Memo Nestor 19-11-2007

publicité
1
La rationalisation des mythes
par Hésiode
M Nestor Cordero
Professeur émérite à l’université de Rennes I
Conférence prononcée
le mardi 19 novembre 2007 à 14h
Ces documents sont proposés par le conférencier
en complément et en illustration de sa conférence
Conférences de Clio
Maison des Mines 270 rue Saint-Jacques – 75005 Paris – Métro : Port-Royal ou
Luxembourg – Tél. : 0826 10 10 82 – www.clio.fr
2
Résumé de la conférence du 19/11/07: "La rationalisation des mythes par Hésiode".
Lundi dernier nous avons préparé le terrain pour notre conférence d'aujourd'hui,
car je devais d'abord placer l'échafaudage sur lequel devrait s'appuyer ma réponse, et ceci
nous a conduit a développer mon hypothèse de travail selon laquelle la philosophie est
apparu lorsque toute une série de conditions historico-sociales ont permis de penser d'une
manière différente, et ces conditions ont été données dans des cités grecques, et non pas
ailleurs, vers la fin du VIIe siècle.
Regardons donc les sujets traités dans les ouvrages d'Hésiode que nous possédons
en entier, la Théogonie et Les travaux et les jours. Le contenu de la Théogonie est déjà
annoncé dans son intitulé: le poème raconte la naissance de toute une série de dieux.
Théos= dieux; gonía, "genération". Il commence par Ciel et la Terre, il respecte ensuite la
généalogie disons traditionnelle, car ils engendrent Cronos, qui, a son tour, sera le père
de Zeus, et il raconte comment à un moment donné Zeus devint le dieu principal. Voilà,
en deux mots, l'argument de la Théogonie, et on peut dire, d'ores et déjà, que dans ces
événements il n'y a rien de philosophique; il s'agit d'une succession de mythes.
Voyons maintenant l'autre ouvrage, Les travaux et les jours. Le titre est bizarre,
mais il correspond tout à fait au contenu. Il s'agit d'un poème adressé à son frère Persès,
non par amour fraternel, mais parce que son frère l'a escroqué dans le partage d'un
héritage, car il a suborné les juges. Or, Hésiode écrit un poème pour lui dire que le seul
moyen d'acquérir de l'argent c'est le travail; voilà déjà la moitié du titre, les Travaux. Et
pour appuyer son affirmation, Hésiode raconte à son frère des mythes sur l'histoire de
l'humanité pour justifier la nécessité du travail. Et ildonne des conseils sur les jours
appropriés pour labourer les champs, pour récolter, et même pour choisir une épouse et
pour engendrer des enfants. Voilà la deuxième partie du titre, les jours. Encore une fois,
rien de philosophique dans cette histoire. Donc, on pourrait finir maintenant notre
conférence et répondre: "Hésiode, mythologue ou philosophe? Mythologue", point final.
Mais réfléchissons…
3
Hésiode commence par dire, dans la Théogonie, que, quand il s'occupait de ses
moutons au pied du mont Hélicon, il écouta la voix des Muses, et celles-ci lui apprirent un
beau poème, celui qu'il est en train d'écrire. Mais ce qui est important c'est l'attitude des
Muses, car elles, qui ont inspiré aussi Homère, semblent faire une exception avec
Hésiode. Voilà ce qu'elles lui ont dit, vers 27-8: "Nous savons dire plusieurs mensonges
semblables à la réalité, mais, quand nous le voulons, nous savons proclamer des choses
vraies".
Et comme Hésiode a été choisi comme porte-parole des Muses, il laisse entendre
que ce qu'il dira appartient à la vérité. Ce n'est pas l'occasion d'étudier la signification de
la notion de "vérité" en Grèce ancienne, mais il suffit de dire que la vérité est synonyme
de "réalité". La vérité n'a pas seulement, comme chez nous, une valeur disons discursive.
Dire la vérité c'est exposer les choses telles qu'elles sont. Or, depuis toujours la tâche du
philosophe a été celle-ci, et il arrive qu'Hésiode se propose de faire la même chose, de
dire la vérité. Voilà déjà un point à sa faveur quand on va examiner le caractère
philosophique ou non de ses poèmes.
Et après cette introduction, Hésiode, pour honorer son engagement, demande aux
Muses de lui dire qu'est-ce qui s'est passé tout au début, et qu'est-ce qui a été engendré
comme premier, et pour ce "principe" Hésiode utilise le mot arkhé, qui, comme vous le
savez, est le même mot utilisé par les premiers philosophes quand ils se sont demandés
quel était le principe, arkhé, de toutes choses. Voilà ce qu'il dit sur ce "principe": "Le tout
premier à se générer fut Khaos, après la large terre, et après Amour (Eros), le plus beau
parmi les dieux" (résumé des vers 116-8).
