EXTRAITS : LES EQUIPEMENTS PROFESSIONNELS DES ASSISTANTS DE SERVICE SOCIAL. Eléments pour une recherche sur
l’exercice du jugement en travail social, Mémoire de D.E.A. « Formation et sciences du travail »effectué sous la direction de Monsieur Jean-
Yves TREPOS, Professeur, présenté par Christian MAILLIOT, Septembre 1997, Université de METZ
1
CHAPITRE 1 : LES VOIX DE LA PROFESSIONNALISATION OU LA
FORMATION DES EQUIPEMENTS (1820-1931)
Du 19e siècle au milieu du 20e siècle, la gestion du social est, selon Roger
BERTAUX, extrêmement hétérogène : « d’une part la gestion du social oscille entre
l’intervention étatique et le refus marqué de l’intervention de l’Etat au profit des seules
oeuvres privées, d’autre part elle oscille entre trois pôles d’intervention : la simple répression,
la moralisation des moeurs, la réforme des institutions visant l’amélioration des conditions de
vie. »
1
. Toutefois, à partir du Second Empire et surtout de la IIIe République, l’axe dominant
du social « consiste dans l’oeuvre de moralisation et de civilisation des couches populaires,
comme moyen principal de résoudre la « question sociale ». »
2
.
Dans ce contexte socio-historique, une multiplicité d’oeuvres charitables et sociales se
développe. Parallèlement, un discours qui vise à conditionner l’attribution d’une aide à un
changement de comportement chez le destinataire de cette intervention accompagne ce
développement
3
. Ce discours s’inscrit dans celui plus globalisant sur les classes populaires.
1
BERTAUX R., Pauvres et marginaux dans la société française, Nancy, P.U.N, 1994, p. 214.
2
Ibid p. 223.
3
Ibid pp. 196-214.
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l’exercice du jugement en travail social, Mémoire de D.E.A. « Formation et sciences du travail »effectué sous la direction de Monsieur Jean-
Yves TREPOS, Professeur, présenté par Christian MAILLIOT, Septembre 1997, Université de METZ
2
Section 1. Les discours de la méthode
a) Un espace cognitif : donner avec mesure
L’ouvrage
4
du baron de GERANDO (1772-1842) illustre parfaitement l’orientation
tendancielle de la philanthropie et de l’assistance au 19e siècle. Comme l’affirme Robert
CASTEL, « le baron de GERANDO propose dans le Visiteur du pauvre, une nouvelle
technologie de l’assistance »
5
. Apparaissant comme un précurseur, il formule les bases d’une
nouvelle méthode d’intervention. En fait, cet ouvrage est un mémoire qui répond à un
concours lancé par l’Académie de Lyon en 1816 autour de la question de l’indigence :
« Indiquer les moyens de reconnaître la véritable indigence, et de rendre l’aumône utile à ceux
qui la donnent comme à ceux qui la reçoivent ». Avec son Visiteur du pauvre, le baron de
GERANDO recevra le prix de cette académie pour « l’ouvrage le plus utile aux moeurs ». En
bon candidat, le baron de GERANDO formule, dès l’introduction de son mémoire, la synthèse
de ses propositions :
« On désire y montrer combien il est nécessaire d’établir une entière harmonie et un
parfait concert entre la bienfaisance publique et la charité privée ;
Comment l’office du Visiteur du Pauvre est l’instrument le plus utile de la première, le
meilleur moyen pour l’exercice de la seconde ;
Comment , à côté de la charité imparfaite et oiseuse qui se borne à donner, il est une
charité plus vraie, une charité active, vigilante, qui apporte plus que des dons, qui
apporte des soins, des conseils, des encouragements ;
Comment cette charité active est à la portée de tous ceux qui prennent quelque intérêt au
sort des malheureux ;
Comment cette charité active trouve en elle-même sa plus noble récompense, en
contribuant puissamment à l’amélioration morale de ceux qui s’en rendent les ministres.
On réunit donc, dans cet écrit, toutes les considérations qui peuvent engager
l’administration publique à invoquer l’assistance du Visiteur du Pauvre, et les simples
particuliers à faire, de la visite du pauvre, la condition essentielle du bon emploi de leurs
aumônes. »
6
.
Le point de départ de la réflexion de l’auteur est une dénonciation de la « charité
imparfaite » celle qui donne aveuglément « sans autre information, à celui qui sollicite » : « ce
n’est plus donner, c’est jeter au hasard, c’est s’exposer à produire le mal au lieu du bien.»
7
. Sa
critique mobilise des ressources du monde industriel. En effet, le tour de force du baron de
GERANDO est de proposer un rapprochement entre « l’indigent » et tout un ensemble
d’éléments (des biens matériels, des observations, des « notes sur la moralité et la conduite »,
des mots, des regards, des sentiments, etc.). En introduisant la nécessité d’un principe
d’équivalence dans une action (l’aumône) qui, jusqu’à présent, mettait à l’écart les choses au
profit des seules personnes, il crée un espace cognitif. « Mais pour tout cela, comme l’écrit le
baron de GERANDO avec conviction, il faut aller, voir, converser ; il faut surtout continuer
ces observations avec méthode, avec une espèce de suite. C’est la condition première,
essentielle. Il n’est point d’art qui puisse faire deviner sans examen. »
8
.
4
DE GERANDO J-M., Le visiteur du pauvre, Paris, Jules RENOUARD (Libraire), 1837 [1e éd. 1820].
5
CASTEL R., Les métamorphoses de la question sociale, Paris, Fayard, 1995, p. 247.
6
DE GERANDO J-M., Le visiteur du pauvre, Paris, Jules RENOUARD (Libraire), 1837, p. PV-VJ.
