L’intégrisme musulman
1. L’Islam et la science
a. L’Islam contre la science ?
Dans quel contexte s’est développé l’intégrisme musulman ? [1]
Dans le passé, notamment au temps des de Bagdad (9ème siècle), l’Islam a rimé avec
civilisation car il a été un lieu de rencontre de diverses civilisations : l’héritage grec, les apports
de l’Inde (qui a inventé les chiffres dits arabes et le zéro), la Perse, la Chine dont les Arabes
ont amélioré les découvertes (papier, boussole, poudre à canon, ...). La langue arabe a donné
au monde de nombreux mots tels que chiffre, zéro, algèbre, algorithme, chimie, alcool, zénith,
des noms d’étoiles, de plantes, d’architecture...
Aujourd’hui l’Islam semble redouter une véritable rencontre avec la civilisation occidentale.
b. Les inventions, oui ; la critique scientifique, non
Dans les pays musulmans, la réflexion scientifique en est longtemps restée au niveau artisanal,
alors qu’elle devenait systématique en Occident : en astronomie, ce fut la révolution
copernicienne (le soleil tourne autour de la terre et non l’inverse). La chimie dépassa l’alchimie
arabe grâce à des mesures systématiques et précises. C’est ainsi que l’Occident est devenu
puissant grâce à son armement, à ses moyens de transport, à l’accumulation des richesses, et
qu’il a tenté de dominer le monde. Les musulmans ont réagi face à cette puissance de
l’Occident en insistant sur la personnalité musulmane et les valeurs religieuses.
Néanmoins, ils ont accepté la modernisation au plan pratique avant de tenter de l’intégrer dans
leur système de pensée. En effet, des pays comme l’Égypte (au 19ème siècle, elle était sous
domination ottomane, puis s’en est émancipée, et est tombée sous le joug anglais) ont connu
l’introduction des chemins de fer, da toutes, de l’enseignement, des législations occidentales
qui reconnaissent l’égalité de tous devant la loi ; le statut privilégié du musulman fut donc
partiellement remis en question par rapport aux autres croyants. Les autorités civiles ont pris de
l’importance par rapport aux autorités religieuses. Mais la législation musulmane reste en
vigueur pour le statut personnel et l’héritage, ce qui maintient la femme dans un état inférieur.
La religion musulmane adopte une certaine forme de modernisation qui lui est favorable : haut-
parleurs dans les mosquées, imprimerie et diffusion des ouvrages, média … Les études
supérieures autres que la théologie sont introduites dans les grandes universités :
- Al Azhar au Caire : ceux qui sont passés par cette université s’appellent azjaristes.
- La Zaytouna à Tunis (Zaytoun signifie « olive »).
- La Qaraouine à Fès (Maroc) : Qaraouine est le nom de la femme qui fonda cette université.
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c. Pas touche au Coran !
L’Islam accepte la science au service des techniques, mais pas comme instrument permettant
d’interroger l’histoire, l’organisation de la société et la nature des textes religieux et de la
révélation. Autrement dit, la science reste un domestique et non une maîtresse de la pensée.
Les musulmans n’acceptent les droits de l’homme (qui sont un concept rationnel et universel)
que dans la mesure où ils ne vont pas contre les coutumes canonisées par le Coran. Plutôt que
de reconnaitre que Mahomet a pu tolérer certaines coutumes tribales et familiales de son
temps, celles-ci deviennent un absolu au détriment d’un principe que la raison présente comme
universel, à savoir que tous les êtres humains, hommes et femmes, sont égaux.
L’Islam est présenté par les réformistes comme la religion de la science et de la raison.
Effectivement, il existe une certaine rationalité dans l’Islam : monothéisme, Dieu au-dessus de
la création, grandeur de l’homme, recherche du bonheur. Dans cette logique, les musulmans
estiment que leur religion a œuvré à la suppression de l’esclavage, à la libération de la femme,
à l’invention du droit international, à la civilisation de l’Europe (par sa présence eu Espagne,
dans les Balkans et par son influence intellectuelle et artistique).
Les réformistes ne considèrent pas la loi scientifique comme un ensemble cohérent organisant
tout l’univers et interne aux choses, mais comme l’expression de la volonté de Dieu sur les
choses. Pour eux, la loi scientifique a un caractère religieux : elle ne doit pas s’opposer à
l’enseignement du Coran. Par exemple, le prêt à intérêt, qui est favorable à l’économie parce
qu’il est producteur de nouvelles richesses, n’est pas autorisé dans le Coran. Il n’est donc
pas admis. Remarquons que l’Islam, loin de s’opposer à l’excision des femmes qui n’est pas
mentionnée dans le Coran, a contribué à la diffusion de cette pratique en Afrique.
d. Le conformisme des élites
Dans : Islam, sociétés africaines et culture industrielle, [2] Mamadou Dia, qui fut le premier
président du Conseil du Sénégal à l’indépendance, s’interroge sur la crise de la civilisation
musulmane. Selon lui, trop d’intellectuels musulmans veulent tout trouver dans le Coran,
comme si rien de valable n’existait en dehors de lui. Une réalité à laquelle ils ne peuvent pas
appliquer une phrase du Coran n’a pas de valeur pour eux. Au lieu de confronter leurs idées
avec la réalité, ils vivent dans un monde de pure imagination. Certes, il y a des aspects très
positifs dans l’Islam : son refus d’une société prométhéenne et son désir de construire un
monde nouveau basé sur le sens de Dieu et le sens de l’homme.