Il n'y a pas la mention d'un créateur, fabriquant ou quoi que ce soit; Khaos "s'est
généré", dit Hésiode, et il va coïncider avec tous les philosophes grecs, qui n'ont pas fait
une place à la notion de "création". Mais ce qui va nous faire réfléchir c'est la première
divinité, Khaos. Elle ne se trouve dans aucune cosmologie, et sa place "tout au début"
semble être une invention d'Hésiode. Or, qu'est-ce que "Khaos"?. Tardivement le mot
aura le même sens qu'en français, le désordre. Mais à l'origine il est synonyme d'abîme, de
béance, d'ouverture, d'espace vide, sombre ou brumeux. Ce qui est important c'est la
4
nuance spatiale du mot "khaos". Khaos est un espace vide. C'est étonnant, mais vingt-sept
siècles avant Kant, voilà un poète qui, avant de décrire la généalogie de tout, place
l'espace comme une condition à priori. Kant l'a dit aussi: l'espace et le temps sont les
conditions à priori de la sensibilité. Cela veut dire que tout ce qui arrive, ou va arriver,
doit se placer nécessairement dans l'espace et dans le temps. À mon avis, c'est une
véritable trouvaille de la part d'Hésiode, car, je le répète, aucune cosmologie n'avait pensé
à postuler d'abord la scène dans laquelle allait se dérouler le spectacle de la naissance des
dieux; et Hésiode l'a fait. Encore un point à sa faveur.
Mais il y a un autre, et fondamental. La deuxième divinité c'est la Terre, qui occupe
déjà une place car l'espace vide s'est commencé à remplir, et la Terre sera une sorte de
mère universelle, puisqu'elle engendre d'abord le ciel, Ouranos, et après, d'une manière
incestueuse on pourrait dire, elle aura beaucoup d'enfants. Mais, et peut être par excès
d'optimisme, Hésiode est conscient du fait que pour s'unir avec un partenaire il faut de
l'amour, et, d'une manière tout à fait inattendue, il place comme deuxième naissance celle
précisément d'Éros. Ceci est insolite. Dans d'autres mythes Eros naît beaucoup plus tard;
dans le Banquet de Platon il est conçu même après Aphrodite. Je n'hésite pas à dire
qu'Hésiode a voulu introduire de la logique dans le mythe qu'il va raconter, et la logique
c'est la mise en place du lógos, de l'argumentation, de la raison.
Or, la terre engendre le ciel et, parce qu'il y a de l'amour, elle s'unit à lui qui, dit
Hésiode, la couvre entièrement –qui pourrait le nier?- et ils ont eu beaucoup d'enfants:
Océan, Téthys, Japet, la liste est longue. Mais le ciel détestait ses enfants et, à peine nés, il
ne les laissait pas sortir à la surface de la terre, et, nous pouvons imaginer, il les enfonçait
à nouveau dans l'utérus de la terre, car le Ciel était toujours couché sur elle; on pourrait
imaginer qu'entre le ciel et la terre il n'y avait rien; ils étaient collés l'un contre l'autre.
Or, comment décoller le ciel de la terre, afin qu'il y ait cet espace que nous
partageons tous? Encore une fois, Hésiode met en place la logique, car d'autres traditions
mythiques ne disent rien. Le lien d'union entre le ciel et la terre était le pénis du ciel,
enfoncé dans la terre. Or, la terre, qui en avait marre d'avoir tous ses enfants chez elle -et
il faut prendre l'expression littéralement- proposa au dernier né de couper, avec une serpe,
5
le pénis de son père. Chose dite, chose faite, le pauvre Ciel, privé de son lien, monta…au
ciel. Et les enfants cachés ont ainsi pu voir la lumière. La suite des événements se trouve
aussi dans d'autres récits, mais la ruse trouvée par la terre pour se débarrasser d'un époux
trop encombrant semble être une invention d'Hésiode. Encore un autre point à sa faveur.
Le fils du ciel qui avait émasculé son père s'appelait Cronos, qui, après, épousa
Rhéa, et, comme l'histoire se répète, il fut à son tour détrôné par son fils Zeus, qui, comme
son père, a pu naître encore une fois grâce à une astuce de sa mère. Il y a d'autres épisodes
passionnants dans la Théogonie, mais cet échantillon nous suffit. Donc, qu'est-ce que nous
avons trouvé?
