Formation et évolution des chaînes de montagne associées au cycle

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Formation et évolution des chaînes de montagne associées au cycle alpin
Préparation à l’Agrégation, Université d’Orsay.
Correction de l’écrit –proposée par M. Rodriguez
[email protected]
Introduction
C’est avec la publication en 1779 du « voyage dans les Alpes » d’Horace Bénédicte de Saussure, qui
consigne les premières observations de structures compressives (plis), qu’apparaît la question de la
formation des chaînes de montagnes. Ces travaux marquent la naissance de la géologie structurale, qui
n’aura cesse de se développer au cours du XIX°siècle, avec l’étude toujours plus aboutie des Alpes
européennes. Les travaux les plus remarquables sont ceux de Marcel Bertrand, qui mit en évidence le
processus de nappes de charriage à partir de l’exemple de la nappe de Digne, et démontra que les
roches au sein de la nappe ont été déplacées sur plusieurs dizaines voire centaines de kilomètres sur
une faille inverse à pendage sub-horizontal. Ce mode de déformation résulte d’un raccourcissement
bien plus prononcé que les plis observés par De Saussure.
Observations du métamorphisme dans les chaînes de montagne dès le XIX°siècle (travaux de Gressly,
puis Eskola), et mise en évidence des mouvements verticaux des roches, accompagnés de changement
de pression et de température. [Métamorphisme : ensemble des transformations chimiques,
minéralogiques et structurales que subit une roche lorsqu’elle est soumise à des conditions de
pression et de température différentes de celles ayant gouverné sa formation. Ces transformations ont
lieu à l’état solide.]
En parallèle des travaux de géologie de terrain, l’étude du champ gravimétrique révèle une
caractéristique fondamentale des chaînes de montagnes : la présence d’anomalies de Bouguer
négatives (-130 mGal pour les Alpes européennes, -500 mGal pour l’Himalaya). Les anomalies de
Bouguer sont obtenues après corrections de la valeur mesurée de l’intensité du champ gravimétrique
(correction de plateau, correction à l’air libre, correction de la valeur théorique du champ de gravité).
Ces corrections permettent d’isoler la part du signal gravimétrique due aux hétérogénéités de
distribution des masses dans la première centaine de kilomètre de la Terre. L’interprétation des
anomalies de Bouguer négatives résista longtemps aux géophysiciens : comment expliquer que les
montagnes sont des zones de déficit de masse alors que leur topographie suggère au contraire une
accumulation de matière ? Airy apporta les premiers éléments de réponse : la topographie est
compensée en profondeur par une racine crustale, à la manière d’un Iceberg dont la partie émergée est
compensée par une partie immergée. Dans le cas des chaînes de montagne, la racine crustale de
densité ~2.7 prend place au sein du manteau lithosphérique, de densité ~3.3. Par rapport à un modèle
de Terre à enveloppes concentriques et à distribution de masse homogène, la présence d’une racine
crustale induit un déficit de masse à l’origine des anomalies de Bouguer négatives. Ceci démontre que
les chaînes de montagnes sont des zones d’épaississement crustal, résultant de l’empilement des
nappes de charriage mises en évidence par les géologues de terrain. La surcharge exercée par la
topographie induit la flexure de la lithosphère (Vening-Meinesz), à l’origine de bassins flexuraux qui
bordent les montagnes (exemples des bassins molassiques Suisse et Padan pour les Alpes francoitaliennes).
Fig. 1 : profil d'anomalies de Bouguer à travers les Alpes
Dès le début du XX° siècle, l’essentiel des éléments permettant la définition d’une chaîne de montagne
sont donc bien établis : une chaîne de montagne est une zone de topographie positive, compensée en
profondeur par une racine crustale, résultant d’un épaississement de la croûte continentale sous l’effet
de déformations compressives (plis) et de l’empilement d’écailles ou de nappes de charriage par des
failles inverses. Une chaîne de montagne se caractérise par du métamorphisme indiquant
l’enfouissement en profondeur puis l’exhumation de roches vers la surface.
Pourtant, les scientifiques du XIX° siècle et de la première moitié du XX° peinent à intégrer
l’ensemble de ces informations dans un modèle synthétique de formation et d’évolution des chaînes de
montagne. Dans les années 1820, Elie de Beaumont proposait que les chaînes de montagnes dérivent
de la contraction thermique de l’écorce terrestre, qui serait responsable de plis à grande longueur
d’onde déformant la surface de la Terre. Plis, failles inverses, nappes de charriage, métamorphisme
sont dans ce cadre la conséquence de glissement gravitaire sur les flancs des reliefs crées par
l’intumescence thermique de l’écorce. Ces conceptions évoluèrent vers le modèle des
« géosynclinaux », qui perdura jusqu’aux années 1960. Dans ce modèle, aucun mouvement de plaques
lithosphériques n’est nécessaire : le matériel est accumulé par glissement gravitaire dans les creux
formés lors de la contraction thermique de l’écorce terrestre-ce qui permet d’expliquer la déformation
des roches, les nappes de charriage et leur empilement par « nappes de glissement » successives. Le
métamorphisme s’explique par le fait que les premières nappes déposées dans les creux sont soumises
à des pressions et des températures sans cesse plus élevées au fur et à mesure qu’elles se retrouvent
enfouies sous les nappes plus jeunes. Enfin, le modèle isostatique d’Airy sert à expliquer le
soulèvement topographique des chaînes de montagnes au cours de leur histoire : l’excès de matériel
apporté par glissement gravitaire induit un excès de masse qui doit être compensé par la formation
d’une racine crustale et d’une topographie. Ce modèle s’inscrit dans la lignée du catastrophisme,
vision selon laquelle le visage de la Terre serait modelé par des évènements exceptionnels,
discontinus, agissant ponctuellement au cours des temps géologiques. Le modèle des
«géosynclinaux », qui apparaît bien abscons aujourd’hui face à celui de la dérive des continents, fut
pourtant le principal obstacle à son acceptation lorsqu’il fut formulé par Wegener dans les années
1910. En dépit de la validité des arguments proposés –complémentarité de la forme des continents de
part et d’autres des océans, identité paléontologique des strates sédimentaires sur les continents avant
leur déchirure, cohérence géographique des dépôts glaciaires Paléozoïques et des cratons lorsque les
continents sont regroupés- Wegener ne sut proposer de moteur physique efficace à sa théorie, et se
trompa dans le calcul de la vitesse d’ouverture des océans (qu’il estimait à plusieurs mètres par an)…
moteur physique qui, bien que totalement erroné, était présent dans la théorie des géosynclinaux et en
accord avec les principaux consensus scientifiques de l’époque.
La théorie de Wegener, réduite à une simple rêverie par ses opposants, séduisit toutefois un géologue
suisse, Emile Argand, qui consacra sa carrière à éclairer les processus de formation de chaînes de
montagne à la lumière de la théorie de la dérive des continents. Emile Argand réalisa entre autres la
première carte structurale de l’Asie, ainsi que des coupes des principales chaînes de montagnes
s’étendant de l’Europe à l’Himalaya. Les travaux d’Emile Argand, accomplis dans les années 1920-30
étonnent par leur caractère visionnaire : les ceintures d’ophiolites -vestiges de lithosphère océanique
fossile reposant sur les continents- sont incluses dans les orogènes et décrites comme les vestiges
d’océans, tandis que certaines coupes impliquent déjà l’existence de subduction continentale ! Les
hypothèses de la subduction continentale et de l’obduction sont alors provocantes dans le cadre des
principes de l’isostasie : comment un corps continental peut-il plonger dans/sous un corps qui est plus
dense que lui? Au-delà de ces considérations, les travaux d’Emile Argand apportent un élément décisif
à la définition d’une chaîne de montagne : il s’agit de structures résultant de processus de convergence
(rapprochement) entre deux plaques.
Dans la lignée des travaux d’Emile Argand, nous allons ici étudier les chaînes de montagne formées
au cours du Cénozoïque depuis les Pyrénées jusqu’à la Nouvelle-Calédonie, à la lumière de la théorie
de la tectonique des plaques formulée à la fin des années 1960 (LePichon, McKenzie, Morgan). Ces
chaînes de montagne ont été formées à la faveur de la subduction d’un océan qui ne persiste qu’en de
rares endroits (en Méditerranée orientale sous le système turbiditique du Nil, voire au large du Makran
Pakistanais selon certains auteurs). Il s’agit de l’Océan Néotéthysien et de ses annexes, en particulier
l’Océan Liguro-Piémontais (ou alpin) dont la subduction est à l’origine des Alpes Occidentales. Les
Alpes centrales et orientales résultent de la subduction de l’Océan Méliata au Crétacé moyensupérieur, océan distinct de la Néotéthys. Cet océan Liguro-Piémontais n’est pas à proprement parler
relié à la Néotéthys : il s’agit plutôt d’une branche de l’Océan Atlantique connectée à ce dernier par le
système décrochant de la faille Nord-Pyrénéenne entre l’Ibérie et l’Europe. Les ophiolites du
Chenaillet en sont le vestige. Les traces de l’Océan Néotéthysien sont surtout préservées sous la forme
de lambeaux d’ophiolites : les plus spectaculaires sont celles du Nord du Sultanat d’Oman, dîtes
« ophiolites du Semail », datées autour de 90 Ma par radiochronologie, et obduites autour de 80 Ma.
Le même océan est retrouvé dans les corps ophiolitiques iraniens, au sein du Zagros (ophiolites de
Neiriz et Kermanshah), et au niveau de la suture de Bitlis en Turquie. Des lambeaux témoignant de
lithosphères océaniques plus anciennes, mais mis en place au cours du même évènement d’obduction,
sont retrouvées au niveau de la suture de l’Indus-Tsangpo en Himalaya, avec notamment les corps de
Xigaze, Spontang, Nidar, dont les âges sont compris entre 120 et 170 Ma (l’Himalaya comprend
d’autres sutures ophiolitiques, issues de la fermeture de la Paléotéthys au début du Mésozoïque, qui
ne seront pas abordées dans cette dissertation). La Néotéthys était un océan formé lors de
l’éclatement de la Pangée, séparant le Gondwana au sud de la Laurasia au Nord. Le rifting à l’origine
de la Néotéthys débute au Permien, peu après la formation des trapps du Panjal en Inde.
