Le quantique : un paradoxe de la relativité

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Partie I
E = mc2
Il est vrai qu’on ne peut trouver la pierre philosophale, mais il est bon
qu’on la cherche : en la cherchant, on trouve de fort beaux secrets qu’on
ne cherchait pas.
Fontenelle (Dialogues des morts anciens avec des modernes)
Chapitre 1
Grandeur (et décadence) des grandeurs classiques
— Oui, cela était autrefois ainsi, mais nous avons changé tout cela.
Molière (Sganarelle dans Le médecin malgré lui)
Les principes physiques de relativité et de conservation de la masse et de l’énergie
sont anciens(1). Mais ils sont bien utiles et, pour les conserver après l’acceptation de la
théorie de la relativité, il a fallu modifier profondément leur signification et changer la
définition des grandeurs qu’ils impliquent, en particulier la masse m, l’énergie E et la
vitesse c de la lumière(2). « Ce n’est qu’après un examen plus approfondi du domaine de
phénomènes considérés que l’on peut saisir plus précisément les concepts scientifiques
fondamentaux qu’il requiert et les modifier progressivement pour les rendre largement
utilisables ainsi que libres de toute contradiction. C’est alors qu’il peut être temps de les
enfermer dans des définitions. Mais le progrès de la connaissance ne tolère pas non
plus de rigidité dans les définitions. »(3)
m et la conservation de la masse
« Tandis que Galilée s’intéressait au poids d’un corps, Newton a, lui, introduit un
concept très différent et tout à fait moderne, celui de masse. […] En substituant dans le
discours physique la notion de masse à celle de poids, Newton a permis l’apparition
d’une science universelle qui a supplanté une science terrestre purement locale. »(4) En
effet, le poids est une propriété contingente des corps, qui dépend de l’intensité de la
gravitation et donc du lieu considéré, alors que la masse en est une propriété fondamentale, permanente.
Dans ses Principes publiés en 1687, Newton introduit de façon rigoureuse la notion de
force dans sa seconde loi : « Une force imprimée est une action exercée sur un corps
pour changer son état de repos ou de mouvement uniforme sur une ligne droite. »(5) À
la différence de l’impetus des scolastiques, « cette force réside uniquement dans l’action
et ne reste plus dans le corps quand cette dernière est finie. Car le corps conserve
11
tout état nouveau qu’il acquiert par sa vis inertiæ seulement. » Newton définit la force
comme étant le produit de la masse du corps par son accélération, F = ma. Mais il
était bien conscient d’une certaine circularité du raisonnement et il ajoutait : « Toute
la difficulté de la physique paraît consister à trouver les forces qu’emploie la nature
d’après les phénomènes que nous connaissons, à démontrer ensuite par ces forces les
autres phénomènes […]. C’est l’ignorance où l’on a été jusqu’ici de ces forces, qui a
empêché les physiciens de tenter l’explication de la nature avec succès. J’espère que
les principes que j’ai posés dans cet ouvrage pourront être de quelque utilité à cette
manière de raisonner ou à quelque autre plus véritable, si je n’ai pas touché au but. »
Et, pour montrer que sa théorie était cohérente, Newton l’appliqua à des domaines déjà
étudiés par ses prédécesseurs (projectiles, chocs, résistance de l’air, son, etc.), auxquels
il ajouta la gravitation.
D’après le principe d’inertie, la Terre devrait continuer son chemin tout droit sur sa
lancée. Quand on fait tourner une pierre attachée à une corde, il faut exercer une
certaine force centripète pour que la pierre n’échappe pas. Si la Terre tourne autour du
Soleil, c’est qu’une certaine interaction entre elle et le Soleil la détourne de sa trajectoire normale. Kepler avait proposé une émanation du Soleil, complétée par une force
magnétique ; Hooke et Halley pensaient à une force diminuant en raison inverse du
carré de la distance, comme l’intensité de la lumière. Mais le démontrer mathématiquement est une autre affaire(6) ! Newton énonça dans ses Principes la loi de gravitation universelle : l’interaction de gravitation entre deux corps s’exprime par une force
centrale qui est attractive, proportionnelle à la masse des deux corps et inversement
proportionnelle au carré de leur distance, F = Gmm’ /r 2, où G est la constante de
gravitation. Cette loi permet de retrouver facilement celle de la chute des graves, que
Galilée avait établie probablement dès 1609(7) ; en effet, pour un corps de masse m à la
surface de la Terre (masse M, rayon R), on a F = ma = GmM /R 2, d’où une accélération
constante g = GM /R 2 ≈ 9,8 m/s2 quelle que soit m(8).
