La politique de la Terreur, Essai sur la violence révolutionnaire 1789

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MONASSE Hélène
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Fiche de lecture Histoire
Fiche de lecture : La politique de la Terreur,
Essai sur la violence révolutionnaire 1789-1794
Patrice Gueniffey.
« On n’écrit plus guère sur la Terreur ». Par cette formule lapidaire, Patrice Gueniffey
ouvre son ouvrage La politique de la Terreur, essai sur la violence révolutionnaire 17891794, publié en 2000. Patrice Gueniffey est directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes
des Sciences Sociales, auteur d’articles pour François Furet et Mona Ozouf dans des ouvrages
aussi conséquents que le Dictionnaire critique de la Révolution française en 1988, et de
l’essai Le Nombre et la Raison en 1993. Cette affirmation péremptoire d’un spécialiste de
l’histoire politique de la Révolution, qui ignore même le colloque de Stanford en 1992 et que
démentit la parution récente de l’ouvrage d’Eric Cobast, La Terreur, une passion moderne, est
d’autant plus étonnante que dans sa bibliographie, Patrice Gueniffey cite lui-même près de
quatre-vingt ouvrages parus dans les vingt dernières années, y compris ceux de François
Furet, dont l’influence se lit tout au long de l’ouvrage par de multiples références à son
œuvre.
Patrice Gueniffey présente La politique de la Terreur dans une suite de chapitres qui, au
travers de thèmes ou de l’étude de périodes plus ou moins restreintes, mènent une «réflexion
sur la politique de la Terreur et la violence révolutionnaire». Par cette formule, il circonscrit
son essai à l’étude d’un phénomène politique : la Terreur n ’est un événement ni culturel ni
social selon lui. L’histoire culturelle de Michel Vovelle et l’histoire sociale marxiste sont
donc mises de côté, ce qui a mené Claude Mazauric, dans les Annales Historiques de la
Révolution Française, à critiquer « l’orientation qui fonde [sa] démarche ».
Par le terme de Terreur, Patrice Gueniffey désigne l’« emploi de la contrainte et de la
violence à des fins politiques et dans le silence des lois », qui est délibéré et qui distingue la
victime frappée et la cible réellement visée. Ceci délimite son étude aux instigateurs
politiques de la Terreur, tout en justifiant ses bornes chronologiques qui sont plus larges que
celles du 5 septembre 1793 au 27 juillet 1794 : la Terreur, pour lui, commence en octobre
1789 avec le Comité des recherches de la ville de Paris, pour ne finir qu’après la chute de
Robespierre le 27 juillet 1794. Ainsi, Patrice Gueniffey se propose de mettre fin aux idées
reçues sur la Terreur, qui n’est « ni extérieure à la Révolution, ni un élément tardif », en
étudiant les rapports entre la Révolution et la Terreur, avec pour ambition de « porter un
jugement dépassionné », et de mettre en quelque sorte fin aux débats idéologiques entre
historiens.
L’analyse de la Terreur commence donc par celle de ses origines, qui ont été une source
de controverse historique. Patrice Gueniffey étudie la Terreur comme rupture vers la
modernité, et donc en lien avec la logique de la Révolution française, mais aussi comme
l’héritage discuté de la philosophie contractualiste et de l’Ancien Régime.
En effet, comme le souligne Alain Rey, la Révolution française « révolutionne l’idée de
révolution », elle veut « créer tout à partir de rien » (François Furet, La Révolution de Turgot
à Jules Ferry). La Révolution française invente donc le sens moderne de révolution comme le
résultat historique d’une volonté humaine, comme l’instrument de la construction du social
par la raison et non pas comme un mouvement irrésistible, dans l’ordre de la nature. Patrice
Gueniffey montre que cette conception moderne de la Révolution est une condition préalable
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à l’histoire de la Terreur, qui se fonde précisément sur la volonté humaine pour construire un
nouvel état social en rupture avec qui le précède.