Le cycle alpin est donc un cycle de Wilson débuté par l’ouverture d’un océan à la fin du PermienTrias, et sa disparition dès le Crétacé supérieur. Les orogènes associés au cycle alpin sont issus des
mouvements de convergence entre l’Eurasie et les plaques issues de la fragmentation du Gondwana
(Afrique, Arabie, Inde, Australie pour les principales). Les chaînes de montagne associées au cycle
alpin sont de nature diverses : chaîne de subduction (Makran), chaîne d’obduction (Oman), chaîne sur
systèmes décrochants (Pyrénées, Altyn Tagh) et chaînes de collision (Alpes, Zagros, Himalaya). Ces
orogènes sont à différents stades de leur évolution : la collision continentale n’a pas encore eu lieu au
niveau du Makran, alors qu’elle prit place autour de 50 Ma pour l’Himalaya ; et que la Mer Egée est
formée par l’étalement gravitaire d’une chaîne alpine structurée à l’Eocène. L’étude de ces différents
orogènes permet de mettre en évidence la structure de chaînes de montagne ayant subi différentes
réorganisations structurales, contrôlées par des rhéologies de la lithosphère continentale différentes.
La comparaison entre ces chaînes de montagnes permet aussi de mettre en évidence les modalités de
leur évolution en fonction des caractéristiques des processus de convergence impliqués et le degré de
couplage mécanique entre les plaques en collision.
D’autre part, le Cénozoïque a été une période de bouleversement climatique, marquant la transition
d’un climat de type « Greenhouse » au Mésozoïque, vers un climat de type « Icehouse », aboutissant à
la période glaciaire du Quaternaire. Cette période de transition climatique a été marquée par
l’apparition de calottes glaciaires aux deux pôles (au sud d’abord à l’Oligocène ; puis au nord à la fin
du Pliocène), et par l’apparition des régimes de mousson (entre 15 et 20 Ma). Le Tertiaire se
caractérise par la mise en place d’interactions complexes entre tectonique et climat : les variations
climatiques contrôlent les régimes de précipitation, et donc l’érosion des chaînes de montagne, ainsi
que la croissance des reliefs via les processus de compensation isostatique. La croissance des chaînes
de montagne influence en retour la géométrie des cellules atmosphériques, et peut créer des barrières
topographiques naturelles limitant la zone d’action des précipitations. Certains scénarii proposent que
l’érosion accrue des reliefs formés au Cénozoïque a joué le rôle de « pompe à CO2 » et précipité la
transition vers les conditions glaciaires du Cénozoïques (en diminuant l’effet de serre). Le rôle de la
formation des montagnes sur l’évolution du climat ne sera pas discuté ici, nous nous contenterons
d’évoquer les différents rôles joués par le climat sur l’évolution des reliefs. Les interactions
tectonique-climat sont particulièrement étudiées à partir d’exemples du cycle alpin –il demeure trop
d’incertitudes relatives à l’histoire des chaînes de montagne et des paléoclimats pour les cycles plus
anciens.
L’objectif de cet écrit est de proposer, via une étude comparée des chaînes de montagnes cénozoïque
associées au cycle alpin, un modèle d’évolution synthétique des chaînes de montagne, des premiers
stades de formation à leur démantèlement. Les exemples du cycle alpin offrent suffisamment de
diversité pour illustrer la notion de prisme orogénique dans toute sa complexité. Les exemples à
détailler sont ceux explicitement au programme : les Alpes européennes et au sens large les chaînes
bordant la méditerranée ; et l’Himalaya. Ces exemples seront discutés à la lumière de comparaisons
succinctes avec les autres chaînes. Il ne s’agit pas de fournir une présentation exhaustive de la géologie
de ces chaînes de montagnes (pas le temps !) mais au contraire de limiter le sujet aux particularités de
chacune de ces chaînes.
Fig. 2 : Localisation des principales chaînes de montagnes associées au cycle alpin
1) Modes de déformation au sein des chaînes de montagnes associées au cycle alpin
A) Structure superficielle des Alpes occidentales et de l’Himalaya
Dimensions et topographie
Les deux chaînes se distinguent d’entrée de jeu par leur topographie et leur forme générale: les Alpes
forment un croissant entre la plaque apulienne et l’Europe, long de 1200 km pour environ 200 km de
large ; tandis que la zone de convergence entre l’Inde et l’Eurasie est beaucoup plus diffuse : longue
de 2400 km (sur un axe E-O), la largeur de la chaîne varie d’est en ouest de 200 à plus de 400 km. Les
Alpes sont dépourvues de plateau continental, tandis que le Tibet est le plus vaste plateau du monde,
culminant à une altitude moyenne de 5000 m. Le front de la chaîne himalayenne adopte une
configuration incurvée, que l’on retrouve dans une moindre mesure au niveau des Alpes françaises et
du Jura.
Les zones de suture
Les zones de suture entre les continents qui s’affrontent lors de la collision sont bien marquées. La
zone de suture de l’Indus-Tsangpo, marquant la frontière entre domaines indiens et domaines
eurasiens, est surlignée par une ceinture d’ophiolite néotéthysiennes au sud, et par des batholithes
d’affinité calco-alcaline au nord, correspondant à l’ancien arc magmatique de la chaîne de subduction
(type andin) ayant précédé l’épisode de collision. La zone de suture des Alpes occidentales est
localisée entre les massifs internes de Dora Maira/Grand Paradis/Mont Rose et la zone Sézia ; les
ophiolites du Chenaillet et les schistes lustrés correspondant à des domaines de la plaque supérieure
chevauchés sur la plaque plongeante. Au niveau des Alpes centrales et orientales, l’ancienne zone de
suture est devenue la ligne Périadriatique (ou ligne Insubrienne) suite à une réorganisation structurale
postérieure à la collision.
Le style structural de ces orogènes diffère fortement de part et d’autre de leur zone de suture
respective, c’est-à-dire entre les domaines associés à la plaque plongeante et ceux associés à la plaque
supérieure. Dans le cas de la collision Inde-Eurasie, la plaque supérieure, au Nord de la suture du
Tsangpo, est formée par l’accrétion de plusieurs terranes continentaux suite à la fermeture de diverses
banches de paléotéthys, constituant des blocs assez rigides, les plis du Bloc de Lhassa étant antérieurs
à l’épisode de collision. Des batholites d’affinité calco-alcaline (Gangdese, Ladakh) témoignent d’une
ancienne chaîne de subduction, comparable au premier ordre aux Andes actuelles. Dans le cas des
Alpes occidentales, le bloc apulien est déformé par des rétro-charriages, délimitant des écailles
d’échelle lithosphérique. Par la suite, nous examinerons principalement les structures des domaines
associés à la plaque plongeante.
Les plis
Les plis sont des structures compressives, résultant d’un mode de déformation ductile, rencontrées
communément dans les chaînes de montagnes, leur diversité structurale reposant essentiellement sur
deux critères : le pendage du plan axial (déversement) et l’angle de plongement de la charnière.
Quelques plis célèbres illustrent cette diversité: les plis couchés de St Clément, de la Rive d’Arve, le
pli déjeté de St Julien dans les Alpes.
Fig. 3 : Schéma structural des Alpes européennes et de l'Himalaya
Fig. 4 : Diversité des structures compressives rencontrées dans une chaîne de montagne
Fig. 5 : Structure du Galibier
Chevauchements, nappes de charriage, klippes
Les séries sédimentaires recouvrant les marges passives des continents avant leur entrée en collision se
retrouvent aujourd’hui sous la forme d’écailles tectoniques, délimitées par des failles inverses et des
chevauchements. Une faille inverse place des terrains plus anciens sur des terrains plus jeunes,
inversant localement la stratigraphie. Il existe pour chaque chaîne des chevauchements majeurs qui en
délimitent les unités principales, mais des failles inverses et des chevauchements de second ordre sont
présents au sein de ces unités principales.
Les chevauchements principaux forment des zones où des terrains sédimentaires d’âge et d’origine
parfois très différents se trouvent côte à côte. Par exemple, dans la région du Galibier (Alpes), des
flyschs d’âge tertiaire issus de l’érosion des premiers reliefs de la chaîne sont recouverts par des
calcaires récifaux jurassiques formés lors des premiers stades du rifting de l’Océan Liguro-Piémontais,
eux-mêmes recouverts par le Trias dolomitique déposé sur les fonds de cet océan : cette succession est
visible sur le même affleurement ! Le chevauchement mettant en contact étroit flyschs tertiaire et
calcaires jurassique est le chevauchement pennique frontal : il s’agit du chevauchement principal des
Alpes occidentales, qui concentre actuellement l’essentiel de la sismicité (mécanismes inverses) dans
la région, ainsi que la croissance des reliefs.
Un chevauchement équivalent est observable dans la chaîne Himalayenne : le chevauchement bordier
principal, qui met en contact la série détritique des Siwalik (molasse miocène) avec des sédiments de
l’ancienne marge indienne d’âge Mésoprotérozoïque à Cambrien inférieur. Cependant, ce
chevauchement n’est plus actif depuis environ 2 Ma, l’activité ayant migré au sud avec l’activation du
chevauchement frontal. L’une des structures les plus spectaculaires de la chaîne himalayenne est le
chevauchement central principal : contrairement aux chevauchements bien localisés et résultant d’un
comportement mécanique cassant mentionnés jusqu’ici, il s’agit d’une zone de cisaillement ductile
(métamorphisée jusqu’à l’isograde du disthène par endroits) de plus de 1 km d’épaisseur !
Il arrive qu’une nappe de charriage se trouve érodée, sous l’effet du climat ou de l’exhumation
d’écailles sous-jacentes. Il se forme alors des structures en klippe, les plus célèbres étant celle de la
Dent Blanche (Mont du Cervin/ Matterhorn) dans les Alpes (charriage d’Austro-Alpin issu de la
plaque apulienne sur du Liguro-Piémontais) ; ou encore celle charriant les roches du Haut Himalaya
sur le domaine du Moyen Himalaya.
A l’échelle de la chaîne, l’empilement des nappes de charriages donne naissance à des structures
extrêmement complexes, comparables aux prismes d’accrétion sédimentaires des zones de subduction,
avec de fortes variations latérales du style de déformation : rétro-chevauchements, écailles en duplex
sont fréquemment rencontrés. Les Alpes forment une chaîne à double déversement, le domaine
briançonnais chevauchant à la fois les domaines Dauphinois et Liguro-Piémontais (par ex. dans la
région de Guillestre). Globalement, la chaîne Himalayenne a un simple déversement vers le sud.
Fig. 6 : Structure à l'échelle lithosphérique des Alpes occidentales et de l'Himalaya
Les structures décrochantes
Les Alpes européennes sont caractérisées par une série de décrochements, la ligne périadriatique
(comprenant plusieurs segments s’étendant de la Suisse à l’Autriche: ligne Insubrienne, faille de
Giucardie), dont le mouvement est enregistré par la configuration en plumeau de quelques granites
d’anatexie (Bergel, Adamello).
