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lation arabo-musulmane un statut de minorité quasi nationale et quasi
constitutionnelle dans la démocratie, ainsi instrumentalisée à des ns
non républicaines. Sur ce plan là, le multiculturalisme et la démocratie
invoqués avec panache se verraient l’objet d’un détournement qui culti-
verait l’ambivalence et l’ambiguïté à la façon d’une méthode politique.
Le concept de « minorité majoritaire » développé par Tariq Ramadan
et le courant fondamentaliste est à cet égard bien plus qu’inquiétant :
minorité par le nombre, majorité par les valeurs, autant dire « mino-
rité tyrannique » selon le concept forgé par la philosophe Yves Charles
Zarka. La oumma est dénie par Al Alwani et Ramadan comme un
modèle pour le genre humain et le terme employé de façon inédite
pour qualier ce modèle (chahada) désigne couramment, comme on le
sait, la condition du martyr de la foi (le chahid), celle des « bombardiers
humains », par exemple, auteurs d’horribles attentats contre les popu-
lations civiles.
Ce double système de pensée et de langage prend tout son sens et sa
nécessité en Europe et aux Etats-Unis, du fait d’une situation inédite
pour l’islam (et pour l’Occident) : l’implantation d’une population
musulmane importante mais minoritaire dans une société occidentale,
majoritaire, diérente du cadre colonial (où le rapport majorité-mino-
rité était inversé au prot de l’islam). En quoi y a-t-il problème en
l’occurrence ? La situation est totalement nouvelle pour les musulmans.
Ils se retrouvent en minorité dans un cadre gouverné par le principe
de l’individualisme démocratique et de l’État-nation à l’occidentale
qui les obligerait à se séparer de la oumma, la « nation islamique »,
une catégorie théologico-politique, et les conduirait à transcender un
ethnocentrisme naturel. Dans son dogme en eet l’islam, seule religion
véridique de l’humanité, doit être adopté par tous les hommes. Cette
expansion ne concerne pas seulement les âmes mais aussi la géogra-
phie. Ainsi, le monde est-il partagé en « Maison de l’islam » et « Maison
de la guerre ». Ce partage territorial entre les non musulmans et les
musulmans est temporaire (car toute la terre appartient à la Divinité) et
le résultat d’un rapport de forces.
La question du statut religieux du territoire européen ou américain
est ainsi capitale pour décider du comportement du musulman. Tariq
Ramadan ne dénit plus le territoire non musulman comme dar el
harb, « Maison de la guerre », ce qui de prime abord semble pacique,
mais comme le dar el chahada, ce qui, nous l’avons évoqué, est inquié-
tant… Dénir l’Europe comme dar el waad, « maison de la promesse »,
comme le fait le cheikh Qaradaoui n’est pas plus rassurant. Malgré la
spiritualité apparente du terme, cette promesse est celle de la victoire
ultime de l’islam. Dans la conception du cheikh Qaradaoui, c’est par
la diusion de l’islam à l’intérieur de l’Europe que la domination du
continent se réalisera. Tel fut le projet, que Shammaï Fishman nous
rappelle, du mouvement fondamentaliste de la wasatiyya armant qu’il
fallait, pour conquérir le pouvoir (en Égypte alors), commencer par
introduire les principes de l’islam sur la scène politique : « la prochaine
fois la conquête (de l’Europe) ne sera pas réalisée par l’épée mais par
la prédication (daawa) et la diusion de l’idéologie », arme le cheikh
Qaradaoui… Ces données sont celles de l’islam classique mais elles
sont comprises dans leur littéralité par les fondamentalistes. Elles le
sont aussi dans une époque où l’expérience inédite de la condition de
minorité constitue une épreuve pour l’islam global, qui nécessiterait de
sa part un réajustement.
Confronté à ce dé, l’islamisme connaît dans sa partie la plus activiste
diérents cercles. Le cercle le plus en contact avec la démocratie occi-
dentale pratique naturellement le double langage, tentant de forger ses
objectifs politiques dans les termes les plus consensuels de la philoso-
phie politique actuelle (la citoyenneté démocratique). Dans cette strate
où se déplace, par exemple, Tariq Ramadan, il est intéressant d’entendre
ce que disent ses idéologues lorsqu’ils s’expriment en langue arabe,
à destination interne donc, en le comparant à ce qu’ils disent dans les
langues européennes, à des ns de séduction des démocrates. L’étude
de Shammai Friedman est à cet égard extrêmement utile et éclairante.
Elle démontre combien la terminologie juridique employée par Tariq
Ramadan se voit radicalement détournée du système de valeurs auquel
elle fait naturellement référence.
Le discours tenu par Ramadan, ambivalent et so à souhait, ne peut
être séparé de l’arrière plan du débat dans les milieux islamistes extrê-
mes. La question de la continuité de la oumma et la « dar-islamisation »
de l’Europe et des États Unis (leur dénition juridique comme « terres
d’islam ») n’y sont pas en jeu mais la dénition même du statut du non
musulman (juifs, chrétiens, démocrates) et le sort réservé à sa civili-
sation dans le dar el islam à venir. La reconnaissance des non musul-
mans par l’islam n’a jamais été brillante à travers l’histoire. Beaucoup
de mythes trompeurs ont travesti sa triste réalité. Juifs et chrétiens n’y
furent reconnus que comme « protégés », dhimmis, à titre de sujets de
second rang, soumis à des lois et des comportements vexatoires, dépos-