Cependant, Patrice Gueniffey s’interroge sur une autre part de l’héritage
révolutionnaire : la théorie du contrat social, énoncée par Jean-Jacques Rousseau, contientelle déjà en elle les germes de la Terreur? Il montre alors les ambiguïtés de cette philosophie,
qui est manipulée dans les discours des révolutionnaires : ainsi, la même conception
contractualiste de la société est utilisée le 9 juillet 1791 pour interdire l’émigration, puis le 27
mai 1793 pour justifier au contraire l’exil forcé des prêtres réfractaires. La notion d’un contrat
social garant des libertés individuelles justifie les mesures d’exception : d’après un discours
de Barère en 1791, la liberté des institutions fonde le caractère exceptionnel de la suspension
provisoire de la liberté, comme condition pour le maintien du contrat social menacé. Enfin, les
mesures terroristes semblent légitimées par un « consentement populaire implicite » dans la
représentation, ce qui montre le danger de la croyance en la transparence du pouvoir politique
représentatif, et en l’unanimité de la volonté générale. Patrice Gueniffey qualifie alors la
tyrannie de l’an II de « démocratie sans masque », une expression qui peut sembler outrée
puisqu’elle remet en cause le principe même de la démocratie, et non son interprétation
faussée par les révolutionnaires terroristes. Comme le montrent François Furet et Mona Ozouf
dans Le Dictionnaire Critique de la Révolution française, la Terreur est donc la
« manifestation d’une virtualité de la culture politique de la Révolution française ».
Cet héritage révolutionnaire peut toutefois être mis en regard par rapport à l’héritage de
l’Ancien Régime, qui est encore prégnant dans la pensée des révolutionnaires. Ainsi,
l’interprétation révolutionnaire du principe de l’unité de la souveraineté générale s’affronte à
la conception absolutiste du pouvoir royal. Dès 1791 et 1792, la Révolution montre sa volonté
de se réapproprier la représentation de la nation en créant une mystique de la nation, et en
instituant le crime de « lèse nation » qui apparente clairement la souveraineté nationale à la
souveraineté royale, faisant de ses opposants des ennemis. Elle utilise alors la guerre contre
les ennemis extérieurs et intérieurs afin, comme les souverains avant elle, de donner une
réalité à sa souveraineté. Cette nécessité pour la Révolution française de renverser la
souveraineté du roi pour affirmer sa propre légitimité l’oppose donc à la Révolution
américaine. Cette différence profonde est également marquée par la proclamation d’un « droit
à l’insurrection » en France, héritage d’une très ancienne conception d’un contrat entre les
gouvernants et les gouvernés, qui ont le droit de ne pas être opprimés mais pour qui le pouvoir
politique appartient à une sphère indépendante. De plus, la Terreur fait appel à une ancienne
forme de violence collective et punitive dans le peuple, fondée sur l’idée de complot et qui
explique l’émergence d’une violence sauvage dès 1789. Comme le démontre donc Patrice
Gueniffey de façon subtile, « la rupture avec l’absolutisme s’accomplit dans les formes
mêmes de l’absolutisme ». Cependant, l’illusion induite d’un gouvernement à la fois
purement démocratique et « en petit l’image du peuple » (Madame de Staël) expose
directement tous les individus à l’action de l’Etat, après la destruction des corps
intermédiaires qui limitaient le pouvoir du monarque : la figure de Robespierre
« l’Incorruptible » devient alors celle d’un nouveau souverain éternel…
Patrice Gueniffey analyse donc brillamment la spécificité des origines de la Terreur, qui
situe à la fois les révolutionnaires comme des « enfants des Lumières » à l’origine de la
première révolution moderne, mais aussi comme les « enfants de la monarchie absolue ». On
pourrait objecter que cette analyse des origines d’une violence populaire est une sorte
d’histoire des mentalités, alors que Patrice Gueniffey refuse ce type d’histoire dans son
introduction.
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L’étude des origines de la Terreur a montré le lien entre la volonté révolutionnaire de
créer une nouvelle société par la volonté humaine et la raison, en utilisant la philosophie
contractualiste. Cependant, peut-on dire que la Terreur est un phénomène contingent ou
nécessaire dans la logique de la Révolution française ? Patrice Gueniffey montre à ce sujet
l’opposition historiographique entre deux écoles de pensée, l’une concluant à un lien
accidentel entre la Révolution et la Terreur, l’autre établissant au contraire un lien presque
nécessaire entre ces deux phénomènes. Il analyse alors les deux thèses à la lumière des
documents de l’époque de la Révolution française, et prend parti pour la deuxième thèse.