Les décrochements sont encore plus nombreux au niveau de la collision Inde-Eurasie : certains
décrochements sont localisés au sein de la chaîne Himalaya-Tibet (Karakorum, Kunlun), en bordure
Nord du plateau (Altyn-Tagh), et au niveau des autres chaînes de montagnes de l’Eurasie, structurées
sur des décrochements (Gobi-Altaï ; Tienshan). Ces failles sont actives, produisant des séismes de
Mw~7-8, avec des mécanismes au foyer décrochants.
Les structures d’origine extensive
Dans les chaînes du cycle alpin sont préservées des structures en blocs basculés issues des épisodes de
déchirure continentale à l’origine des océans Néotéthys/ Liguro-Piémontais. Ces blocs basculés sont
aujourd’hui inversés ou ont été exhumés au cours de l’histoire de la chaîne.
Dans les alpes occidentales, les massifs cristallins externes (Belledone, Mont Blanc, Pelvoux,
Argentera) sont d’anciens blocs basculés de la marge européenne inversés au Miocène. Des miroirs de
failles normales fossiles, parfois associés à des sédiments en éventail syn-rift, sont observés dans les
domaines externes (ex. Ornon, Lac du Vallon). Les massifs cristallins internes (Dora Maira-Mont
Rose-Grand Paradis) sont aussi d’anciens blocs basculés de la partie la plus distale de la marge
européenne, mais ces derniers ont été exhumés via des zones de cisaillement ductile. On ne retrouve
pas d’équivalent des massifs cristallins externes dans l’Himalaya, en revanche le dôme de Tso Morari
(massif interne, proche de la zone de suture) est un équivalent de Dora Maira.
De façon plus paradoxale, des structures extensives encore actives actuellement (repérées par des
séismes produisant des mécanismes au foyer extensifs) sont rencontrées au cœur des deux chaînes. Les
structures les plus emblématiques sont celles du domaine Téthysien de l’Himalaya, avec le
détachement sud tibétain, qui structure le Mont Everest. Il s’agit probablement d’un ancien plan
chevauchant réactivé en détachement normal au cours de l’histoire de la chaîne. Une zone de
détachement similaire est observée dans les Alpes, au niveau de la fenêtre des Tauern. Des
mécanismes au foyer extensifs ont été enregistrés sur le front pennique dans les Alpes, qui est un
chevauchement! Cette observation conforte l'hypothèse que les structures extensives dériveraient de
l'inversion de failles inverses.
B) Structure profonde des Alpes occidentales et de l’Himalaya
L’étude des seuls affleurements se révèle insuffisante pour aborder la complexité de la structure d’une
chaîne de montagne en profondeur. Les méthodes d’imagerie géophysique permettent de s’affranchir
de ces limites : anomalies de Bouguer, sismique réflexion et réfraction (Profils ECORS), fonctions
récepteurs (sismique passive) (Hi-Climb), tomographie sismique.
Structure profonde des Alpes
Le profil ECORS dans les Alpes a été acquis selon le protocole suivant : des camions vibreurs
génèrent des ondes acoustiques qui se propagent dans les profondeurs de la lithosphère, où elles sont
réfléchies vers la surface et enregistrées par des récepteurs. Les surfaces de réflection sont formées par
les discontinuités majeures : les failles qui juxtaposent des roches aux propriétés mécaniques
différentes, ou les surfaces correspondant à des transitions dans le comportement mécanique de la
lithosphère (transition entre domaines cassant/ductile). Les principaux chevauchements structurant la
chaîne sont bien identifiés sur le profil ECORS : le chevauchement Pennique, les chevauchements à
pendage opposés dans le Briançonnais (responsables du double déversement), la zone des massifs
cristallins externes. La zone Ivrée correspond à une anomalie de Bouguer positive, ce qui peut être
interprété soit comme du matériel éclogitisé, soit comme du manteau. Le profil ECORS favorise la
dernière hypothèse : la zone d’Ivrée correspondrait à un coin de manteau coincé entre la plaque
Apulienne et l’Europe. La racine crustale correspond à un empilement d’écailles en profondeur. Un
réflecteur situé à environ 15-20 km de profondeur, sur lequel viennent s’enraciner des chevauchements
d’échelle crustale, est clairement identifié, ainsi que le Moho de la plaque Europe. La structure de la
pile sédimentaire est clairement découplée de celle de la croûte continentale. Le profil ECORS montre
qu’il n’ya pas de slab océanique rattaché à la plaque Europe.
Structure profonde de l’Himalaya-Tibet
La structure profonde de la chaîne Himalaya-Tibet a été étudiée par une méthode plus moderne, celle
des fonctions récepteurs. Cette méthode est basée sur l’enregistrement des séismes par des stations
lointaines. Quand une onde P traverse une surface caractérisée par un contraste de vitesse, une onde
convertie est créée (Ps) et devient repérable sur la composante radiale du sismomètre. Le profil
HICLIMB obtenu grâce à cette méthode montre que les chevauchements de la chaîne himalayenne
s’enracinent en profondeur sur un chevauchement principal, le Main Himalayan Thrust. Le manteau
lithosphérique indien en subduction est bien identifié, mais là encore, pas de slab océanique rattaché à
la structure actuelle de la chaîne. Les premières campagnes géophysiques (INDEPTH) avaient laissé
supposer qu’une zone partiellement fondue existait sous le plateau tibétain (entre 30-50 km de
profondeur), mais le profil HICLIMB réfute l’existence d’une telle zone. Le plateau Tibétain est donc
bien une région de fort épaississement crustal (>70 km), comme attesté par la présence de valeurs
d’anomalies de Bouguer très négatives (~500 mGal).
Mise en évidence du processus de détachement de slab (slab break-off)
La structure profonde des chaînes de montagne ressemble donc à celle d’un prisme d’accrétion, mais à
l’échelle de la lithosphère : on parle de prisme orogénique. Les prismes orogéniques alpins et
himalayens sont désolidarisés des slabs (panneaux plongeants) océaniques. Une partie de la
lithosphère océanique est préservée au niveau des ophiolites, mais où se trouve la majeure partie de
ces slabs océaniques ? La tomographie sismique permet d’identifier des anomalies de vitesse dans la
propagation des ondes dans le manteau. Des corps caractérisés par des anomalies de vitesses positives,
indiquant des roches plus froides que celles prédites par un modèle où la distribution des masses au
sein du manteau serait homogène, sont identifiés comme étant les vestiges de ces slabs. Le slab
correspondant à l’ancien Océan Liguro-Piémontais est identifié dans le manteau, entre 150 et 300 km
de profondeur. Deux segments de slab sont identifiés sous le craton Indien, entre 500 et 2000 km de
profondeur : ces segments correspondent soit à deux épisodes de détachements ayant affecté le même
slab, soit à deux slabs issus de deux océans distincts. Les marqueurs géologiques des épisodes des
épisodes de slab break-off sont la présence de volcanisme enrichi en potassium (daté autour de 40 Ma
dans l’Himalaya). Il est possible que certaines phases de ralentissement des vitesses d’accrétion au
niveau des dorsales océaniques, déterminées via l’étude des anomalies magnétiques, soient déclenchés
par des épisodes de slab break-off (en particulier dans l’Océan Indien autour de 40 Ma).
C) Eléments de comparaison avec d’autres chaînes de collision : les Pyrénées et le Zagros
Les chaînes des Pyrénées et du Zagros présentent elles aussi les caractéristiques générales d’un prisme
orogénique : empilement d’écailles tectoniques via des chevauchements d’échelle lithosphérique.
Comme les Alpes occidentales, les Pyrénées sont une chaîne à double déversement (de part et d’autre
de la Zone Axiale) ; et comme l’Himalaya, le Zagros est une chaîne globalement déversée vers le Sud.
En revanche, si le Zagros a très probablement subi un premier épisode de détachement de slab autour
de 35-40 Ma, marqué par du volcanisme adakitique (témoin de la fusion de la croûte océanique lors du
détachement), de la lithosphère océanique est encore en subduction sous le Zagros : un épisode de
détachement de slab s’est initié autour de 12 Ma dans la partie Nord Ouest de la chaîne, mais ne s’est
pas encore propagé à son ensemble. La chaîne du Zagros dispose elle aussi d’un plateau –le plateau
Iranien- dont l’origine demeure encore mal comprise.
Le cas des Pyrénées est un cas très original, car il n’y a pas d’ophiolites reconnues dans cette chaîne,
ce qui pose la question de l’existence d’un paléo-océan dans cette région. Du fait des incertitudes sur
l’identification de l’anomalie magnétique M0 (~118 Ma) dans l’Océan Atlantique et dans le Golfe de
Gascogne en particulier, les reconstructions paléogéographiques sont parfois contradictoires : certaines
proposent qu’un océan ait pu exister, d’autres que le rifting a avorté au stade transition continentocéan (marqué par les péridotites de l’étang de Lherz). Des études de tomographie montrent
l’existence d’un corps caractérisé par une anomalie de vitesse positive, qui pourrait correspondre à un
lambeau d’océan coincé dans le prisme orogénique et qui n’a pas été exhumé sous la forme d’une
ophiolite au cours de l’histoire de la chaîne. Quoi qu’il en soit, si un tel océan existait, il était de taille
réduite (400 km au max.). Les chaînes du cycle alpin ne sont donc pas forcément issues de la
subduction d’océans très étendus : les océans Liguro-Piémontais, et sa possible branche Valaisane,
ainsi que le possible océan pyrénéen, étaient bien moins étendus que la Néotéthys subduite au niveau
de l’Himalaya et du Zagros !
Fig. 7 : profil rhéologique de la lithosphère continentale
2) Le modèle du prisme orogénique expliqué à partir des chaînes de montagne du cycle
alpin
A) Rhéologie de la lithosphère continentale et structure des chaînes du cycle alpin
Mise en évidence de la variabilité des propriétés rhéologique de la lithosphère continentale à partir
de l’étude de la structure profonde des chaînes alpines
L’analyse du profil ECORS dans les Alpes montre des réflecteurs particuliers correspondant à des
surfaces le long desquelles le mode de déformation est découplé : il s’agit de niveaux de décollements,
qui sont de deux types dans les Alpes. Le niveau de décollement qui découple la déformation entre le
socle (de composition ~granitique) et la pile sédimentaire est formé par des niveaux d’évaporites
déposés au Trias, alors que la France et l’Allemagne étaient recouvertes par une mer épicontinentale
peu profonde (<50m). Le sel a une résistance (σ1-σ3) faible, qui varie de façon négligeable avec la
profondeur, contrairement aux autres types de sédiments. Ainsi, la plupart des chevauchements
identifiés dans le domaine externe des Alpes (zone Dauphinoise) et dans le Jura s’enracinent sur ce
niveau de décollement évaporitique. De façon similaire, la présence du Sel d’Hormuz (Précambrien)
au niveau de la chaîne du Zagros sert aussi de niveau de décollement entre socle et couverture
sédimentaire. Il n’y a pas de niveau salifère dans la chaîne himalayenne.