Des mythes, oui, mais d'une certaine manière, rationalisés grâce à
l'introduction de raisons pour expliquer ceci ou cela, et, surtout, l'invention de notions,
comme celle de Khaos, pour expliquer certaines "lacunes", pouvons-nous dire.
Regardons maintenant Les travaux et les jours. De la présentation que nous avons
faite on peut déduire qu' Hésiode n' pas écrit ce poème simplement pour raconter ses
malheurs; il veut faire la morale à son frère. Et je viens d'utiliser un mot clé, "morale".
Hésiode veut certainement proposer des normes de vie à ses contemporains: le travail est
une vertu, il faut respecter les décisions de la justice, et, même si la situation "actuelle" est
plutôt pénible, car nous sommes dans une époque de crise, nous avons les moyens
d'améliorer cette situation. N'importe quel philosophe intéressé aux problèmes éticopolitiques aurait dit la même chose.
Et, comme le conflit qui l'oppose à son frère fait partie de la nature humaine, qui
n'est pas parfaite, Hésiode explique comment s'est constituée, à un moment donné, la
condition humaine, après une séparation entre les hommes et les dieux. Nous ne sommes
pas très éloignés, on le verra, d'un véritable traité d'anthropologie, qui, plusieurs siècles
avant Engels et Marx, caractérise la condition humaine par le travail, qui conduit à la
production de biens.
Dans Les travaux et les jours Hésiode raconte le passage d'une situation idyllique,
lorsque les hommes et les dieux vivaient ensemble parce que les uns et les autres
respectaient l'équilibre: chacun à sa place. Hésiode dit qu'il s'agissait là d'un âge d'or. La
seule différence entre les hommes et les dieux était la suivante: les hommes mouraient,
6
mais, dit Hésiode, la mort arrivait comme dans un sommeil, car les membres demeuraient
jeunes et vigoureux. On trouve cette description aux vers 109 à 116 du poème. Cette
époque coïncide avec le royaume de Cronos, pendant lequel les hommes n'avaient pas
besoin de travailler, et je viens de dire "les hommes" car en ce temps là il n'y avait pas des
femmes, car elles n'étaient pas nécessaires. La terre produisait automatiquement les
ressources pour vivre, et pour cette raison il n'y avait pas besoin de travailler, et elle
produisait aussi les hommes, qui poussaient du sol comme des légumes. Comme résumé
de cette situation, Hésiode souligne que la cause du bonheur était l'équilibre: les hommes
rendaient culte aux dieux, et ceux-ci permettaient aux hommes de partager leurs festins et
de ne pas vieillir.
Mais cet état de choses change lorsque Zeus prend le pouvoir. Le mythe n'explique
pas pourquoi, mais il a une nouvelle étape qui commence, l'âge d'argent. Dans cet âge, dit
Hésiode, les hommes ne rendaient plus du culte aux dieux et faisaient preuve d'une
démesure illimité, cette hybris qui, justement, détruisait l'équilibre, donc, la justice. Mais
Hésiode profite de cet état de choses pour placer dans cette étape l'histoire de Prométhée,
certainement au début de l'âge d'argent. Pourquoi? Parce qu'Hésiode doit démontrer que
l'être humain a besoin de travailler, et dans 'âge d'or on ne travaillait pas. Donc, il faut
justifier l'origine de cette sorte de malédiction, et pour cela il faut introduire du
déséquilibre dans le rapport entre les dieux d'abord, et entre les hommes et les dieux
après, et c'est un dieu, Prométhée qui s'en occupe, et ce sont les hommes qui vont subir les
conséquences.
En effet, dès que Zeus prend le pouvoir, Prométhée, qui était connu par sa
prévoyance (Prométhée signifie "celui qui voit venir les choses") décide de tester, à son
tour, la prévoyance de Zeus: il sacrifie un gros bœuf, couvre les partie les plus
appétissantes avec une sorte d'enveloppe dégoûtant (le mot grec fait penser aux tripes) et
il met la graisse et les os dans un paquet agréable à voir. Il demande ensuite à Zeus de
choisir. Mais en réalité c'est Prométhée qui va être piégé, car Zeus, qui est vraiment
prévoyant, n'attendait que ça pour séparer les hommes et les dieux. Étant donné que
Prométhée avait pris partie pour les hommes, Zeus choisit le mauvais paquet, il simule
7
une colère homérique, et, comme tout concernait finalement la gastronomie, il suppose
que Prométhée fera cadeau aux hommes de tout ce qui est mangeable, le faux filet, les
entrecôtes, etc., et il enlève le feu aux humains pour les empêcher de cuire les aliments.