7
Ibid p. 61.
8
Ibid p. 35.
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b) La visite à domicile : « Aller, voir, converser »
Pour l’auteur, la première étape de la démarche d’investigation est la visite au
domicile du pauvre. La visite du pauvre permet en effet une observation directe des
demandeurs. Elle constitue aussi la ressource sur laquelle il peut s’appuyer pour justifier,
auprès des organismes dispensateurs de secours, l’existence du visiteur du pauvre : « le
concours des soins donnés à la visite des pauvres par des personnes privées, est éminemment
utile à ceux qui sont chargés d’office de la répartition des secours. »
9
. A la faveur de ces
éléments sur l’utilité de la visite des pauvres, le baron de GERANDO amorce les arguments
d’une rhétorique professionnelle qui va articuler une vérité du besoin, une vérité de la science
et la nécessité du monopole
10
. Suivons, ce travail d’argumentation à l’appui de cette citation
11
:
9
DE GERANDO J-M., Le visiteur du pauvre, Paris, Jules RENOUARD (Libraire), 1837, p. 60.
10
PARADEISE C., « Rhétorique professionnelle et expertise », Sociologie du travail, n°1, 1985, pp. 20-21.
11
DE GERANDO J-M., Le visiteur du pauvre, Paris, Jules RENOUARD (Libraire), 1837, p. 63.
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« Si, en effet, ceux qui donnent aux pauvres, prenaient en même
temps la peine de les visiter, les personnes chargées de la
répartition de secours publics, trouveraient auprès de semblables
organes, des renseignements naturellement préparés pour
compléter, rectifier ou suppléer ceux qu’ils sont appelés à
recueillir eux-mêmes. Et, parmi les personnes qui gèrent cette
administration, quelles sont celles qui ont et assez de loisirs pour
tout voir, et assez de confiance en elles-mêmes pour être assurées
d’avoir toujours bien vu ? qui ne devrait pas se féliciter par
conséquent d’obtenir ainsi des auxiliaires ? Qu’au contraire elles
en acceptent l’alliance ! ce sera déjà une précieuse économie de
temps et de fatigue ; chacun de ces auxiliaires s’occupera
probablement de préférence d’infortunés qui habitent dans son
voisinage ; la surveillance sera plus facile, plus immédiate et plus
continue. Mais pénétrons plus avant, et ne craignons pas de dire
toute la vérité, telle que l’expérience journalière nous la
découvre, dans une matière où la vérité est si importante, puisque
ses applications touchent à des intérêts si sacrés. Sans doute, pour
bien voir, il faut des yeux exercés ; mais, quelquefois aussi, des
yeux neufs découvrent ce que n’aperçoivent pas les yeux les plus
exercés. ».
Identification du besoin
Besoin d’assistance et de répartition des secours,
besoin d’informations.
Rhétorique du besoin et
rhétorique du monopole.
Voir, mais pour cela il faut
du temps ! Les auxiliaires
répondent donc à un besoin.
Rhétorique de la science par
reconnaissance de la
nécessité d’un savoir
spécifique : l’observation.
Au delà de la disponibilité,
il faut un savoir pour « bien
voir ».
Pour « bien connaître la situation du pauvre », la visite à domicile et son opérateur, le
visiteur du pauvre, s’imposent donc. Mais, ce visiteur doit également se doter d’un outil pour
apprécier « la nature et l’étendue des besoins » de l’indigent. En effet, « le grand art de la
charité » n’est-il pas, pour le baron de GERANDO, cet art «de mettre les secours en rapport
avec les nécessités du malheur. »?
c) Mesurer le besoin et le manque : l’endéiamêtre du baron de GERANDO
Considérant qu’un « bon système de dispensation de secours » suppose trois
conditions, « que ces secours soient proportionnés dans leur quotité, à l’étendue des besoins ;
qu’ils soient appropriés, dans leurs espèces, à la nature de ces besoins ; enfin que, dans leur
prolongation, ils soient mesurés sur la durée de ces mêmes besoins, et gradués sur leur
variation », le baron de GERANDO établit précisément que « ces trois conditions supposent à
leur tour que la situation des pauvres a été exactement vérifiée, qu’on a constaté l’étendue, la
nature de ses besoins, et les changements qu’ils subissent. ». Il ajoute que « cette vérification
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est l’objet de ce que nous appelons le classement des pauvres ; c’est la base de tout l’édifice
qu’une charité éclairée est appelée à construire. »
12
.
De cette façon, pour le baron de GERANDO, contrairement à l’aumône qui donne
sans voir, la charité éclairée donne avec mesure et méthode. L’examen, l’investigation, et la
vérification permettent de distinguer « la fausse indigence » de « la vraie indigence » et ainsi
de classer les pauvres. Pour mener à bien cette tâche, il propose un ritable instrument à ce
visiteur du pauvre qui voit, du coup, sa présence se légitimer davantage :
« Après s’être assuré de la réalité de l’indigence, il faut donc en déterminer avec soin et
les mesures et les limites. Sans cela, on donne au hasard, et, pendant qu’on apporte un
secours inutile, on refuse peut-être celui qui était indispensable. Les mêmes soins, au
reste, les mêmes recherches, serviront encore dans ce nouvel examen ; ce sera encore au
visiteur du pauvre qu’il appartiendra d’en accomplir le travail : ce sera ici sa seconde
fonction ; mais elle exige, comme on le préssent, qu’il entre dans une investigation encore
bien plus circonstanciée et plus rigoureuse. »
13
.
12
DE GERANDO J-M., Le visiteur du pauvre, Paris, Jules RENOUARD (Libraire), 1837, p. 41-42.
13
Ibid p. 42.
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