Quels sont, selon Mamadou Dia, les principaux facteurs de retard dans l’Islam ?
- L’attachement à une pédagogie centrée avant tout sur la mémoire : les textes sus par cœur
ont une autorité supérieure à la réalité présente. Ils orientent vers le passé, détournent de
l’observation, de la découverte, de l’innovation. (Voir ci-dessus)
- La solidarité inconditionnelle entre les membres d’une famille et d’un clan. Or, la société
moderne (organismes publics, usines, sociétés de transports...) exige un sens du bien commun
général : l’esprit de solidarité doit s’élever à ce niveau pour ne pas nuire au développement du
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pays.
- Autrefois, les gens servaient l’Islam par un engagement social tel que l’effort de guerre, la
diffusion de la langue arabe. Aujourd’hui, la vie sociale exige de nouvelles formes
d’engagement et de dévouement.
Face à la modernisation, trois attitudes se dessinent chez les musulmans :
- les utilitaristes qui acceptent l’évolution pour renforcer leurs États,
- les évolués occidentalisés, dont beaucoup émigrent,
- une majorité de réformistes cherchent à justifier l’évolution par une attitude apologétique,
mais militent dans des associations fondamentalistes pour défendre les valeurs de l’Islam.
C’est l’attitude que nous étudions ci-dessous.
2. Le réformisme musulman
Le réformisme qui s’est développé au 19ème siècle est fondé sur trois principes :
a. Le retour au Coran et aux traditions authentiques des musulmans des origines : c’est le
réformisme salafiyya qui s’inspire des ancêtres (salaf) dans la foi,
b. La lutte pour la libération des territoires occupés par les puissances coloniales,
c. La lutte contre les souverains musulmans qui refusent les réformes et pactisent avec les
puissances coloniales.
a. Les réformateurs musulmans et leur influence
Jamal al-Din al-Afghâni (1839-1897)
Il a lutté contre les puissances coloniales et les gouvernements arabes corrompus ; il a souvent
dû s’exiler. Il a encouragé les études et a eu de l’influence, avec son disciple Mohammad
Abdou, par la revue « Le lien indissoluble ». Le principal ouvrage de Jamal al-Din al-Afghâni est
« Réfutation des matérialismes ». Il est plus un politique qu’un religieux.
Mohammad Abdoh (1849-1905) disciple de Jamâl al-Din, a tenté de reformer l’université Al
Aznar.
Le Sayyed Rashîd Redâ (mort en 1935) eut et a encore beaucoup d’influence par son
commentaire sur le Coran : le Commentaire du Manâr, qui a paru dans sa revue al Manâr (= le
Phare, 1898-1935). Ce mouvement vise à sortir les pays arabes et musulmans du sous-
équipement scolaire et universitaire et à résister à l’idéologie scientiste et athée venant
d’Europe. Puis il soutint le réveil des nationalismes et les premières luttes pour
l’indépendance. [3]
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b. Le Réformisme et la vie politique
Cette montée des nationalismes d’inspiration musulmane s’est manifestée, entre autres, dans
les événements suivants : la révolte du Mahdisme au Soudan en 1880 (vaincu en 1898 à
Omdurman par les Anglo-égyptiens), résistance d’Abd el-Kader en Algérie (1832-1847),
soulèvement d’Abd el-Krîm (1921-1926) dans le Rif marocain, puis création du parti al-Istiqlâl
(indépendance) d’Allâl al-Fassi au Maroc en 1943, mouvement des Oulémas (création des
écoles arabes) en Algérie, création des Frères musulmans en Égypte (1928), dans la ligue du
Manâr. Ces derniers s’orientèrent vers des actions violentes, telles que des tentatives
d’assassinat contre Nasser. Ce nationalisme musulman a soutenu la lutte pour l’indépendance
des pays musulmans d’Afrique du Nord.
Certains pays musulmans ont fait des expériences de laïcisation : la Turquie avec Mustapha
Kemal (1881-1938) qui gouverne son pays de 1920 à 1938 et prend en 1934 le patronyme «
Atatürk », père des Turcs. Et aussi la Tunisie de Bourguiba : né en 1903, il fut président du
Conseil en 1956 et président de la République à partir de 1959. Mais ces tentatives de
laïcisation sont freinées par la reviviscence du mouvement fondamentaliste. Les sociétés
musulmanes acceptent difficilement une laïcisation radicale.