L’autre niveau de décollement identifié sur le profil ECORS à environ 15-20 km de profondeur
correspond à la zone de transition entre comportement cassant (suivant la loi de Byerlee) et ductile
(obéissant à une loi de fluage). Dans le cas de la chaîne Himalayenne, le Main Himalayan Thrust fait
office de niveau de décollement, mais il est beaucoup plus superficiel (~10km). Ce niveau de
décollement ne serait pas encore bien individualisé au front de la chaîne du Zagros, dont le stade de
collision est plus récent (~25 Ma)-mais il peut s’agir d’un problème d’imagerie géophysique au niveau
de cette chaîne, un peu moins étudiée que les Alpes et l’Himalaya.
Propriétés rhéologiques de la lithosphère et raccourcissement au niveau des chaînes de montagne
La rhéologie (i.e. évolution du profil de résistance en fonction de la profondeur) des lithosphères
continentales impliquées dans la collision est un paramètre de contrôle fondamental dans la formation
d’un orogène. Les propriétés mécaniques des lithosphères impliquées dans les collisions du cycle alpin
varient fortement du fait de leur histoire géologique différente : un épisode de rifting ou de
compression antérieur au stade de collision alpin a laissé son empreinte sur les propriétés mécaniques
de la lithosphère, et influence le développement de la chaîne. Le raccourcissement (donné en %) est
déduit de coupes géologiques. La résistance de la lithosphère est déterminée par le paramètre Te
(épaisseur élastique effective exprimée en kilomètres), issue de la modélisation des données
gravimétriques.
La profondeur du niveau de découplage entre croûte supérieure et inférieure contrôle le pourcentage
de raccourcissement au sein de la croûte terrestre. Les chaînes impliquant des découplages profonds
dans la croûte moyenne et inférieure (~20 km) ont un pourcentage de raccourcissement compris entre
20 et 45% (e. g. les Alpes). À l’inverse, les chaînes avec des niveaux de découplage plus superficiels
(inférieurs à 10 km) sont caractérisées par des valeurs plus importantes du pourcentage de
raccourcissement, comprises entre 45 et 70% (e. g. l’Himalaya/Zagros). Il existe une corrélation
positive grossière entre la résistance de la lithosphère et le pourcentage de raccourcissement de la
chaîne. Mais en prenant en compte l’âge de la lithosphère, une relation bimodale apparaît clairement :
les lithosphères plus jeunes qu’un milliard d’années enregistrent des pourcentages de
raccourcissements faibles de 30±10% (Alpes), tandis que les lithosphères plus anciennes, ou
cratoniques, sont associées à des pourcentages de raccourcissements forts de 60±10% (collisions
Inde/Eurasie, Arabie/Eurasie, les plaques Arabie et Inde étant des cratons). Ainsi, plus la lithosphère
qui subit la collision est ancienne et résistante, plus le raccourcissement au sein de la chaîne est
important. Cette relation suggère un contrôle dominant de la déformation par les propriétés du
manteau lithosphérique, qui elles-mêmes dépendent de son âge. La topographie des chaînes de
montagnes étant une des conséquences du raccourcissement, cette relation permet de mieux
comprendre les couplages entre les processus profonds, en lien avec le manteau continental, et les
processus de surface dans les zones de collision.
Couplage plaque plongeante-plaque supérieure
Le degré de couplage (i.e. de transmission des contraintes) entre la plaque plongeante et la plaque
supérieure dans une zone de convergence contrôle aussi la quantité de raccourcissement, et dans un
certaine mesure, la topographie de la chaîne. Le degré de couplage est fonction du pendage de la
plaque plongeante : plus celui-ci est faible (proche de l’horizontale), plus la surface de slab au contact
de la plaque supérieure est importante, ainsi que le couplage. En revanche, le degré de couplage est
faible lorsque le pendage du slab est fort (proche de la verticale).
Des changements cinématiques globaux ou des processus de slab break-off sont susceptibles de faire
varier le pendage du slab en quelques millions d’années (entre 1 et 10 Ma). Ainsi, le détachement du
slab européen entre 20 et 30 Ma dans les Alpes a modifié le couplage entre les plaques. A partir de cet
évènement, seules des lithosphères continentales sont impliquées dans l’orogène : on peut alors parler
de chaîne de collision continentale au sens strict. Les premières traces de formation de reliefs au
Zagros, autour de 40 Ma, coïncident avec la formation des premiers reliefs (bien que ceux-ci soient de
dimensions modestes). Des études basées sur l’étude du fractionnement de l’oxygène (dépendant de
l’altitude) montrent que l’Himalaya aurait atteint des altitudes proches des sommets actuels autour de
35-40 Ma, soit quelques Ma après l’évènement de slab break-off majeur. Cependant, les estimations
des paléo-reliefs de l’Himalaya-Tibet sont extrêmement discutées (contradictions entre études).
Le couplage est également fortement modifié lorsqu’un craton, et non plus simplement une marge (i.e.
de la lithosphère continentale étirée) entre en collision : on appelle ce stade la « Hard-collision ». Il est
généralement associé à la phase principale de croissance des reliefs.
Suite à un changement cinématique dont les origines sont encore mal comprises (première étape de la
collision Arabie-Eurasie autour de 40 Ma ?), le slab néotéthysien a subi un épisode de retrait important
à partir de 35 Ma environ en Méditerranée Orientale. La diminution du couplage entre le slab
néotéthysien et la plaque supérieure a entraîné l’effondrement de la chaîne de montagne des
Héllénides, qui avait formé un important épaississement crustal. Cet effondrement s’est caractérisé par
le développement d’un système de rift très étendu, de type « metamorphic core complex », ayant
conduit au démantèlement de la chaîne sous l’action de failles de détachement enracinées à l’interface
cassant-ductile. La Mer Egée, aujourd’hui caractérisée par une croûte continentale extrêmement
amincie, est en réalité une ancienne chaîne de montagne alpine qui a commencé à disparaître il y a 3035 Ma !
Fig. 8 : Coupe géologique de la Mer Egée, montrant un système en métamorphic core complex.
Fig. 9 : Relation entre pendage du slab et couplage entre plaque supérieure/plaque plongeante
B) Evolution structurale des prismes d’accrétion et orogéniques : la théorie du prisme
de Coulomb
Nous avons montré qu’une chaîne de montagne est assimilable à un prisme orogénique, et que la
présence de niveaux de décollement individualise des domaines rhéologiques au sein desquels les
écailles ne s’empilent pas de la même façon (contraste structural entre le prisme formé dans la pile
sédimentaire et celui formé dans la croûte supérieure).
Les profils de sismique réflexion dans les prismes d’accrétion, ainsi que les modèles analogiques en
boîte à sable, montrent qu’un prisme d’accrétion se construit « de la base vers le sommet », c’est-àdire que la dernière écaille incorporée au prisme ainsi que le chevauchement frontal à sa base sont les
structures les plus récentes du prisme, alors que les structures à l’arrière du prisme sont plus anciennes.
Par exemple, les sommets du Mont Blanc n’ont que 10 Ma environ alors que la collision eut lieu il y a
environ 35-40 Ma : cela correspond au moment où les anciens blocs basculés de la marge européenne
ont été incorporés au prisme orogénique alpin, inversant alors ces blocs basculés. Plusieurs
chevauchements peuvent rester actifs au sein d’un prisme : le front pennique reste une zone où se
concentre la sismicité alors qu’il ne correspond pas au chevauchement frontal du prisme alpin.
L’évolution structurale complexe d’un prisme d’accrétion est abordée par la suite sous l’angle de la
théorie du prisme de Coulomb. Un prisme d’accrétion se caractérise par son angle d’ouverture : le
taper. Le taper est la somme de deux angles, l’angle α correspondant à la pente créée par la
topographie du prisme ; et l’angle de plongement β du niveau de décollement basal. A l’intérieur du
prisme s’exercent en tout point les contraintes normales associées à la charge des sédiments incorporés
dans le prisme, et les contraintes de cisaillement exercées au niveau des niveaux de décollements
(chevauchements, décollement basal). Les forces de friction sont très importantes dans la
détermination de la valeur des contraintes cisaillantes, et sont contrôlées par les processus de
circulation de fluides au sein du prisme. La mesure des angles définissant le taper permet de définir un
domaine de stabilité du prisme : si les valeurs des angles α et β placent le prisme en dehors de son
domaine de stabilité, alors ce dernier est en état de réorganisation structurale.
-Soit le prisme est en dessous de la lentille de stabilité : il est alors en domaine sous-critique, et les
contraintes qui règnent en son sein sont compressives.
-Soit le prisme est au dessus de la lentille de stabilité : il est en domaine sur-critique et subit des
contraintes extensives.
Les réorganisations structurales, de nature compressive ou extensive, ont pour effet de ramener le
prisme à son état de stabilité. A la faveur d’une réorganisation structurale d’un prisme, on peut voir se
réactiver un chevauchement éteint, ou alors l’apparition de nouveaux chevauchements au sein du
prisme et non à son front. C’est l’exemple du Main Himalayan Thrust dans le Haut-Himalaya, actif
depuis 5 Ma alors que le chevauchement bordier principal était actif entre 12 et 5 Ma et marquait alors
le front de la chaîne. Les variations de la valeur de la friction basale le long du décollement supportant
le prisme est responsable des variations structurales observées lorsqu’on étudie un même prisme selon
différents traits de coupe.
Fig. 10 : Prisme d'accrétion et théorie du prisme de Coulomb
C) Le fonctionnement d’un prisme orogénique
Dans cette partie, nous utilisons la théorie du prisme de Coulomb comme un guide de lecture des
données structurales et métamorphiques collectées sur les chaînes de montagne.
Le gradient métamorphique prograde HP-BT des Alpes occidentales
La distribution du métamorphisme dans les domaines internes des Alpes occidentales montrent la
juxtaposition, d’ouest en est, de domaines métamorphiques au faciès schiste vert, bleu, et éclogite.