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Cependant, cette simplification par m suppose qu’il s’agit bien dans les deux cas
de la même masse. Existe-t-il une raison logique pour que la réaction du corps à un
champ de gravitation soit identique à la résistance qu’il oppose à son accélération ?
La réponse est non : il n’y a aucune raison pour que la masse inerte (inertielle), qui
intervient dans l’équation de la dynamique, soit égale à la masse grave (gravitation12
nelle) de la loi d’attraction. Le seul moyen de le savoir est donc de le vérifier expérimentalement et Newton s’y est attaché dès 1685. Il a construit deux longs pendules de
longueurs identiques, qui balançaient deux boîtes de mêmes dimensions (pour offrir une
même résistance à l’air), à l’intérieur desquelles il plaça d’égales quantités de diverses
substances : or, argent, plomb, verre, sable, sel, eau, bois, froment. Toute variation du
rapport entre les deux sortes de masse aurait dû se manifester par une différence dans
la période d’oscillation, ce qu’il n’observa pas. Il en déduisit l’identité entre masse inerte
et masse grave(9).
Il s’agit chaque fois d’une certaine quantité de matière, par exemple un bloc de fer :
dans les deux cas, il s’agit donc du même volume de fer et Lavoisier énonce dans son
Traité élémentaire de chimie le principe de conservation de la masse sous la forme :
« Rien ne se crée, rien ne se perd dans le monde de la matière, tout se transforme. »(10)
La masse newtonienne est donc constante. Mais voici ce qu’écrivait Poincaré en 1905 :
« J’arrive au principe de Lavoisier sur la conservation des masses. Certes, c’en est
un auquel on ne saurait toucher sans ébranler la mécanique. Et maintenant certaines
personnes pensent qu’il ne nous paraît vrai que parce qu’on ne considère en mécanique
que des vitesses modérées, mais qu’il cesserait de l’être pour des corps animés de
vitesses comparables à celle de la lumière. Or, ces vitesses, on croit maintenant les
avoir réalisées ; les rayons cathodiques et ceux du radium [rayons b] seraient formés
de particules très petites ou électrons qui se déplaceraient avec des vitesses, plus petites
sans doute que celle de la lumière, mais qui en seraient le dixième ou le tiers. Ces
rayons peuvent être déviés soit par un champ électrique, soit par un champ magnétique
et on peut, en comparant ces déviations, mesurer à la fois la vitesse des électrons et leur
masse (ou plutôt le rapport de leur masse à leur charge). Mais quand on a vu que ces
vitesses se rapprochaient de celle de la lumière, on s’est avisé qu’une correction était
nécessaire. »(11) Kaufmann venait d’effectuer à Göttingen plusieurs séries d’expériences
mettant en évidence une variation de la masse de l’électron en fonction de la vitesse(12).
E et la conservation de l’énergie
Considérons un pendule dont la masse m est située en O au repos (fig. 3). Si on l’écarte
de cette position, il se met à osciller entre les points A et B, situés à une hauteur h
au-dessus de O, et il est animé d’une vitesse u au moment où il passe en O : ainsi,
la hauteur se convertit en vitesse et réciproquement. Il y a donc quelque chose qui se
conserve au cours du balancement. En A ou B, on a seulement de l’énergie potentielle
13
Ep = mgh, où g est l’accélération de la pesanteur, en O seulement de l’énergie cinétique
Ec = ½ mu2. Si le concept d’énergie est correct, la somme Ep + Ec doit avoir la même
valeur pour n’importe quelle position du pendule entre A et B, en désignant cette fois
par h et u la hauteur et la vitesse en ce point. La généralisation de cette règle donne
le principe de conservation de l’énergie mécanique, somme des énergies potentielle et
cinétique ; il a été exposé par Leibniz en 1695.
