
Rarement, d’abord parce que certaines scènes ne le nécessitent pas. Par exemple une scène avec champ contre-champ entre deux
personnages dans un décor " simple ", ne nécessite pas d’être
storyboardée. On intervient surtout lorsqu’il y a des effets spéciaux, des
cascades, des scènes lourdes avec beaucoup de figuration, des scènes
qui se situent dans des lieux géographiques compliqués qu’il faut
visualiser précisément.
Sept ans au Tibet est le seul film que j’ai entièrement storyboardé. Pour
des raisons diplomatiques le tournage avait été interdit en Inde et se
faisait essentiellement en Argentine. Une deuxième équipe, dirigée par
Valli qui préparait Himalaya, était présente au Népal et devait filmer des
plans où les personnages principaux n’étaient pas reconnaissables.
Pour que ces plans soient raccords avec ce qui était tourné à quelques
milliers de kilomètres, ils avaient besoin d’une trace concrète, en
l’occurrence le storyboard.
Personnellement êtes-vous attaché à un style cinématographique,
à des metteurs en scène ?
Les films qui nécessitent des storyboards, sont des films à effets,
rarement des films d’auteur, intimistes. Il est vrai que les films qui peuvent m’émouvoir ne sont pas toujours ceux qui ont besoin de
mon travail. L’intérêt de mon travail réside beaucoup dans les rencontres et celles-ci peuvent être enrichissantes sur des films que je
n’irai a priori pas voir en salle.
Une des plus belles rencontres que j’ai pu faire a été celle avec Diane Kurys. Après une première rencontre pour un projet qui n’a
finalement pas abouti, elle m’a à nouveau contacté pour Les Enfants du siècle. Elle était face à une scène qui lui posait problème,
qu’elle ne savait pas comment envisager, les visions de Musset sous opium. Petit à petit je me suis investi dans ce projet auquel j’étais
très sensible. Nous avons parcouru Paris ensemble. Je lui ai montré des quartiers qu’elle ne connaissait pas et qui pouvaient convenir
au film. De fil en aiguille, je me suis vu proposer, alors que la production n’était même pas commencée, de mettre en forme ses
inspirations. J’ai élaboré un petit cahier reprenant les scènes clefs du film avec les différentes inspirations picturales qui pouvaient
aider à une meilleure compréhension de ce qu’elle avait en tête. Par ailleurs, parce que je travaille pour la maison de couture Lacroix,
j’ai proposé à Diane de travailler avec celui-ci. Elle lui a transmis un scénario, il a accepté de collaborer avec nous. Les liens se sont
tissés ainsi au fur et à mesure et je suis devenu une sorte de directeur artistique. J’ai fait tous les repérages avec Diane, ai participé au
tournage. Ça a été une vraie collaboration, une expérience très particulière, rare et très riche. J’ai fait des recherches, me suis
immergé dans des documentations, c’était fascinant.
Le storyboard a un côté bande dessinée. Est-ce quelque chose qui vous a attiré ?
Non. Le côté laborieux, dessiner avec une vraie régularité, ne m’a jamais attiré. Je n’avais pas la
patience. J’étais plus attiré par la recherche graphique que pouvait avoir à l’époque Loustal. Je
n’avais pas non plus l’envie de raconter des histoires, de scénariser les choses. Peut-être aurait-il
fallu une rencontre particulière qui n’a pas eu lieu. Aujourd’hui je travaille beaucoup sur les costumes,
j’ai par exemple travaillé pendant deux mois avec Catherine Leterrier sur les croquis de costumes de
Jeanne d’Arc. Sur Vatel, j’ai travaillé avec l’équipe décoration sur l’élaboration des plats etc.
Vous ne vous cantonnez donc pas qu’aux storyboards ?
On ne peut pas vivre avec cette seule activité. C’est un métier qui attire beaucoup de monde, or il n’y
a pas assez de films qui nécessitent d’être dessinés en amont et la production cinématographique
française actuelle ne va pas très bien. C’est souvent un poste que des producteurs préfèrent éviter
pour de simples raisons d’économie.
Adaptez-vous votre style aux différents projets dont vous êtes en charge ?
Le style du storyboard est en général assez enlevé, je ne rentre pas dans un univers de détails. Ce
sont des croquis, mais selon le sujet, je ne traite pas de la même manière. Il peut y avoir des
intentions très précises, de lumière par exemple. Dans un film historique, il y a un imaginaire très
précis, des costumes, une idée de l’époque qui rentre en jeu. Mes dessins du Pianiste ne sont pas les
mêmes que pour Mauvais esprit où il fallait être par exemple très précis sur les expressions du bébé. Le Pianiste était plus travaillé,
plus angoissant à cause du scénario. Evidemment lorsqu’on traite d’un projet pareil on est impliqué dans l’histoire. Il a fallu que je
dessine quelques scènes lourdes d’émotion, par exemple celle où les nazis viennent chercher une famille juive et jettent le grand-père
en fauteuil roulant par la fenêtre. Tout cela influe sur mon style. On ne peut pas dessiner de façon légère ce genre de film.
Pour un projet comme celui de Les ailes du courage, premier film de fiction pour un écran en imax, c’est à dire un écran haut de 7
mètres, il fallait envisager l’image de façon très inhabituelle. On ne peut pas envisager un gros plan de la même façon qu’en 35mm. Un
détail en plan très serré est impossible, il faut absolument de l’air sur les côtés. Il a fallu donc penser le film d’une toute autre façon et
le storyboard a permis de mieux visualiser tout cela, d’autant plus que le film était en trois dimensions.