Les Etats-Unis vainqueurs militaires de la
Seconde Guerre Mondiale ?
Cette question peut être abordée sous trois angles:
Celui de la contribution militaire aux pertes (critère imparfait certes).
Celui de la chronologie des opérations.
Celui du poids respectif des fronts.
Nous citons Omer Bartov, historien dont la notoriété et la qualité des travaux sont
incontestables.
1- Contribution militaire aux pertes.
Question délicate car s'il existe un certain nombre d'études réalisées depuis 1945 elles
n'utilisent pas la même méthodologie et recourent à des contenus et des critères
différents. En outre, il arrive que les Etats révisent au fil du temps leurs méthodes
d'évaluation de sorte qu'une appréhension globale et unifiée de ces pertes est difficile
à percevoir. Par exemple, les Etats-Unis ont tendance à inclure dans leurs pertes les
hommes morts de maladie et n'ayant pas participé aux combats. A l'inverse, l'Union
soviétique ne comptabilisait pas les blessés dans ses pertes de guerre (18.000.000 de
blessés).
S'agissant du niveau de ces pertes, une évaluation étasunienne donne 400.000 pour
les pertes de l'US Army dont sans doute 230.000 en Europe et Afrique du Nord. Les
pertes de la Wehrmacht ont été revues à la hausse ces dernières années (de
4.000.000 initialement à 5.533.000 aujourd'hui). Les pertes soviétiques ont été
recalculées à trois reprises entre 1945 et 1991. Les tués au combat de l'Armée rouge
représentent près de 5.000 morts par jour, soit des pertes journalières quatre fois
plus élevées que celles subies par l’armée impériale russe sur ce même front de 1914 à
1917.
La commission d'historiens constituée en 1987 en Fédération de Russie évalua le
bilan des pertes à 26,6 millions dont près de 10 millions de tués pour l'Armée rouge,
10 millions pour les pertes civiles directes et 7 millions pour les pertes civiles
indirectes (surmortalité).
Les chiffres donnés pour l'extermination de civils concernent des civils abattus
individuellement ou collectivement par le Reich dans les territoires soviétiques
conquis et occupés en 1941, 1942 et jusqu'en 1943.
Tués de l’Armée rouge. 9.450.000.
dont tués directs. 6.400.000
dont prisonniers de guerre soviétiques exterminés. 2.500.000.
dont morts d’accidents et fusillés par le NKVD. 550.000.
Extermination de civils (Fédération de Russie actuelle). 1.800.000 dont Juifs.
170.000.
Extermination de civils (Ukraine). 3.500.000 dont Juifs. 1.430.000.
Extermination de civils (Russie Blanche - Biélorussie). 2.200.000 dont Juifs.
810.000.
Pertes civiles (siège de Leningrad). 700.000 (autre source 500.000).
Famines, bombardements, maladies, etc... 7.465.000.
Extermination de civils (Lettonie). 670.000 dont Juifs. 220.000.
Extermination de civils (Lituanie). 650.000 dont Juifs. 77.000.
Extermination de civils (Moldavie). 165.000 dont Juifs. 130.000.
Ne sont données ici que les pertes subies en Europe (des pertes britanniques, mais
aussi étasuniennes, françaises et allemandes sont subies à la fois en Europe et en
Afrique).
Les chiffres donnés ci-dessous ont surtout pour intérêt de donner des ordres de
grandeur, forcément approximatifs.
Allemagne. Pertes totales. 8.533.000. Militaires. 5.533.000. Civils. 3.000.000.
Belgique. Pertes totales. 84.500. Militaires. 9.500. Civils. 75.000.
Bulgarie. Pertes totales. ?. Militaires. ?. Civils. 10.000.
Canada. Pertes totales. 39.000. Militaires. 39.000.
Etats-Unis. Pertes totales (Europe). 230.000. Militaires. 230.000.
France. Pertes totales. 610.000. Militaires. 250.000. Civils. 360.000.
Grèce. Pertes totales. 687.000 (partisans et civils).
Hongrie. Pertes totales. 1.050.000. Militaires. 750.000. Civils. 300.000.
Italie. Pertes totales. 400.000. Militaires. 300.000. Civils. 100.000.
Pays-Bas. Pertes totales. 249.500. Militaires. 13.500. Civils. 236.000.
Pologne. Pertes totales. 5.420.000. Militaires 120.000. Civils. 5.300.000 (Juifs
3.000.000).
Roumanie. Pertes totales. 680.000. Militaires. 520.000. Civils. 160.000.
Royaume-Uni. Pertes totales. 388.000. Militaires. 326.000. Civils. 62.000.
Tchécoslovaquie. Pertes totales. 405.000. Civils. 405.000.