Prométhée, qui apparemment était très têtu, défia encore une fois le pouvoir de
Zeus, lui vola à son tour le feu, et le redonna aux hommes, afin que ceux-ci puissent
dorénavant cuire sa nourriture, et notamment continuer à utiliser le blé pour faire du pain.
Mais cette fois-ci la colère de Zeus fut plus qu'homérique, car il condamna Prométhée à
un supplice atroce (selon une tradition, heureusement il en fut libéré par Hérakles), et
envoya aux hommes deux malédictions: le travail et la femme. Et les deux calamités
furent une conséquence de l'ordre qu'il donna à la terre de ne plus rien produire d'ellemême, automatiquement. Et c'est ainsi que le travail fut inventé. Voilà pourquoi Hésiode
place cette histoire à cet endroit là.
Mais….pourquoi la femme? Parce que la terre, qui produisait aussi des hommes,
devint stérile, et il a fallu trouver un moyen de substitution. La seule justification de
l'invention de la femme, c'est la reproduction. Et la première femme, Pandora, a été
fabriquée comme un être redoutable, car derrière un charme irrésistible, elle cachait dans
son âme des choses très mauvaises, notamment la curiosité malsaine qui l'a poussé à
désobéir l'ordre de Zeus de ne pas ouvrir la jarre qui contenait toute une série de
catastrophes. Et je vous cite ce que Zeus dit aux hommes: "à la place du feu, qui m'a été
volé, je leur offrirai un mal qui, tous, au fond du cœur, se complairont à entourer d'amour
pour leur propre malheur" (57-8).
Dans cette âge d'argent nous sommes déjà dans un univers semblable au nôtre,
avec des mâles et des femelles, et l'obligation de travailler. Mais depuis ce moment-là
jusqu'à notre âge actuelle, plusieurs choses se sont passés, et Hésiode à intérêt à montrer
quelles sont les étapes qui nous ont conduit à la pénible situation actuelle. Et, pour cette
raison, il fait état encore d'autres âges qui ont succédés à l'âge d'argent. Comme les gens
de l'âge d'argent ne faisaient pas des sacrifices aux dieux. Zeus décida alors de faire un
nouvel essai et fabriqua une race de bronze. Cette race fut supérieure à la précédente, mais
Zeus oublia de supprimer la démesure. Résultat: ces gens, grâce au bronze, ont fabriqué
8
des armes très performantes et se sont entretués.
Lorsqu'il parle d'aujourd'hui, Hésiode dit que nous sommes à l'âge de fer, le métal
le plus dégradé par rapport à l'or, l'argent et le bronze. Mais, oh surprise!, après l'âge de
bronze, et avant la nôtre, Hésiode place une race intermédiaire, celle des héros. Voilà,
enfin, une race parfaite. Elle est constituée par les héros qui ont participé à la guerre de
Troie, qui ont assuré l'intégrité du peuple grec. Ces gens-là, après la mort, habitent dans
les îles des bienheureux, sans travailler et, maintenant, sans lutter, comme à l'âge d'or.
On a beaucoup écrit à propos de cette âge ou race des héros. Elle brise un schéma
métallique, et il n'y a pas des équivalents dans d'autres civilisations. L'explication la plus
plausible est la suivante: si Hésiode veut raconter des vérités, comme il le dit, il doit
élaborer des récits mythiques en ce qui concerne des temps très éloignés, car nous ne
saurons jamais la vérité sur les origines de l'homme, mais au fur et à mesure que nous
nous rapprochons de notre temps, on peut dire que l'histoire remplace le mythe, et comme
les exploits racontés par Hésiode ont vraiment eu lieu, il en fait état.
Mais si Hésiode a raconté toutes ces histoires c'est pour expliquer que tout va mal
dans son temps, car son frère l'a escroqué, les juges peuvent êtres subornés, et on n'est
jamais à l'abri d'avoir une mauvaise réputation. Écoutons le diagnostique d' Hésiode: "Les
hommes ne cesseront le jour de souffrir fatigues et misères, ni la nuit d'être consumés par
les dures angoisses que leur enverront les dieux" (176-8). Or, tout va mal parce que les
hommes n'ont pas retenu les leçons du passé. Si cette interprétation est valable, il faudrait
ajouter plusieurs points à la faveur d'un Hésiode philosophe. Je m'explique.
