PHÉNOMÉNOLOGIE et SCIENCES de la VISION

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PHÉNOMÉNOLOGIE et SCIENCES de la VISION :
vision et couleurs
Maurice ELIE
Dans l'introduction à ses Idées directrices pour une
phénoménologie, Edmond Husserl parle des « difficiles
rapports de la phénoménologie aux sciences physiques de la
nature, à la psychologie...», etc . Après lui, Maurice
Merleau-Ponty affirmera que «...si la physiologie n'explique
pas la perception, l'optique et la géométrie ne l'expliquent pas
davantage » . Pourtant, ce jugement de Merleau-Ponty ne
signifie pas qu'il n'ait pas tenu compte de l'apport des
sciences, comme en témoignent au contraire ses constantes
références à l'optique, à la physiologie, à la psychologie du
comportement, etc., en particulier dans La structure du
comportement et dans la Phénoménologie de la perception.
Récemment, ont été éditées ses Notes de cours du Collège de
France sur La Nature (Seuil, 1995), qui se réfèrent aussi bien à
la physique qu'à la biologie, et posent en outre le problème des
rapports de la phénoménologie aux philosophies de la nature,
dont celles de Schelling, Hegel et Bergson.
Si les rapports de la phénoménologie aux sciences de la
nature sont problématiques, c'est que, comme le signale
Husserl, « par son sens une science éidétique se refuse par
principe à incorporer les résultats théoriques des sciences
empiriques...Des faits ne peuvent résulter que des faits » .
Puisqu'il a été fait allusion ci-dessus aux philosophies de la
nature, on peut d'ailleurs rappeler que Schelling entendait
« élever l'empirie à la nécessité ». Dans sa philosophie, c'est
par une opération de reprise spéculative que les phénomènes
naturels accèdent à la dignité de la nécessité rationnelle, en
particulier par la place qu'ils occupent dans le système de la
philosophie, supposé être en même temps le système de la
nature. De même, chez Hegel, la raison reprend toutes choses
dans son « réseau de diamant ».
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. trad. Paul Ricoeur, t.l, Gallimard / TEL, 1950, n° 94, p.8.
. La structure du comportement, P.U.F. / Quadrige, IV, p.235.
. Idées
§ 8, p. 33.
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Husserl rappelle précisément l'opposition des empiristes à
ces « constructions spéculatives a priori » par lesquelles
« l'idéalisme de la première moitié du XIXème siècle, luimême étranger aux sciences de la nature, a tellement entravé la
science authentique » . Mais Husserl remarque à la page
suivante qu'une construction spéculative a priori « ne devient
pas meilleure parce qu'elle procède du côté empiriste ». Enfin,
il ajoute dans ce même paragraphe 19 des Idées : « c'est la
"vision" (Sehen) immédiate, non pas uniquement la vision
sensible, empirique, mais la vision en général, en tant que
conscience donatrice originaire sous toutes ses formes, qui est
l'ultime source de droit pour toute affirmation rationnelle »
Par là se trouve posé le thème de la vision, objet de la
présente recherche. Or, Si Husserl affirme, au § 8 des Idées
qu'une science des essences « se refuse par principe à
incorporer les résultats théoriques des sciences empiriques » ,
il ajoute que « si toute science éidétique est par principe
indépendante de toute science de fait, c'est l'inverse par contre
qui est vrai pour les sciences de fait...tout fait inclut un fonds
éidétique (Bestand) d'ordre matériel, et toute vérité éidétique
liée aux essences pures enveloppées dans cette structure doit
engendrer une loi qui régit les cas empiriques donnés ainsi que
tout cas possible en général ».
La phénoménologie est science des possibilités, ce qui est
déjà posé dans L'idée de la phénoménologie : « Le voir ne se
laisse pas démontrer ni déduire. C'est manifestement un nonsens que de vouloir élucider des possibilités...par une
déduction logique à partir d'un savoir non intuitif » .
Cependant, Husserl établit un parallèle entre sciences et
phénoménologie par le biais d'un « principe commun » : non
seulement le savant en sciences de la nature suit « le principe
qui veut qu'on examine toute affirmation portant sur des faits
de la nature à la lumière des expériences qui fondent cette
affirmation », mais « le savant dans les sciences des essences
et quiconque emploie et énonce des propositions générales,
doit suivre un principe parallèle ; il doit en exister un, puisque
déjà le principe admis à l'instant, selon lequel toute
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. Idées, § 19, p. 64.
. P.U.F. , 1993, 2° leçon, p. 64.
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connaissance des faits se fonde sur l'expérience, n'est pas luimême évident en vertu de l'expérience...» .
Ce principe servira de « légitimation » provisoire à une
entreprise de mise en correspondance des sciences de fait avec
la science éidétique.
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I - Généralités sur les rapports de
physiologique et de la philosophie.
l'optique
On peut étudier l'histoire de l'optique physiologique ; et
l'on peut chercher à en déterminer la spécificité et
l'organisation interne. Helmholtz définit cette science dans son
Traité publié de 1856 à 1866 : « l'optique physiologique est
l'étude des perceptions fournies par le sens de la vue...Il
résulte de là que l'étude des perceptions visuelles se divise en
trois parties :
1° L'étude du trajet de la lumière dans l'œil...nous pourrons
donner à cette partie le titre de dioptrique de l'œil.
2° L'étude des sensations du nerf optique, où nous
traiterons des sensations, sans tenir compte de la possibilité de
les utiliser pour reconnaître des objets extérieurs.
3° L'étude de l'interprétation des sensations visuelles, qui
traite de la représentation que nous nous formons des objets
extérieurs, en nous fondant sur les sensations visuelles.
L'optique physiologique diffère donc de l'optique
physique, en ce qu'elle ne traite des propriétés et des lois de la
lumière qu'en tant qu'elles ont rapport aux perceptions
visuelles,....
L'optique physiologique ne s'est évidemment pas constituée
d'emblée en tant que telle, et les prémisses doivent en être
cherchées dans l'histoire de la philosophie et dans celle des
sciences.
Pour plus de clarté, c'est sans doute par la géométrie qu'il
vaut mieux commencer, puisque l'optique en général a d'abord
été optique géométrique. En effet, Euclide pose qu'un faisceau
de « rayons » part de l'oeil et forme un cône visuel. Il s'agit
donc de l'angle visuel qui limite notre vision. On pourrait être
7
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Idées...., § 24, p. 79.
.Optique physiologique, trad. E. Javal et TH. Klein, 1867, réimpression
J.Gabay, 2 vol., Sceaux, 1989, t.I, § 8, p. 43.
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Noésis n°l
tenté de poser une sorte de « principe d'équivalence » entre
rayons visuels et « rayons lumineux » puisque tous deux sont
des droites, et que le principe de propagation rectiligne est au
fondement de notre optique géométrique. L'optique est ici
perspectiva naturalis, et la perspectiva artificialis des peintres
de la Renaissance a eu pour but de présenter le monde et les
objets comme si le tableau était une section du cône visuel, ce
qu'exprime Léonard de Vinci : « la perspective n'est rien
d'autre que la vision d'un lieu (ou d'objets) situé derrière une
vitre transparente, et sur la surface de laquelle serait dessiné ce
paysage (ou ces objets) ». Tout cela est codifié dans le célèbre
De Pictura (1435) de Leon Battista Alberti, pour qui la peinture
est également « une section de la pyramide » (visuelle), et qui
expose ensuite sa « méthode pour tracer les divisions du
dallage » qui permet de peindre selon de justes proportions
des sujets de plus en plus éloignés .
Cependant, dès l'avant-propos à son ouvrage, Le regard,
l'être et l'apparence dans l'Optique de l'Antiquité, Gérard
Simon écrit que l'objet de la science commençante, « le cône
de rayons visuels conduisant à l'analyse géométrique du
regard, n'existe plus dans notre culture, n'étant nullement
transposable en termes de rayons lumineux ; et que cet objet
théorique impliquait pour l'image réfléchie ou réfractée un
statut de pure apparence, fort différent de celui que nous lui
reconnaissons aujourd'hui » . Précieuse mise en garde pour
qui veut comprendre l'optique de l'Antiquité, et qui, du même
coup, nous ramène à la vision : comme l'indique le chapitre I,
l'objet des théories antiques est la vision et le visible. Par
exemple, quand « Aristote traite de l'image, la réflexion dont il
parle n'est jamais celle de la lumière, mais toujours celle de la
vue » (p.47). Et, ce qui importe encore davantage ici, « la
théorie qu'il avance est la plus phénoméniste qui soit ; elle
énonce les conditions d'apparition et de disparition du visible :
un milieu transparent éclairé fait voir les couleurs, tandis que,
sans intermédiaire transparent ni lumière, on ne voit
rien»(p.51) (Certes, « phénoménisme » n'est pas
phénoménologie, mais à ce « phénoménisme » là, qui décrit
ce qui est, apparaît comme nécessaire à la vision des couleurs,
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9
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9
. De la Peinture, Paris, Macula / Dédale, 1992, pp. 103 et 123
. Paris, Seuil, 1988, p. 11.
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peut être rattachée la « chromatologie » de Goethe, qui, dans
sa Farbenlehre de 1810, soutient que les couleurs ne peuvent
se former que par la combinaison dynamique de la lumière et
de l'obscurité dans un milieu trouble, la « Trube », brume
atmosphérique ou corps translucide).
Comme l'indique Catherine Chevalley dans son édition des
Paralipomènes à Vitellion (1604) de Kepler, ce texte pose
« Les fondements de l'optique moderne ». Dans son
Introduction Catherine Chevalley écrit que « lbn al Haytham
(Alhazen), qui est trop peu étudié, est le premier à tenter, au
Xème siècle, de démontrer la non-existence du rayon visuel, et
à prendre parti pour la réception de la lumière dans l'œil...», et
que « cette victoire de la science...est due à l'interprétation
enfin correcte de ce qui se passe dans la chambre noire : celleci fournit en effet un modèle adéquat de l'œil...» Or,
« assimiler l'œil à une chambre obscure revient à le considérer
comme un dispositif optique..., il devient un appareil qui, à
chaque point de l'objet, fait correspondre sur la rétine un point
de l'image », et « le problème de la sensation visuelle
proprement dite est ainsi rejeté au-delà de la rétine » .
On constate donc que la « dioptrique de l'œil », dont a vu
qu'elle constitue, selon Helmholtz, la première partie de
l'optique physiologique, l'est également chez Kepler. Ainsi
l'optique oculaire est soumise aux lois générales de la
propagation et de la réfraction de la lumière. Elle entre donc
dans le corpus d'ensemble de la physique. Lorsque la
physiologie se sera développée à son tour, on aboutira donc à
une objectivation, une « naturalisation » de la vision, que
Husserl entendra précisément exclure de la phénoménologie
pure. Mais remarque C. Chevalley, après Kepler, chez
Descartes, « le plus nouveau dans la Dioptrique de 1637 est
sans doute la détermination de la phase nerveuse dans la
transmission de l'image : car c'est cette détermination qui ruine
toute nécessité de supposer une ressemblance entre l'image
et l'objet - et ceci a, jusqu'en philosophie, des conséquences
immenses »".
Précisément, une « étude de cas » permet de donner idée
des influences mutuelles des sciences de la vision et de la
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11
. Paris, Vrin, 1980, pp. 3 et 4.
. Id., p. 5.
