EMBRYOLOGIE HISTORIQUE ET THEORIQUE (cours 12)
Ce que nous avons vu dans ce cours: l'étude des transformations morphologiques au cours de
l'embryogenèse (embryologie descriptive) ainsi que la comparaison d'embryons de différents
groupes zoologiques et avec les animaux adultes, n'explique pas le comment et le pourquoi de
l'ontogenèse. Comment une cellule unique, l'oeuf fécondé (zygote), conduit-elle à un animal
extrêmement complexe et qui, malgré quelques variations dans les détails, reproduit avec
précision la forme parentale?
Préformationisme:
Aux 17e et 18e siècles, la théorie
en vogue pour expliquer le
développement embryonnaire était
celle du préformationisme. Selon
cette théorie, l'animal qui se
développe a toujours été présent
dans l'oeuf, mais si petit et
transparent qu'invisible. Lorsque
commence son développement,
l'animal miniature ne fait que
croître, ses tissus devenant plus
denses, donc visibles.
Quand l'existence des spermatozoïdes (animalcules) dans le sémen fut découverte (1678) et
leur participation à la fécondation fut soupçonnée, il fallut expliquer l'importance relative de
l'oeuf et du spermatozoïde. Les préformationistes se divisèrent en deux écoles. Selon les
ovistes, l'embryon était préformé dans l'oeuf, le spermatozoïde étant superflu: un parasite du
sperme. Les animalculistes soutinrent que l'embryon était préformé dans le spermatozoïde,
l'oeuf ne servant qu'à le nourrir. Un vif débat eut lieu, soldé par une "victoire" des ovistes, lors
de la découverte de la parthénogenèse chez les insectes aphidés par Bonnet en 1745.
Bien que très longtemps populaire, la théorie de la préformation avait ses détracteurs. Elle
n'expliquait pas les variations, les monstruosités, qu'un noir croisé avec un blanc donne un
rejeton de couleur intermédiaire. Elle supposait l'emboîtement d'embryons (poupées russes).
Epigenèse:
La théorie de l'épigenèse fut proposée en 1759 par Caspar Friedrich Wolff. En observant les
premiers stades du développement du poulet il dit ne pas retrouver certaines parties de
l'animal, par exemple le bec, les pattes, comme il s'y attendrait d'un animal préformé.
Toutefois, il nota que l'oeuf n'est pas dépourvu de structures visibles, il est d'apparence
granulaire. Par la suite, ces granules s'organisent en couches, maintenant appelées feuillets
germinaux ou fondamentaux, qui à la suite d'épaississements de certaines parties,
d'amincissement d'autres parties, de repliements, etc., se transforment en embryon.
L'embryon n'était donc pas préformé dans l'oeuf. L'oeuf contient le matériel de fabrication,
matériel qui ne représente pas plus l'embryon que des briques ne représentent la maison
qu'elles servent à édifier. Mais dans le cas du développement de l'embryon, comme dans celui
de la construction d'une maison, un architecte doit intervenir pour diriger l'opération.
L'architecte du développement embryonnaire est une force vitale. Elle agit sur le
développement embryonnaire comme la gravité ou le magnétisme agissent sur les objets. Les
théories du préformationisme et de l'épigenèse furent en quelque sorte réconciliées par
Immanuel Kant (1724-1804) et Johann Frederich Blumenbach (1752-1840); ils stipulèrent
que la force vitale est une propriété de l'organisme même, est transmissible par les cellules
germinales et dirige le développement embryonnaire qui, lui, est épigénétique.
En 1883 August Weismann proposa une théorie qui tentait d'intégrer diverses notions
biologiques qui faisaient surface à l'époque: hérédité, ontogenèse, regénération, reproduction
sexuée, évolution par sélection naturelle. Sa théorie du germe-plasme offrait un modèle
mécanique de la différenciation cellulaire. Le spermatozoïde et l'oeuf contribuent un nombre
égal de chromosomes au zygote et les chromosomes portent les potentiels transmis; ils sont la
base de la continuité entre les générations. Toutefois, tous les "déterminants" d'un
chromosome donné ne sont pas distribués dans toutes les cellules de l'embryon, expliquant la
spécialisation des cellules sur des lignées différentes. Seuls les noyaux des cellules germinales
reçoivent tous les déterminants.
- Embryologie expérimentale: développement mosaïque versus régulateur
Il devint de plus en plus clair que des observations seules ne suffisaient à expliquer
l'embryogenèse. Les premières manipulations expérimentales en embryologie furent celles de
Wilhelm Roux (1850-1924). En 1888, Roux brûla un des blastomères de grenouille au stade 2
cellules. Le blastomère restant se développa en ce qui semblait être un demi-embryon. Roux
conclut au préformationisme et à la théorie du germe-plasme. Il formula sa pensée en offrant
la théorie du développement en mosaïque. Roux fut le premier à utiliser l'embryologie
expérimentale pour essayer d'expliquer le développement ontogénique et les forces qui le
gouvernent.
En 1891 Hans Driesch répéta l'expérience de Roux mais en dissociant deux blastomères
d'oursin, plutôt que de grenouille, et par séparation mécanique, plutôt que thermique. Chacun
des blastomères isolés se développa en larve complète, bien que petite, contredisant la théorie
du développement en mosaïque et supportant l'épigenèse. Driesch proposa la théorie du
développement régulateur, car il constatait que chaque blastomère d'oursin pouvait réguler
son développement. La potentialité d'un blastomère isolé, les types de cellules auxquels il
peut donner naissance, surpasse sa destinée, les types de cellules auxquels il donne naissance
au cours du développement normal. En 1894 Driesch suggéra l'existence d'interactions
nucléoplasmiques. La destinée d'un noyau dépend du cytoplasme dans lequel il se trouve. Il
invoqua l'existence d'une force vitale qui gouverne le développement et alors le vitalisme prit
vraiment de l'essor.