Il ne suffit pas de décrire les malheurs d'une époque pour être philosophe. Un
philosophe est quelqu'un qui explique un état de choses et qui présente des solutions. Et,
en ce qui concerne l'être humain, quand on fait cela, on dit que ces considérations
appartiennent à l'étique. Or, à mon avis, il y a une étique chez Hésiode, mais il faut la
découvrir. Et précisément un vers du mythe des âges nous donne la clé. En effet, au vers
175, quand il commence à parler de son temps, l'âge de fer Hésiode exclame: "Malheur,
j'aurait du mourir plus tôt, ou naître plus tard!!". Oui: mourir avant, pour ne pas assister au
désastre, ou naître après. Cela veut dire que le futur peut-être meilleur, car cet état de
9
choses actuel peut s'améliorer.
Pouvons nous avoir un espoir ? Bien entendu. Et Hésiode fait confiance à
l'intelligence du lecteur, car tout témoin attentif sait que lorsque Pandora ouvrit la jarre et
tous les maux se répandirent, elle, par ordre de Zeus, s'est empressé à remettre le
couvercle, et c'est ainsi que quelque chose est resté à l'intérieur. C'est l'Espoir. Tout peut
changer, car il y a de l'Espoir; ça dépend de nous. Et c'est pour cela qu'Hésiode a fait
violence au schéma des quatre âges métalliques et ajouta une cinquième, car les âges qui
appartiennent au passé sont des modèles à suivre ou à ne pas suivre pour nous, qui vivons
dans le cinquième âge
Parmi les quatre âges du passé, un modèle est impossible à suivre à la lettre, l'âge
d'or, car maintenant nous sommes des humains, nous nous reproduisons sexuellement et
travaillons, mais j'ai dit "à la lettre" parce qu'à l'échelle humaine, nous pouvons rétablir
l'équilibre qui caractérisait cette âge, maintenant entre les hommes. L'âge d'argent, la
deuxième, en revanche, est à éviter, car les hommes ne rendaient pas culte aux dieux; et
l'âge de bronze aussi, parce que les hommes furent victimes d'une violence guerrière
incontrôlée. Mais l'a race des héros est un bon modèle à suivre. Ces gens là étaient des
humains, comme nous, rendaient culte aux dieux, et ils ont utilisé les armes, donc, la
violence, mais pour défendre la patrie. Et pour cela ils sont comme des dieux, car après la
mort ils demeurent dans l'île des bienheureux.
Le moment est venu –Hésiode ne le dit pas, mais nous pouvons le supposerd'ouvrir à nouveau la jarre. Tous les maux sont déjà parmi nous; donc, il n'y a rien à
craindre. Mais l'espoir peut sortir et s'installer aussi parmi nous, et tout peut changer.
Donc, d'une manière plutôt inattendue dans un univers régit par le destin, par la nécessité,
Hésiode serait le premier "penseur" à revendiquer la responsabilité humaine dans le futur
de l'humanité.
Le moment est venu de tirer un bilan. Hésiode, mythologue ou philosophe? Je me
suis efforcé pour faire pencher la balance du côte de son caractère philosophique. Il utilise
les mythes mais pour justifier certains états de choses, il introduit une certaine rationalité
dans ses récits, par exemple quand il met en rapport l'invention simultanée de la femme y
10
du travail, et, surtout, il nous donne une leçon d'éthique quand il fait de l'être humain le
responsable d'un avenir meilleur.
Mais son regard sur la réalité des choses reste au niveau des divinités, il explique
l'origine du ciel, de la terre et des océans par génération, comme s'ils étaient des êtres
vivants, et ça est très éloigné de la philosophie.
Comme résumé je dirai que notre hypothèse de travail, selon laquelle la
philosophie est fille naturelle de la pólis trouve une sorte de confirmation inattendue, car
quelqu'un qui se propose raconter la généalogie des dieux et l'évolution de l'humanité
moyennant des mythes, du fait de vivre déjà dans une cité, avec tout ce que ceci suppose
–et nous l'avons déjà vue lundi dernier-, notamment la nécessité d'argumenter, de justifier
les décisions de justice, même s'il décide de s'exprimer dans des poèmes qui racontent des
mythes, il est comme contaminé par la nouvelle situation et ne peut pas ne pas mettre en
place, à l'intérieur du mythe, et ça c'est important, à l'intérieur du mythe, des schémas
rationnels qui, un siècle après, dès qu'on va laisser de côté les mythes, deviendront "la
philosophie". Donc, Hésiode, mythologue ou philosophe? On peut répondre,
mythosophe, quelqu'un qui a introduit la sagesse pratique, la sophia, qui va caractériser la
philosophie, à l'intérieur des mythes. Et je m'excuse aussi bien par ce néologisme,
"mythosophe", que pour le faux suspens entretenu depuis lundi dernier.
Téléchargement