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philosophie. Au XIXème siècle, les écrits scientifiques de
Helmholtz succèdent aux textes de Schopenhauer sur la vision
et sur la théorie de la connaissance, que sont La quadruple
racine du principe de raison suffisante (1ère édition 1813 et
2ème èdition 1847) et Sur la vue et les couleurs (1ère
édition.1816, 2ème édition 1854, et adaptation latine en 1830).
II - Schopenhauer : philosophie
et physiologie.
transcendantale
Comme on sait, la connaissance perceptive est selon
Schopenhauer soumise aux formes a priori de l'espace et du
temps et à la loi, également a priori, de la causalité. Le
paragraphe 21 de la seconde édition de la Quadruple racine,
consacré à l'« intuition empirique », comporte précisément
des données d'optique physiologique. C'est dans ce long
paragraphe que Schopenhauer parle de la « seule sensation »
comme d'une « pauvre chose », « sentiment local,
spécifique », qui ne suffit donc pas à constituer un monde
d'objets. C'est par « une opération intuitive et tout à fait
immédiate », que l'entendement crée le monde objectif, et
rapporte l'effet (rétinien) à sa cause (objective), le situant donc
dans l'espace intuitionné a priori. En cela, Schopenhauer est
bien évidement l'héritier de Kant. Mais, cherchant à évaluer les
rôles respectifs de la sensation et de l'entendement, il revient
sur des exemples déjà donnés au XVIIIème siècle, comme celui
des aveugles-nés, en particulier sur le cas de Saunderson,
capable d'enseigner les mathématiques et l'astronomie, ou sur
celui d'une infirme privée du toucher, mais ayant acquis par la
seule vue l'intuition du monde extérieur. Cela illustre son
postulat selon lequel « deux sens seulement servent, à
proprement parler, à l'intuition objective : le toucher et la
vue ». L'espace est bien « la forme de toute intuition », mais
en outre, dans la vue, « l'entendement intervient aussitôt avec
sa loi de causalité ; il rapporte l'effet ressenti à sa cause et
possédant la donnée fournie par la sensation sur la direction
dans laquelle le rayon lumineux s'est introduit, il poursuit cette
direction en sens inverse, le long des deux lignes, jusqu'à la
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Noésis n°l
12
cause...» . Schopenhauer montre comment l'intellect redresse
l'image rétinienne, intuitionne comme simple ce que l'on a
senti double, ajoute la troisième dimension et reconnaît la
distance des objets par rapport à nous. Se référant, par
exemple, à l'Optique de Robert Smith, Schopenhauer
intervient dans le champ de l'optique oculaire, en particulier, à
propos des « points correspondants » de chaque rétine, ou
« places symétriquement correspondantes ». Ici s'ajoute à l'a
priori kantien (qui ne porte que sur les formes a priori de
l'espace, du temps et de la causalité), la part d'apprentissage
par laquelle l'entendement apprend à connaître ces « places
correspondantes ». Cette optique est d'ailleurs bien plus
géométrique que « physiologique » : « cette correspondance
symétrique doit donc être entendue dans le sens géométrique et
non dans le sens physiologique », car « ce n'est pas le côté
extérieur d'une rétine qui correspond au côté extérieur de
l'autre, et l'intérieur à l'intérieur ; mais c'est, par exemple, le
côté droit de la rétine droite qui correspond au côté droit de la
rétine gauche et ainsi de suite ;...» .
De même, la référence à la perspective aérienne s'inscrit
dans une tradition remontant au moins à Léonard de Vinci : les
signes par lesquels elle indique à l'entendement que
l'éloignement augmente sont que « toutes les couleurs
deviennent de plus en plus ternes, que tous les objets sombres
paraissent voilés du bleu physique (selon la très exacte théorie
gœthéenne des couleurs), et que tous les contours
s'effacent». L'introduction et le chapitre premier de l'essai
Sur la vue et les couleurs reprennent toutes ces considérations
pour confirmer que « toute intuition est intellectuelle », et les
références à Buffon, Cabanis, etc., attestent de l'intérêt porté
par Schopenhauer à la physiologie.
Le chapitre II, qui expose la « nouvelle théorie des
couleurs » de Schopenhauer semble rétablir la sensation dans
ses droits, puisque, selon le philosophe, « la juste méthode est
de se tourner vers cette sensation même ». Elle aboutit au
paragraphe 5 à l'« explication » de la production des
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12
. De la quadruple racine du principe de raison suffisante (1813-1847),
trad.F. X. Chenet, Paris, Vrin, 1191, p. 198.
. Id, p. 199.
1 3
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Noésis n°l
couleurs : « la couleur est l'activité qualitativement divisée de
la rétine ».
Mais Va priori règne en ce domaine aussi, puisqu'« il existe
chez tous les peuples, et en tous temps, pour le rouge, le vert,
l'orange, le bleu, le jaune et le violet, des noms
particuliers...Elles doivent donc être connues dans une certaine
mesure a priori». On n'entrera pas ici dans le détail de la
théorie schopenhauerienne, mais on en retiendra qu'il s'agit
d'une théorie polaire, dans laquelle les couleurs sont opposées
deux à deux et selon des fractions déterminées, à partir du
rouge et du vert, lesquels divisent l'activité rétinienne en deux
parts rigoureusement égales (la rétine réagit à toute couleur
présentée par sa complémentaire, ce qui était déjà le cas dans la
Farbenlehre de Goethe).
En philosophe, Schopenhauer ne se borne pas à constater
que l'orange « appelle » (comme disait Goethe) le bleu, et le
jaune, le violet, mais cherche à justifier rationnellement sa
théorie, tout en reconnaissant le caractère hypothétique des
« fractions de l'activité rétinienne » qu'il attribue à chaque
couleur. En somme, Schopenhauer
ajoute
à la
« phénoménologie » gœthéenne un transcendantalisme
« arithmologique » de la couleur. Sa théorie de la vision des
objets exposée dans la Quadruple racine et dans le chapitre I de
Essai sur la vue et les couleurs, est, elle aussi transcendantale.
Mais elle est également causale, en ce qu'elle rapporte la
sensation visuelle à sa cause extérieure. En matière de
couleurs, elle peut aussi être dite « phénoménologique », car
elle ne peut se prononcer quant à la nature des processus
neuro-physiologiques entrant en jeu, mais seulement postuler
une « activité rétinienne » correspondant à l'activité en
général, qui constitue selon Schopenhauer l'essence générale
de la matière. Elle ne peut dire comment nous voyons les
couleurs, mais seulement recenser les conditions de leur
production, tel le skiéron c'est-à-dire l'élément obscur, dont la
présence était déjà jugée nécessaire par Goethe. C'est de cet
élément que traite le paragraphe 7 de l'essai, intitulé «Affinité
de la couleur avec l'ombre ». Et dans ce paragraphe,
Schopenhauer se montre à nouveau «transcendantaliste», en
appelant à une « déduction a priori du skiéron propre à la
couleur... mais aussi « physiologiste », en ramenant ce
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Noésis n°l
skiéron à l'inactivité de la rétine : l'inactivité de la rétine est
l'obscurité.
L'élément obscur, qui se dresse, selon Goethe, face à la
lumière, est donc reporté dans la sphère physiologique. Qu'en
est-il à présent, dans le cas d'une théorie physiologique se
voulant expressément scientifique, comme celle de Helmholtz ?
III- Helmholtz et l'optique physiologique.
La notoriété de Helmholtz lui vient de la maîtrise dont il a
fait preuve dans des domaines très divers : mécanique,
thermodynamique, magnétisme, électricité, acoustique et
optique. Dans ce domaine, son Optique physiologique
constitue une « somme », incluant, comme cela a déjà été
signalé, une dioptrique oculaire, une étude des sensations
visuelles et une théorie de la perception. L'optique
newtonienne lui fournit des principes explicatifs pour la
solution de problèmes divers, comme par exemple, celui de la
couleur résultant du mélange de poudres colorées. Des
influences
philosophiques, principalement celles de
l'empirisme et du kantisme, interviennent également dans sa
théorie de la perception. D'ailleurs, chacun des chapitres de
son Optique physiologique est suivi d'un historique de la
question traitée ; Helmholtz n'y fait pas seulement état de
travaux de savants, mais aussi bien de ceux de philosophes, de
Goethe, etc. Des points communs existent entre la philosophie
de Schopenhauer et le traité scientifique de Helmholtz (qui a
parfois été accusé de « plagiat » par Schopenhauer ou certains
de ses disciples...). Par exemple, on a vu que le concept de
matière se réduit pour Schopenhauer à celui d'activité, ou de
causalité, reflet de notre entendement (« la matière n'est au total
que causalité : son essence d'une manière générale c'est
l'action », Le monde comme volonté et comme représentation,
I, 4). De manière analogue, les propriétés des corps ne sont
pour Helmholtz que leur action sur d'autres corps ou sur nos
sens, c'est-à-dire des forces. Mais il est vrai que la notion de
force et la conservation de l'énergie est un acquis de la
physique de l'époque, à laquelle Helmholtz a contribué, et elle
se soutient sans référence à la «Volonté» schopenhauerienne.
Mais le débat philosophique se retrouve dans la théorie de la
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Noésis n° l
perception que Helmholtz expose dans la troisième partie de
son Optique physiologique.
Dans sa théorie de la perception Helmholtz présente la thèse
« nativistique » (ou innéiste ) et la conception « empiristique »
qu'il soutient pour différentes raisons : la théorie nativiste
introduit une hypothèse inutile, les « sensations d'espace
originelles » des innéistes sont en contradiction avec la réalité,
etc. Il prend donc les sensations comme « des symboles des
circonstances extérieures ». Une représentation n'est pas vraie
d'une manière absolue, mais dépend de la nature de
« l'intelligence qui se les figure ». « L'idée et l'objet qu'elle
représente » appartiennent donc « à deux mondes tout à fait
différents ». Mais, par nos actions, nous pouvons reporter
nos représentations dans la réalité (III, 33). La vérité d'une
perception n'est donc qu'une vérité pratique : la représentation
d'une table est une anticipation exacte des sensations que l'on
pourrait éprouver en s'approchant d'elle et en joignant le
toucher à la vue. La théorie des « projections » visuelles
rappelle également l'explication que donne Schopenhauer de la
vision des objets : il faut l'intervention de l'entendement pour
transformer la sensation en intuition et la « projeter » dans
l'espace ou réside l'objet qui en est la cause. Helmholtz ne peut
admettre un espace déjà constitué, puisque l'une des tâches
d'une optique physiologique « génétique » est d'en étudier la
constitution. Mais, comme Schopenhauer, Helmholtz soutient
que la perception a lieu de façon « immédiate », par un
«jugement inconscient», et qu'«en réalité nous ne pouvons
percevoir directement que les excitations nerveuses, c'est-àdire les effets et jamais les objets extérieurs ». Sur ce point, on
peut se référer à la présentation par R.Casati de l'article de
Helmholtz « Sur la nature des impressions sensibles de
l'homme «, dans le n°33 de la Revue Philosophie : « la théorie
des inférences inconscientes n'est pas forcément liée à l'une ou
l'autre option » (innéiste ou empiriste) .
L'étude des perceptions, dit Helmholtz, appartient à la
psychologie. Mais il faut aussi rechercher « quelles sont les
circonstances particulières des images rétiniennes, de la
conscience de l'action musculaire, e t c . » , et établir « la règle
générale d'après laquelle se déterminent les représentations
14
1 4
. Editions de Minuit, hiver 1992, p. 10.