Tout d’abord, Patrice Gueniffey réfute la thèse selon laquelle la Terreur est apparue en
réaction de défense face aux circonstances qui la menaçaient, avec à la fois une guerre contre
les puissances européennes et une guerre civile. En effet, il montre qu’une chronologie de la
Terreur ne peut être reliée de façon cohérente à des circonstances défavorables : les mesures
terroristes suivent aussi souvent les victoires que les défaites, la terrible loi du 22 prairial est
même proclamée pendant le « printemps des victoires ». De plus, Patrice Gueniffey met en
évidence le rôle marginal dévolu à la guerre pendant les débats qui précédaient l’adoption des
mesures de la Terreur en septembre 1793, et de la Grande Terreur en juin 1794. Il montre
alors que cette thèse n’est en réalité qu’une justification « post-thermidorienne » élaborée par
des révolutionnaires comme Barrère, ou Lindet afin de justifier la Terreur, et d’éviter toute
accusation après la chute de Robespierre. Patrice Gueniffey n’en rejette pas pour autant les
liens entre la Terreur et les circonstances, mais il étudie alors en quoi la Terreur a pu mener à
la guerre. La Terreur précède la guerre avec l’ultimatum aux émigrés le 9 juillet 1791, qui
vise une classe de la population et atteint la liberté fondamentale de libre circulation. Bien que
la guerre mène par la suite à une escalade de la Terreur, Patrice Gueniffey montre que la
représentation des événements joue en réalité un plus grand rôle que l’événement lui-même.
Les circonstances sont instrumentalisées par le discours, et grossies pour des fins strictement
politiques. Ainsi, la marche vers la guerre est lancée avec la théorie d’un complot, alors que le
risque d’agression est presque nul ; son seul but est de présenter le Roi comme un ennemi de
la Révolution, ce qui réussit tout d’abord quand Louis XVI pose un double veto, mais mène
finalement à la guerre le 20 avril 1792. A travers les cibles apparentes des « ennemis
intérieurs » et des puissances européennes, ce sont Louis XVI et l’ordre monarchique qui sont
réellement visés.
Patrice Gueniffey adopte alors la seconde thèse, le lien nécessaire entre révolution et
Terreur, en procédant en deux étapes. Il montre d’abord l’importance de l’action des acteurs
de la Révolution française dans l’instrumentalisation des circonstances à des fins politiques,
puisqu’ils prennent des décisions terroristes dans leur propre intérêt dans la lutte avec les
autres partis. La nature de la vie politique et son éventuel caractère terroriste dépendent donc
de la personnalité et de l’origine sociale des agents politiques. Patrice Gueniffey maintient
que c’est la présence d’une réelle opposition avec des nobles et des membres du clergé issus
des Etats Généraux qui explique l’alliance de principes révolutionnaires et de moyens
modérés au sein de l’Assemblée Constituante, alors que la Terreur déferle à l’extérieur de
l’Assemblée. Il oppose cette situation à celle de l’Assemblée Législative, qui est
exclusivement composée d’ « hommes nouveaux » issus des affaires locales et de clubs ; la
précarité de leurs positions dans les premières séances mène rapidement à une radicalisation
politique, et ce principalement à cause de plusieurs acteurs politiques.
