles avaient
avant.
Ce concept de guerre à 0 morts a été revu: des enquêtes ont été faites aux Etats-Unis
qui montrent un renversement de tendance, les Américain étant prêts à mourir pour l'idéal
américain. C'est tout de même un idéal qui existe, avec un moindre contact avec la mort.
Il existe des zones ou le comportement interétatique est quasiment westphalien voire
néo-westphalien. Il existe toujours une morale internaionale: on se ligue contre les assassins
comme Milosevic, bien qu'on reste aveugle face à d'autres, où les conceptions des droits de
l'Homme sont différentes.
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