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Noésis n°l
visuelles... nous nous figurons toujours l'existence, dans le
champ visuel, d'objets tels qu'ils devraient s'y trouver pour
produire la même impression sur l'appareil nerveux, lors de
l'exercice normal et ordinaire de l'oeil.
L'optique physiologique rencontre la philosophie, car
Helmholtz se prononce sur la question de la « conformité de la
notion et de l'objet ». Il écrit « je n'ai désigné, plus haut, les
sensations que comme des symboles des circonstances
extérieures, et je leur ai refusé toute analogie avec les choses
qu'elles représentent ». Il prend également position dans le
bref historique de la théorie des perceptions qui suit, où il juge
que Berkeley a été conduit à nier la présence d'un phénomène
extérieur dans la perception, parce qu'il a cru que « la cause
(l'objet perçu) devrait être de même nature que son effet (la
représentation) et serait, par conséquent, un être spirituel et
non pas un objet réel ». Si l'on voulait comparer les théories
de la perception de Schopenhauer et de Helmholtz, on pourrait
donc dire que la théorie schopenhauerienne de la connaissance
comporte une part d'optique physiologique dans la Quadruple
racine, et que son essai Sur la vue et les couleurs, comme son
titre l'indique, développe ensuite cette optique ; et que chez
Helmholtz, ce qui s'annonce comme Optique physiologique
aboutit à une théorie de la connaissance. A partir de ses
mesures et de ses calculs (grandeur des cercles de diffusion sur
la rétine, dispersion de la lumière dans l'oeil, durée de
l'impression rétinienne, etc.), Helmholtz propose une théorie
proprement scientifique (« rester sur le terrain des faits certains
et d'une méthode basée sur des principes évidents et
universellement reconnus» dit-il en introduction à sa théorie de
la perception visuelle) ; ensuite, il tient compte de l'héritage
philosophique pour proposer une théorie de la perception dans
laquelle il donne une grande importance au jugement.
L'étude des sensations et des perceptions de couleurs
suppose, elle aussi, expérimentations, mesures et calculs
(distances visuelles dans les différentes couleurs, mélanges de
couleurs, photométrie, etc.). Mais toute observation de la
perception colorée comporte une part « phénoménologique »,
que la science de la vision partage nécessairement avec
l'approche de Goethe (cité par Helmholtz) ou de
Schopenhauer.
49
Noésis n°l
Observer, par exemple, la couleur « accidentelle » induite
par la présentation à l'oeil d'un disque de couleur déterminée,
n'est pas une opération de nature foncièrement différente,
selon qu'elle est effectuée par Goethe, Schopenhauer ou
Helmholtz. Ce qui distingue le savant du « profane » tient
évidemment à la précision de la mesure, mais surtout au
système du savoir dans lequel cette observation prend place.
Nous savons déjà que Helmholtz est newtonien en optique
physique, ce qui n'est pas le cas de Goethe et de Schopenhauer
(dans son article cité sur les impressions sensibles, Helmholtz
conclut, après examen de la théorie newtonienne et de sa
critique par D.Brewster, que « le lien fonctionnel entre la
période d'oscillation ou la réfrangibilité et la couleur, dont
Newton avait fait l'hypothèse, demeure inchangé »).
Il s'agit d'abord de déterminer la part qui revient aux
facteurs objectifs et subjectifs dans la vision des couleurs.
Pour cela, il convient de distinguer les phénomènes dont
l'explication ne requiert que la mise en oeuvre de l'optique
géométrique et physique, comme ceux de la dispersion de la
lumière dans l'oeil, de ceux qui ne dépendent que de facteurs
physiologiques ou psychiques, comme la « lumière propre de
la rétine », ou l'appréciation « subjective » du mélange des
couleurs. Mais il est des phénomènes pour lesquels il faut tenir
compte des deux types de facteurs, comme dans le phénomène
des ombres colorées.
La dispersion des couleurs dans l'oeil résulte des différentes
« réfrangibilités » des rayons de lumière, dans la terminologie
newtonienne, ou de leurs diverses longueurs d'ondes.
Helmholtz remarque que les milieux que la lumière traverse
dans l'oeil ne sont qu'un cas particulier des milieux
transparents. L'oeil est sujet à des « aberrations
chromatiques », qu'il neutralise en accommodant sur le
«cercle de moindre diffusion». Sur cet exemple de dioptrique
oculaire, on voit comment l'optique physiologique est intégrée
à une science de la nature que la phénoménologie mettra « entre
parenthèses ». Berkeley avait déjà fait remarquer que le sujet
percevant n'avait nullement conscience des angles et figures
dont traite le physicien. Toute observation scientifique est,
certes, objectivante, et même ce que l'on nomme « phénomène
subjectif», est en réalité physiologique, comme les réactions
50
Noésis n°l
de la rétine à des lumières « monochromatiques » différentes,
et donc extérieur à la conscience.
Un autre phénomène relevant de la physique est celui de la
coloration des objets vus à travers l'air, ainsi que la couleur
même de l'air. Les peintres s'en servent pour restituer la
perspective aérienne, que Goethe et Schopenhauer avaient
intégrée à leurs théories des couleurs. Les images d'objets
éloignés subissent des changements de couleurs par suite de la
transparence incomplète de l'air. Conformément aux
observations de Goethe, l'air paraît bleu devant un fond
sombre, et rouge devant des objets lumineux ( ce que reconnaît
d'ailleurs Helmholtz ). Il reprend la question dans un article
sur la « Relation de l'optique à la peinture » , mais dans une
perspective d'optique physique : la lumière des milieux
troubles est d'autant plus bleue que les particules en sont fines,
car elles reflètent les radiations de faible longueur d'onde, alors
que les particules plus grosses reflètent toutes les radiations et
produisent ainsi une lumière blanchâtre. D'autre part, la
lumière qui atteint l'œil de l'observateur après avoir traversé
une épaisse couche d'air, a été privée d'une partie du bleu et du
violet par la dispersion. Elle apparaît donc jaunâtre, jusqu'à
rouge jaunâtre, voire rouge, comme cela se produit au lever et
au coucher du soleil ( comme l'a montré Bachelard dans Le
nouvel esprit scientifique, il a fallu attendre Raman pour que
l'explication de la coloration bleue du ciel fasse intervenir autre
chose que le modèle du miroir : les molécules d'air ne se
contentent pas de diffuser la lumière; elles y ajoutent leurs
« caractéristiques rayonnantes propre », elles entrent en
vibration ).
Pour Helmholtz, la perspective aérienne est en définitive
une sorte d'illusion d'optique que le peintre produit pour
restituer l'apparence de ces phénomènes objectifs. C'est une
théorie de l'« inférence », comme l'était celle de
Schopenhauer, pour qui l'apparence produite par le peintre
n'est qu'une application du principe de raison. Nous
« remontons » de l'effet à sa cause ; nous reconstituons la
scène représentée, en appliquant notre entendement aux
sensations de couleurs. Schopenhauer anticipait en somme la
15
15
. L'optique et la peinture, Paris, Ecole nationale supérieure des BeauxArts, 1994.
51
Noésis n°l
formule de Helmholtz déjà citée : « nous nous figurons
toujours l'existence, dans le champ visuel, d'objets tels qu'ils
devraient s'y trouver pour produire la même impression sur
l'appareil nerveux, lors de l'exercice normal et ordinaire de
l'oeil » .
Le contraste simultané et le contraste successif des couleurs
sont aussi des phénomènes de nature physiologique, puisqu'il
s'agit de « modifications de l'excitabilité rétinienne ». On peut
y ajouter l'irradiation, de même couleur que celle d'une lumière
donnée frappant une zone de la rétine, qui se communique aux
zones immédiatement voisines : « les surfaces fortement
éclairées paraissent plus grandes qu'elles ne sont en réalité, et
les surfaces obscures qui les entourent paraissent diminuées
d'une quantité correspondante » ; cela provient de ce que « la
sensation lumineuse n'est pas proportionnelle à l'intensité de la
lumière objective » . La « rationalité » propre à la
physiologie, par rapport à celle de la physique, se révèle ici : il
faut tenir compte de la transformation (ou de la «traduction»)
subie par l'excitant physique dans l'organisme récepteur (il en
est de même dans le cas du mélange de lumières « colorées » :
l'oeil ne peut, comme l'ouïe, reconnaître les vibrations
composantes, et ne perçoit qu'une couleur unique, résultant du
mélange ).
16
17
-Optique physiologique et chromatologie goethéenne.
L'historique de la théorie des couleurs qui suit l'exposé des
couleurs simples dans l'Optique physiologique tient compte de
la Farbenlehre de Goethe. Helmholtz rapporte à juste titre la
conception goethéenne à l'opinion d'Aristote, « d'après
laquelle la couleur proviendrait d'un mélange de blanc et de
noir...» . On reconnaît dans cette interprétation les théories de
la modification de la lumière blanche, à laquelle Miche Blay a
opposé la théorie newtonienne dans La conceptualisation
newtonienne des phénomènes de la couleur. Dans la
conception aristotélicienne, « une couleur est une lumière
moins éclatante et plus noire ou, cela étant équivalent, une
18
1 7
1 8
. Optique physiologique, tome 11, § 26, p. 563.
. Id., t.I, 2° partie, § 24, p. 425.
Ad., t. 1, 11, § 19, p. 353.
52
Noésis n°l
19
lumière affaiblie » . Dans la suite de son aperçu historique,
Helmholtz explique que Goethe a encore cherché à défendre
l'interprétation aristotélicienne, mais qu' « il ne prétend pas
précisément donner une explication physique des phénomènes
chromatiques...il cherche seulement à établir, en général, les
conditions sous lesquelles se produisent les couleurs suivant
lui, ces conditions se présenteraient dans un phénomène
fondamental, et il considère, comme présentant ce caractère, la
coloration des milieux troubles. Un grand nombre de ces
milieux rendent rouge la lumière qui les traverse, tandis que la
lumière incidente les colore en bleu quand on les regarde
devant un fond obscur ». Ainsi, Helmholtz rend bien compte
de l'Urphänomen goethéen, archétype de tous les phénomènes
de la couleur selon Goethe. Et s'il émet de sérieuses réserves
quant à l'interprétation goethéenne des phénomènes
prismatiques, il assigne très justement la tentative goethéenne à
la sphère de la sensibilité : «on voit qu'il ne faut considérer ces
descriptions de Göthe que comme des représentations
sensibles des phénomènes et non pas comme des explications
physiques ». Helmholtz distingue bien la « phénoménologie »
(chromatologie) goethéenne de la physique : «...il s'applique
toujours à ne pas abandonner le terrain des perceptions des
sens, tandis qu'une explication physique doit nécessairement
remonter aux forces...qui sont exclusivement du ressort de
l'intelligence ». Il n'y a donc ni explication causale ni
mathématisation chez Goethe (il critique au contraire l'intrusion
des mathématiques dans la théorie newtonienne) mais, dit
Helmholtz, « les expériences que Göthe cite dans sa théorie
des couleurs sont exactement observées et vivement décrites ;
leur exactitude n'est pas contestable ».