Ainsi, Patrice Gueniffey met en avant le rôle de Brissot dans la direction du Comité des
recherches de la ville de Paris qui « fabrique des complots imaginaires », puis dans la
campagne belliciste qui mène à la déclaration de guerre en 1792. La radicalisation rapide de
ces deux phénomènes, qui amorcent le processus de la Terreur, est alors due à une simple
tentative de légitimation de Brissot. Plus encore, Patrice Gueniffey consacre un chapitre entier
à « L’Ami du Peuple » : il montre la pression constante que Marat inflige à l’Assemblée
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législative, en se présentant comme le seul détenteur de la légitimité politique venant du
peuple, et en réduisant l’activité politique au seul exercice du soupçon et de la dénonciation. Il
montre ensuite le rôle du parti jacobin dans la radicalisation de la Terreur ; bien que le club
jacobin partage avec le libéralisme de 1789 une même conception de l’espace politique, il
lutte contre elle pour imposer sa propre version afin être légitimé par la souveraineté
populaire unanime. En son sein, Robespierre est « un révolutionnaire comme les autres »,
c’est-à-dire que son influence morale et politique à l’extérieur de l’Assemblée Législative, qui
pousse à sa radicalisation, est avant tout pour lui un moyen de se construire une forte
légitimité populaire afin de parvenir, puis de se maintenir au pouvoir. Enfin, Patrice
Gueniffey montre que les variations locales du déchaînement de la Terreur peuvent être
expliquées par la personnalité des responsables locaux et leur concurrence éventuelle. Les
acteurs politiques font donc de la Terreur un événement politique afin d’obtenir la légitimité
populaire toute entière, ils se radicalisent pour obtenir le pouvoir dans les luttes avec les
autres partis révolutionnaires.
Cette analyse du rôle des acteurs politiques montre, dans une deuxième étape, que la
Terreur est le produit de la dynamique de la Révolution française, et peut-être de toute
révolution. En effet, la Révolution française se déduit comme arrachement à l’ordre social
préexistant par la volonté humaine et par la raison. La légitimité n’est plus fondée sur la
tradition ou les usages, elle appartient alors à « ceux qui se maintiennent à la pointe extrême
du combat contre les ennemis et les traîtres ». Cette radicalisation est marquée par l’évolution
de la conception de l’opposant à la Révolution ; l’opposition devient le mode d’explication
rationnel face aux obstacles rencontrés par la Révolution dans sa volonté de reconstruction
d’un nouvel ordre politique. L’opposition devient alors une erreur face à la volonté générale,
puis un crime comme le déclare Robespierre le 10 juin 1791 : « quiconque voit [la volonté
générale], et ne veut point est un traître ». Si la Terreur n’est pas le produit nécessaire des
potentialités despotiques de la culture révolutionnaire, elle est plus généralement le résultat de
la dynamique de toute Révolution moderne considérée comme une modalité de changement.
Seule une approche politique révèle la nature profonde qui lie toutes les révolutions depuis
1789, c’est-à-dire une dynamique de radicalisation pour une rupture avec le passé, qui mène à
des discours concurrents sur la nature et les buts de la révolution, menant « inexorablement,
par un développement en spirale, au massacre ».
La Terreur n’est donc, selon Patrice Gueniffey, ni le produit de circonstances la
justifiant, ni uniquement le résultat d’initiatives individuelles de révolutionnaires ou du seul
parti jacobin. La Terreur est « moins la face cachée de la démocratie que la réalité atroce de
toute révolution », elle est le résultat inévitable de toute révolution moderne considérée
comme une rupture absolue et volontariste avec l’ordre établi et les usages. Le centre de la
thèse de Patrice Gueniffey, si elle s’appuie sur de nombreuses preuves et nuances, montre
donc que toute révolution est liée par son essence à la Terreur. Or, les allusions dans
l’ouvrage aux révolutions russe et chinoise occultent la Révolution des Œillets, qui en
s’appuyant sur le pouvoir militaire, a néanmoins libéré le pays d’une emprise dictatoriale sans
passer par un régime de Terreur.
Après avoir dégagé l’unité d’inspiration de la Terreur dans un mécanisme de
radicalisation continue, peut-on pour autant en conclure que la Terreur n’a pas changé de
nature de 1789 à 1794 ? Patrice Gueniffey dégage trois séquences principales dans le
développement de la Terreur : une violence sauvage dès 1789 qui culmine en 1792 pour
diminuer en 1793, qu’il qualifie de « Terreur avant la Terreur » ; l’utilisation de la Terreur
comme moyen politique dès 1791 par L’Assemblée législative, avant de devenir un système
en s’institutionnalisant au printemps 1793 ; une idéocratie durant les quelques semaines du
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printemps 1794, qui légitime l’extermination des « ennemis intérieurs » et devient le
fondement du nouveau système de pouvoir.
