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Laënnec Hurbon
Directeur de recherche au CNRS
lhurbon@yahoo.com
Port-au-Prince, 7-10-11
Rapport de thèse
Obrillant DAMUS : Solidarité et cancer. Etude menée auprès des patients atteints du cancer de la
prostate, et des soignants.
Pour le grade de docteur de l’Université Paris VIII
(Disciplines : Sociologie et anthropologie)
La thèse de Monsieur Obrillant Damus porte sur un sujet d’une particulière délicatesse : sur les réactions
de tous ceux qui s’approchent autour des malades du cancer de la prostate. Ces réactions sont étudiées
sur la base des pratiques de solidarité conçues comme ce qui peut créer du lien social et donc comme
ce qui contribue à produire la société. La délicatesse du sujet que reconnait lui-même l’auteur de la
thèse provient de la proximité de la mort à laquelle conduit le cancer de la prostate et qui donc met
tout chercheur au contact du vécu de la maladie. Un vécu qui donne à penser ce qu’il appelle « la
vulnérabilité humaine ». L’approche évitera pour cela les chemins du positivisme et sera résolument
compréhensive dans la mesure la subjectivité du chercheur dans ses enquêtes sera mise à lépreuve
dans la rencontre avec les malades. Mais pour mener à bien cette recherche, Obrillant Damus s’oriente
vers le terrain d’Haïti les systèmes de solidarité sont d’autant plus développés que l’Etat apparait
extrêmement faible sinon absent face aux détresses des malades du cancer de la prostate.
La recherche consacre un long chapitre d’une centaine de pages sur le cadre théorique et
méthodologique. Tout d’abord, Damus reconnait sa dette envers les travaux de Dan Ferrand-Bechman
sur la sociologie du bénévolat qui l’a conduit à faire de la solidarité le concept central de la thèse. Les
travaux les plus importants relevant de la sociologie, de l’anthropologie et de la psychologie sur les
pratiques de solidarité sont systématiquement étudiés en vue de montrer la pertinence du sujet de la
thèse dans le champ des sciences sociales. C’est pratiquement un nouveau pan de recherche qui est mis
en relief et qui n’a pas été jusqu’ici suffisamment pris en compte. Les travaux concernant la sociologie
de la santé, les représentations de la maladie du cancer de la prostate (différents modèles étiologiques
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et thérapeutiques), sont repris ici de manière exhaustive en fonction de leurs apports à la consolidation
de l’hypothèse propre d’Obrillant Damus, à savoir que la maladie du cancer nous met en proximité avec
la mort, et de ce lieu de la vulnérabilité humaine émerge du lien social grâce aux solidarités suscitées
par la maladie. La thèse éclaire ainsi d’un jour nouveau le concept du don, « fait social total » selon
Mauss et qui est revenu comme « une énigme » (au sens de Godelier) au centre des recherches en
anthropologie et sociologie. Les solidarités manifestées autour des malades de la prostate viendront
démontrer ici le caractère universel de la loi du don symbolisé dans ce travail par le fameux tableau
(p.13) du peintre Raphael « Les trois grâces » (donner- recevoir- rendre).
Apres s’être penché sur les travaux médicaux pour découvrir les données épidémiologiques sur le cancer
de la prostate et sur les divers facteurs de risques, la thèse développe au niveau méthodologique les
raisons qui justifient le choix d’Haïti comme terrain pour les enquêtes et la mise à l’épreuve de
l’hypothèse avancée. Si la faiblesse de l’Etat-providence induit le recours à la famille comme famille-
providence, celle-ci sera particulièrement le lieu le plus fort de déploiement de systèmes informels de
solidarité. De surcroit, létude conduite à l’hôpital de l’Université d’Etat d’Haïti (sur 60 patients atteints
du cancer de la prostate et sur 3 médecins soignants) et à l’Institut haïtien d’Oncologie à Port-au-Prince
donne à penser que le séisme survenu le 12 janvier 2010 entraine une aggravation de la situation des
malades et en même temps une montée en puissance des solidarités informelles face à la destruction de
la maison familiale et à la disparition de membres de la famille ou des proches.