L'article déjà cité de Helmholtz, « Sur la nature des
impressions sensibles de l'homme», confirme que le savant a
fort bien compris la démarche goethéenne : «...il fait partie de
l'essence du génie poétique que de sentir comme sa force la
plus grande et sa nature la plus profonde de pouvoir se tenir à
la pleine énergie de l'apparence sensible, et, dans la mesure où
il la revêt de spirituel, de pouvoir transposer au spirituel
également l'entière fraîcheur et la pénétrante vitalité de
l'intuition immédiate ». Helmholtz ne pourrait mieux exprimer
1 9
. Paris, Vrin, 1983, p. 16.
53
Noésis n°l
ce qui caractérise la tentative de Goethe et des
Naturphilosophen de l'idéalisme allemand. Hegel lui-même
rend hommage à la vision goethéenne, et comme Goethe,
Schelling, Hegel et Schopenhauer ont vu dans la lumière le
représentant du spirituel dans la nature. Helmholtz attire
d'ailleurs l'attention sur cette communauté spirituelle, puisqu'il
écrit dans l'article Sur les impressions sensibles que la
résistance de Goethe (à la théorie newtonienne) « trouve
toujours encore des résonances, par exemple, chez Hegel et la
plupart des philosophes de son école ». La même idée est
reprise dans l'historique de l'Optique physiologique : « comme
Göthe, Hegel voulait voir dans les phénomènes de la nature
l'expression immédiate de certaines idées ou de certains
échelons du développement dialectique de la pensée...»
Helmholtz juge également très bien de l'enjeu épistémologique,
lorsqu'il ajoute que les « attaques violentes » de Goethe contre
Newton reposent plutôt sur ce que les hypothèses
fondamentales de Newton lui parurent absurdes...» Sur ce
point, Michel. Blay écrit dans La conceptualisation
newtonienne ...que « cette interprétation préjugeant de
l'existence, dans la lumière blanche, de la multiplicité des
rayons différemment réfrangibles et colorés, dépasse les
données expérimentales et trouve sa source dans les
conceptions atomistiques de Newton » .
On peut donc conclure que, sur cette question de la nature
de la lumière et des couleurs, il existe de part et d'autre des
présupposés orientant la recherche et la théorie : pour Newton ,
la lumière est composée et la couleur simple; et pour Goethe et
son école, la lumière est simple et la couleur composée. Du
temps de Newton, Hooke reproche déjà à Newton « d'avoir
avancé l'idée que les couleurs préexistent dans la lumière
blanche» (Michel Blay,p.83) ; mais, inversement, Goethe n'a
pas vu (ou su) que lorsqu'on examine à travers le prisme, une
surface éclairée sur fond obscur, l'image ne peut être déviée et
surtout troublée par le prisme, parce que « l'image prismatique
que l'on voit dans ces cas est virtuelle, et n'est, par
conséquent, que le lieu géométrique où se couperaient les
prolongements postérieurs des rayons lumineux qui pénètrent
dans l'oeil observateur ; cette image ne peut donc pas produire
20
2 0
. op. cit., p. 95.
54
Noésis n°l
les effets physiques d'un milieu trouble » (Helmholtz,
historique...p.354).
C'est ici que l'on pourrait demander avec Pascal Engel,
préfaçant le n°33 de la Revue Philosophie : « la perception des
couleurs, et des « qualités secondes » ou phénoménales en
général relève-t-elle d'une « vision subjective » d'une réalité
qui ne peut pas être exclusivement décrite dans les termes
objectifs de 1' « image scientifique » du monde » ?
A sa suite, dans sa présentation des Impressions
sensibles...de, Helmholtz, Roberto Casati affine justement
l'idée que l'on se fait habituellement des positions de
Helmholtz, et cette présentation pourrait bien préparer à une
approche phénoménologique de la sensation et de la
perception.
Il convient en effet de préciser la position philosophique de
Helmholtz : « Helmholtz pense que la physique nous donne un
accès indirect à la réalité », dit Roberto Casati. Mais, du fait
que « la connaissance se fait par l'intermédiaire de la
perception, il semble approprié de cerner les traits de nos
représentations qui dépendent des objets physiques perçus...».
La philosophie de la perception engage à traiter du rapport
existant entre sensation et perception, ou entre la perception et
ses objets. Replaçant Helmholtz dans une filiation empiriste,
lockéenne en particulier, Roberto Casati note que « les
sensations ne sont pas, à proprement parler, des objets de
perception » et que « nous ne percevons pas nos sensations,
mais les objets qui les causent». « Certes, ajoute Roberto
Casati, il peut y avoir cognition des sensations dans certains
cas limites » (ces «cas limites» ne pourraient-ils être par
exemple, les conditions expérimentales dans lesquelles opère la
psychophysique ?).Mais, surtout, si «Helmholtz soutient, dans
l'esprit de la théorie de Müller, que les véritables objets de la
perception ne sont pas les choses matérielles, mais les
sensations...cette formulation ne constitue qu'une façon
malheureuse d'attirer l'attention sur le mécanisme causal de la
perception», car «une forme de réalisme comme celle de
Helmholtz doit accorder une place centrale à la causalité, et
probablement ce qu'il faut retrancher de la théorie c'est tout
simplement le présupposé faux que les causes immédiates de la
perception en sont aussi les objets».
55
Noésis n°l
Physiologiste, Helmholtz ne peut, évidemment, qu'étudier
le « mécanisme causal de la perception ». Mais, du point de
vue philosophique, il prend position à l'égard du kantisme et,
écrit Roberto Casati, «il estime que la thèse kantienne suivant
laquelle l'espace et le temps sont des formes de l'intuition
sensible a le même statut que la thèse lockéenne de dépendance
des qualités sensibles du sujet percevant le transcendantal
aurait ainsi un fondement physiologique».
Sabine Gelhaar s'emploie précisément à déterminer les
positions respectives de Helmholtz et de Husserl vis-à-vis de la
théorie kantienne de la connaissance, dans Die
frühpositivistische
(Helmholtz) und phänomenologische
(Husserl) Revision der Kantischen Erkenntnislehre , et cite
en exergue une formule de Husserl : « les kantiens sont
aveugles au phénoménologique, les empiristes à la théorie de la
connaissance ». Son introduction présente Helmholtz comme
un tenant d'un empirisme fondé sur un « réalisme
métaphysique intenable », et Kant comme Husserl
représentent l'a priorisme face à l'empirisme de Helmholtz.
Pour Kant (Paralogismes), une « physiologie » (de
l'entendement humain), ne saurait être une physiologie
empirique, car il ne pourrait en résulter une connaissance
apodictique (apodicticité qui sera également revendiquée par
Husserl). Pour Sabine Gelhaar, Helmholtz a œuvré dans des
sciences particulières, et il aurait voulu édifier sur elles une
philosophie. Et, s'il emprunte à Kant les termes d' « a priori »
ou de « transcendantal», il ne quitte pas le domaine du factuel.
En fait, Helmholtz comprend l'a priorité comme innéité. Il
ignore la subjectivité transcendantale et ne comprend pas Kant.
Helmholtz veut naturaliser la psychologie, puisqu'il écrit :
« j'admets que nous sommes encore bien loin de disposer
d'une explication des phénomènes psychiques en termes de
sciences de la nature».
Sabine Gelhaar nous permet donc de revenir sur le
problème de la nature des relations existant entre sciences de
fait et sciences apodictiques. Il y a pour elle deux degrés de la
méthode husserlienne : la philosophie première doit poser les
principes a priori de toute connaissance possible ; le second
21
21
. Cuxhaven, Transzendentalphilosophie heute, Band 2, JunghansVerlag, 1991.
56
Noésis n°l
degré est celui des sciences de faits, qui acquièrent leur
rationalité de la philosophie première. C'est cette philosophie
première qui est science de la subjectivité transcendantale,
science des commencements, dans l'intuition originaire. C'est
pourquoi elle est, pour Husserl, le « vrai positivisme » qui
doit s'opposer au négativisme sceptique « qui se nomme
positivisme ».
Sabine Gelhaar identifie aussi dans le manuscrit C2 I de
Husserl, un « Moi originaire » (Ur-Ich). Selon Husserl, la
séparation du sujet et de l'objet n'est pas encore effectuée dans
la présence vivante. Le subjectif et l'objectif y forment une
indissociable unité et sont, considérés isolément, des
abstractions.
En définitive, la tâche de la phénoménologie est, selon
Sabine Gelhaar, d'établir des relations entre sciences
objectives, monde de la vie, et sphère transcendantalesubjective de l'expérience. Comme s'il s'agissait de vérifier
cette assertion, et en tout cas pour distinguer la démarche
husserlienne de toutes celles qui ont été évoquées jusqu'ici, la
couleur sera maintenant prise comme exemple de la réduction
éidétique dans la phénoménologie pure.
IV- Husserl et l'essence de la couleur.
Du point de vue de la phénoménologie pure, Husserl
affirme qu'on ne saurait traiter davantage des qualités sensibles
telles que la couleur, sur le terrain de la physiologie que sur
celui de la physique : « nous ne disons pas : les choses audehors produisent sur les organes de nos sens des stimulations
auxquelles s'attachent des sensations psychophysiques et dans
la suite des représentations et mouvements de l'âme
quelconques » .
Bien que cela engage à pratiquement citer une page entière
de Chose et espace, il est nécessaire de donner une idée aussi
complète que possible de la problématique husserlienne,
relative aux rapports du monde « originaire » de la vie avec les
sciences.
22
2 2
. Chose et espace, Leçons de 1907, trad .J.F. Lavigne, P.U.F., 1989,
p. 172.
57
Noésis n°l
« L'appréhension du monde propre à la science a beau
s'éloigner considérablement de celle de l'expérience préscientifique, elle a beau même enseigner que les qualités
sensibles n'ont pas une signification objective aussi immédiate
que celle que l'expérience naturelle leur attribue ; il reste
cependant que c'est la simple expérience, la perception
immédiate, le souvenir immédiat, etc., qui lui donnent les
choses qu'elle détermine théoriquement, en s'écartant
seulement de la manière habituelle de penser. Le chercheur qui
étudie la nature peut bien dire : "ce morceau de platine est en
réalité un complexe atomique de telle constitution, doué de tels
et tels états de mouvement, etc.", il n'en détermine pas moins
toujours avec de tels propos cette chose-là, qu'il voit, qu'il a
en main, qu'il pose sur le plateau de la balance, etc., ou bien il
parle en général de choses de cette sorte. Tous les jugements
d'effectivité que fonde le scientifique étudiant la nature se
réfèrent à de simples perceptions et souvenirs, et se rapportent
au monde qui accède à une première donation dans cette simple
expérience. Toute fondation médiate, au moment où elle
accomplit la science, repose précisément sur la donation
immédiate, et les vécus dans lesquels la réalité accède à la
donation immédiate sont la perception, le souvenir, et, aussi,
pris dans une certaine immédiateté, l'attente et les actes
analogues à celle-ci. Qu'il existe quelque chose comme
l'hallucination, l'illusion, le souvenir et l'attente trompeurs,
nous le savons bien. Mais cela ne change rien à ce qui vient
d'être dit. On voit bien tout de suite que ce serait un non-sens
manifeste de tenir pour illusoire tout être-donné immédiat
provenant de ces sources. En tout cas, ce ne serait pas alors
simplement l'effectivité de l'homme ordinaire, mais encore
celle de la science, et ainsi la science elle-même, qui seraient
abandonnées » .
