Tumeur de la tête du pancréas, métastases hépatiques

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Cas clinique commenté
Rubrique coordonnée par E. A. Pariente
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Tumeur de la tête
du pancréas, métastases
hépatiques, pulmonaires,
adénopathies
rétropéritonéales :
une origine originale
Arnaud Duriez1, Vincent Maunoury1, , Armelle Caty2,
Philippe Bulois1, Sébastien Aubert3, Stéphane Cattan1,
François Bonodeau2, Antoine Adenis2
1
Service des maladies de l’Appareil digestif et de la nutrition, hôpital C. Huriez, CHRU,
59037 Lille Cedex,
<[email protected]>
2
Département de Cancérologie digestive et urologique, centre Oscar Lambret,
3
Service d’Anatomie et Cytologie pathologiques, CHRU Lille
L
a découverte d’une tumeur rétropéritonéale doit faire évoquer chez
l’homme jeune une origine germinale, gonadique mais aussi parfois extra-gonadique. Le pronostic de ces tumeurs a été transformé
par la chimiothérapie à base de sels de platine. C’est dire que c’est un
diagnostic qu’il ne faut pas manquer malgré une présentation parfois
atypique, notamment digestive.
Observation 1
Tirés à part : V. Maunoury
Un homme de 38 ans était adressé en consultation d’oncologie pour la
prise en charge palliative d’un “cancer céphalique pancréatique avec
métastases hépatiques et pulmonaires” (figure 1). L’examen clinique, y
compris testiculaire, était normal. Il n’y avait pas d’ictère. Le dosage
sérique du Ca 19.9 était normal. En raison du caractère un peu atypique
de ce tableau, un dosage des b-HCG était demandé et mesuré à ...
540 000 UI (N < 5) ! L’échographie testiculaire était normale. L’examen
histopathologique de la biopsie hépatique sous scanner confirmait le
cancer à cellules germinales, tumeur non séminomateuse, extragonadique, en diffusion métastatique ganglionnaire, pulmonaire et hépatique. Le patient reçevait 3 cures d’une chimiothérapie associant cisplatine, étoposide et bléomycine puis, en raison d’une décroissance
incomplète du taux des b-HCG, 3 cures d’une chimiothérapie de seconde
ligne associant holoxan, cisplatine et vincristine. Le dosage sanguin des
b-HCG se normalisait et la taille des lésions tumorales diminuait. Une
exérèse chirurgicale itérative des lésions résiduelles fut donc entreprise :
exérèse des masses ganglionnaires sous-diaphragmatiques avec résection partielle de la veine cave inférieure, exérèse en deux temps des
métastases pulmonaires bilatérales, et hépatectomie gauche puis destruction par radiofréquence des lésions du foie droit. Huit mois après la
Hépato-Gastro, vol. 12, n° 1, janvier-février 2005
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Cas clinique commenté
Figure 1. Coupe scanographique transversale de l’abdomen. Volumineuse tumeur rétropéritonéale en arrière et en-dessous de la tête du
pancréas, refoulant l’origine de l’artère mésentérique supérieure,
associée à plusieurs métastases hépatiques en juin 2002.
dernière intervention chirurgicale et deux ans après le
diagnostic initial, le patient est en rémission complète
et a repris une vie normale (figure 2).
Observation 2
Un homme de 37 ans, ayant eu une cryptorchidie
opérée à l’âge de 7 ans avec exérèse du testicule
gauche, était hospitalisé en novembre 2003 pour une
embolie pulmonaire. L’examen clinique était normal y
compris la palpation du testicule restant. La tomoden-
sitométrie thoraco-abdominale révélait une volumineuse masse rétro-péritonéale d’allure tissulaire qui
refoulait l’aorte sous rénale. Biologiquement, il n’y
avait pas de syndrome inflammatoire ; les marqueurs
tumoraux sériques ACE, aFP et Ca 19.9 étaient normaux. Seule la LDH était augmentée à 8 fois la limite
supérieure de la normale. Une échoendoscopie était
réalisée : en poussant le transducteur dans le 3e duodénum, on retrouvait une volumineuse formation tumorale adjacente au tube digestif dont la cytoponction
échoguidée à l’aiguille fine permettait le diagnostic
histopathologique d’une prolifération tumorale peu différenciée dont le profil immunohistochimique (marquage positif des cellules tumorales par les anticorps
anti-CD117a et anti-PLAP) faisait évoquer en première
intention un séminome. Le diagnostic était confirmé par
l’élévation des b-HCG à plus de 9 fois la limite supérieure de la normale dans le sang, et l’échographie
testiculaire qui révélait un testicule restant de petite
taille avec, à son pôle inférieur, une masse hétérogène
de 25 mm de grand axe, cliniquement confondue avec
le testicule normal.
Le patient a eu une orchidectomie par voie inguinale ;
l’examen anatomopathologique a confirmé le diagnostic de séminome développé sur un testicule hypotrophique. On a ensuite administré une chimiothérapie par
étoposide et cisplatine, qui a entraîné après 4 cures
une régression majeure de la masse rétropéritonéale
métastatique, parallèlement à la diminution des b-HCG
devenus indétectables. Il doit prochainement bénéficier
d’une tomographie par émissions de positons.