La Terreur, comme on l’a déjà vu, trouve ses origines dans la violence sauvage issue
d’une tradition ancienne, et devient rapidement un moyen utilisé à des fins politiques face au
déchaînement de violence. Ainsi, le Comité de Sûreté générale est créé le 21 octobre 1789 à la
suite du lynchage du boulanger François, en utilisant la violence populaire pour lui donner
une orientation stratégique à des fins politiques. Le Comité entretient alors lui-même les
soupçons envers les complots qui avaient précisément provoqué ces violences : l’usage de la
Terreur renforce la violence et le sentiment de danger en France, tout en se heurtant à la
Constituante qui adopte des lois d’exception mais refuse une « politique de la Terreur ».
Jusqu’à l’été 1791, la Terreur reste donc un phénomène ponctuel et localisé, un phénomène de
violence qui n’atteint pas le sommet du pouvoir politique.
Un tournant a lieu à la suite de Varennes, puis le 15 juillet 1791 quand les Jacobins
décident de poursuivre le débat sur la déchéance du roi, contre la résolution de la
Constituante. La Terreur voit alors l’effondrement des barrières du pouvoir, car la légalité
révolutionnaire se dissocie de la légitimité : la Constituante utilise alors la Terreur comme un
moyen dès le 9 juillet 1791 avec la loi contre l’émigration qui transgresse ses principes
initiaux. Cependant, la Terreur reste cantonnée dans le rôle d’un moyen au service d’une
tactique politique qui vise la monarchie et la Constitution, en justifiant une radicalisation
politique. Cette première phase de la Terreur montre toutefois qu’elle repose sur un
phénomène de violence brutal de départ, utilisé par la suite par la sphère politique dans un but
tactique : le rejet par Patrice Gueniffey de toute histoire culturelle peut alors être nuancé,
puisque la Terreur s’appuie au départ sur une réaction populaire archaïque.
Dans une deuxième phase, le statut de la Terreur passe de celui de moyen à celui de
fondement d’un système politique. En effet, à cause de la guerre qui, comme on l’a vu, est une
conséquence de la politique terroriste, la Terreur, auparavant purement partisane, se
radicalise. Le 10 août 1792, une Révolution a lieu dans la République elle-même avec la
formation d’une Commune insurrectionnelle. La légalité est renversée, l’activité législatrice
ne dépend plus alors que de la légitimité de l’autorité, alors que l’attribution du pouvoir n’est
plus réglée pour assurer la légitimité de l’Assemblée représentative. La Terreur devient alors
le seul moyen de montrer sa légitimité populaire : à partir du 2 juin 1793, la Révolution se
radicalise encore, pour ne devenir plus que révolutionnaire face à la décomposition de l’Etat.
Cette surenchère est alimentée par les Hébertistes, qui achèvent d’annuler toute légitimité de
la représentation légale. Au cours de l’automne 1793, sans relation avec les circonstances, la
Terreur se développe donc pour conquérir le pouvoir sur le seul fondement de la légitimité
populaire et pour accomplir une Révolution qui n’a plus d’objectif identifiable.
Dans une troisième phase, un tournant a lieu dans le développement de la Terreur à la
suite de l’arrestation et de l’exécution des hébertistes et des députés dantonistes : la Terreur
devient l’instrument pour rétablir l’Etat, puis elle devient le principe de son maintien, sous le
gouvernement effectif du Comité de Sûreté Générale. En effet, la loi du 22 prairial, le 10 juin
1794, qui s’inscrit dans un projet politique prémédité par Robespierre depuis le 25 décembre
1793, fait changer la Terreur de nature : elle passe d’une fonction d’exemplarité contre des
complices éventuels à une fonction d’élimination systématique des « ennemis du peuple »,
désormais considérés comme des étrangers. Cette conception de la Terreur trouve un
précédent dans la tragédie vendéenne, que Patrice Gueniffey considère comme
l’extermination systématique de toute une population donnée, un génocide. Le début des
« colonnes infernales » du général Turreau, du 21 janvier au 8 février 1794, annonce déjà le
changement de nature de la Terreur vers un système d’extermination, comme le montrent les
3000 exécutions par noyade à Nantes en janvier 1794. Cette logique d’extermination ne
prend fin qu’avec la chute de Robespierre et la fin de la Terreur : dans son dernier discours le
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26 juillet 1794, Robespierre laisse en effet entendre que la Convention et le Comité de Sûreté
Générale vont à leur tour être épurés pour lui permettre de conserver un pouvoir politique sans
partage avec le Comité de Salut Public.