On retrouve ici une problématique analogue à celle qui avait
été indiquée au début de cette recherche, à ceci près qu'ici,
Husserl s'interroge seulement sur « la manifestation
originaire...de l'objectité empirique dans l'expérience
inférieure » - comme il le dit deux pages plus loin -, alors que
dans les Idées directrices..., il subordonne les sciences de faits
à la science éidétique, autrement dit, à un niveau
23
2 3
. ld., p. 27.
58
Noésis n°l
« supérieur », sur lequel deux types de sciences sont
confrontées. On peut noter l'idée d'une « sujétion » des
sciences de faits dans les deux passages : à l'expérience
originaire dans Chose et espace, puis à la science éidétique
dans les Idées directrices . Dans l'attitude naturelle en tout cas,
la conscience immédiate ne se « trompe » pas dans son
attribution des qualités aux objets auxquels elle se rapporte
immédiatement. Comme l'écrit Jacques Bouveresse dans
Langage, perception et réalité - à propos de Helmholtz - « les
qualités premières et les qualités secondes sont exactement sur
le même plan et la conscience naïve ne commet aucune erreur
en attribuant celles-ci aussi que celles-là aux objets euxmêmes » .
Or, s'intéressant dans Chose et espace à la « nature causale
de la chose », Husserl écrit qu' « une chose devrait pour ainsi
dire être d'abord quelque chose avant qu'elle ne puisse avoir
une puissance ». Cette choséité se donne d'abord au regard :
« un regard sur la chose et elle se tient là comme chose » ;
mais il y a là aussi nécessité d'un sens, puisque Husserl écrit
d'abord qu'«il appartient néanmoins au sens de l'appréhension
de chose que la chose ait une certaine coloration, déterminité de
surface, et semblables » .
Il s'agit maintenant, en élargissant le propos à d'autres
textes, d'examiner comment Husserl procède à une
détermination du phénomène, de la qualité et de l'essence.
Dans les Recherches logiques, Husserl écrit que l'on
« donne surtout le nom de phénomènes aux sensations
présentatives, donc aux moments vécus de couleur, de forme,
etc., qui ne sont pas distingués des qualités correspondantes de
l'objet » (on sait cependant que l'intentionnalité porte
seulement sur l'objet lui-même, la « hylè » sensible
demeurant, quant à elle, de l'ordre du pur vécu ). Les
Recherches posent aussi la possibilité d' « intuitions générales
qui n'excluent pas seulement de leur contenu intentionnel tout
24
25
26
24
. Langage, perception et réalité, t. 1, La perception....
1995, p. 132.
. op. cit., p. 83.
. Recherches logiques, t. III, P.U.F., 1963, p. 282.
J. Chambon,
2 5
2 6
59
Noésis n°l
27
ce qui est individuel mais aussi tout ce qui est sensible » .
Husserl distingue 1' « abstraction sensible, qui nous donne des
concepts sensibles... et l'abstraction purement catégoriale...» Il
fait donc de la couleur un concept « purement sensible », la
coloration (être-coloré) étant rangée dans les « concepts
catégoriaux mixtes ».
Dans Chose et espace, Husserl emploie le terme de
« distillation » : « des produits d'une première analyse ont
besoin d'une nouvelle distillation purificatrice, les nouveaux
produits à leur tour, jusqu'à ce qu'on ait obtenu le dernier, tout
à fait pur et clair » .
Toujours dans Chose et espace, Husserl ne dit pas que la
« purification » du phénomène donne accès à son essence; le
phénomène « purifié » n'en demeure pas moins phénomène.
L'analyse husserlienne ne part pas non plus de la qualité ellemême, mais du « schéma-de-chose » ou du « schéma
sensible », qui unit des qualités à la figure spatiale : «...tout
phénomène-de-chose recèle nécessairement en lui une couche,
que nous nommons le schéma-de-chose (Dingschema) : il
s'agit de la simple figure spatiale remplie de qualités
“sensibles“ »... . L'analyse distingue donc des « couches »
successives de l'expérience, et dans cette introduction à Ding
und Raum, le « phantasme » (Phantom), ou «schéma
sensible» est l'unité des trois couches de la chose «comme
objet de l'expérience simple», c'est-à dire du schéma temporel,
du schéma spatial et du « remplissement sensible »
Peut-on analyser à son tour, ou tout au moins décrire, cette
troisième couche de la présence sensible ?
28
29
-L'expérience de la couleur : couleur et attente perceptive.
Pour Husserl, la sensation est un « vécu ». Mais la
perception est anticipation de ce qu'elle vise. La donnée
perceptive comble-t-elle une attente préalable qu'elle confirme,
ou bien l'attente est-elle « niée », infirmée par la perception
qui y contredit ?
27
. Id., p. 221.
. Chose et espace , p. 33.
. Cité d'après les Ideens(p. 370), in Ding und Raum, p. XIX.
28
29
60
Noésis n°l
Un emprunt aux Remarques philosophiques de Wittgenstein
est ici éclairant. Wittgenstein se demande : « comment puis-je
savoir que je peux reconnaître le rouge quand je le vois ?
Comment sais-je alors que c'est là la couleur que j'avais
désignée en esprit ? » . Pour lui, la reconnaissance de la
couleur est précisément possible grâce à une attente : « Si je
m'attends à voir du rouge, je me prépare au rouge » . Pour
Wittgenstein, l'orientation vers la couleur s'effectue dans
l'espace grammatical et logique des couleurs, tel qu'il a été
défini par l'octaèdre d'Ostwald (schéma dans lequel les
couleurs primaires jaune, rouge, bleu et vert, ainsi que les
couleurs secondaires jaune-rouge, bleu-rouge, vert-bleu et
jaune-vert, sont disposées sur un octogone, le blanc et le noir
étant placés aux sommets de l'octaèdre construit sur l'octogone
de base ). Cette orientation se fait, plus simplement encore, par
référence au vocabulaire des couleurs qui, dit Jacques
Bouveresse, prévoit « d'une certaine manière la place de
chaque couleur possible » . Mais, remarque J. Bouveresse,
Wittgenstein ne se soucie pas de savoir d'où provient
exactement la logique de notre langage.
Ce qui est commun aux « phénoménologies » de Husserl et
de Wittgenstein est, d'une part, le recours à la notion de
possibilité de ce qui peut apparaître dans l'espace perceptif et,
d'autre part, cette apparence elle-même : « nous (s.e.)
philosophes, nous ne pouvons parler que de l'apparence,
autrement dit nous relions l'apparence à l'apparence » . Et ce
qui caractérise la phénoménologie proprement husserlienne, le
« retour aux choses mêmes », est le retour à l'expérience
(perceptive) originaire.
Dans Expérience et jugement, Husserl s'interroge sur
l'origine de la négation. Il fait appel à ce que l'on peut nommer
le « paradigme de la face cachée », dont on trouve de
nombreux exemples dans son œuvre. Ici, l'analyse porte sur
30
31
32
33
30
. Remarques philosophiques, Recension....II, 11, Gallimard, 1975.
. Id., p. 33.
. Le mythe de l'intériorité. Ed. de Minuit, 1976, p. 457.
. E. Rigal, « Y a-t-il une phénoménologie wittgensteinienne ? », La
phénoménologie aux confins, collectif, Mauvezin, T.E.R., 1992, note 63, p .
111.
3 1
32
33
61
Noésis n°l
l'exemple d'une « boule uniformément rouge », mais dans la
perception de laquelle « se montre peu à peu une partie de la
face arrière qui n'avait pas été vue d'abord, et, s'opposant à la
perception primitive : « uniformément rouge, uniformément
sphérique », voici que se produit une conscience d'altérité qui
déçoit l'attente : « non pas rouge, mais verte...» Avant l'acte
de jugement prédicatif, Husserl retient donc le phénomène
originaire de la négation, « superposition d'un sens nouveau
sur le sens déjà constitué, et en même temps éviction de celuici ». Une sorte de « logique dialectique anté-prédicative » se
trouve mise en œuvre dans la conscience originaire, car il y a
conflit entre les intentions encore vivantes et les contenus de
signification qui apparaissent dans la donnée originaire qui
vient d'être instituée. L'attente d'un rouge est déçue par le
nouveau sens objectif ( ainsi d'ailleurs que l'attente de forme,
si l'on découvre par exemple que la face arrière est bosselée ).
Mais la certitude vaincue ( rouge, sphérique ) est encore
présente à la conscience, affectée du caractère « ne...pas »,
par suite de la découverte que la face arrière est verte et
bosselée. Pour que la conscience originaire de la négation ait
lieu, il faut donc que le moment rouge et le moment vert soient
simultanément présents à cette conscience, avec une éviction
du rouge par le vert. Ainsi, la donnée perceptive « induit » en
quelque sorte la logique prédicative, qui repose donc sur la
donation de sens par la conscience originaire.
Dans un autre passage d' Expérience et jugement portant sur
la perception de la chose et de sa couleur, Husserl recourt à ce
même paradigme, pour s'interroger sur la perception de tout
objet en général, ne serait-ce qu'un « donné sensible, comme
objet spatial » . Si nous « anticipons intuitivement, sur le
mode du visible, la face cachée d'une chose » nous prenons
conscience « de l'arbitraire de la couleur qui s'offre à voir et
qu'il faudra tenir désormais pour la couleur de la chose ».
Dans cet exemple, la couleur est « arbitraire » parce que le
premier sens, indissociable de toute perception originaire, ne
permet pas d'anticiper avec certitude la suite du processus
perceptif. L'incertitude vient de ce qu'il n'y a pas de motif, de
nécessité à l'apparition d'une couleur particulière déterminée.
Mais pour Husserl, « cet arbitraire n'est cependant pas
34
34
. op. cit., pp. 41-45.
62
Noésis n°l
illimité ». Anticiper la couleur de la face arrière d'une chose,
c'est au moins s'attendre à trouver une couleur en général .
Chaque chose se donne dans « la conscience d'une potentialité
d'expériences possibles de réalités (Real) singulières...»,
lesquelles sont anticipées a priori selon un type, et c'est ainsi
que se constitue l'expérience anté-prédicative.
Husserl parvient alors au « concept de possibilité
ouverte », dont on pourrait dire qu'il désigne la plus grande
liberté ou indétermination possible dans le champ de la couleur
en général. Il s'agit d'une « libre variabilité » puisque, on l'a
vu, il n'y a pas de motif qui puisse peser sur la désignation de
la couleur. Dans la suite de la recherche, la « purification »
des données perceptives permettra à Husserl de parvenir à
l'eidos d'une couleur, puis à l''eidos de couleur en général, et il
faudra examiner comment cette essence de la couleur se
distingue de la couleur objective ou couleur de chose.
Précisément, il est des « quasi-objets » ou des « pseudocorps », dont un exemple chez Husserl est celui de la voûte
céleste. Mais cette fois, il ne s'agit plus d'un objet, et l'analyse
de la face cachée ne « fonctionne » plus. Nous ne pouvons
voir une face «avant et une face «arrière» de la voûte céleste,
pour la bonne raison qu'elle n'existe pas comme chose . Son
bleu n'est pas un bleu objectif, parce qu'elle est un « pseudocorps », ce que remarque également l'épistémologie critique :
la « voûte céleste » est une métaphore, et cette voûte est
dénuée de réalité objective. Faut-il dire pour autant que son
bleu est «subjectif» ? Pour le physicien, il est soumis à des
conditions objectives. Gaston Bachelard rappelle dans Le
nouvel esprit scientifique que le « bleu du ciel » provient de
l'effet Raman : les molécules de l'air entrent en vibration et
ajoutent « leurs caractéristiques rayonnantes propres » à celles
de la lumière incidente . Quant à Husserl, il remarque dans
35
36
37
35
. Pour Wittgenstein, cela est d'ailleurs vrai du champs visuel tout
entier : « la tache dans la champ de vision doit non pas nécessairement être
rouge, mais avoir une couleur : elle est pour ainsi dire environnée de l'espace
des couleurs...» (Tractatus, 2.0131).