Fig. 3. – Conservation de l’énergie mécanique.
Mais quand il y a des frottements, il se produit un échauffement et le mouvement oscillatoire est amorti. Le premier principe de la thermodynamique a montré qu’il y avait
équivalence entre chaleur et énergie(1) : la quantité qui se conserve est alors l’énergie
interne. Helmholtz a considéré en 1847 que l’énergie mécanique est le concept central
de la physique : toutes les autres formes (électrique, chimique, musculaire, thermique,
etc.) s’y ramènent ; en affirmant le principe de la conservation de l’énergie, il est à
l’origine du courant de pensée énergétiste. Ainsi, la nature de l’énergie reste assez
mystérieuse(13), mais on sait que, pour décrire l’état d’un système isolé, il existe une
certaine grandeur, appelée énergie, dont la valeur ne change pas au cours des multiples
phénomènes que peut subir le système. Cependant, cette valeur n’est connue qu’à une
constante additive près : il n’y a pas de zéro absolu d’énergie(14).
Toujours en 1905, Poincaré ajoute à sa revue des principes : « Du moins le principe de
la conservation de l’énergie nous restait encore et celui-là paraissait plus solide. Vous
rappellerai-je comment il fut à son tour jeté en discrédit ? L’événement a fait plus de
bruit que les précédents et il est dans toutes les mémoires. Dès les premiers travaux de
Becquerel et surtout quand les Curie eurent découvert le radium, on vit que tout corps
radioactif était une source inépuisable de radiation. Son activité semblait subsister sans
14
altération à travers les mois et les années. C’était déjà une entorse aux principes ;
ces radiations, c’était en effet de l’énergie et, de ce même morceau de radium, il en
sortait et il en sortait toujours. Mais ces quantités d’énergie étaient trop faibles pour être
mesurées ; du moins on le croyait et on ne s’en inquiétait pas trop. La scène changea
lorsque Curie s’avisa de mettre le radium dans un calorimètre ; alors on vit que la
quantité de chaleur incessamment créée était très notable. »(11)
c et la relativité
Dans l’univers de Galilée et de Newton, l’espace et le temps sont parfaitement indépendants l’un de l’autre : un espace de dimension trois (il faut 3 coordonnées pour repérer
la position d’un point) et un temps de dimension un qui, pour respecter la causalité,
s’écoule toujours dans la même direction (du passé vers le futur). Tant que l’on considère
la propagation de la lumière comme instantanée (c ∞), il est possible d’avoir une vue
globale de l’Univers à l’instant t. En supprimant une dimension d’espace, les événements
simultanés peuvent être représentés dans un même plan et ceux qui se produisent aux
instants successifs t1, t2, t3… dans des plans parallèles (fig. 4) ; le mouvement uniforme
de corpuscules est représenté par des lignes droites traversant ces plans, alors que la
lumière s’étend instantanément dans chaque plan.
Fig. 4. – Espace + temps en mécanique classique.
« Pas de mouvement absolu ! » Une bonne part de la mécanique est fondée sur cet
« énoncé négatif » (Einstein). L’un des arguments contre le système de Copernic était
l’expérience de pensée suivante : lorsqu’on lâche une pierre du haut d’un mât, elle
15
tombe au pied du mât quand le navire est immobile, mais loin du mât quand il avance ;
puisqu’une pierre lâchée du haut d’une tour tombe au pied, il faut conclure à l’immobilité de la Terre. Après avoir récusé l’autorité d’Aristote, Galilée affirme : « Quiconque
la ferait trouverait que l’expérience montre tout le contraire de ce que l’on trouve écrit :
à savoir que la pierre tombe toujours au même endroit du navire, qu’il soit immobile
ou qu’il se meuve avec une vitesse quelconque. Et comme la même raison vaut autant
pour la Terre que pour le navire, on ne peut rien conclure quant au mouvement ou à
l’immobilité de la Terre du fait que la pierre tombe verticalement au pied de la tour. »(15)
En fait, l’expérience ne fut réalisée qu’en 1641 par Gassendi dans le port de Marseille.