Cela définit un gradient prograde Haute Pression-Basse Température (de type Franciscain sensu
Myashiro), caractéristique des zones de subduction. Le métamorphisme a atteint son plus haut grade
au niveau du massif de Dora-Maira, avec des minéraux indiquant des pressions de 35 kb et des
températures de 750°C.
A l’issue des transformations associées au métamorphisme, les minéraux deviennent des systèmes
fermés et enregistrent la désintégration d’éléments radioactifs permettant de dater la dernière phase
d’ouverture du système, i.e. le métamorphisme. On sait donc à quel âge telle roche a atteint telle
profondeur, ce qui permet de construire des diagrammes Pression-Température-Temps (P-T-t), très
utiles pour reconstruire l’histoire géologique du prisme orogénique.
Ainsi, dans les Alpes occidentales, le domaine des schistes lustrés, porté au faciès schiste bleu, est
caractérisé par le métamorphisme le plus ancien, autour de 55 Ma. La région du Mont Viso subit un
métamorphisme éclogitique autour de 50 Ma. Dora Maira n’atteint le domaine de très haute pression
qu’autour de 35-40 Ma, en même temps que le Briançonnais atteint le faciès schiste vert. La
chronologie des évènements permet de reconstruire l’histoire géologique suivante : il y a 55 Ma, les
schistes lustrés correspondaient aux formations sédimentaires incorporés dans le prisme d’accrétion de
la subduction Europe/Apulie. Les méta-ophiolites du Mont Viso correspondaient à la croûte océanique
alors en subduction, atteignant le faciès éclogite (HP) autour de 50 Ma. Le massif cristallin de Dora
Maira, correspondant au domaine distal de l’ancienne marge continentale de l’Europe, était situé « à
l’arrière » de la croûte océanique en subduction retrouvée aujourd’hui au Mont Viso. Le domaine de
Dora Maira a été métamorphisé au faciès éclogite (occurrence de coesite, le polymorphe de très haute
pression du quartz), alors que le domaine Briançonnais, correspondant à la partie proximale de la
marge, n’a subi qu’un enfouissement limité.
Les schistes lustrés et les ophiolites du Chenaillet correspondent à l’ancienne plaque supérieure (ce qui
explique que ces dernières ne soient que très partiellement métamorphisées). Elles chevauchaient donc
les roches du Mont Viso et de Dora Maira, qui appartenaient à la plaque plongeante. Les domaines en
subduction de la plaque plongeante ont depuis été exhumés, et ont alors « percé » à travers les
domaines de la plaque supérieure.
L’étude du métamorphisme permet donc de mettre en évidence tous les domaines d’une ancienne zone
de subduction depuis incorporés au sein d’un prisme orogénique : prisme d’accrétion (Schistes
lustrés), croûte océanique subduite métamorphisée dans des faciès HP (Viso), marge continentale
subduite (Dora Maira-Domaine Briançonnais).
Fig. 11 : Carte métamorphique des Alpes occidentales et chemins PTt correspondant
Le métamorphisme inverse de la chaîne Himalayenne
L’évolution structurale d’un prisme d’accrétion s’illustre par l’exemple du métamorphisme inverse
observé dans la chaîne himalayenne, à proximité du Chevauchement Central Principal. Le domaine du
Moyen Himalaya au Sud du Chevauchement Central se caractérise par un gradient prograde du sud
vers
le
Nord,
partant
de
l’isograde
de
la
chlorite
(schiste
vert)
jusqu’à
celui
du
grenat/staurotide/dishtène (HP). Cette distribution s’explique par la formation de chevauchements en
duplex : la série est métamorphisée dans un premier temps du fonctionnement du prisme, le degré du
métamorphisme devenant plus important avec la profondeur. A ce stade n’affleurent que les roches à
métamorphisme de faible grade, les traces d’un métamorphisme plus prononcé étant enfouies en
profondeur. Mais le développement de chevauchements et la formation d’écailles font que le
métamorphisme de haut grade peut se retrouver charrié sur celui de plus faible grade, ainsi que porté à
l’affleurement. La distribution spatiale de ce métamorphisme est donc le témoin de la structuration du
prisme orogénique.
Fig. 12 : interprétation du métamorphisme inverse himalayen par le modèle en duplex.
La subduction continentale
L’existence d’un métamorphisme HP-BT au niveau de Dora Maira dans les Alpes, ou du Massif de
Tso Morari dans l’Himalaya, qui correspondent à des massifs de croûte continentale, a de quoi
surprendre : comment la lithosphère continentale, moins dense que le manteau, peut-elle entrer en
subduction dans ce dernier ?
Nous avons montré que le slab de la Téthys alpine est aujourd’hui détaché des Alpes. Cependant, alors
qu’il était solidaire de la marge Europe, le poids et le fort pendage du slab ont très probablement
entraîné avec lui une partie de la marge continentale en subduction. Le slab s’est donc détaché après
35 Ma (âge du métamorphisme de Dora Maira), la forte flottabilité de la lithosphère continentale
empêchant de poursuivre sa subduction plus profondément. De la même façon, la subduction du
massif de Tso Morari autour de 55 Ma précède un épisode de slab break-off de la Néotéthys daté
autour de 45 Ma. La subduction d’un fragment de lithosphère continentale (marge passive, terrane)
semble donc être un phénomène favorisant le processus de slab break-off.
Fig. 13 : l'évolution du prisme orogénique alpin. Les ophiolites du Chenaillet dérivent
probablement de processus d'exhumation plutôt que d'un processus d'obduction véritable.
Origine des structures post-collisionnelles
Le passage d’un prisme orogénique en état sur-critique explique l’apparition de failles normales au
cœur d’une chaîne de montagne, ou la réactivation d’un ancien chevauchement en faille de
détachement normale. La topographie génère un gradient d’énergie potentielle (Ep= mgz, m : masse,
g : accélération de la pesanteur, z : altitude) qui influence la distribution des contraintes à l’échelle de
la chaîne. Les forces générées par le gradient d’énergie potentielle constituent les forces de volume,
tandis que les forces générées par le mouvement de convergence sont les forces aux limites. Une fois
la collision initiée, le taux de convergence diminue (il est de l’ordre de 5 cm/a actuellement en
Himalaya), et avec lui l’intensité des forces aux limites. D’autre part, la topographie devient plus
élevée, augmentant ainsi l’intensité des contraintes associées aux forces de volume. Il arrive un
moment où les forces de volume deviennent plus importantes que les forces aux limites, ce qui induit
des contraintes extensives au cœur de la chaîne de montagne. Le stade ultime est le développement de
metamorphic core complexes, comme en Mer Egée.
L’autre catégorie majeure de structures post-collisionnelles sont les décrochements d’extrusion
latérale tels ceux bordant le plateau tibétain, ou la ligne insubrienne/périadriatique dans les Alpes. Ces
décrochements sont le plus souvent localisés au niveau d’anciennes zones de suture, qui forment des
interfaces entres des zones aux propriétés rhéologiques parfois très différentes. Ces décrochements
résultent du poinçonnement d’un continent par un autre (l’Inde poinçonne l’Eurasie ; l’Apulie
poinçonne l’Europe).
Fig. 14 : origine de l'extension post-orogénique : lorsque les forces de volumes prennent le dessus
sur les forces aux limites.
Fig. 15: Les décrochements d'extrusion latérale tibétain sont associés au poinçonnement de
l'Eurasie par l'Inde
Les processus d’exhumation
L’exhumation d’une roche est l’effet combiné de sa remontée et de la dénudation (variation de la
topographie), responsable de l’arrivée de la roche à la surface. Si l’érosion joue un rôle dans la mise à
nu de roches initialement en profondeur, elle ne permet pas à elle seule d’expliquer les taux
d’exhumation observés. L’exhumation fait donc intervenir des processus tectoniques conjointement
avec l’érosion.
La quantification de l’exhumation est l’objet des méthodes thermochronologiques. En remontant vers
la surface, les roches se refroidissent et passent par la température de fermeture de différents systèmes
radioactifs dans différents minéraux. La température de fermeture correspond à une profondeur
donnée, déterminée par la connaissance du géotherme, en général estimé autour de 20-30°C/km. Par
exemple, le couple 39Ar-40Ar possède différentes températures de fermeture selon le minéral considéré
(hornblende, muscovite, biotite). En séparant les minéraux d’une même roche, on peut donc
reconstituer l’histoire de son refroidissement…et de sa migration verticale! D’autres méthodes, plus
complexes, peuvent être préférées pour quantifier les taux d’exhumation sur une certaine gamme de
profondeur et à certaines échelles de temps (comptage de traces de fission sur Apatite ou Zircon,
dégazage 4He/3He, etc…).
Le jeu des failles normales et zones de cisaillement ductiles mises en évidence précédemment
(détachement sud tibétain, ou de la zone des Tauern dans les Alpes, ou les détachements de la Mer
Egée) peut expliquer le rôle de la tectonique dans l’exhumation des roches dans de nombreux cas. Le
développement de bande de cisaillements ductiles (formant des mylonites, avec des structures en
boudinage) caractérise très souvent l’exhumation des dômes continentaux (Tso Morari).
L’observation de leucogranites datés de 20 Ma au niveau du Haut Himalaya (sous le détachement sud
tibétain) a inspiré la formulation d’une autre hypothèse sur les modes d’exhumation. Ces leucogranites
sont beaucoup plus jeunes que l’âge estimé de la collision Inde-Eurasie, en dépit des incertitudes sur
l’âge précis de cet évènement (entre 35 et 55 Ma). Certains auteurs ont supposé que l’épaississement
de la chaîne était devenu tel à 20 Ma que la base de la lithosphère a fondu sous l’effet de
l’augmentation de chaleur associé à l’épaississement crustal (doublement de la production de chaleur
associée à la désintégration des isotopes radioactifs). Ainsi, le matériel profond aurait pu fluer de la
base de la croûte continentale vers la surface. Le fait que les roches fluent vers le Haut Himalaya
s’explique dans ce modèle par une interaction entre tectonique et climat : les précipitations de la
mousson asiatique étant concentrées au sud du haut Himalaya, elles favorisent l’érosion du flanc sud
de la montagne. Ce modèle a été fortement critique depuis sa formulation dans les années 2000, le
principal contre-argument étant que le profil HICLIMB (fonctions récepteurs) ne montre pas
l’existence de la zone de croûte partiellement fondue en profondeur. L’alternative est donc que les
conditions de pression et de température à proximité du détachement sud tibétain suffisent à générer la
fusion des roches, pour donner naissance aux leucogranites du Haut-Himalaya.