La persistance d’une évolutivité néoplasique légitimerait l’indication d’une exérèse chirurgicale des lésions
résiduelles.
Commentaires
Figure 2. Coupe scanographique transversale de l’abdomen. Disparition de la tumeur rétropéritonéale et des métastases hépatiques
(hépatectomie gauche), 2 ans plus tard.
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Plusieurs leçons peuvent être rappelées à propos de
ces deux observations :
• le « cancer de la tête du pancréas » de notre
première observation présentait des atypies sémiologiques (absence d’obstruction biliaire, CA19.9 normal,
métastases pulmonaires d’emblée) qui ont amené à
réévaluer l’hypothèse diagnostique initiale. Une telle
présentation « digestive » d’une tumeur germinale mérite d’être connue, d’autant que ces métastases peuvent
avoir pour origine la dégénérescence de résidus embryologiques extragonadiques (rétropéritoine, médiastin), rendant compte d’une exploration testiculaire normale [1, 2] ;
• la cryptorchidie est un facteur de risque néoplasique non seulement sur le testicule abaissé mais aussi
sur le testicule controlatéral [3] ;
• l’élévation de la LDH est aussi un marqueur des
tumeurs germinales ;
Hépato-Gastro, vol. 12, n° 1, janvier-février 2005
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• la cytoponction échoguidée transdigestive est
aujourd’hui l’examen le plus contributif à l’identification histopathologique des masses abdominales, en
l’absence de métastases hépatiques plus facilement
accessibles par voie trans-cutanée [4] ;
• l’échographie testiculaire est l’examen de référence
pour l’exploration morphologique des bourses. Elle
peut révéler des lésions tumorales infra-cliniques [5].
Les tumeurs germinales représentent près de 60 % des
cancers de l’homme de 20 à 40 ans. La grande
majorité de ces tumeurs germinales masculines sont
d’origine testiculaire, seules 2 à 5 % d’entre elles étant
d’origine extragonadiques (médiastin et rétropéritoine). Le premier temps thérapeutique repose toujours
sur l’orchidectomie élargie par voie inguinale après
clampage du cordon. Ces tumeurs sont très sensibles
aux traitements médicaux (radiothérapie et chimiothérapie à base de cisplatine) et sont curables, y compris
en cas de métastases [6]. Globalement, la survie à 5
ans est de 80 % (99 % de survie à 5 ans pour les
formes précoces et 50 % de survie à 5 ans pour les
formes avancées à pronostic défavorable). Les principaux facteurs pronostiques sont le stade tumoral (I :
tumeur localisée au testicule avec marqueurs normaux,
II : métastases ganglionnaires lomboaortiques exclusives, III : extension supra-diaphragmatique et viscérale)
mais aussi le type histologique, le caractère testiculaire
ou non de la lésion primitive, la présence ou non de
métastases viscérales autres que pulmonaires, les taux
d’alpha-foetoproteine, de b-HCG et de LDH [7].
En conclusion, en présence d’un syndrome tumoral
abdominal, un examen clinique normal des bourses ne
doit pas faire éliminer l’hypothèse, chez un patient
encore jeune, d’une tumeur à cellules germinales,
susceptible de bénéficier d’un traitement à visée curative. L’examen clinique, l’échographie testiculaire, le
dosage de l’a−foetoprotéine et des b−HCG, l’obtention
d’une histologie doivent permettre le diagnostic.
Références
1. Wehrschutz M, Stoger H, Ploner F, Hofmann G, Wolf G, Hofler G,
et al. Seminoma metastases mimicking primary pancreatic cancer. Onkologie 2002 ; 25 : 371-3.
2. Bokemeyer C, Nichols CR, Droz JP, et al. Extragonadal germ cell
tumors of the medistinum and retroperitoneum : results from an international analysis. J Clin Oncol 2002 ; 20 : 1864-73.
3. Ueda H, Hirai K, Iwamoto Y, Watsuji T, Yamamoto K, Takasaki N,
et al. A case of testicular tumor associated with the controlateral undescended testis. Hinyokika Kiyo 1995 ; 41 : 1015-8.
4. Catalano MF, Sial S, Chak A, Sivak MV Jr, Erickson R, Scheiman J,
et al. EUS-guided fine needle aspiration of idiopathic abdominal masses.
Gastrointest Endosc 2002 ; 55 : 854-8.
5. Thoumas D, Caty A, Gobet F, Lemaitre L. Imaging of testicular tumors.
J Radiol 2000 ; 83 : 883-93.
6. Schmoll HJ, Souchon R, Krege S, et al. European consensus on diagnosis and treatment of germ cell cancer : a report of the European Germ
Cell Cancer Consensus Group. Ann Oncol 2004 ; 15 : 1377-99.
7. Amato R. Development of a prognostic model for patients with extragonadal germ-cell tumors. Ann Oncol 2002 ; 13 : 991-2.
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