Considérons deux observateurs en mouvement rectiligne uniforme l’un par rapport à
l’autre à la vitesse u : le temps t est le même pour les deux, mais non la position d’un
objet donné dans l’espace. En effet, chacun repère cette position dans son référentiel
propre, c’est-à-dire dans le système de coordonnées qui lui est attaché, et la transformation de Galilée permet de comparer les deux observations x et x’ (fig. 5) :
x' = x − ut et x = x' + ut .
Fig. 5. – Transformation de Galilée.
Galilée eut l’intuition que les référentiels doivent tous se valoir : les lois de la mécanique
sont les mêmes pour tous les observateurs en mouvement non accéléré. C’est le principe
de relativité (galiléen). Il en résulte aussi la loi habituelle de composition vectorielle des
vitesses(16) : si nous courons dans le couloir d’un train dans le sens de la marche, notre
vitesse par rapport au talus est égale à la vitesse du train plus celle de notre course.
*
16
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Cependant, si le principe d’inertie fut rapidement adopté, la loi de la gravitation universelle se heurta à une forte résistance de la part des cartésiens pour qui il ne pouvait
exister d’action à distance. Newton lui-même reconnaissait dans une lettre de 1692 à
Richard Bentley : « Que l’attraction doive être une propriété innée, inhérente et nécessaire de la matière de telle sorte qu’un corps puisse interagir avec un autre dans le vide
sans que quelque chose d’autre y prenne part, grâce à quoi et à travers quoi leur action
et leur force pourraient se transmettre de l’un à l’autre, cela me paraît une si grande
absurdité que je ne me représente pas comment quelqu’un possédant la capacité de
réfléchir avec compétence à des questions de caractère philosophique a jamais pu y
parvenir. »
Mersenne avait utilisé le principe de l’écho pour estimer la vitesse du son. Pensant que
la vitesse c de la lumière aussi est finie, Galilée fit une tentative de mesure avec un
assistant, chacun s’étant muni d’une lanterne à volet et placé au sommet d’une colline ;
ce dispositif rudimentaire permit seulement de conclure que « si le déplacement est
progressif, il est extrêmement rapide ». Après leur découverte par le même Galilée, on
voulut se servir des satellites de Jupiter pour déterminer la longitude en mer. Alors qu’il
travaillait à l’Observatoire de Paris pour établir des tables de leurs mouvements, Rømer
se rendit compte en 1676 d’une anomalie : les instants où les satellites disparaissent
derrière la planète puis réapparaissent à l’autre bord sont tantôt en retard, tantôt en
avance sur les prévisions établies en supposant que leurs mouvements sont parfaitement
périodiques ; on passe du retard à l’avance tous les six mois, avec une amplitude de 16
minutes. Rømer comprit que le moment où il notait le début ou la fin de l’éclipse n’était
pas celui où ils se produisaient, mais celui où la lumière lui en parvenait : quand la
Terre et Jupiter sont du même côté du Soleil, le temps mis par la lumière pour annoncer
l’éclipse est minimal, il est maximal quand les deux planètes sont de part et d’autre du
Soleil. Les 16 minutes correspondent donc au temps mis par la lumière pour traverser
l’orbite terrestre ; quatre ans plus tôt, Cassini et Richer avaient estimé la distance TerreSoleil à 140 millions de kilomètres, d’où une valeur de c très proche des 299 792 km/s
adoptés maintenant(17).