Fig. 16 : Schéma du modèle du "Channel flow"
Un autre modèle d’exhumation, défini à partir du métamorphisme des Alpes occidentales, fait
actuellement débat : le modèle du chenal de subduction. On y observe des roches ayant subi un
métamorphisme HP à UHP, dont la remontée ne peut s’expliquer par le seul jeu de failles normales
(qui n’agissent que dans la première dizaine de kilomètres de la croûte continentale en raison de son
comportement rhéologique). Ce modèle fait donc intervenir une zone, à l’interface entre la plaque
plongeante et la plaque supérieure, au sein de laquelle des roches plongent en profondeur pendant que
d’autres sont exhumées. [De telles interfaces ont été observées en sismique réflexion au niveau de la
subduction des Andes, mais la complexité des chemins P-T-t suivis par les roches nourrit encore
d’importants débats sur les processus réellement impliqués]. Le fait que les ophiolites du Viso
atteignent leur pic éclogitique à 50 Ma, et soient exhumées peu après, alors que la subduction
océanique se poursuit au moins jusqu’à 35 Ma pour permettre l’enfouissement de Dora Maira, est
troublant : cela signifie qu’une « écaille » de lithosphère océanique se détache en profondeur de la
lithosphère plongeante et entame son exhumation, alors qu’en parallèle la subduction continue. Cela
pose la question de comment se déforme une lithosphère océanique portée à haute pression et haute
température, bien au-delà des limites de cet écrit.
Origine des plateaux continentaux
Du fait de lacunes sur la connaissance de la structure profonde des chaînes de montagne, les processus
à l’origine des plateaux sont mal déterminés. Il a été proposé que les plateaux tibétain/iranien aient été
formés suite à des phénomènes de délamination ou d’érosion convective de la racine lithosphérique.
Du manteau asténosphérique, moins dense, remplace alors du manteau lithosphérique, plus dense. La
compensation isostatique de cet évènement expliquerait une surrection du relief d’environ 1500 m
dans le cas du plateau tibétain.
D) Les processus de mise en place des ophiolites
Les ophiolites alpines sont essentiellement le résultat de processus d’exhumation (sauf le Chenaillet,
qui n’a pas été enfoui), dont les processus (chenal de subduction en particulier) ont déjà été discutés
plus tôt. Mais il existe un autre mode de mise en place des ophiolites : l’obduction.
Les ophiolites les plus emblématiques du cycle alpin sont celles du Semail, au nord du Sultanat
d’Oman. Ces ophiolites sont les plus vastes au monde, et forment une chaîne d’obduction. Ces
ophiolites ne sont pas incluses dans un prisme orogénique, la collision Arabie-Eurasie n’ayant pas
encore eu lieu à ces longitudes. Du fait de leur densité plus élevée (2.9~3), la présence d’ophiolites sur
de la croûte continentale (densité ~2.7) constitue un paradoxe. La lithosphère océanique du Semail a
été formée il y a environ 90 Ma, au niveau d’un centre d’accrétion localisé proche de la marge
Africaine (dans la région de la future plaque Arabie). Cependant, le rifting à l’origine de la Néotéthys
commence dès la fin du Permien dans cette région : le centre d’accrétion à l’origine de la lithosphère
du Semail a donc pris place au sein d’une lithosphère océanique d’âge Trias-Jurassique. Pourquoi le
centre d’accrétion du Semail a pris place si près de la marge Afrique, à l’extrême sud de la Néotéthys,
demeure encore mal compris. La subduction intra-océanique qui initie l’obduction démarre peu après
la mise en place du centre d’accrétion du Semail à 90 Ma. L’obduction proprement dîte, i.e. l’arrivée
de la lithosphère océanique sur le continent, est quant à elle datée autour de 80 Ma. Certains auteurs
proposent qu’une accélération globale des vitesses des mouvements des plaques aurait déclenché
l’obduction. Cependant, l’anomalie magnétique A34 datée à 84 Ma marque la fin de la période
magnétiquement calme du Crétacé (entre ~120 et 84 Ma), durant laquelle aucune inversion majeure du
champ magnétique du lieu : il est par conséquent impossible de déterminer quelle était la vitesse des
plaques durant cette période, et donc d’affirmer que l’obduction du Semail est déclenchée suite à un
changement cinématique majeur.
Les ophiolites ont été mises en place à la manière d’une nappe de charriage transportant un lambeau de
lithophère océanique. Au front de l’obduction (i.e. au sud du Semail), on observe une série de nappes
de charriage composées des corps sédimentaires qui reposaient autrefois sur la marge nord africaine
(arabe), les nappes de l’Hawasina. Le corps ophiolitique du Semail est aujourd’hui fragmenté par
l’exhumation post-obduction d’un dôme de lithosphère continentale (le dôme du Saih-Hatat). Cette
phase d’exhumation est initiée par les contrastes de densité entre la lithosphère océanique et la
lithosphère continentale sous-jacente. Plusieurs modèles s’affrontent quant au scénario de l’obduction
du Semail, mais le consensus tend vers l’histoire suivante : la portion d’océan d’âge Trias-Jurassique
qui était rattachée à la marge Afrique au Crétacé serait entrée en subduction sous la jeune lithosphère
formée par le centre d’accrétion du Semail. La subduction de l’océan Trias-Jurassique sous le domaine
du Semail aurait entraîné avec elle une partie de la marge continentale de l’Afrique. Le processus
d’obduction serait donc un cas très particulier de subduction continentale ! Il se caractérise par un
métamorphisme inverse, les roches proches de la semelle obduite ayant été porté à des conditions de
température et de pression plus élevées. Contrairement au métamorphisme inverse observé en
Himalaya, ce métamorphisme est, au premier ordre, une illustration du modèle dit « en fer à
repasser » : l’ophiolite, plus chaude, et exerçant une pression plus forte lors de son obduction,
déclenche un métamorphisme plus intense à proximité.
C’est le même épisode d’obduction qui a donné naissance aux ophiolites de Neiriz et Kermanshah
(Zagros) et de Spongtang et Xigaze en Himalaya. La mise en place des ophiolites peut donc avoir lieu
avant la collision continentale (80 Ma avant pour les ophiolites du nord de l’Arabie), avant que le
prisme orogénique ne soit initié. Des processus d’obduction similaires à ceux de la marge omanaise
ont été observés en Nouvelle-Guinée et en Nouvelle-Calédonie.
Fig.17 : Modes d'obduction
3) Le rôle du climat sur l’évolution des chaînes alpines
Les changements climatiques, en agissant sur le régime des précipitations et donc sur l’érosion, jouent
un rôle fondamental dans l’évolution des chaînes de montagne. L’érosion est l’ensemble des
mécanismes de transport de sédiments physiques et chimiques à la surface de la Terre, par l’eau et la
gravité. L’altération est la modification chimique et/ou physique des roches, principalement due à l'eau
et aux variations de températures et de pressions au sein de la roche (l’altération crée du sédiment). La
dénudation est définie par le rapport entre le flux de sédiments sortant d’un bassin versant, et l’aire
drainée de ce bassin versant. Les plus forts taux de dénudation sont situés dans la bande intertropicale, où les précipitations sont les plus importantes. La mousson asiatique joue un rôle
prépondérant dans l’érosion de l’Himalaya (3200 tonnes de sédiments sont transférés annuellement au
système turbiditique du Bengale). L’essentiel de la dénudation est liée à l’érosion mécanique (fleuves,
glissements de terrains, glaciers). Nous ne détaillerons donc pas les processus d’érosion chimique (i.e.
Goldschmidt), dont le rôle, important dans l’évolution des concentrations en CO2 atm, est négligeable
dans l’évolution des reliefs.
La loi empirique d’Anhert relie les taux de dénudation à l’altitude moyenne du relief selon une loi
puissance. Selon cette loi, la décroissance des reliefs par érosion est exponentielle, bien que la
compensation isostatique du matériel érodé préserve le relief sur plusieurs millions d’années.
L’évolution d’une chaîne de montagne passe donc par l’établissement d’un équilibre entre surrection
et érosion, qui stabilise les reliefs. Par exemple, les reliefs de l’Himalaya ont très probablement atteint
leur altitude actuelle il y a plus de 15 Ma (voire même 30 Ma selon les estimations) : leur altitude est
restée à peu près stable au cours de ces 15-30 millions d’années, alors que les taux de dénudation de
cette chaîne sont très importants. Il existe donc des limites intrinsèques aux processus érosifs limitant
leur capacité à niveler une topographie. L’objectif de cette troisième partie est de comprendre
comment un prisme orogénique peut atteindre cet équilibre, quelles sont les modalités qui en
permettent le maintien, et comment cet équilibre peut être rompu pour permettre soit une nouvelle
phase de croissance de la topographie, soit sa disparition.
Fig. 17 : La loi d'Anhert
Fig. 18 : la notion d'équilibre entre surrection et érosion
A) Quantification de l’érosion et de la surrection d’une topographie
Méthodes d’estimation des taux d’érosion
Les taux d’érosion sont classiquement estimés à partir de l’utilisation des isotopes cosmonucléiques.
L’origine des isotopes cosmonucléiques est le flux cosmique, qui induit des désintégrations
radioactives. Il existe différents filtres au flux cosmique: le champ magnétique, l’atmosphère…mais
une partie du flux cosmique touche le sol et induit des désintégrations :
Exemple des grains de Quartz SiO2 :
O10Be; 32Si26Al
18
Exemple des Carbonates, à l’origine du 36Cl
Le flux cosmique est soumis à des variations causées par des effets de latitude, d’altitude, ou de
topographie locale. Les concentrations en isotopes cosmogéniques varient selon la profondeur : les
grains en dessous de 2 m de fond sont peu soumis au flux cosmique, et ne produisent donc que peu
d’isotopes. Et, bien sûr, la concentration en cosmonucléides N évolue au cours du temps : dN/dt=P(t)λN, avec λ constante de désintégration). En fonction de la concentration en isotopes cosmogéniques
d’une couche de sédiments donnée, on pourra déterminer depuis quand cette dernière a été enfouie, ou
au contraire portée à la surface suite à un processus d’érosion (surface mise à jour par un glissement de
terrain, ou le passage d’un cours d’eau). La datation de la surface n’est valable que si la roche exposée
est plus vieille que la demi-vie du cosmonucléide (pour pallier les problèmes d’héritage issus de
potentiels épisodes d’exposition à la surface antérieurs à l’évènement d’exposition que l’on cherche à
dater).