Sur sept chapitres, Obraillant Damus décline et analyse les divers types de solidarité autour des malades
du cancer de la prostate que révèlent ses enquêtes : solidarités familiales, amicales, de voisinage,
d’église, médicales, tradimédicales et entre les malades eux-mêmes. Les solidarités familiales sont les
plus solides et les plus profondes comme le montre le diagramme de la p.284, elles sont appuyées par
les solidarités amicales quand elles protègent contre les discriminations et les préjugés, de même par
celles de l’Eglise comme prolongement de la famille ou comme substitut à la famille ; les tradimédicales
de leur coté se mettent en mouvement souvent sur la base de la sollicitude des membres de la famille,
car en Haïti la carence des soins médicaux modernes est compensée par le recours aux « médecins-
feuilles », fins connaisseurs des plantes médicinales et dont le rôle est inscrit dans la culture très riche
qu’est le vodou.
La dernière partie de la thèse porte logiquement sur les attitudes des malades du cancer de la prostate
d’abord face au diagnostic lui-même et ensuite sur les représentations de la maladie. Le diagnostic
apparait pour le malade comme un événement, un basculement, une catastrophe même qui conduit à
s’interroger sur la mort et le sens de la vie. Il suscite de la dénégation et en même temps toutes sortes
de fantasmes qui mettent en cause et en crise l’identité du malade. D’autant plus que ce type de cancer
a des incidences immédiates sur la vie sexuelle eu égard aux traitements qui peuvent entrainer tantôt
de l’incontinence, tantôt de l’impuissance. Le malade est alors porté à imaginer les causes les plus
irrationnelles à la maladie. Obrillant Damus examine cette problématique de la vulnérabilité humaine
ressentie par l’individu en nous conduisant à une relecture des analyses fines de Jankélévitch sur le
rapport à la mort. A ce niveau de sa recherche, on pourrait croire que la thèse s’affaisse dans un
pessimisme. Bien au contraire, c’est la vulnerabilite elle-même qui ouvre la voie à la solidarité et à une
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véritable pratique anti-utilitariste, en quoi l’humain se retrouve et peut émerger et s’épanouir.
L’épreuve de la proximité de la mort (sous les espèces de la mort des autres, des siens ou des proches et
sur le pressentiment de sa propre disparition) nous donne de nous penser et de nous reconnaitre
semblables à tous les autres humains, mais cette solidarité porte en elle une autre vertu insoupçonnée :
celle de sortir le malade de l’invisibilité, et de rendre public ce qui restait dans l’alcôve du privé. Une
telle approche confine à une sociologie politique, Obrillant Damus choisit plutôt de soutenir qu’il
contribue à ce qu’il appelle une proximologie. Une telle recherche comporte obligatoirement d’après
Damus des enjeux pratiques importants pour la politique de prévention et d’éducation contre le cancer
de la prostate.
Je pensais spontanément que ce travail devait entreprendre des comparaisons non seulement avec les
représentations d’autres maladies, mais aussi avec le vécu du cancer de la prostate dans d’autres iles du
Caraïbe. Au bout de la lecture de cette thèse, je me rends compte qu’on est bien en présence d’une
recherche qui disposait en elle-même tous les éléments qui lui permettent d’aboutir, car elle s’est
déployée avec rigueur et avec une implacable logique autour de son hypothèse centrale sur la solidarité
grâce à une analyse fine des témoignages nombreux fondée sur une connaissance de la sémiotique, et
sur une grande maitrise des instruments théoriques et méthodologiques de la sociologie. Plusieurs
disciplines dont l’anthropologie, la psychologie et la philosophie ont été également convoquées pour
cerner les pratiques de solidarité avec les malades du cancer de la prostate. Toutes ces qualités me
convainquent que cette thèse mérite d’être soutenue et constitue un enrichissement de la loi du don
qui soulève encore tant d’interrogations dans les sciences sociales en quête de ce qui fonde le lien
social.
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