. Chose et espace, pp. 302-303.
. (cf. supra, p. 10). Le nouvel esprit scientifique, P.U.F. , Quadrige,
n°47, p. 78.
3 6
37
63
Noésis n°l
Ideen II que « nous ne voyons en fait aucune chose
matérielle » et que « des groupes essentiels de traits
caractéristiques ne sont absolument pas représentés dans
l'appréhension, à savoir ceux de la matérialité spécifique. C'est
de cette manière encore que nous voyons un arc-en-ciel, le ciel
bleu, la lumière du soleil, etc. » . Outre le bleu du ciel déjà
évoqué, on retrouve ici l'exemple de l'arc-en-ciel, dont Leibniz
disait déjà qu'il n'était qu'un « simple phénomène » (A
Arnauld, 14-7-1686), et dont Michel Blay vient de retracer
l'histoire dans la pensée philosophique et scientifique, dans un
ouvrage où il cite Léonard de Vinci : « l'arc en soi n'est pas
dans la pluie, ni dans l'oeil qui le voit, mais est engendré par la
pluie, le soleil et l'œil » . L'arc-en-ciel est un phénomène
« bien fondé », puisqu'il se prête aussi bien à la démarche de
la physique mathématique avec le calcul des rayons efficaces
(Descartes) qu'avec celui de la formation de l'arc (Newton) ;
mais c'est un phénomène dépendant tout autant de la position
et des déplacements de l'observateur qui voit « son » arc, de
son « point de vue ». Pour Husserl maintenant, on peut aussi
imaginer que l'on se sente « baigné » d'une lumière bleu
sombre en regardant de nuit la « voûte céleste », exemple dans
lequel se trouve également écartée tout propriété de chose. Si
l'on prend donc la lumière colorée elle-même comme corrélat
de la conscience perceptive, elle semble se donner comme
appréhension la plus immédiate de la couleur comme pure
qualité. Mais qu'en est-il de la couleur lorsqu'elle est unie à la
forme, ce qui est le cas de la couleur de chose ?
38
39
-La chose et l'objet spatial comme « phantasme » : couleur et
figure.
La Chose est un thème essentiel de la recherche
husserlienne, dans Ding und Raum, dans les considérations
des Ideen III sur la phénoménologie et les fondements des
sciences, etc.. L'idée de nécessité entre d'abord en jeu, suivie
de celle de causalité, qui fait de la chose un objet matériel.
Husserl décrit les variations temporelles auxquelles est soumis
l'objet de la perception, ainsi qu'aux variations kinesthésiques
3 8
3 9
. Idées directrices...., II, P.U.F., 1982, p. 67.
. Les figures de l'arc-en-ciel, Paris, Ed.Carré, 1995, p. 34.
64
Noésis n°l
et à la « Zerstückung », ou morcellement de la chose. Elle
reste une chose, écrit-il, « et même la division ou le
morcellement n'y changent rien, car leur possibilité est ellemême inscrite dans la forme chose » . Nous aurons toutefois
à examiner si ce morcellement affecte la couleur, et sur quel
mode. Il y a, en tout cas, une nécessité a priori relative à la
chose. N'est accidentel que ce qui lui « advient », comment
elle se modifie ; cela est le factuel. Il y a comme un « droit »
de la perception sur la chose, qui tient à la possibilité même du
changement. Husserl rend explicitement hommage à Kant pour
sa distinction de l'Esthétique et de l'Analytique
transcendantale : « même pour le monde du pur
“ phantasme ”, vaut encore la théorie pure du temps et la
géométrie pure » . On peut rappeler ici que Helmholtz,
critiquant la théorie « nativistique » des sensations visuelles à
la fin de son Optique physiologique, en vient à la considérer
comme « une extension de l'opinion de Kant » .
Il cite d'abord Johannes Müller, pour qui « l'idée d'espace
ne peut pas être un produit d'éducation au contraire, la notion
de l'espace et du temps sont nécessaires (sic), et toutes les
sensations se soumettent nécessairement à ces notions...» Mais
« peut-on blâmer Johannes Müller,qui écrivait à une époque où
l'on n'avait encore aucune observation sur les lois des
mouvements des yeux,...», etc. En réalité, après un examen de
la théorie de Panum, c'est surtout Hering qu'Helmholtz entend
critiquer, mais en ajoutant (p. 1027), sur le point de clore son
livre : « je désire que cette critique, que l'intérêt de la question
m'a obligé de diriger contre les opinions de M. E. Hering, ne
soit pas considérée comme l'expression d'une animosité
causée par les attaques qu'il a dirigées contre mes derniers
travaux ». Dans cette digression, nous nous écartons de la
phénoménologie, mais pas de l'histoire des sciences et de la
philosophie. Car nous savons déjà que le « nativisme » que
vise Helmholtz n'est pas le transcendantalisme kantien, mais
un innéisme à fondement physiologique. Quant aux rapports
Helmholtz-Hering, on peut se reporter à l'étude de
R.S.Turner, In the Eye's Mind, Vision and the Helmholtz40
41
42
40
4 1
. Ideen III, Husserliana, Bd.V, p. 35.
. Id., p. 30.
. Optique physiologique, II, p. 1011.
42
65
Noésis n°l
Hering Controversy dans laquelle l'auteur montre que Hering
croit déceler chez Helmholtz une tendance « spiritualiste », à
laquelle il oppose une orientation purement « physiologique »
vers une
«psychologie physiologique», et même une
« physiologie de la conscience » .
Revenant maintenant à l'analyse husserlienne de la chose,
nous pouvons donc retenir que pour Husserl, les lois a priori
de l'Esthétique transcendantale demeurent, même si le monde
devient « phantasme » sous l'effet d'une imagination déréglée.
La chose conserve toujours son ordre. Même le simple
« remplissement sensible » (donc les qualités) est soumis à
des lois, bien qu'il ne constitue pas une nature matérielle.
Avant même la constitution de la nature matérielle, l'analyse
rencontre donc la condition originaire de la choséité, dont
l'espace constitue la forme, alors qu'on ne peut assigner de
localisation spatiale à la couleur comme « vécu ».
L'espace peut d'abord être considéré en tant qu'extension,
qui reçoit la couleur comme les qualités premières
« reçoivent » les qualités secondes : « la chose ne connaît pas
d'autres déterminations extensives que la pure corporeité
(qualité première) et les qualités sensibles qui la modifient,
c'est-à-dire ses qualités secondes qui la « qualifient » . Mais,
à la différence de l'étendue cartésienne, l'étendue husserlienne
ne peut être séparée de la couleur : « couleur et étendue vont
ensemble...la couleur emplit l'étendue...et engendre l'étendue
colorée...» . Dans Chose et espace, Husserl écrit encore que
« la couleur en tant que coloration est couleur figurée »
(comme dans le Ménon de Platon, Socrate énonce que « la
figure est de toutes les choses qui existent la seule qui
accompagne toujours la couleur»). Pour Husserl en effet, la
coloration est couleur déterminée, et elle ne peut l'être que
« par la déterminité de la forme, de la figure qu'elle
remplit » . La coloration s'étend sur les surfaces et les
43
44
45
46
47
43
4 4
. Princeton University Press, 1994.
. Ideen 1, p. 129.
. Chose et espace, p. 206.
. Id., Appendice VIII, p. 419.
. Id., p. 223.
45
4 6
4 7
66
Noésis n°l
volumes, et cesse aux arêtes des formes stéréométriques telles
que le cube.
La description peut ensuite s'attacher aux modifications
imposées à la chose dans les différentes phases de la
perception. Si l'on morcelle l'étendue, les couleurs qui
l'emplissent sont morcelées avec elle ( il n'en est pas de même
pour le son ou pour la chaleur, qui n'ont pas de lieu propre ).
La couleur est, parmi les qualités, celle qui est inséparable à la
fois du lieu et de la forme. Mais, si la coloration est liée à la
figure, elle est aussi susceptible de variations indépendantes.
Toutefois, ce qui fait surtout apparaître la distinction entre
couleur vécue et couleur d'objet ( Gegenstandfarbe ), c'est
que, de même que la perception d'une surface n'est pas une
surface, « le rouge, par exemple, n'est pas une « propriété »
de la perception, mais une « marque distinctive » de la chose
perçue » .
Toutes ces considérations conduisent à s'interroger sur la
nature exacte de la « chose » d'une part, et du « fantôme »
d'autre part, car c'est bien ce « schéma sensible », et lui seul,
que dégage d'abord l'analyse de la perception. Est-il possible
de voir dans cette apparence le «support» ( Träger), de la
puissance, de la force, de la «propriété causale» comme dit
Husserl dans un additif à Chose et espace ? . Il ajoute
d'ailleurs que « le mot support ne convient pas ». Voir dans le
schéma sensible le support de la chose reviendrait en effet à
inverser le rapport des qualités premières et des qualités
secondes de la théorie classique de la matière et de la réalité
perceptive. Puisque les propriétés causales et substantielles
sont « transcendantes » à la perception, et qu'elles sont le
produit d'une construction intellectuelle, c'est celle-ci qui est
seconde par rapport à l'apparence perceptive. La vraie qualité
première est également l'extension pour Husserl. Elle ne
résulte sans doute pas d'une « inspection de l'esprit », comme
chez Descartes, mais elle est un transcendantal, une condition
de possibilité de la chose. Voilà pourquoi « le mot support ne
convient pas » ; il ne s'agit pas d'un substrat réellement (real)
matériel. Et même la pure étendue géométrique « appartient à la
nature en soi de la physique mais non pas les qualités sensibles
48
49
4 8
4 9
. ibid., p. 66.
. ibid., p.397.
67
Noésis n°l
50
qui relèvent entièrement de la nature apparaissante » . Du
point de vue de la phénoménologie de la perception,
l'extension géométrique ne fait pas davantage partie des
propriétés matérielles, car « la matérialité de la chose se
manifeste par sa dépendance à l'égard des circonstances » .
D'une autre façon, Husserl montre encore dans les Beilagen
à Ideen III comment les qualités peuvent être
phénoménologiquement saisies. L'analyse part de la distinction
entre les domaines de la physique et de la psychologie. Nous
pouvons introduire des « idées exactes » dans le flux de la
perception, comme nous le faisons par exemple en distinguant
des phases dans ce flux. Mais nous ne pouvons le faire
« mathématiquement » : « les formations conceptuelles de
l'optique mathématique prennent leur source dans l'expérience
avec ses couleurs empiriques, mais elles ne leur sont pas
immanentes» . Encore avec Husserl, les « formations
conceptuelles » prennent-elles leur source dans l'expérience.
Mais on peut rappeler ici que Goethe et Hegel avaient reproché
à Newton d'introduire la mathématique « de l'extérieur » dans
la chromatologie. Selon Goethe, Newton n'a pas construit sa
théorie à partir du phénomène perçu, et « un étrange
enchaînement de circonstances a fait que la théorie des couleurs
a été entraînée dans ce domaine, devant le tribunal du
mathématicien, là où elle n'est pas à sa place » . Et pour
Hegel, « on dit : Newton était un grand mathématicien.