Méthodes d’estimation des taux de surrection de la topographie
Les méthodes thermochonologiques sont à nouveau utilisées pour estimer le taux de soulèvement des
chaînes de montagnes au cours des temps géologiques. Cependant, l’utilisation de ces méthodes
souffre de nombreuses limites. Tout d’abord, les méthodes thermochronologiques n’estiment que
l’exhumation des roches, qui est le résultat du soulèvement de la roche sous l’effet de la dynamique
interne du prisme orogénique (compensation isostatique), mais aussi des variations topographiques en
surface. Le fait que seule l’exhumation soit directement quantifiable introduit des difficultés dans
l’estimation de l’évolution d’une topographie à l’échelle du million d’années. A soulèvement
topographique nul, un épisode d’exhumation peut simplement correspondre au seul soulèvement de la
roche. Plusieurs interprétations des taux d’exhumation sont donc possibles, d’où la nécessité d’étude
multi-proxies (stratigraphie, pétrologie, géologie structurale) mettant en évidence, de façon qualitative,
un évènement géologique potentiellement associé à la surrection d’un relief (ex. surface d’érosion,
apparition
soudaine
de
dépôts
détritiques
type
molasses…).
De
plus,
les
méthodes
thermochronologiques quantifient les taux d’exhumation avec de fortes incertitudes, liées la relation
entre température de fermeture et géotherme, ce dernier étant souvent mal connu. En dépit de ces
inconvénients, il s’agit de l’une des seules méthodes disponibles pour fournir ne serait-ce qu’un
calendrier de l’évolution d’une topographie et un ordre de grandeur de son taux de soulèvement. Une
autre méthode assez utilisée consiste à relier les mesures du δ180 des sédiments/fossiles recueillis
sommet des montagnes à d’anciennes altitudes, le fractionnement des isotopes de l’oxygène étant
dépendant de l’altitude… mais là encore les incertitudes sont fortes et très discutées.
B) Les processus de l’érosion mécanique et leur rôle sur l’évolution de la topographie
Les processus d’érosion et de transport dépendent de l’agent impliqué. A l’échelle du bassin versant, il
existe, au premier ordre, une zonation de l’action des agents : les glaciers agissent dans les parties les
plus internes d’une chaîne de montagne, les glissements sont confinés aux zones de pente, les
précipitations agissent surtout au front de la chaîne (qui joue le rôle de barrière topographique et
diminue les précipitations qui atteignent le cœur de la chaîne).
L’érosion par les rivières et les fleuves
Il existe deux lois d’érosion principales :
-La loi d’érosion limitée par l’érodabilité du substrat : s’applique aux rivières à lit rocheux, dans les
zones de forte pente (i.e. les torrents). Au bout d’un moment, le substrat ne peut plus être érodé, et le
lit de la rivière ne se creuse plus : il s’agit d’une importante limite à l’érosion des reliefs.
Avec ɛ incision ; k coefficient d’érodabilité ; Q flux sédimentaire ; S la pente ; m & n sont des
paramètres déterminés empiriquement.
-La loi d’érosion limitée par la capacité de transport de la rivière : s’applique aux rivières alluviales,
dans les régions de faible pente (i.e. dans les plaines). Le courant augmente l’incision de la rivière
seulement si sa capacité de transport est supérieure à la charge sédimentaire qu’il transporte.
Avec Qc capacité de transport, A aire drainée, S pente.
Pour les deux lois, tout facteur faisant varier k (précipitations notamment) influe sur la quantité de
sédiments érodés et potentiellement délivrée aux océans.
Au cours d’une orogenèse, la phase de soulèvement du relief se caractérise par une dominance du
comportement « limité par l’érodabilité du substrat », tandis que la phase de « déclin » du relief se
traduit par une dominance du comportement « limité par la capacité de transport »…ceci implique
que la diminution du relief se fait sur une échelle de temps plus vaste que la phase de croissance.
Fig. 19 : localisation des différents types de cours d'eau (alluvial, lit
rocheux) selon la pente
Les glissements de terrains
Sous l’action de la gravité, les pentes se déstabilisent, et évoluent en chute de pierres, glissements de
terrain, ou coulées de débris (selon la saturation en eau du sol), qui nourrissent les rivières en éléments
détritiques. La stabilité d’une zone se caractérise par son facteur de sécurité (FOS, pour Factor Of
Safety), qui est le rapport des forces de résistance du sol au glissement sur les forces motrices
FOS= c’+ γ’. z. cos2 α. tan φ/ γ’. z. sin α. cos α
Avec c’= cohésion ; γ’ = densité sèche ; z= épaisseur des glissements; α= pente ;
φ=coefficient de friction interne.
Lorsque ce rapport est inférieur à 1, la zone est considérée instable et peut être déstabilisée à tout
moment. La stabilité des couches sédimentaires est gouvernée par les variations de pression effective.
De façon générale, tout processus susceptible d'induire un excès de pression interstitielle est capable
de réduire la résistance du sédiment au niveau d'un plan de cisaillement, d'initier la rupture et de
générer un glissement de terrain. Les processus déclencheurs des glissements de terrain sont donc le
plus souvent les séismes, mais aussi les fortes pluies. A terre, la stabilité des sols dépend aussi du
couvert végétal et de la valeur de la pente. Dans la région himalayenne, les glissements de terrain
déclenchés par un séisme sont plus nombreux après que la saison des pluies soit passée, les sols se
trouvant gorgés d’eau et plus instables. Les épisodes de déclenchement de glissements de terrain
entraînent des phases de dénudation très efficace. Il faut un certain temps avant que le sol se
reconstitue et puisse à nouveau être déstabilisé. Dans la région himalayenne, la croissance des sols est
très importante du fait du régime des moussons.
Les relations entre surrection des reliefs et glissements de terrain sont complexes. L’angle de friction
interne des matériaux granulaires oscille typiquement autour de 30°. Ainsi, si la fréquence de
glissements de terrain sur les pentes <25° est relativement faible, elle augmente de façon exponentielle
dans les régions où la pente s’approche de 30°. Si une région subit un soulèvement topographique qui
se manifeste par des pentes plus abruptes, alors les glissements de terrain vont fortement limiter le
soulèvement topographique de cette région dès que celle-ci se caractérisera par des pentes proches de
30°. Ceci explique pourquoi il est rare de rencontrer des pentes > à 30° dans les chaines de montagnes.
De plus, il existe une compétition entre la croissance des reliefs dans les zones de failles actives et
l’érosion associée aux glissements de terrains déclenchés par l’activité sismique de la faille. Ainsi,
dans la région du Sichuan (Est-Tibet), le séisme de 2008 a déclenché des glissements de terrain qui ont
érodé un volume de roche plus important que celui soulevé par le jeu de la faille : dans ce cas, le bilan
érosion/soulèvementde la topographie est négatif. A Taïwan, après le séisme de ChiChi en 1999, le
bilan a été positif : tout le matériel soulevé lors du séisme n’a pas été érodé. Chaque région a donc un
bilan érosion/soulèvement qui lui est propre. De plus, il y a soulèvement topographique sur une faille
inverse en période inter-sismique, lorsque la faille est « en creep » (i.e. glissement asismique) : si le
bilan érosion/soulèvement peut être négatif lors d’un évènement sismique (ex. du Sichuan), il est fort
possible que ce même bilan soit positif à l’échelle du cycle sismique. Ceci expliquerait les
topographies élevées de la région du Sichuan (en bordure du plateau tibétain), et les taux de
soulèvement positifs déduits des données thermochronologiques à l’échelle du million d’années.
Les glaciers
La propagation des glaciers racle le fond des vallées et transporte au front des glaciers des sédiments, à
l’origine de la formation de moraines. Les glaciers produisent des vallées en U. La quantification de
l’érosion par la propagation des glaciers est encore difficile. La façon dont les reliefs ont répondu à la
propagation des glaciers au Quaternaire est très hétérogène d’un endroit à l’autre, il est difficile de
mettre en évidence des relations générales. Dans les Alpes, il a été démontré par des études de
thermochronologie, que les massifs cristallins externes ont subi un soulèvement assez important
(quelques centaines de mètres) autour de 0.8-1 Ma, associé au surcreusement d’anciennes vallées
fluviales par les glaciers (ex. la vallée du Rhône). L’âge de 0.8-1 Ma correspond à la transition
climatique Mid-Pléistocène, au cours de laquelle la périodicité des cycles glaciaires-interglaciaire
passe de 40 000 ans à 100-120 000 ans (l’excentricité devient le paramètre de Milankovitch dominant,
à la place de l’obliquité). Ce changement climatique aurait favorisé la propagation des glaciers, le
surcreusement des vallées, et le soulèvement de certains massifs externes.
Fig. 20 : schéma d'un glissement de terrain
Interactions entre les processus
Tous les processus d’érosion mécanique interagissent entre eux :
Par exemple, les glissements de terrain augmentent brutalement la charge de sédiment transportée par
les fleuves. Ils peuvent aussi générer des barrages naturels formant des lacs ou déviant le court du
fleuve, à l’échelle de quelques milliers d’années. Les rivières et les glaciers, en incisant les bassins
versant, augmentent les pentes, pré-conditionnant ces dernières aux instabilités gravitaires. Un
glissement de terrain qui se dépose sur un glacier induit une surcharge qui favorise la progression du
glacier par fluage, et donc favorise son action érosive.
La bordure du plateau tibétain est l’une des régions montagneuses les plus abruptes au monde, avec un
dénivelé de 5000 m sur une centaine de kilomètres seulement. Il est difficile d’expliquer une telle
topographie par les seules propriétés rhéologiques de la lithosphère continentale, et il est fort probable
que cette particularité topographique soit le fruit d’interactions complexes entre processus érosifs. Des
études ont montré que les glaciers au sommet du plateau tibétain créent des moraines qui bloquent le
cours des rivières et forment des lacs de haute montagne. Seuls quelques cours d’eau étroits, et très
localisés, entaillent les moraines. Du fait de la faible largeur des cours d’eau, la puissance de leur
courant est très élevée, et leur capacité érosive forte. Cette efficacité érosive serait responsable des
pentes très abruptes observées dans la région. La répétition des cycles glaciaires à l’échelle des temps
géologiques aurait donc, via leur contrôle de l’érosion par les rivières, contrôlé l’équilibre
érosion/surrection du plateau tibétain à l’échelle du million d’années.