Union soviétique. Pertes totales. 26.600.000. Militaires. 9.450.000. Civils.
17.150.000.
Yougoslavie. Pertes totales. 1.000.000. Militaires. 300.000. Civils. 700.000.
Total pertes en Europe:
46.422.000 dont militaires 17.877.000 et civiles 28.545.000.
Total pays Alliés:
35.749.000 dont militaires 10.774.000 et civiles 24.975.000.
Total pays de l'Axe:
10.673.000 dont militaires 7.103.000 et civiles 3.570.000.
Constats:
Le total des pertes militaires et civiles de l'Allemagne et de l'Union soviétique réunies
représentent 75% du total des pertes humaines subies en Europe (87% avec la
Pologne, en quatrième vient la Yougoslavie avec 2,1%).
Si l'on ne considère que les pertes militaires, tous camps confondus, les tués de
l’Armée rouge constituent 53% du total des pertes militaires connues en Europe, ceux
de la Wehrmacht 31% et ceux de l’armée nord-américaine 1,3% (Royaume-Uni 1,8%,
France 1,4%). Le total des pertes militaires seules de l'Allemagne et de l'Union
soviétique réunies représentent donc 84% du total de toutes les pertes militaires
subies en Europe.
Les pertes militaires de l’Union soviétique représentent 88% du total des
pertes alliées en Europe (Royaume-Uni 3% - France 2,3% - Etats-Unis 2,2%).
De 1941 à 1945, 80% des pertes de la Wehrmacht sont subies sur le front
russe.
« Fin mars 1945, la totalité des pertes de l’Ostheer (la Wehrmacht sur le front russe)
s’élevait à 6.172.373 hommes, soit prés du double de ses effectifs initiaux, au 22 juin
1941. Ce chiffre représentait 80% des pertes subies par la Wehrmacht sur tous les
fronts depuis le déclenchement de l’invasion de l’Union soviétique. En termes
relatifs, les unités combattantes sur le front russe avaient subi des pertes encore
plus importantes ». O. Bartov.
Les pertes militaires du conflit germano-russe au sens strict (les seules opérations
militaires impliquant une confrontation entre l'Armée rouge et la Wehrmacht) sont
de 13.876.400soit 78% du total des pertes militaires subies en Europe.
Si l'on rajoute les forces de l'Axe qui combattirent en Russie (Hongrie, Roumanie,
Italie qui eut jusqu'à 200.000 hommes sur ce front) le rapport est encore plus élevé.
2- La chronologie des opérations.
Début 1944, l’Armée rouge met en ligne deux fois plus de chars, quatre fois plus
d’avions d’assaut que le Reich. Engagée dans une guerre totale contre la Russie,
l’industrie de guerre allemande « tourne » pourtant au maximum de ses capacités et
ne cesse de se développer jusqu’au début de 1945 (ses dépenses militaires passent de
35% du PNB en 1940 à 65% en 1944). Dés la fin de 1943, la poussée des armées
soviétiques vers l’Allemagne, parsemée de batailles dont l’ampleur et la férocité sont
sans équivalent à l’Ouest, apparaît irrésistible. Même si en 1943 la Wehrmacht peut
encore aligner 258 divisions en Union soviétique (5 millions d’hommes sur le papier,
en fait probablement moins de 3 millions, soit prés de 80% des effectifs totaux de
l’armée allemande qui compte en tout 320 divisions fin 1943) il s’agit d’une armée
saignée à blanc, qui a perdu ses capacités d’initiative et ses meilleures troupes.
Les armées soviétiques attaquent sans interruption depuis août 1943, sur un front
continu de plus de 2.000 km. La Wehrmacht subi défaite sur défaite. Les Russes ont
adopté les techniques de la guerre-éclair, et font des centaines de milliers de
prisonniers (en mai 1945 on dénombre plus de 3 millions de prisonniers allemands
détenus en URSS). Le 5 août 1943 une salve d’honneur fête la libération d’Orel. Le 5
août 1943 est ainsi le début du temps des « Salves de la Victoire ». Minsk est libérée
en juillet 1943, Smolensk en septembre.
Le 8 avril 1944, alors que les alliés n’en sont qu’aux préparatifs de leur débarquement
en France, une salve de 324 canons marque, à Moscou, l’arrivée de l’Armée rouge en
Roumanie et en Tchécoslovaquie. Fin avril 1944, les Russes sont aux portes de la
Prusse orientale. En juin 1944, avec 124 divisions et prés de 6.000 chars d’assaut, ils
infligent sur un front de 600 km une défaite totale aux divisions allemandes qui
combattent en Biélorussie.