La révolution de la Terre autour du Soleil restait une hypothèse pour Aristarque et Copernic, que beaucoup refusaient encore à l’époque de Rømer ; Bradley en fournit une
preuve expérimentale en 1728 avec l’aberration stellaire de la lumière. Il avait pointé
son télescope verticalement pour observer l’étoile g Draconis, dans l’espoir de détecter
une légère parallaxe annuelle. Or il constata un déplacement plus important que prévu
17
et en sens contraire. Il comprit que, de même qu’un piéton doit incliner d’autant plus
son parapluie sous l’averse qu’il avance vite, ce décalage apparent est provoqué par
la combinaison du mouvement de la Terre avec celui de la lumière (fig. 6) ; pour une
vitesse de la lumière de 300 000 km/s et une vitesse orbitale de 30 km/s, le déplacement maximal est d’environ 30/300 000 = 10-4 rad, soit 20”. Il trouva une aberration
maximale de 20,2”, d’où une mesure très précise de c, et constata en plus que toutes
les autres étoiles du secteur observé présentaient la même aberration ; il faut donc en
conclure que non seulement la vitesse de la lumière est finie, mais qu’elle est constante,
comme l’a fait remarquer Clairaut en 1741. On peut encore ajouter que cette vitesse
est la même pour toutes les fréquences ; sinon le minimum d’émission pour un système
double, au moment de l’éclipse de l’étoile par son compagnon obscur, ne s’observerait
pas simultanément pour les différentes couleurs.
Fig. 6. – Aberration stellaire.
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La force entre deux charges a pour équation aux dimensions(18) Qe2/L2, où L a la dimension d’une longueur et Qe celle d’une charge en électrostatique (loi de Coulomb). La
force entre deux fils parcourus par un courant a pour équation le carré d’une intensité,
soit Qm2/T2 où T a la dimension du temps et Qm celle d’une charge en électromagnétisme (théorème d’Ampère). Le rapport Qe/Qm vaut donc L/T, ce qui a les dimensions
18
d’une vitesse. Pour connaître la valeur de cette vitesse, il faut mesurer la même quantité
d’électricité en électrostatique et en électromagnétisme. En 1856, Kohlrausch et Weber
ont effectué cette mesure très délicate en évaluant d’abord la charge d’un condensateur
par la force d’attraction entre ses plaques, puis en le déchargeant dans une boucle :
ils trouvèrent 310 700 km/s, une valeur très voisine de l’estimation de c que venait
d’obtenir Fizeau. Mais il ne s’agissait encore que d’une coïncidence et c’est Maxwell
qui a montré dans un article de 1862 que cette vitesse est celle d’ondes électromagnétiques transversales se déplaçant dans l’espace, considéré comme un milieu doté
de propriétés élastiques. Ainsi n’est-il plus nécessaire d’avoir recours à des actions à
distance en électromagnétisme. Deux ans plus tard, Maxwell démontra l’identité de ces
ondes avec la lumière(19), mais ses fameuses équations ne sont pas invariantes sous la
transformation de Galilée (voir p. 16) : il faut utiliser des formules plus compliquées,
établies par Poincaré qui les appela transformation de Lorentz (voir p. 25). La réalité
des ondes électromagnétiques fut prouvée par Hertz en 1887, à l’aide d’un dispositif
rudimentaire formé d’un émetteur – un dipôle alimenté par l’étincelle produite par une
machine électrostatique – et d’un récepteur – une boucle de fil coupée – séparés de
quelques mètres : quand on actionne l’émetteur, une étincelle apparaît dans la coupure
de la boucle et on montre que les « ondes hertziennes » possèdent les mêmes propriétés
optiques que la lumière (réflexion, réfraction, polarisation).
Si l’analogie avec le son fut utile pour deviner la finitude de la vitesse de propagation,
elle s’est révélée par contre trompeuse en suggérant la nécessité d’un support – appelé
éther – pour la vibration lumineuse. Mais ce milieu devait être doué de qualités contradictoires, en étant à la fois rigide et ténu. De plus, ou il était entraîné par les corps en
mouvement, ou il ne l’était que partiellement, ou il ne l’était pas du tout ! Or le phénomène d’aberration (voir p. 18) infirmait la première hypothèse et Fresnel admit un
entraînement partiel à l’intérieur des milieux réfringents, qui sembla confirmé par l’expérience que Fizeau réalisa en 1851 : il montra que la vitesse de la lumière mesurée dans
l’eau en mouvement est différente de celle dans l’eau au repos. Mais, pour ces deux
types d’observation, le mouvement par rapport à l’éther n’était que relatif. S’il s’agit
vraiment d’un milieu universel qui remplit tout l’espace, il faudrait arriver à le mettre en
évidence dans un mouvement absolu par rapport à la source et à l’observateur.