Fig. 21 : origine des fortes pentes bordant le plateau tibétain
C) Erosion et compensation isostatique
Comment l’équilibre tectonique-climat se met en place à l’échelle du prisme orogénique ? Comment
un changement climatique peut-il induire un changement de taux de soulèvement de la topographie?
Nous avons montré que les chaînes de montagnes se caractérisent par la présence en profondeur de
racine crustale (modèle d’Airy). On considère une surface de compensation isostatique théorique le
long de laquelle la pression exercée par les roches sus-jacentes est égale. Considérons à présent une
situation initiale, avec une chaîne de montagne d’altitude h, une racine crustale d’épaisseur R, et une
lithosphère continentale non épaissie (en dehors de la zone de montagne) d’épaisseur H. L’érosion
diminue la valeur de la topographie h. Cependant, afin que l’équilibre isostatique soit réalisé, c’est-àdire afin que la pression à l’aplomb de la chaîne de montagne soit la même avant et après l’érosion, la
topographie est compensée. On considère que la compensation isostatique est instantanée à l’échelle
des temps géologiques (les calculs de rebond flexural montrent que la compensation se fait sur environ
5000 ans).
A l’état initial la pression sur la surface de compensation est :
P1=(h+H+R)g ρc
Après érosion, à l’équilibre isostatique :
P2= (h’ +H + R) g ρc +d g ρm
Avec h’ topographie après érosion, ρc densité de la croûte continentale (2.7) et ρm densité du manteau
lithosphérique (3.3). d est l’épaisseur du manteau isostatique après remontée de l’ensemble de la
colonne de croûte continentale.
En prenant P1=P2, et après simplification, il vient :
d=(h-h’) ρc / ρm
Application numérique : si on considère que l’érosion est de 100m (h-h’), d= 82 m. Après
compensation, la décroissance effective de la topographie n’est donc que de 20 m environ.
Ainsi, ~80% de la topographie des montagnes actuelles est liée à la compensation isostatique du
matériel érodé. La tectonique ne serait responsable que de 20% de la topographie. L’érosion n’est pas
une réponse passive à la formation de reliefs sous l’effet de la tectonique, mais au contraire un moteur
majeur de la formation de ces reliefs et de l’activité des structures géologiques.
Pour que la compensation isostatique opère, il faut que le matériel produit par l’altération soit
transporté hors de la zone de reliefs, vers les océans. Ainsi, si après une crise sismique, le volume de
roches érodées par les glissements de terrain n’est pas évacué par des rivières, alors la compensation
isostatique ne peut s’opérer. Un système érosif se caractérise par son temps caractéristique de réponse.
Dans le cas des fleuves, le temps caractéristique est le rapport entre la longueur du fleuve et un terme
Δ (terme complexe, dépendant du flux de sédiment, du coefficient de Chézy, de la porosité du
sédiment…). Le temps caractéristique des grands fleuves himalayens est de l’ordre de 2 à 5. 105 ans,
soit largement supérieur à la cyclicité des paramètres de Milankovitch. En moyenne, la variabilité
climatique du quaternaire (alternance des cycles glaciaire-interglaciaire) ne joue donc pas un rôle
important sur l’évolution topographique de l’Himalaya. En revanche, l’apparition des glaciations,
l’intensification de la mousson à 3 Ma (i.e. tout changement climatique modifiant le système à
l’échelle du million d’années) ont très probablement joué un rôle important dans cette évolution.
Notion de longueur d’onde dans la flexure de la lithosphère : si la zone érodée est trop étroite par
rapport à la longueur d’onde de la flexure de la lithosphère, cette zone ne sera pas compensée par le
jeu de l’isostasie.
D) Climat et prisme orogénique
Comment un changement climatique peut-il affecter l’évolution d’un prisme orogénique via
l’érosion ? Sous l’effet de la compensation isostatique post-érosion, et sous l’effet des changements
dans la distribution des contraintes liées à l’érosion (changement du taper du prisme), la croissance de
l’orogène peut induire un réajustement de la position du niveau de décollement. Si le climat influence
la tectonique, alors l’accélération du taux de soulèvement doit se maintenir longtemps après le début
du changement climatique (temps de réponse du système). Cependant, le flux sédimentaire vers les
bassins adjacents ne permet pas de discriminer si l’augmentation du relief est liée au climat seul ou à
l’action du climat sur la croissance des structures tectoniques. Dans le cadre de la théorie du prisme de
Coulomb, si le climat est seul responsable du soulèvement topographique, alors la déformation devrait
migrer et se concentrer vers les zones de déformations internes. On attend une flexure lithosphérique
moins importante dans l’avant pays (bassin flexuraux moins profonds, bombement d’avant-pays moins
marqué). Inversement, si la topographie augmente suite à une activité tectonique, on attend une
progradation du front de déformation vers l’avant-pays, et un effet flexural plus important du fait de
l’épaississement crustal créé par la tectonique.
Parvient-on à détecter dans la nature les changements attendus dans la dynamique du prisme suite à un
changement climatique ? Rien n’est moins évident… Au niveau de l’Himalaya, on observe
actuellement, diminution des précipitations vers le Nord…mais le taux de soulèvement topographique
(mesuré par GPS) est uniforme sur le front de la chaîne! A première vue, cela contredit l’hypothèse
selon laquelle le climat interfère sur l’évolution des reliefs via l’érosion. En réalité, en allant vers les
domaines internes de la chaîne, les glaciers jouent un rôle prépondérant sur l’érosion, et compensent le
déficit d’érosion lié aux précipitations plus faibles. L’érosion est donc bien uniforme, mais l’agent
diffère! Cela implique une réponse uniforme du prisme orogénique à l’érosion.
Les changements climatiques permettent-ils réellement d’augmenter l’érosion des continents ? Là
encore, les contradictions sont nombreuses. Les estimations de l’évolution du flux sédimentaire au
cours du Cénozoïque montrent une augmentation exponentielle du volume de sédiments délivrés aux
océans en approchant l’Actuel. Le « pic » de sédimentation commence à 5 Ma selon cette courbe.
Cependant, ces estimations de flux sédimentaire ne tiennent pas compte de la probabilité qu’un
sédiment reste préservé au cours des temps géologiques. Autrement dit, un sédiment déposé il y a 30
Ma a eu plus de chance d’être re-érodé qu’un sédiment déposé il y a 3 Ma. Des études géochimiques
du flux de sédiment, basée sur les mesures de 10Be, montrent qu’il n’y a pas eu de variations du flux
sédimentaire global au cours des 10 derniers millions d’années, alors qu’on supposait que le pic de
sédimentation autour de 5 Ma était associé à une érosion accrue des continents corrélée aux prémices
de la période glaciaire qui allait caractériser le Quaternaire… L’augmentation du flux sédimentaire
supposée au cours du Cénozoïque ne serait en réalité qu’un artefact de l’enregistrement sédimentaire!
Cela pose de profondes questions sur l’effet réel du climat sur la croissance du relief, questions encore
irrésolues.
Fig. 22 : Evolution du flux sédimentaire au cours du Cénozoïque
3) Conclusion : vers un modèle synthétique des processus de formation et d’évolution des
chaînes de montagnes
Le processus de formation d'une chaîne de montagne s'inscrit la plupart du temps dans la continuité de
la subduction océanique (pas toujours, cas des Pyrénées). Le passage du prisme accrétion sédimentaire
au prisme orogénique, avec formation d'écailles d'échelle lithosphérique, s'opère lorsque le panneau
plongeant océanique finit par se détacher du continent : on passe alors en régime de collision
continentale pure. La rhéologie de la lithosphère continentale contrôle au premier ordre le degré de
raccourcissement au niveau de la chaîne, tandis que le climat, via la compensation isostatique, est à
l'origine de l'essentiel de la topographie observée. La compétition entre forces aux limites et forces de
volume contrôle la durée de vie d'une chaîne de montagne, et l'équilibre établi entre processus
tectonique et climatique.
Il reste de nombreuses incompréhensions dans les processus de formation des montagnes,
essentiellement dues aux difficultés d'imager leur structure profonde. Quelle est l'origine du plateau
tibétain? Quel modèle pour expliquer le processus d'exhumation? Comment le climat influence -t-il
l'évolution d'un prisme orogénique? Comment sont définis les changements climatiques du Miocène?
Comment les chaînes de montagne ont pu influencer le refroidissement Cénozoïque?
Remarques :
-Echelle sur les figures ; ordres de grandeurs sur les figures et dans le texte
-Eviter les introductions « de tous temps »…ou les mises en situations artificielles (« tous les enfants se
demandent comment se forment les montagnes » ) / préférer l’approche histoire des sciences, fondée sur des
travaux et des questionnements réels, ayant animés la communauté scientifique pendant des décennies.
-Eviter les problématiques en paraphrase du sujet : une bonne problématique doit faire ressortir une démarche
d’investigation, basée sur des questions fondées sur des paradoxes bien identifiés (ex. comment peut-on avoir de
la subduction continentale, de l’obduction ? Est-ce que la structure de surface d’une chaîne reflète sa structure
en profondeur, ou est-ce que des structures sont invisibles à l’affleurement ?)
-Lorsque les exemples à traiter sont spécifiés dans le sujet, il faut baser votre démonstration sur ces cas
concrets, et ne pas se contenter de schémas génériques applicables à n’importe quelle zone. Lorsque l’exemple à
traiter est imposé dans le sujet, il faut discuter de ses particularités. Voir le rapport du jury 2012, sur le sujet
« L’Océan Atlantique », pour plus de conseils.
-A l’inverse, il ne s’agit pas d’entrer dans l’histoire détaillée d’une chaine de montagne (par exemple inutile de
présenter la stratigraphie détaillée des Alpes, il suffit juste de prendre deux-trois connaissances utiles au
propos)
-il est indispensable de proposer des schémas structuraux simplifiés des Alpes, de l’Himalaya, des coupes
simplifiées de ces chaines, une carte simplifiée du métamorphisme alpin, une carte simplifiée des chaines alpines
à l’échelle du globe…
-Le détail des séries ophiolitiques est à la limite du hors-sujet ici : les séquences ophiolitiques permettent de
comprendre la formation d’un océan, pas d’une chaîne de montagne : il suffit de dire qu’elles ont la même
nature que la lithosphère océanique, i.e. péridotite, gabbro, basaltes (avec de nombreuses variations), et
qu’elles sont les témoins d’anciens océans. Inutile de détailler la pétro des ophiolites sur deux pages ! En
revanche, discuter des processus d’obduction/exhumation.
Fig. 23 : schéma du prisme orogénique alpin
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