Cette systématisation de l’extermination se double donc d’un nouveau changement
tardif dans la nature de la Terreur. La Terreur est dotée par Robespierre et par les Jacobins
d’une idéologie qui se veut unique et cohérente, pour pouvoir être poursuivie
indépendamment des circonstances dans le cadre d’une idéocratie. Cependant, le rôle du
« parti jacobin » doit être mesuré, car il ne représente pas d’homogénéité politique et
idéologique centralisée de ses partisans. La seule unité jacobine a lieu dans son administration
et dans son discours pour parler au nom du peuple tout entier, alors que ses filiales locales ont
souvent des objectifs très différents. A partir de 1791, les divisions internes et les factions se
succèdent dans les clubs jacobins, et même le 4 juin 1794, à l’apogée de Robespierre, les
Jacobins s’opposent à la doctrine de l’Etre Suprême en offrant la présidence de leur parti à
Fouché. Le jacobinisme n’est donc pas idéologique mais de nature politique par sa théorie
même, et il ne présente pas un seul discours sur la Révolution, mais une somme de discours
parfois contradictoires.
Or, en 1794, la Terreur devient le moyen du rétablissement de l’Etat, à partir d’une
idéologie fondée par Robespierre. La Terreur n’est alors plus un moyen causé par les
circonstances, mais un moyen nécessaire pour mener au règne de la vertu. La nécessité de la
Terreur fonde alors la nécessité de la Révolution. Cependant, l’utilisation tardive de cette
idéologie, lorsqu’en 1794 la Terreur ne peut plus être justifiée par les circonstances au cœur
du « printemps des victoires », montre qu’en réalité « ce n’est pas l’idéologie qui a conduit à
la Terreur, mais l’exercice de la Terreur qui a mené pour finir au règne de l’idéologie ».
L’idéologie du règne de la vertu est donc, pour le pouvoir politique, une façon de justifier la
poursuite indéfinie de la Terreur indépendamment des circonstances de danger pour la
Révolution.
Ainsi, cette idéocratie est fondée sur l’unité de l’idéologie et du discours de Robespierre,
qui donnent sa cohérence à une politique changeante selon des adaptations stratégiques
successives. Dès sa plaidoirie au début de 1789, comme avocat à Arras, on voit qu’il
considère la révolution comme « un mouvement par lequel la société est affranchie de la
corruption introduite par l’histoire, afin d’être réinstituée dans la pureté conforme à sa
vocation naturelle ». Ce discours reprend certains principes de la philosophie contractualiste,
mais en exploitant sa plasticité, comme on l’a déjà vu : cette doctrine peut tout aussi bien
mener à la demande du suffrage universel qu’à l’adoption de mesures d’exception. La
doctrine robespierriste se distingue pourtant par sa conception de la Vertu : la Révolution est
vue comme une guerre du peuple vertueux contre ses ennemis, ce qui mène à la nécessaire
confusion entre la Révolution et la Terreur, comme moyen nécessaire pour établir une
démocratie dans une société préalablement vertueuse. Le domaine politique est donc ici
absorbé par le domaine moral , ce qui modifie encore la nature de la Terreur après l’exécution
de Danton en avril 1794. La Terreur est indéfinie à cause de ses buts moraux pour le règne de
la Vertu, et elle devient une modalité du changement révolutionnaire pour que des institutions
vertueuses suppléent à l’imperfection des hommes. Cette redéfinition de la Terreur pour la
justifier en dehors des circonstances est éminemment terroriste, puisqu’elle nie la
confrontation démocratique d’opinions en faisant de l’opposant un ennemi nécessaire de
l’ « Incorruptible » élevé comme norme suprême, représentant de la volonté du peuple. Elle
trouve son sommet lors du culte de l’Etre Suprême, le 8 juin 1794.
