Ces études soulignent la vigilance dont nous devons faire preuve lors de nos interprétations.
Bien que les lichens soient associés aux vieilles forêts, les conclusions ne sont pas toujours
aussi évidentes…
Les cyanolichens comme pH-mètres ?
Les cyanolichens (symbiose entre un champignon et une cyanobactérie) supportent une
gamme de pH particulière. Cette caractéristique est utilisée dans le cadre de la détection
précoce de l’acidification du milieu par les pluies ou dépôts secs acides résultant des activités
industrielles.
Aussi, bien qu’inféodés aux vieilles forêts, une abondance accrue de cyanolichens est
retrouvée en forêt jeune nord-américaine. Cette observation est imputée au « dripzone
effect » (effet de la zone d’égouttement des cimes) soit à la présence de certaines essences
(e.g. peuplier) responsables de l’enrichissement en nutriments du milieu. Ces espèces agissent
comme des pompes à nutriments et participent à la diminution de l’acidité du milieu, favorable
à l’établissement des cyanolichens dans les phases d’initiation de la communauté. On parle de
mécanisme de facilitation permettant la mise en place de la communauté cyanolichénique,
malgré l’acidité de l’environnement engendrée par les conifères.
Ce mécanisme n’est ensuite pas retrouvé en forêt mature et vieille puisque non utile au
maintien des espèces post-établissement.
Lichens et aménagement forestier
Dans le cadre de la restauration écologique, des études dans les milieux xériques suite aux
modifications des patrons de perturbation naturelles ont été réalisées ; 308 espèces de lichens
ont été recensées sur 400 ha dont 35 espèces nouvelles. De tels travaux sont essentiels afin
de réaliser des modèles conceptuels et de définir les hotspots de biodiversité lichénique. De
plus, des modèles prédictifs sur une espèce rare à l’échelle mondiale, l’Erioderme boréale
(Erioderma pedicellatum), appuient la présence, en forêt jeune, de cette espèce inféodée aux
vieilles forêts. Aussi, elle peut être absente de certains vieux peuplements, et, contrairement
aux attentes, elle peut survivre en bordure des coupes et chablis bien que l’environnement y
soit perturbé.
La somme de ces travaux met clairement en évidence le besoin de se pencher sur des
processus se jouant à fine échelle et de parfaire nos connaissances à l’échelle locale puisque la
composition des communautés varie selon les zones biogéographiques. De plus, ces études
soulignent l’impossibilité de généraliser les patrons de distribution des lichens. Ils ne sont ni
exclusivement associés aux vieilles forêts ni non plus impactés systématiquement
négativement par l’exploitation forestière. La connaissance des patrons de diversité des
lichens et des processus expliquant leur distribution est indispensable pour orienter les
protocoles d’aménagement forestier.
L’aménagement écosystémique vise à concilier exploitation forestière et conservation d’un
maximum de biodiversité. Ceci ne devient possible que si nous osons nous pencher sur des
échelles qui nous dépassent, si nous osons soulever l’écorce des arbres à la manière dont nous
ouvririons les pages de nouveaux livres…qui restent à écrire…