
Alors j'ai quitté le quai, sans avoir pu lire toutes les destinations, ni les changements de
voitures sur le panneau d'affichage. J'ai sauté dans le train de l'Evangile : J'avais tellement soif
d'en apprendre davantage à propos de Jésus, l'Esprit-Saint, la Bible, le diable, la foi,
l'espérance, l'amour…"Jésus et la Samaritaine", avec ses paroles comme des puits qui ne
fuient pas, c'était drôlement ma tasse de thé!
Dans chaque compartiment où l'on m'accueillait, et aussi dans les couloirs où l'on se rencontre
de compartiments divers, je buvais tout mon saoul de paroles de vie, et ma spiritualité
croissait comme une plante "buveuse". Je crois que c'est le couloir le long des compartiments
que j'ai toujours préféré. L'air y circule mieux.
Dans une première escale à l'université de Genève, j'ai reçu une licence en "psychopathologie
du langage et logopédie". Cela m'intéressait, mais j'avais l'impression dérangeante de ne pas
encore être arrivé à destination.
Et un texte que j'avais lu au livre de la Genèse me donnait des fourmis dans les jambes :" Pars
de ta famille, de ta maison, et va dans le pays que je te montrerai". J'avais beau me dire que
Dieu parlait à Abraham il y a pas loin de quatre mille ans, je me sentais interpellé.
J'ai fait plus ou moins le tour du monde, avec des engagements à court terme que proposait un
mouvement missionnaire(Jeunesse en mission), j'ai été admis dans une "école de disciples", et
une école qui joignait l'Evangile et la communication artistique. J'ai arpenté le couloir le long
de biens des compartiments culturels, dénominationnels, rencontré pas mal de personnes, et
accumulé pas mal de questions : Comment réconcilier le Dieu d'amour, qui va jusqu'à sauter
du train pour récupérer tous les paumés dans mon genre, et le Dieu de justice, terrible "comme
un feu dévorant", qui se laisse même placarder –devrais-je dire crucifier- sur des étendards
tachés de sang? Comment le "désécarteler", et récupérer ses morceaux et reliques
jalousement conservés dans de multiples compartiments, dont les occupants "ont tout mieux
compris que les autres"? Et surtout comment laisser le texte Biblique devenir Parole qui vient
habiter nos vies, et les transforme en partitions à déchiffrer dans la lumière?
En 1983, alors que je revenais de ce long périple par dessus de multiples frontières, et que je
m'interrogeais avec angoisse sur la suite à donner…mes yeux s'attachèrent à un passage d'une
lettre de Paul(I Corinthiens 9, 14), selon lequel ceux qui prêchent l'Evangile doivent vivre de
l'Evangile.
Un peu présomptueux ? Je ne sais…l'éventualité d'entrer en faculté de théologie m'avait déjà
effleuré auparavant. Cette fois, j'avais l'impression de recevoir un feu vert. Et je me présentai
à la porte de ce haut lieu du protestantisme, avec ma tête pas très catholique, et mon bagage
pas très orthodoxe. J'ai laissé s'enfoncer doucement mes racines dans ce "terreau de mes
ancêtres protestants", et je suis sûr que l'amitié et la patience de plusieurs camarades de fac, et
des professeurs m'ont aidé grandement à défricher le chemin jusqu'à la décision d'être pasteur.
Parallèlement à cela, Dieu, dont l'humour n'est jamais en reste, a emmêlé mes racines avec
celles d'une fille de pasteur, et fait pousser trois magnifiques plants qui ont la langue bien
déliée pour m'exercer à garder l'équilibre entre ma famille et mon occupation professionnelle.
La vocation mise en pratique passe aussi par cela.
Je me sens toujours assez emprunté avec les grandes cérémonies, les dogmes trop ficelés, les
plans de carrière tracés jusqu'à la virgule près, les agendas, les robes pastorales, la perception
quantitative de mon travail, mais je les" habite" volontiers : Dieu a patiemment transformé ma
timidité en une passion pour la rencontre, faisant de chaque personne un continent à
découvrir, et de l'amitié mon pays.