Comme si cela pouvait justifier sa théorie des couleurs » .
Enfin, Michel Henry écrit que « ces couleurs et ces formes
sont constitutives de l'être de la nature, parce que la nature
réelle est la nature sensible et non l'univers des idéalités que la
science lui substitue dans ses constructions et dans ses
théories » . A propos des qualités sensibles, nous
rencontrons donc le problème d'une «bifurcation» de la nature,
comme dit Whitehead dans The Concept of Nature, en une
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52
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5 4
5 5
. Ideen lll, P.U.F., 1982, p. 117.
. Id., p. 71.
. Idées lll, P. 136.
. Gœthe Werke , Hambourg, C.Wegner, XIII, p. 328.
. Hegel, Naturphilosophie, § 320.
. La barbarie, Poche, 1987, p. 38.
68
Noésis n°l
nature apparaissante et une nature construite, ce qui est un
aspect de la confrontation entre phénoménologie et sciences de
la vision.
Dans le développement de la phénoménologie husserlienne
de la perception, nous avons vu qu'il y a des lois de la
coloration dans son rapport à l'espace et à la figure; la couleur
en tant que coloration est couleur figurée. Elle reçoit une autre
détermination encore; elle est déterminée par le lieu (Ort) :
« deux qualités pareilles ne peuvent exister que comme
qualités de lieux différents, c'est aux lieux qu'elles doivent leur
différence ou dualité. Les lieux sont en eux-mêmes distincts,
mais les qualités ne le sont que par les lieux » . C'est dire
que l'espace perçu n'est pas l'espace abstrait de la géométrie,
mais un espace qualitatif et même qualifiant. Si, dans cette
description, il n'affecte que la « couche » sensible, et non le
lieu du feu ou de la pierre, il retrouve cependant quelque trait
de la puissance de détermination du topos aristotélicien :
«...s'il en est ainsi, la puissance du lieu est prodigieuse et
prime tout » .
D'autre part, dans Ideen III Husserl insiste sur le caractère
déterminé d'une chose particulière ayant sa coloration
déterminée : « nous voyons les choses colorées, mais les
concepts des couleurs, et particulièrement les concepts idéaux
des couleurs pures, auxquels nous pouvons d'abord accéder,
ne sont pas encore des concepts de couleurs, grâce auxquels le
perçu pourrait recevoir d'exactes déterminations ». Après
l'examen de la coloration, il faut donc se demander comment
on parvient à ces « concepts idéaux de couleurs pures », si
l'on peut saisir l'essence de chaque couleur, et même de la
couleur en général ou de la couleur en soi.
56
57
- L'éidétique de la couleur.
La couleur comme « vécu » n'est pas perçue, mais la
coloration est perçue, liée à la figure. Peut-on maintenant parler
de couleur pure, de l'essence de la couleur, « sans support » ?
Et si l'on y parvient, ne reste-t-il plus que l'abstraction de la
couleur, puisque la couleur sensible en est absente ? Michel
56
5 7
. Chose et espace, p. 223.
. Aristote, Physique, Belles-lettres, Livre IV, 1, p. 124.
69
Noésis n°l
Henry, traitant de la couleur et de la forme dans la peinture,
oppose 1' «apparition sensible» à l'objet idéal que viserait
l'analyse husserlienne : «Husserl dit que l'objet est un pôle
d'identité idéal au-delà de la multiplicité de ses apparitions
sensibles. Or ce n'est justement pas ce pôle idéal, à la limite de
cette notion, cette identité une et toujours la même - la
cathédrale de Rouen, la meule de foin que la peinture veut
peindre, ce sont ces “ apparitions sensibles ” dans leur
singularité et leur mouvance...» . Mais il s'agit bien là de
peinture, et de ce que Monet veut peindre.
Dans les Recherches logiques, Husserl cherche cependant à
atteindre 1' « unité » idéale de la couleur rouge :
« Nous avons sous les yeux quelque chose de rouge (ein
Rotes). Mais le rouge n'est pas l'espèce “ rouge ”. Le concret
(Konkretum) ne renferme pas non plus l'espèce en tant que
partie ( “psychologique”, “métaphysique” ) de lui-même. La
partie, ce moment rouge (Rot-Moment) dépendant, est, comme
le tout concret, un être individuel, un hic et nunc, existant et
disparaissant avec et en lui, semblable, mais non identique,
dans divers objets rouges. Le rouge (die Rote) par contre, est
une unité idéale, à propos de laquelle il est absurde de parler
d'apparition et de disparition. Cette partie n'est pas le rouge,
mais un cas particulier de rouge...», et « ce sont deux choses
totalement différentes que de viser, en regardant l'objet intuitif
concret, le rouge sensible, ce trait particulier qui est hic et
nunc, d'une part, et d'autre part de viser l'espèce “ rouge ”
(comme dans l'énoncé : “ le rouge est une couleur ”) » .
On pourrait donc considérer, avec Cassirer, que
« l'essence-de-couleur » accompagne la perception de la
couleur particulière, seule donnée dans sa singularité. Dans
l'interprétation de Cassirer, « lorsque nous envisageons une
couleur d'une clarté et d'un ton donnés non pas seulement
dans la singularité de son vécu, donné ici et maintenant, mais
comme un cas particulier de l'espèce rouge ou vert, nous nous
dirigeons avec elle sur cette dernière : ce n'est pas tant elle que
l'espèce, dont elle figure pour nous un simple représentant, qui
occupe le foyer de notre conscience » . Ou, comme le dit
58
59
60
5 8
5 9
. Voir l'invisible, sur Kandinsky, F.Bourrin, 1998, p. 31.
. Recherches logiques 1, P.U.F., 1969, pp. 142-143.
.La philosophie des formes symboliques, 3, Minuit, 1972, p. 256.
60
70
Noésis n°l
autrement Ferdinand Gonseth, « il serait en effet
commode...de dire que ce rouge en moi est une essence...Une
telle essence est un élément de ma subjectivité ; elle m'est
propre et je ne puis savoir d'avance si elle joue dans la
subjectivité de tel autre le même rôle que dans la mienne » .
Mais ne peut-on déterminer une couleur « objective » ?
Husserl décide que la couleur « normale» est celle que l'on
perçoit à la lumière solaire par temps clair, sans intervention
d'autres corps capables d'influer sur la couleur. Ici, le
phénoménologue se donne, lui aussi, des conditions
« idéales », rarement données dans l'expérience, qui seraient,
en somme, le corrélatif (phénoménologique) des conditions de
laboratoire (scientifiques) déterminées par le chercheur.
Husserl note d'ailleurs une différence importante entre
éclairement et milieu : l'éclairement peut varier pour tous, alors
que le milieu peut n'agir que pour moi, par exemple si
j'observe la chose à travers un verre coloré. Le milieu ne
modifie que la visibilité de la chose, non la chose même (Idées
II).
Avec la prise en considération des propriétés du champ
objectif, il semble qu'on revienne à la couleur objective en tant
que coloration (Färbung) : la coloration dépend bien de
l'éclairement. Mais dans L'idée de la phénoménologie, après
avoir posé que « nous pouvons tout aussi bien trouver dans
une pure vue, exactement comme une telle donnée absolue,
l'objet général », Husserl accomplit dans la quatrième leçon
« de façon purement intuitive, le sens de la pensée : rouge en
général, rouge in specie, disons l'universel identique que la
vue tire de ceci et de cela; ce n'est plus maintenant l'objet
singulier en tant que tel qui est visé, non pas ceci ou cela, mais
le rouge en général ». Il faut seulement veiller à l'immanence
pure et à la réduction phénoménologique. Les variations de
l'éclairement ne signifient donc pas que l'on quitte le domaine
de l'immanence pure. Il suffit de ne pas appréhender le rouge
de façon transcendante, par exemple « comme le rouge d'un
buvard sur la table ». Et Husserl pose dans cette leçon que
61
61
. « L'Homo phenomenologicus », La phénoménologie
et les
sciences de la nature, Archives de l'Institut international des sciences
théoriques, Bruxelles, 1965, p. 159.
71
Noésis n°l
nous avons « une évidence en général » et que « la présence
absolue est ce qu'il y a d'ultime ».
Dans la cinquième leçon enfin, Husserl indique comment
passer de telle essence-de-couleur à l'essence de la couleur en
général : « en percevant une couleur et en pratiquant en même
temps la réduction, j'obtiens le phénomène pur couleur . Et si
maintenant j'accomplis l'abstraction pure, j'obtiens l'essence
couleur (phénoménologique) en général . Un parallèle
pourrait être établi avec les objets éternels de Whitehead (dont
la couleur), qui n'ont de sens que dans leur rapport et leur
« ingression » dans les entités actuelles ou occasions
actuelles, seules réelles dans le procès du monde. On peut
d'ailleurs comparer l'essence husserlienne de « couleur en
général » au « principe général » de Whitehead, tel qu'il est
exprimé dans un passage de Procès et réalité : « Par exemple,
la couleur est un principe général, dont les couleurs sont les
cas particuliers. Ainsi, si tous les corps sensibles manifestent
le principe général, qui est la couleur, chaque corps présente
une couleur bien définie. De plus, chaque corps présentant une
couleur définie est par là même » « coloré » .
Robert Chambon écrit, quant à lui, dans Le monde comme
perception et réalité : « Il n'y a guère, en définitive, que la
couleur - dont on a fait trop vite et trop souvent le symbole de
la qualité sensible en général - pour paraître, depuis l'analyse
newtonienne et post-newtonienne, sans équivalent dans
l'étoffe des choses » . De cela peut être rapproché, de
manière récurrente, la remarque de Husserl dans Idées II :
« cela a-t-il un sens de disputer quelles sont les qualités
véritables ? »
Pour juger à présent de la véritable nature du rapport
existant entre phénoménologie et sciences de la vision, il
semble évident qu'il consiste en une pure opposition, si l'on se
souvient de ce que Husserl excluait toute intrusion des sciences
de fait dans la science des essences. La recherche
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63
64
65
62
. L'idée de la phénoménologie, P.U.F., 1985, p. 91.
. Procès et réalité, essai de cosmologie, Paris, Gallimard, 1995, II,
chap.IX, III, p. 320.
. Paris, Vrin, 1974, p. 42.
. Recherches phénoménologiques pour la constitution, p. 127.
63
6 4
65
72
Noésis n°l
phénoménologique de « l'essence-de-couleur-en-général»
constitue en tout cas un exemple remarquable de réduction à
l'essence de la qualité sensible. Il fallait seulement éviter ces
« transcendants » que sont le spectre newtonien et les
« rayons de diverses réfrangibilités » qui sous-tendent
nécessairement la théorie des couleurs du physicien et
physiologiste Helmholtz. On n'y trouve pas davantage les
distinctions établies par Goethe entre couleurs physiques,
résultant de la propagation de la lumière dans les milieux
transparents, couleurs chimiques ou pigmentaires, et couleurs
physiologiques propres à l'activité de l'oeil. A la fin de Chose
et espace, Husserl en vient bien à des causes, mais il s'agit
alors de la « nature causale » de la chose, et non de celle des
qualités sensibles .