En 1928-35 Sven Hörstadius étudia expérimentalement les potentialités et les gradients de
l'ovocyte. En séparant méridionalement l'embryon d'oursin de stade 8 cellules, donc en
passant par l'axe animal-végétatif, chaque demi-embryon de 4 cellules se développe en une
larve complète. En séparant l'embryon de 8 cellules équatorialement, aucune des deux moitiés
ne se développe normalement. La moitié (4 cellules) animale devient une sphère
ectodermique ciliée, dite à qualité animale, et la moitié végétative devient un genre de tube
digestif agrandi, dit à qualité végétative.
En coupant l'oeuf d'oursin non fertilisé méridionalement et en fertilisant une moitié, un
embryon normal se développe. En coupant l'oeuf équatorialement, la moitié fertilisée se
développe en "embryon" à qualité animale ou végétative, selon la moitié, tels que décrits ci-
haut.
Ainsi, même chez l'oursin il existe un certain degré de développement mosaïque, du moins
selon l'axe animal-végétatif.
En dissociant les blastomères d'embryons de 32 ou 64 cellules et en les recombinant de
différentes façons, Hörstadius parvint aux observations suivantes: des blastomères an seuls
donnent un embryon "animalisé", des blastomères vég seuls donnent un embryon "végétalisé",
des blastomères an + vég-1 donnent un embryon moins animalisé: avec moins de cils et un
peu de tube digestif, des blastomères an + vég-2 donnent un pluteus normal, des blastomères
an + micromères donnent un petit pluteus.
Il existe donc des gradients d'animalisation et de végétalisation le long de l'axe A-V. Le
pouvoir d'animalisation va en décroissant du pôle animal au pôle végétatif (an-1 > an-2 > vég-
1 > vég-2 > micromères). Inversement, le pouvoir de végétalisation va en décroissant du pôle
végétatif au pôle animal (an-1 < an-2 < vég-1 < vég-2 < micromères). Le taux relatif des deux
gradients est important pour le développement normal.
En résumé, Hörstadius offrit un modèle de développement régulateur basé sur la
concentration relative de gradients dans l'ovocyte. La potentialité surpasse la destinée. Au
cours du temps les potentialités deviennent réduites.
Chez le xénope, l'on sait que des classes d'ARNm se retrouvent préférentiellement dans l'un
ou l'autre pôle de l'oeuf. L'une de ces classes d'ARNm, appelée Vg1, se retrouve initialement
dans tout le cytoplasme de l'ovocyte mais, au cours de l'ovogenèse, devient localisée au pôle
végétatif, ceci avant même que ne se manifeste toute polarité A-V de l'oeuf. L'ARNm Vg1
code un facteur de croissance peptidique. Les techniques de biologie moléculaire modernes
dévoilent un nombre de plus en plus grand de molécules qui durant l'ovogenèse se localisent
préférentiellement dans des régions cytoplasmiques de l'oeuf.
- Détermination progressive
L'étape la plus marquante dans
l'histoire de l'embryologie fut celle
franchie par Hans Spemann, grâce à
sa découverte de la détermination
progressive des cellules
embryonnaires, pour laquelle il s'est
mérité le prix Nobel de physiologie et
médecine en 1935.
En séparant l'oeuf fécondé de
salamandre méridionalement, soit
selon l'axe de segmentation normal,
deux larves identiques se développent.
En séparant le zygote
équatorialement, une moitié se
développe en une larve normale et
l'autre donne une masse de
cellules endodermiques. La moitié du
zygote qui donne lieu à un
développement normal est celle
contenant le croissant gris, i.e., le site
de la future lèvre dorsale du
blastopore, qui initie la gastrulation.
L'autre moitié s'avère incapable de
gastruler.
La LDB est la seule région de la
blastula à se différencier d'elle-même,
sans recours à d'autres régions
embryonnaires. Elle initie la
gastrulation et l'embryogenèse dans
les tissus environnants. Si la LDB est
transplantée dans une région quelconque d'une autre blastula, deux gastrulations sont induites
et deux larves siamoises sont créées. Autrement dit, deux plans corporels sont établis en
parallèle. La LDB, ou le noeud primitif (de Hensen) chez les amniotes, est l'organisateur
primaire, dont l'expression est peut-être véhiculée par le peptide activine. Récemment,
l'importance de l'activine dans l'établissement primaire du plan d'organisation a été mise en
doute à cause de son action plus tardive. De plus récents candidats au rôle d'organisateur
primaire: une protéine codée par une famille de gènes appelée Wnt et le bFGF (basic
fibroblast growth
factor).
- Induction
Dans une autre série
d'expériences,
Spemann
transplanta une
région de
l'ectoderme général
de gastrula à la
place du
neurectoderme:
cette région a
neurulé quand
même. Si le
neurectoderme est
transplanté à la
place de l'ectoderme
général: le greffon
ne neurule pas mais
se différencie en
épiderme. Spemann
conclut que les
cellules de la jeune
gastrula ne sont pas
encore engagées
définitivement sur
une voie de
différenciation;
cette dernière
dépend de
l'environnement dans lequel elles se trouvent. Il y a donc induction de la différenciation.
L'induction embryonnaire primaire est celle où la notochorde induit la différenciation de
l'ectoderme sus-jacent en neurectoderme, induction qui se poursuit par la neurulation
(Spemann et Mangold, 1924). Si l'on enlève la notochorde, le tube neural ne se forme pas.
L'induction embryonnaire primaire ne suffit toutefois pas à organiser tout le développement
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