Les végétaux non vasculaires (bryophytes, champignons, lichens) sont longtemps restés dans
l’ombre de leurs consœurs angiospermes, mais sont pourtant des organismes dont la
biomasse peut excéder, en forêt boréale, celle des végétaux vasculaires. Ils jouent, de plus,
de nombreux rôles dans le fonctionnement de ces écosystèmes. Les lichens sont, à ce titre,
des organismes bioindicateurs des vieilles forêts et de la santé des écosystèmes.
Á travers une revue de ses expérimentations, Monsieur Arsenault nous propose de nous
pencher sur l’étude des lichens arboricoles dans l’objectif d’informer l’aménagement des forêts
canadiennes.
En premier lieu, qu’est-ce qu’un lichen
Définir un lichen est hasardeux, ils naissent de la « brillante idée qu’aurait eu un champignon,
de cultiver une algue ! ». Cette association pour aboutir à la formation d’un lichen requiert
diverses conditions écologiques, pour le moment encore non élucidées en totalité. Les lichens
sont divisés en 3 groupes : fructiculeux, crustacés et foliacés et occupent des microhabitats
divers (e.g. bois mort, rochers, sol, branche). Leur établissement est justifié par des facteurs
primaires tels que la qualité de l’air, l’altitude, la disponibilité en nutriment et la zonation
biogéoclimatique ; mais aussi par des facteurs secondaires soit l’âge des peuplements ou
encore le ratio d’humidité air/atmosphère. Ces facteurs sont les garants d’une diversité
maximale en espèce et sont retrouvés, par exemple, en forêt tempérée humide de la côte
ouest de l’Amérique du Nord.
Les 3 groupes de lichens : fruticuleux, crustacés et foliacés (gauche à droite)
Photos : André Arsenault
Diversité lichénologique et forêts anciennes de la côte ouest
La topographie et le climat particulier de la côte ouest de la Colombie-Britannique sont à
l’origine de la formation de forêts singulières dont certaines sont qualifiées de « antiques ».
Les temps sans perturbation y sont extrêmement longs, l’âge de la forêt vient alors à excéder
celui de l’arbre le plus vieux en place. Ces écosystèmes abritent des communautés lichéniques
rares et relictuelles. Leur aménagement a longtemps été basé sur des temps sans
perturbation de 300 ans, or, les études ont mis en évidence que la majorité de ces forêts
atteignent plus de 900 ans. Réduire le nombre de ces vieux peuplements vient alors à réduire
la biodiversité. Une diminution de la diversité des lichens en forêt jeune par rapport à vieille a
été démontrée, sans pour autant que cette différence ne soit significative. Cette diminution est
accrue lorsque les legs biologiques sont retirés, cependant, cette tendance dépend des
espèces/groupes de lichens étudiés.
Ces études soulignent la vigilance dont nous devons faire preuve lors de nos interprétations.
Bien que les lichens soient associés aux vieilles forêts, les conclusions ne sont pas toujours
aussi évidentes…
Les cyanolichens comme pH-mètres ?
Les cyanolichens (symbiose entre un champignon et une cyanobactérie) supportent une
gamme de pH particulière. Cette caractéristique est utilisée dans le cadre de la détection
précoce de l’acidification du milieu par les pluies ou dépôts secs acides résultant des activités
industrielles.
Aussi, bien qu’inféodés aux vieilles forêts, une abondance accrue de cyanolichens est
retrouvée en forêt jeune nord-américaine. Cette observation est imputée au « dripzone
effect » (effet de la zone d’égouttement des cimes) soit à la présence de certaines essences
(e.g. peuplier) responsables de l’enrichissement en nutriments du milieu. Ces espèces agissent
comme des pompes à nutriments et participent à la diminution de l’acidité du milieu, favorable
à l’établissement des cyanolichens dans les phases d’initiation de la communauté. On parle de
mécanisme de facilitation permettant la mise en place de la communauté cyanolichénique,
malgré l’acidité de l’environnement engendrée par les conifères.
Ce mécanisme n’est ensuite pas retrouvé en forêt mature et vieille puisque non utile au
maintien des espèces post-établissement.
Lichens et aménagement forestier
Dans le cadre de la restauration écologique, des études dans les milieux xériques suite aux
modifications des patrons de perturbation naturelles ont été réalisées ; 308 espèces de lichens
ont été recensées sur 400 ha dont 35 espèces nouvelles. De tels travaux sont essentiels afin
de réaliser des modèles conceptuels et de définir les hotspots de biodiversité lichénique. De
plus, des modèles prédictifs sur une espèce rare à l’échelle mondiale, l’Erioderme boréale
(Erioderma pedicellatum), appuient la présence, en forêt jeune, de cette espèce inféodée aux
vieilles forêts. Aussi, elle peut être absente de certains vieux peuplements, et, contrairement
aux attentes, elle peut survivre en bordure des coupes et chablis bien que l’environnement y
soit perturbé.
La somme de ces travaux met clairement en évidence le besoin de se pencher sur des
processus se jouant à fine échelle et de parfaire nos connaissances à l’échelle locale puisque la
composition des communautés varie selon les zones biogéographiques. De plus, ces études
soulignent l’impossibilité de généraliser les patrons de distribution des lichens. Ils ne sont ni
exclusivement associés aux vieilles forêts ni non plus impactés systématiquement
négativement par l’exploitation forestière. La connaissance des patrons de diversité des
lichens et des processus expliquant leur distribution est indispensable pour orienter les
protocoles d’aménagement forestier.
L’aménagement écosystémique vise à concilier exploitation forestière et conservation d’un
maximum de biodiversité. Ceci ne devient possible que si nous osons nous pencher sur des
échelles qui nous dépassent, si nous osons soulever l’écorce des arbres à la manière dont nous
ouvririons les pages de nouveaux livres…qui restent à écrire…
Références fournies par le conférencier
Arsenault A. & T. Goward (2000a). Ecological characteristics of inland rainforests.
Dans : Darling L. (ed.). Proceedings of a conference on the biology and management
of species and Habitats at risk. February 15-19 UCC, Kamloops, B.C. Pp. 437-439.
Arsenault A. & T. Goward (2000b). The drip zone effect: new insight into the
distribution of rare lichens. Dans : Darling L. (ed.). Proceedings of a conference on the
biology and management of species and Habitats at risk. February 15-19 UCC,
Kamloops, B.C. Pp. 767-768.
Goward T. & A. Arsenault (1997). Notes on the assessment of lichen diversity in old-
growth Engelmann Spruce-Subalpine Fir forests. Dans : Hollsted C. & A. Vyse
(eds.). Sicamous Creek Silvicultural Systems Project: Workshop Proceedings. April
1996, Kamloops.
Goward T. & A. Arsenault (2000a). Cyanolichen distribution in young un-managed
forests: a dripzone effect? The Bryologist 103(1), 28-37.
Goward T. & A. Arsenault (2000b). Cyanolichens and conifers: implications for global
Conservation. Forest Snow and Landscape Research 75(3), 303-318.
Goward T. & A. Arsenault (2000c). Inland old-growth rainforests: Safe havens for rare
lichens? Dans : Darling L. (ed.). Proceedings of a conference on the biology and
management of species and Habitats at risk. February 15-19 UCC, Kamloops, B.C. Pp.
759-766.
Klenner W., A. Arsenault, E.G. Brockerhoff & A. Vyse (2009). Biodiversity in forest
ecosystems and landscapes: A conference to discuss future directions in biodiversity
management for sustainable forestry. Forest Ecology and Management 258S, S1-S4.
Marion Barbé, Étudiante au Doctorat en sciences de l’environnement, UQAT.
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