Reprenons le principe de relativité de Galilée, auquel correspond la loi habituelle de
composition des vitesses (voir p. 16). Si u est la vitesse du vent d’éther par rapport à la
Terre et c celle de la lumière par rapport à l’éther, la vitesse de la lumière par rapport à
19
la Terre devrait être c + u dans le sens du vent, c – u dans le sens contraire et (c2 – u2)1/2
dans une direction perpendiculaire. Si le Soleil est immobile dans l’éther, on devrait
donc s’attendre à des variations de l’ordre de 10-4 selon la direction. Michelson a
montré en 1881 que cette composition vectorielle ne convient pas quand on l’applique
à la lumière. Il a utilisé l’interféromètre qu’il venait d’inventer pour comparer les temps
de parcours dans les deux bras, égaux mais perpendiculaires (fig. 7). Or il n’a détecté
aucun changement dans la figure d’interférence quand il a fait tourner son dispositif
de 90° par rapport au mouvement de la Terre : la vitesse de la lumière reste la même,
quelle que soit la direction dans laquelle on la mesure par rapport au mouvement de la
Terre, ce qui est en contradiction avec le principe galiléen de relativité.
Fig. 7. – Expérience de Michelson
(S : source, L : lame semi-réfléchissante, M : miroir).
Pour expliquer ce résultat gênant (fig. 8), on a émis l’hypothèse que la vitesse de la
lumière pouvait dépendre de la vitesse de la source lumineuse ; de Sitter a fait remarquer qu’on devrait alors observer une notable excentricité de la trajectoire du compagnon d’une étoile double autour de l’étoile centrale, ce qui n’est pas le cas. FitzGerald
proposa en 1889 qu’il devait se produire une contraction du bras de l’interféromètre
dans le sens du vent d’éther, compensant exactement la différence de marche qu’on
voulait détecter. Au sujet du principe de relativité, Poincaré déclare : « Celui-là non
seulement est confirmé par l’expérience quotidienne, non seulement il est une conséquence nécessaire de l’hypothèse des forces centrales, mais il s’impose à notre bon sens
d’une façon irrésistible ; et pourtant lui aussi est battu en brèche. […] Toutes les tenta20
tives pour mesurer la vitesse de la Terre par rapport à l’éther ont abouti à des résultats
négatifs. […] On a varié les moyens, enfin Michelson a poussé la précision jusqu’à ses
dernières limites ; rien n’y a fait. »(11)
Fig. 8. – La contradiction de la mécanique classique.
Qu’en dit la comète ?
On savait au xixe siècle que d’une part la matière possédait de l’énergie cinétique (sous
forme de chaleur) et potentielle (en relation avec les positions des corps), et que d’autre
part l’énergie pouvait mouvoir la matière ou la faire changer d’état. Il y avait cependant
un cas où l’énergie semblait exister indépendamment de la matière : l’énergie rayonnante. En effet, d’après la théorie de Maxwell, le champ électromagnétique possède
de l’énergie tout en traversant le vide. Et, quand cette énergie immatérielle entre en
contact avec la matière, on observe un déplacement de celle-ci. La première observation remonte à Kepler qui remarqua en 1628 que la queue des comètes est toujours
orientée à l’opposé du Soleil ; il attribua le phénomène à une pression exercée par les
rayons solaires. L’existence de cette pression fut démontrée en laboratoire par Lebedev
en 1901, au moyen de balances de torsion.
Cette pression de la lumière implique l’existence d’une quantité de mouvement(20) p qui,
d’après la théorie électromagnétique, correspond à une énergie E divisée par c. Dans
le cadre d’une théorie d’émission comme celle de Newton (voir p. 42), où le rayon
lumineux est composé de particules de masse m se déplaçant à la vitesse c, on peut
donc écrire p = mc = E/c, d’où E = mc2. Mais cela n’est valable que pour de la lumière.
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