Formation et évolution des chaînes de montagne associées au cycle

Formation et évolution des chaînes de montagne associées au cycle alpin
Préparation à l’Agrégation, Université d’Orsay.
Correction de l’écrit –proposée par M. Rodriguez
rodriguez@geologie.ens.fr
Introduction
C’est avec la publication en 1779 du « voyage dans les Alpes » d’Horace Bénédicte de Saussure, qui
consigne les premières observations de structures compressives (plis), qu’apparaît la question de la
formation des chaînes de montagnes. Ces travaux marquent la naissance de la géologie structurale, qui
n’aura cesse de se développer au cours du XIX°siècle, avec l’étude toujours plus aboutie des Alpes
européennes. Les travaux les plus remarquables sont ceux de Marcel Bertrand, qui mit en évidence le
processus de nappes de charriage à partir de l’exemple de la nappe de Digne, et démontra que les
roches au sein de la nappe ont été déplacées sur plusieurs dizaines voire centaines de kilomètres sur
une faille inverse à pendage sub-horizontal. Ce mode de déformation résulte d’un raccourcissement
bien plus prononcé que les plis observés par De Saussure.
Observations du métamorphisme dans les chaînes de montagne dès le XIX°siècle (travaux de Gressly,
puis Eskola), et mise en évidence des mouvements verticaux des roches, accompagnés de changement
de pression et de température. [Métamorphisme : ensemble des transformations chimiques,
minéralogiques et structurales que subit une roche lorsqu’elle est soumise à des conditions de
pression et de température différentes de celles ayant gouverné sa formation. Ces transformations ont
lieu à l’état solide.]
En parallèle des travaux de géologie de terrain, l’étude du champ gravimétrique révèle une
caractéristique fondamentale des chaînes de montagnes : la présence d’anomalies de Bouguer
négatives (-130 mGal pour les Alpes européennes, -500 mGal pour l’Himalaya). Les anomalies de
Bouguer sont obtenues après corrections de la valeur mesurée de l’intensité du champ gravimétrique
(correction de plateau, correction à l’air libre, correction de la valeur théorique du champ de gravité).
Ces corrections permettent d’isoler la part du signal gravimétrique due aux hétérogénéités de
distribution des masses dans la première centaine de kilomètre de la Terre. L’interprétation des
anomalies de Bouguer négatives résista longtemps aux géophysiciens : comment expliquer que les
montagnes sont des zones de déficit de masse alors que leur topographie suggère au contraire une
accumulation de matière ? Airy apporta les premiers éléments de réponse : la topographie est
compensée en profondeur par une racine crustale, à la manière d’un Iceberg dont la partie émergée est
compensée par une partie immergée. Dans le cas des chaînes de montagne, la racine crustale de
densité ~2.7 prend place au sein du manteau lithosphérique, de densité ~3.3. Par rapport à un modèle
de Terre à enveloppes concentriques et à distribution de masse homogène, la présence d’une racine
crustale induit un déficit de masse à l’origine des anomalies de Bouguer négatives. Ceci démontre que
les chaînes de montagnes sont des zones d’épaississement crustal, résultant de l’empilement des
nappes de charriage mises en évidence par les géologues de terrain. La surcharge exercée par la
topographie induit la flexure de la lithosphère (Vening-Meinesz), à l’origine de bassins flexuraux qui
bordent les montagnes (exemples des bassins molassiques Suisse et Padan pour les Alpes franco-
italiennes).
Fig. 1 : profil d'anomalies de Bouguer à travers les Alpes
Dès le début du XX° siècle, l’essentiel des éléments permettant la définition d’une chaîne de montagne
sont donc bien établis : une chaîne de montagne est une zone de topographie positive, compensée en
profondeur par une racine crustale, résultant d’un épaississement de la croûte continentale sous l’effet
de déformations compressives (plis) et de l’empilement d’écailles ou de nappes de charriage par des
failles inverses. Une chaîne de montagne se caractérise par du métamorphisme indiquant
l’enfouissement en profondeur puis l’exhumation de roches vers la surface.