3. Réveil du fondamentalisme musulman
a. Échec d’une modernisation hâtive
Ce réveil date des années 1970. En effet, la modernisation d’inspiration socialiste et autoritaire
menée par Nasser en Égypte n’a pas empêché la déroute des Égyptiens face aux Israéliens
en 1967 (guerre des Six Jours). Les fondamentalistes interprètent ainsi : nous avons été
vaincus car nous avons oublié le Coran. Après la défaite et pour retrouver le soutien des
populations, le gouvernement égyptien autorise les confréries musulmanes à s’exprimer à
nouveau. Les Associations islamiques se développent. Elles ont une influence croissante dans
les universités. Le fondamentalisme bénéficie aussi des ressources accrues des pays arabes
provenant du renchérissement du pétrole à partir de 1973. Les islamistes sont souvent des
gens issus des universités ; ils sont en réaction contre les excès qu’ils prêtent à la société
occidentale, contre son impérialisme, déçus aussi par le matérialisme des idéologies socialistes
et soucieux de réformer leurs États selon le Coran et la Charia.
L’Égypte de Nasser a subi de profondes réformes d’inspiration socialiste (nationalisation des
entreprises et sociétés, gratuité de l’enseignement, réforme agraire, sécurité sociale), mais
celles-ci ont souvent abouti à de graves impasses économiques et sociales (coût des
subventions, trop de diplômés pour peu d’emplois productifs, déficits publics et endettement)
que le régime n’a pas été en mesure de surmonter.
La première révolution islamique a lieu en Iran, sous l’influence des chiites. L’Iran a d’abord
tenté une révolution nationaliste et sociale avec Mossadegh, mais le Shah (le souverain) put
restaurer son pouvoir grâce à l’aide des puissances occidentales qui exploitaient son pétrole.
Peu à peu, bien qu’exilé, l’ayatollah Khomeyni prendra tête de l’opposition au Shah qui a
voulu imposer au pays des réformes de type occidental, tout en maintenant un régime policier.
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Le Shah doit s’exiler, Khomeyni revient en Iran et proclame la République islamique (1er avril
1979).
La crise économique et sociale se poursuit dans de nombreux pays en développement. Ceci
est vrai pour les pays où les musulmans sont majoritaires et où l’Islam est parfois reconnu
comme religion d’État (Mauritanie, Soudan, etc.). Par contre, d’autres pays où les musulmans
sont nombreux ont une constitution reconnaissant la laïcité de l’État. En fait, les musulmans
sont souvent considérés comme les seuls vrais nationaux, tandis que les non musulmans ont
difficilement accès aux charges publiques. C’est particulièrement choquant en Égypte où les 6
à 8 millions de Coptes qui sont les authentiques descendants des Égyptiens (Agouptoï =
Coptes) ont un statut et sont souvent menacés et maltraités sans raison par les intégristes.
b. Pourquoi l’islamisme ?
La crise qui amène de nombreux musulmans à se tourner vers l’islamisme peut s’analyser
ainsi :
Crise économique et sociale des pays musulmans : la population augmente plus vite que les
ressources ; de nombreux jeunes sont sans emploi et sont la proie facile des démagogues
islamistes qui font le procès des « régimes corrompus, vendus à l’Occident ». Les richesses du
pays (pétrole) semblent mal employées et sont accaparées par une minorité ou au service d’un
pouvoir répressif.
Force insolente de l’Occident qui, tout en étant « vendu à Satan » humilie les autres pays en
imposant ses décisions, en diffusant de la littérature pornographique, ses vidéos, sa TV que
captent les paraboles, en mettant en péril les institutions comme la famille par un excès de
liberté. L’Occident aide les régimes arabes corrompus à lutter contre l’islamisme.
L’islamisme est particulièrement vivace en Égypte et en Algérie : il a pu se développer à
certains moments avec l’accord de l’État et il s’est posé en candidat au pouvoir. N’ayant pu
l’emporter par les urnes ou ayant été lésé de sa victoire, comme en Algérie, il a radicalisé son
opposition au régime en place : attentats, lutte armée. L’islamisme prétend gouverner en
prenant la Charia comme loi de base, avec ses aspects répressifs. Mais l’islamisme laisse de
côté des pans entiers de l’Islam tels que le sens de l’homme, le respect des autres religions
du livre. L’islamisme est un totalitarisme, ce qui est contraire à l’Islam. Les moyens employés
par l’islamisme, tels que les assassinats aveugles et le terrorisme, évoquent des sectes
extrémistes comme les haschischins (qui prenaient du haschisch pour pouvoir tuer, et dont le
nom a donné « assassin »). A vrai dire, l’islamisme est une idéologie totalitaire et non
l’expression d’une religion.
La violence des islamistes a été accentuée par la combats qu’ils ont menés en divers lieux :
contre l’URSS en Afghanistan ; puis les talibans en Afghanistan; le Hezbollah chiite au Liban
contre Israël ; certains GIA (Groupe islamique armé d’Algérie) ont combattu en Afghanistan.
L’ennemi à abattre leur est présenté comme diabolique. Il est vraisemblable qu’ils se droguent
avant d’aller perpétuer leurs meurtres, comme le faisaient les haschischins.
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