Toutefois, la permanence de l’idéologie robespierriste n’en fait pas pour autant
l’idéologie de la Terreur, et ne peut être déconnectée de fins politiques : Robespierre manipule
le discours pour fonder l’extermination de ses ennemis sur l’idéal de la Vertu, trop vague pour
fonder une politique réelle. Ainsi, dans ses derniers discours en mai 1794 et le 26 juillet 1794,
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Robespierre annonce à la fois la fin de la Terreur et son accentuation par l’élimination
d’ « hommes corrompus », qui ne sont en réalité que ses adversaires politiques dans la lutte
pour le pouvoir. Encore une fois, la Terreur se distingue alors comme la différence entre la
cible explicitement présentée dans les discours et celle réellement visée, ce qui rappelle la
manipulation de l’idéologie communiste par Mao lors de la Révolution culturelle, en 1968.
Le « Dénouement », comme le dénomme Patrice Gueniffey, qui mène à la fin de la
Terreur, se produit alors par opposition au double aspect de sa nouvelle nature. En effet,
l’idéologie de l’Etre Suprême, tout en instaurant une idéocratie pour légitimer la Terreur, isole
Robespierre politiquement et idéologiquement de la base du personnel révolutionnaire. De
plus, les menaces d’épuration successives mènent à un calcul politique qui, le 9 thermidor,
cause la chute de Robespierre. La Terreur chute donc sous la pression de l’opinion et par une
tactique politique des rivaux de Robespierre, car le mouvement de Terreur ne peut encore se
radicaliser dans son essence, et personne ne veut ni ne peut prendre la place de Robespierre
pour poursuivre la quête de la Vertu. La fin de la Terreur trouve alors sa source dans
l’établissement de règles qui garantissent une certaine sécurité du pouvoir, et font alors rentrer
le pouvoir politique dans le cadre de la légalité. Cette fin de la Terreur marque aussi une
« dégriserie » par rapport aux illusions de 1789 sur la transparence du pouvoir démocratique
et sur la quête d’absolu de façon volontariste, mais la Constitution du 22 août 1795 apporte
des idées neuves en renouant avec les compromis nécessaires de la politique réelle. Patrice
Gueniffey en fait alors, à l’instar de Michelet, le début du XIXe siècle, en tant que début
d’une ère politique par excellence. Cette réhabilitation finale contredit toutefois les
affirmations précédentes de Patrice Gueniffey : la Terreur n’est alors pas qu’un phénomène
politique, puisqu’elle appartient aussi au domaine de l’utopie et donc, relève d’une certaine
idéologie.
Loin de clore le débat sur les origines et les conséquences politiques de la Terreur,
Patrice Gueniffey ravive donc au contraire les controverses sur les liens éventuels entre la
dynamique révolutionnaire et la Terreur. Bien que ses analyses soient très souvent menées
avec rigueur et clarté, pour mener à des conclusions particulièrement intéressantes au sujet
des liens entre la Terreur et l’Ancien Régime, le propos de l’essai est parfois flou, voire
désinvolte lorsqu’il compare la Révolution française aux Révolutions de 1830 et de 1848 qui,
selon lui, n’ont pas mené à la Terreur parce que personne n’avait été révoqué. Peut-on alors
négliger le changement des forces politiques lors de ces deux révolutions, et surtout les
changements administratifs importants effectués après la Révolution de juillet 1830 ?
De plus, le ton de Patrice Gueniffey se fait parfois définitif, alors qu’il se fonde sur des
textes du conservateur Edmund Burke (Réflexions sur la Révolution de France, 1790) au sujet
de la Révolution. Il met de côté les oeuvres de Michel Vovelle, qui analyse les changements
sociaux et leur impact sur les décisions des différents acteurs politiques, ce qui montre que
l’histoire politique ne peut pas être fondée sans s’appuyer sur une histoire sociale et culturelle.
On peut alors mettre en question l’ambition de l’auteur de « porter un jugement dépassionné »
sur la Terreur, puisqu’un certain engagement se ressent particulièrement lors de son récit
insistant de la « tragédie vendéenne ». Cet essai ne doit donc pas être considéré comme un
ouvrage somme pour l’histoire politique de la Terreur, mais plutôt comme une manière de
relancer les recherches sur les origines réelles de ce phénomène « des plus mystérieux et des
plus controversés », tout en apportant un point de vue original sur cet événement, sans pour
autant « en épuiser le sens et la portée ».
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