L'« opération Bagration » aboutit à la destruction complète du groupe d'armées
Centre, et constitue la plus grande défaite de la Wehrmacht de la Seconde Guerre
Mondiale (380.000 tués et 150.000 prisonniers, 25 divisions anéanties). En juillet
1944, les fantassins soviétiques sont sur la frontière polonaise. Le 28 août ils
pénètrent en Hongrie (conquise fin décembre après de très durs combats), en
septembre les pays baltes sont libérés, les divisions russes entrent en Finlande. En
octobre, les Russes sont en Yougoslavie. Pour la seule année 1944, les armées russes
anéantissent 136 divisions allemandes et 50 des pays satellites.
La Russie lance l’offensive finale sur l’Allemagne en plein hiver, sur un front
s’étendant de la Baltique à l’Adriatique, avec 6,7 millions de combattants, prés de
8.000 chasseurs et bombardiers, 5.000 pièces d’artillerie autotractées, 7.000 chars
contre 3.500, 50.000 canons. Varsovie est libérée le 17 janvier 1945. Le 19 janvier
1945, les premières unités pénètrent en Allemagne.
Les chef militaires soviétiques ont la possibilité de foncer sur Berlin dés février (le
30 janvier 1945 les armées de Joukov sont sur l’Oder, à 70 km de la Chancellerie du
Reich) mais ils préfèrent d’abord liquider le corps d’armées de la Wehrmacht en
Prusse-Orientale puis le réduit de Poméranie, qui menacent leur flanc nord, et
nettoyer le flanc sud (Europe centrale). 60 divisions allemandes ont été anéanties lors
de ce premier assaut.
Pour ralentir la poussée furieuse des Russes, le commandement allemand transfère
encore 29 divisions du front ouest vers l’Est, dégarnissant encore un front ouest qui,
pourtant, mobilisait déjà moins de 25% des forces du Reich depuis juin 1944.
Le 13 janvier 1945, l’Armée rouge se lance à l’attaque de la Prusse Orientale avec 1,6
million de soldats. La Wehrmacht attend l’assaut avec 45 divisions, soit 580.000
soldats. Au terme de combats d’une incroyable férocité les poches de résistance de
l’armée allemande sont liquidées les unes après les autres. Le désastre est total pour
l’armée allemande. Il ne reste pratiquement plus rien de son corps d’armées de
Prusse-Orientale après seulement trois mois d’offensive russe. Toute l’Allemagne
s’ouvre alors à l’Armée rouge.
Les Nord-Américains ne parviennent à traverser le Rhin que le 7 mars 1945 (le 31
mars pour la 1ère Armée française). Le 13 avril 1945 les Russes ont déjà conquis
Vienne. Le 16 avril, la Stavka lance à l’assaut de Berlin (3,3 millions d’habitants) une
armée de 2,3 millions de combattants équipée de 41.600 canon, épaulés de 6.200
chars et canons autopropulsés, 7.200 avions (quatre armées aériennes).
La préparation d’artillerie sur les hauteurs de Seelow, à 60 km de Berlin, est
terrifiante (prés de 9.000 pièces d’artillerie). Le 9 mai, l’Allemagne, représentée par
Keitel, signe à Berlin (Karlshorst), devant son vainqueur représenté par Joukov, sa
capitulation sans conditions.
3- L'importance respective des fronts.
« C’est en Union soviétique que la Wehrmacht eut les reins brisés, bien avant le
débarquement des Alliés en France; même après juin 1944, c’est à l’Est que les
Allemands continuèrent à engager et à perdre la majorité de leurs hommes. Pour
l’écrasante majorité des soldats allemands, l’expérience de la guerre fut celle du
front russe ». O. Bartov.
De juin 1941 à juin 1944, le front de la Seconde Guerre Mondiale, en Europe, est le
front russo-allemand. Du déclenchement de l’opération « Barbarossa » aux dernières
étapes de la guerre, en mars 1945, la Wehrmacht consacre l’essentiel de ses
ressources en hommes et en matériels au front de l’Est.
34 millions de Soviétiques sont mobilisés dans les rangs de l’Armée rouge de 1941 à
1945, tandis que quelques 20 millions d’Allemands portent, à un moment ou à un
autre, l’uniforme de la Wehrmacht sur le front russe.
L’ampleur de l’engagement allemand fut gigantesque de sorte que c’est toute la
société allemande qui fut impliquée dans l’expérience de la guerre contre la Russie,
tant pendant la guerre qu’après. « La guerre sur le front de l’Est fut conçue comme
une lutte à mort, exigeant un engagement mental sans limites, une obéissance
absolue, la destruction totale de l’ennemi. A ce titre, la guerre contre la Russie
constitue non seulement le sommet du régime nazi, mais aussi l’élément essentiel de
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