On peut aussi hasarder une comparaison entre la visée
husserlienne de la couleur à travers ses diverses apparitions, et
l'intuition goethéenne de l'Urphänomen de la couleur dans ses
multiples déterminations ou rencontres, telles les ombres
colorées que Goethe observa en redescendant du Brocken.
Enfin, condisciple de Husserl aux cours de Franz Brentano,
Twardowski énonçait dans sa Théorie du contenu et de l'objet
des représentations les trois modes de manifestation de la
couleur : « Ainsi “rouge” est, d'une première manière, partie
constitutive d'une boule rouge, d'une autre manière, partie
constitutive du spectre, et, d'une troisième manière partie
constitutive de tous les mélanges de couleurs dans lesquels il
est contenu ». Et comme il ajoutait : « on nomme la couleur
tout autant une propriété d'une chose que son êtrecoloré...» , on peut considérer qu'ainsi sont « récapitulés »
les principaux aspects de la couleur qui ont été examinés ici.
Mais, comme le rappelle Jean-François Lavigne, traducteur
de Chose et espace, à propos de la kinesthèse, dans une note
de la page 462, il n'en demeure pas moins un écart entre le
concept phénoménologique, et sa référence directe au donné
sensoriel vécu, de la conception génétique de la « sensation de
mouvement » objectivante...
66
67
66
. Chose et espace, Appendice II, p. 397.
. Husserl-Twardowski, Sur les objets intentionnels,
trad. J. English, Vrin, 1993, §§ 9 et 10
67
1893-1901,
73
Noésis n°l
Cela ne signifie pas que l'histoire de la constitution de la
phénoménologie pure ou transcendantale ne puisse être éclairée
par la connaissance du champ scientifique et culturel dans
lequel elle a pris naissance. C'est ce que fait par exemple
Bernhard Rang, dans Husserl Phänomenologie der materiellen
Natur (Frankfurt, 1990), ouvrage dans lequel les
considérations sur les rapports de la phénoménologie aux
sciences occupent une place considérable, par exemple aux
chapitres IV et V : « l'horizon historique de la doctrine
husserlienne des esquisses », « la constitution des couleurs
comme propriétés des objets matériel »,etc.
On trouvera donc ci-après en Annexe, le résumé ou la
traduction de quelques passages de ce livre.
74
Noésis n°l
Annexe : Bernhard Rang, Husserl
Phänomenologie
der materiellen Natur; Philosophische Abhandlungen,
Band 56, Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main, 1990.
It requires a very unusual mind
to undertake the analysis of the obvious.
WHITEHEAD
Introduction, p.2 : une phénoménologie constitutive est
toujours pour Husserl l'explication tout à la fois de
l'expérience préscientifique et scientifique du monde.
Une philosophie de la science ne peut être une discipline
particulière autonome dans le système de la philosophie
phénoménologique. Une philosophie de la science ne peut être
développée qu'au sein d'une philosophie de la nature.
Le primat est d'ailleurs accordé à l'expérience
préscientifique de la nature.
p.3 : du fait qu'une philosophie phénoménologique de la
nature ne thématise la nature qu'en tant que corrélat de
l'expérience que nous en avons, il n'existe pas pour Husserl
d'opposition entre la philosophie de la nature et la philosophie
transcendantale. Il s'agit là de la différence la plus profonde
existant entre la philosophie phénoménologique de la nature de
Husserl et la philosophie spéculative de la nature de l'idéalisme
allemand .
68
68
. Commentaire : on peut toutefois rappeler que pour Schelling, le
philosophe transcendantal «construit» la Nature comme il construit le Moi,
et qu'il existe donc au moins un « parallélisme » (qui aboutira à une identité)
entre construction objective et subjective. A partir de ce qu'écrit B. Rang, on
pourrait voir une lointaine analogie entre l'idée de « procès » (Schelling,
Whitehead) et celle de « flux perceptif » (Husserl). Dans les deux cas, il y a un
mouvement, un dynamisme de la Nature, de même qu'il y a pour la
phénoménologie un telos de la perception, tendant à une saisie totale de
75
Noésis n°l
p.6 : pour B.Rang, la phénoménologie de Husserl est liée à
la science moderne :
1- certaines représentations sont empruntées à la science :
par exemple, l'analyse de la tridimensionnalité de l'espace
perceptif, les recherches de la physiologie des sens
(kinesthèses, oeil cyclopéen et diplopie, etc.).
2-Husserl avait à se libérer de la conception physicaliste et
causale de Helmholtz parallèlement aux recherches de Hering
et de Mach (physique phénoménologique, non causale).
p.6 : la théorie husserlienne des « esquisses » se comprend
mieux sur fond de physiologie des sens de l'époque.
p.29 : on peut voir le ciel bleu, mais non l'être-bleu du ciel
(« je peux voir la couleur, mais non l'être-couleur de la
couleur », Recherches logiques ).
p.30 : on doit avoir présent à l'esprit qu'aucun acte
d'intuition catégoriale ne peut être accompli pour lui seul, sans
perception sensible fondatrice, et donc jamais sans
qualification sensible.
p.51 : dans le Livre I des Ideen, la chose se constitue sur
trois couches sensorielles fondées les unes sur les autres : res
temporalis (comme unité d'une durée), res extensa (comme
corps spatial) et res materialis (comme support substantiel de
propriétés matérielles).
p.54 : par « raison », Husserl entend toujours un « voir »,
s' agirait-il d'un voir « en un sens extrêmement étendu »
(Ideen I).
p.59 : même une propriété si proche des sens que peut l'être
la couleur d'une chose ne peut être donnée par une vue
simplement sensible, mais seulement dans le flux d'une
multiplicité de conscience dotée de structures synthétiques
l'objet, mais dont elle ne s'approche
« profils », jamais achevés.
que par des « esquisses »,
76
Noésis n°l
des
déterminées, que la phénoménologie de la nature matérielle doit
précisément découvrir.
p.98 : lorsque Husserl veut démontrer l'indépendance de la
couleur des corps à l'égard des conditions d'éclairement, il
donne au passage des exemples qui ont trait aux données
naturelles de notre Lebenswelt, comme par exemple les divers
modes d'apparition colorés des choses, «à la lumière du soleil
ou par temps clair», sous «une lumière du jour trouble» «au
crépuscule», etc. Ces circonstances ne sont pas artificielles,
mais données par la nature. Mais il n'y a pas d'opposition
entre les deux genres de déterminations. La science ne fait
qu'organiser systématiquement ce qui est donné dans
l'expérience originaire et préscientifique, bien que si celle-ci ne
soit pas conduite de façon rigoureuse dans toutes les
directions.
p.180 : L'identité de la couleur d'objets matériels dans la
multiplicité de leurs esquisses.
Un bon point de départ pour un plus ample éclaircissement
de la relation existant entre le sens objectif et le remplissement
sensible est fourni par ce phénomène que Husserl a caractérisé
par le terme d' « esquisse », avant qu'il n'en étende la
signification à un point tel, qu'il est devenu une métaphore
universelle du concept général d'apparition...
p.181 : L'exemple originel de Husserl
A propos de l'indication de Husserl relative «à la différence
aisément concevable entre le rouge objectif de cette boule vu
comme uniforme, et l'esquisse précisément indubitable et
même nécessaire de la sensation subjective de couleur dans la
perception qui s'en suit», il convient de remarquer que la
coloration uniformément rouge de la boule doit être «vue». Car
Husserl reprend de Locke l'exemple de la boule uniformément
rouge, à la différence que pour Locke l'homogénéité de la
coloration n'est justement pas vue, mais conclue par la pensée
de la correspondance réglée existant entre la forme de la boule
et la multiplicité des esquisses de sa coloration .
69
69
.Dans la Leçon sur la chose (« Dingvorlesung »), Husserl dit luimême, d'ailleurs sans le critiquer, qu'il s'agit d'un exemple emprunté à Locke,
77
Noésis n°l
Husserl souligne cependant que la multiplicité d'esquisses
relative à la couleur située à la surface d'une chose matérielle
est fonction de sa configuration spatiale, de sorte que cette
configuration « prescrit sa règle » au système des esquisses de
couleur .
70
p. 183: La disjonction abstractive du sens et du mode de
donation dans la perception de la couleur, de la lumière et de
l'ombre.
L'opposition de Husserl à Locke, relative à la question
portant sur la fonction de la perception quant au rapport
existant entre esquisse de couleur et couleur esquissée, renvoie
à une controverse qui eut lieu dans le domaine de la
physiologie des sens au cours du XIX°siècle finissant, et qui
est l'expression de l'opposition fondamentale, s'accroissant
chaque jour dans d'autres domaines encore, entre Helmholtz et
Hering, ainsi qu'entre leurs Ecoles. La controverse prit
naissance autour de la question portant sur la manière de
comprendre et d'expliquer la raison pour laquelle dans notre
expérience sensible visuelle, «nous avons constamment
tendance à distinguer ce qui dans la couleur ou l'aspect d'un
corps, provient de l'éclairement et ce qui tient au caractère
propre de la surface même du corps » . Comme on le voit,
ce que Husserl nomme dès l'origine « esquisse », est un cas
particulier de ce phénomène général régissant notre perception
tout entière des corps colorés. Par là est reconnu que la
perception d'une couleur lors de la saisie des choses dans des
conditions de perception naturelles, est en outre toujours
perception de lumière et d'ombre, la couleur d'une chose
n'étant ainsi pas vue comme seule qualité de remplissement de
l'espace.
71
bien qu'il y soit également dit que la coloration propre de la boule
uniformément colorée est «vue » («la coloration vue... est uniforme »).
L'exemple donné par Locke se trouve dans son Essay, IX, 8 : « ...nous nous
formons l'idée d'une figure convexe et d'une couleur uniforme, quoique dans le
fond nos yeux ne nous représentent qu'un plan ombragé et coloré diversement,
....» (Essai..., trad. Coste, rééd. Vrin, 1989, p. 99.).
70
71
. Ding und Raum, p. 264.
. Helmholtz, Optique physiologique.
78
Noésis n°l
p.251. La constitution des couleurs comme qualités des
objets matériels lors des variations d'éclairement.
- Le phénomène de la constance des couleurs dans la théorie
de Hering.
Que les couleurs des choses qui nous entourent demeurent
pratiquement constantes pour notre perception malgré les
importantes fluctuations quotidiennes des conditions générales
d'éclairement, est, comme l'écrit Hering dans sa grande oeuvre
systématique de 1905/07, « l'un des faits les plus
remarquables et les plus importants du domaine de l'optique
physiologique » . Car ce phénomène indique que nous
voyons en fait tout autre chose que ce que nous verrions, si les
couleurs avec lesquelles les corps nous apparaissent n'étaient
déterminées que par les propriétés physiques de la lumière qui
parviennent à nos yeux : « sans cette constance approximative,
un morceau de craie vu par temps gris, apparaîtrait de même
couleur qu'un morceau de charbon par temps ensoleillé, et il
devrait revêtir au cours d'une même journée toutes les couleurs
situées entre le noir et le blanc. De même, une fleur blanche
vue sous une voûte de feuillage vert, présenterait la même
couleur qu'une feuille verte tenue devant le ciel, et une pelote
de fil paraissant blanche à la lumière du jour, devrait présenter
la couleur d'une orange si elle était éclairée à la lumière du
gaz » .
72
73
. Grundzüge der Lehre vom Lichtsinn, p. 16.
7 3
. Id., p. 16.
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