Pourtant, les scientifiques du XIX° siècle et de la première moitié du XX° peinent à intégrer
l’ensemble de ces informations dans un modèle synthétique de formation et d’évolution des chaînes de
montagne. Dans les années 1820, Elie de Beaumont proposait que les chaînes de montagnes dérivent
de la contraction thermique de l’écorce terrestre, qui serait responsable de plis à grande longueur
d’onde déformant la surface de la Terre. Plis, failles inverses, nappes de charriage, métamorphisme
sont dans ce cadre la conséquence de glissement gravitaire sur les flancs des reliefs crées par
l’intumescence thermique de l’écorce. Ces conceptions évoluèrent vers le modèle des
« géosynclinaux », qui perdura jusqu’aux années 1960. Dans ce modèle, aucun mouvement de plaques
lithosphériques n’est nécessaire : le matériel est accumulé par glissement gravitaire dans les creux
formés lors de la contraction thermique de l’écorce terrestre-ce qui permet d’expliquer la déformation
des roches, les nappes de charriage et leur empilement par « nappes de glissement » successives. Le
métamorphisme s’explique par le fait que les premières nappes déposées dans les creux sont soumises
à des pressions et des températures sans cesse plus élevées au fur et à mesure qu’elles se retrouvent
enfouies sous les nappes plus jeunes. Enfin, le modèle isostatique d’Airy sert à expliquer le
soulèvement topographique des chaînes de montagnes au cours de leur histoire : l’excès de matériel
apporté par glissement gravitaire induit un excès de masse qui doit être compensé par la formation
d’une racine crustale et d’une topographie. Ce modèle s’inscrit dans la lignée du catastrophisme,
vision selon laquelle le visage de la Terre serait modelé par des évènements exceptionnels,
discontinus, agissant ponctuellement au cours des temps géologiques. Le modèle des
«géosynclinaux », qui apparaît bien abscons aujourd’hui face à celui de la dérive des continents, fut
pourtant le principal obstacle à son acceptation lorsqu’il fut formulé par Wegener dans les années
1910. En dépit de la validité des arguments proposés complémentarité de la forme des continents de
part et d’autres des océans, identité paléontologique des strates sédimentaires sur les continents avant
leur déchirure, cohérence géographique des dépôts glaciaires Paléozoïques et des cratons lorsque les
continents sont regroupés- Wegener ne sut proposer de moteur physique efficace à sa théorie, et se
trompa dans le calcul de la vitesse d’ouverture des océans (qu’il estimait à plusieurs mètres par an)…
moteur physique qui, bien que totalement erroné, était présent dans la théorie des géosynclinaux et en
accord avec les principaux consensus scientifiques de l’époque.
La théorie de Wegener, réduite à une simple rêverie par ses opposants, séduisit toutefois un géologue
suisse, Emile Argand, qui consacra sa carrière à éclairer les processus de formation de chaînes de
montagne à la lumière de la théorie de la dérive des continents. Emile Argand réalisa entre autres la
première carte structurale de l’Asie, ainsi que des coupes des principales chaînes de montagnes
s’étendant de l’Europe à l’Himalaya. Les travaux d’Emile Argand, accomplis dans les années 1920-30
étonnent par leur caractère visionnaire : les ceintures d’ophiolites -vestiges de lithosphère océanique
fossile reposant sur les continents- sont incluses dans les orogènes et décrites comme les vestiges
d’océans, tandis que certaines coupes impliquent déjà l’existence de subduction continentale ! Les
hypothèses de la subduction continentale et de l’obduction sont alors provocantes dans le cadre des
principes de l’isostasie : comment un corps continental peut-il plonger dans/sous un corps qui est plus
dense que lui? Au-delà de ces considérations, les travaux d’Emile Argand apportent un élément décisif
à la définition d’une chaîne de montagne : il s’agit de structures résultant de processus de convergence
(rapprochement) entre deux plaques.
Dans la lignée des travaux d’Emile Argand, nous allons ici étudier les chaînes de montagne formées
au cours du Cénozoïque depuis les Pyrénées jusqu’à la Nouvelle-Calédonie, à la lumière de la théorie
de la tectonique des plaques formulée à la fin des années 1960 (LePichon, McKenzie, Morgan). Ces
chaînes de montagne ont été formées à la faveur de la subduction d’un océan qui ne persiste qu’en de
rares endroits (en Méditerranée orientale sous le système turbiditique du Nil, voire au large du Makran
Pakistanais selon certains auteurs). Il s’agit de l’Océan Néotéthysien et de ses annexes, en particulier
l’Océan Liguro-Piémontais (ou alpin) dont la subduction est à l’origine des Alpes Occidentales. Les
Alpes centrales et orientales résultent de la subduction de l’Océan Méliata au Crétacé moyen-
supérieur, océan distinct de la Néotéthys. Cet océan Liguro-Piémontais n’est pas à proprement parler
relié à la Néotéthys : il s’agit plutôt d’une branche de l’Océan Atlantique connectée à ce dernier par le
système décrochant de la faille Nord-Pyrénéenne entre l’Ibérie et l’Europe. Les ophiolites du
Chenaillet en sont le vestige. Les traces de l’Océan Néotéthysien sont surtout préservées sous la forme
de lambeaux d’ophiolites : les plus spectaculaires sont celles du Nord du Sultanat d’Oman, dîtes
« ophiolites du Semail », datées autour de 90 Ma par radiochronologie, et obduites autour de 80 Ma.
