Préface de la première édition 1980
En 1980, après avoir travaillé une dizaine d’années dans une paroisse rurale au Burkina
Faso, je fus appelé à enseigner la philosophie à des jeunes étudiants africains au séminaire
des Missionnaires d’Afrique à Bukavu (R.D. Congo).
Dans ma paroisse au Burkina Faso, le christianisme était solidement implanté, mais la
pensée et la vie traditionnelle y restaient encore bien vivantes. En étudiant la langue locale,
les proverbes et les traditions orales de ce peuple, je devenais de plus en plus convaincu que
cette vie traditionnelle était basée sur une authentique sagesse, non pas théoriquement
articulée, certes, mais cohérente et pleine d’intuitions fondamentales.
Or, en arrivant au séminaire, je me trouvais devant des jeunes Africains que la
scolarisation avait coupés de leurs traditions qu’ils ignoraient et souvent même méprisaient,
tout en étant les héritiers inconscients, et en demeurant socialement, existentiellement et
psychologiquement dépendants de ces mêmes traditions.
Comment introduire ces étudiants à la philosophie d’une manière à leur permettre
d’intégrer la sagesse traditionnelle de leur peuple, tout en les encourageant à découvrir une
sagesse humaine plus large et universelle? Voilà le défi qui se posait à moi: non pas présenter
une introduction à la Philosophie à des Africains, mais introduire des Africains à la
philosophie.
Ce cours est né de l’effort d’interpréter le langage de l’Afrique traditionnelle en termes de
la philosophie occidentale et de voir si cette dernière ne pourrait pas avoir non seulement des
corrélations mais même des racines discernables dans la première.
Préface de la nouvelle édition (2015)
La version originale de ce travail a été écrite en Afrique, il y a presque un demi-siècle dans le
contexte du débat colonial et postcolonial au sujet de la culture africaine et de l'existence
éventuelle « d'une philosophie africaine ».
A cet égard, ce travail n'est plus d’actualité et dépassé: la génération des vieux sages,
soutiens de la tradition africaine, a totalement disparu et leurs petits-enfants et arrière-petits-
enfants sont sur l'internet !
Mais dans ces 50 ans, le monde de mes origines a changé totalement et est devenu
méconnaissable. Une révolution culturelle, sociale et religieuse énorme a effacé le monde de
ma jeunesse et un nouveau monde s’est créé qu’on appelle parfois le « monde postmoderne ».
J’y trouve beaucoup d’éléments positifs et ne déplore pas du tout une « époque d’or » qui n'a
peut-être jamais existé.
Mais je suis bien été touché par l'absence d'un sol fixe, de sécurités fondamentales. Tout
paraît déstabilisé, tout paraît possible, et tout est remis en question : Dieu, le monde, la
sexualité et la vie elle-même. Le professeur De Dijn parle de «valeurs liquides ». Il se
demande aussi s’il y a a une alternative à cette tendance, s’il y a encore un avenir pour les
sécurités dans cette vie.
Je dirais personnellement que j’en vois bien : dans nos enfants ! Quand j’explique à un enfant
que l'univers a surgi d'un atome infiniment dense qui a explosé, alors, à la fin de mon récit,
cet enfant me pose la question ingénue : « Et d’où venait cet atome? » Notre avenir se trouve
dans la redécouverte de la conscience enfantine, « naïve » que j'appelle aussi volontiers « le
bon sens ». Jésus dit d'ailleurs que nous devons être comme des enfants.