Le même océan est retrouvé dans les corps ophiolitiques iraniens, au sein du Zagros (ophiolites de
Neiriz et Kermanshah), et au niveau de la suture de Bitlis en Turquie. Des lambeaux témoignant de
lithosphères océaniques plus anciennes, mais mis en place au cours du même évènement d’obduction,
sont retrouvées au niveau de la suture de l’Indus-Tsangpo en Himalaya, avec notamment les corps de
Xigaze, Spontang, Nidar, dont les âges sont compris entre 120 et 170 Ma (l’Himalaya comprend
d’autres sutures ophiolitiques, issues de la fermeture de la Paléotéthys au début du Mésozoïque, qui
ne seront pas abordées dans cette dissertation). La Néotéthys était un océan formé lors de
l’éclatement de la Pangée, séparant le Gondwana au sud de la Laurasia au Nord. Le rifting à l’origine
de la Néotéthys débute au Permien, peu après la formation des trapps du Panjal en Inde.
Le cycle alpin est donc un cycle de Wilson débuté par l’ouverture d’un océan à la fin du Permien-
Trias, et sa disparition dès le Crétacé supérieur. Les orogènes associés au cycle alpin sont issus des
mouvements de convergence entre l’Eurasie et les plaques issues de la fragmentation du Gondwana
(Afrique, Arabie, Inde, Australie pour les principales). Les chaînes de montagne associées au cycle
alpin sont de nature diverses : chaîne de subduction (Makran), chaîne d’obduction (Oman), chaîne sur
systèmes décrochants (Pyrénées, Altyn Tagh) et chaînes de collision (Alpes, Zagros, Himalaya). Ces
orogènes sont à différents stades de leur évolution : la collision continentale n’a pas encore eu lieu au
niveau du Makran, alors qu’elle prit place autour de 50 Ma pour l’Himalaya ; et que la Mer Egée est
formée par l’étalement gravitaire d’une chaîne alpine structurée à l’Eocène. L’étude de ces différents
orogènes permet de mettre en évidence la structure de chaînes de montagne ayant subi différentes
réorganisations structurales, contrôlées par des rhéologies de la lithosphère continentale différentes.
La comparaison entre ces chaînes de montagnes permet aussi de mettre en évidence les modalités de
leur évolution en fonction des caractéristiques des processus de convergence impliqués et le degré de
couplage mécanique entre les plaques en collision.
D’autre part, le Cénozoïque a été une période de bouleversement climatique, marquant la transition
d’un climat de type « Greenhouse » au Mésozoïque, vers un climat de type « Icehouse », aboutissant à
la période glaciaire du Quaternaire. Cette période de transition climatique a été marquée par
l’apparition de calottes glaciaires aux deux pôles (au sud d’abord à l’Oligocène ; puis au nord à la fin
du Pliocène), et par l’apparition des régimes de mousson (entre 15 et 20 Ma). Le Tertiaire se
caractérise par la mise en place d’interactions complexes entre tectonique et climat : les variations
climatiques contrôlent les régimes de précipitation, et donc l’érosion des chaînes de montagne, ainsi
que la croissance des reliefs via les processus de compensation isostatique. La croissance des chaînes
de montagne influence en retour la géométrie des cellules atmosphériques, et peut créer des barrières
topographiques naturelles limitant la zone d’action des précipitations. Certains scénarii proposent que
l’érosion accrue des reliefs formés au Cénozoïque a joué le rôle de « pompe à CO2 » et précipité la
transition vers les conditions glaciaires du Cénozoïques (en diminuant l’effet de serre). Le rôle de la
formation des montagnes sur l’évolution du climat ne sera pas discuté ici, nous nous contenterons
d’évoquer les différents rôles joués par le climat sur l’évolution des reliefs. Les interactions
tectonique-climat sont particulièrement étudiées à partir d’exemples du cycle alpin il demeure trop
d’incertitudes relatives à l’histoire des chaînes de montagne et des paléoclimats pour les cycles plus
anciens.
L’objectif de cet écrit est de proposer, via une étude comparée des chaînes de montagnes cénozoïque
associées au cycle alpin, un modèle d’évolution synthétique des chaînes de montagne, des premiers
stades de formation à leur démantèlement. Les exemples du cycle alpin offrent suffisamment de
diversité pour illustrer la notion de prisme orogénique dans toute sa complexité. Les exemples à
détailler sont ceux explicitement au programme : les Alpes européennes et au sens large les chaînes
bordant la méditerranée ; et l’Himalaya. Ces exemples seront discutés à la lumière de comparaisons
succinctes avec les autres chaînes. Il ne s’agit pas de fournir une présentation exhaustive de la géologie
de ces chaînes de montagnes (pas le temps !) mais au contraire de limiter le sujet aux particularités de
chacune de ces chaînes.
Fig. 2 : Localisation des principales chaînes de montagnes associées au cycle alpin
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