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nuance spatiale du mot "khaos". Khaos est un espace vide. C'est étonnant, mais vingt-sept
siècles avant Kant, voilà un poète qui, avant de décrire la généalogie de tout, place
l'espace comme une condition à priori. Kant l'a dit aussi: l'espace et le temps sont les
conditions à priori de la sensibilité. Cela veut dire que tout ce qui arrive, ou va arriver,
doit se placer nécessairement dans l'espace et dans le temps. À mon avis, c'est une
véritable trouvaille de la part d'Hésiode, car, je le répète, aucune cosmologie n'avait pensé
à postuler d'abord la scène dans laquelle allait se dérouler le spectacle de la naissance des
dieux; et Hésiode l'a fait. Encore un point à sa faveur.
Mais il y a un autre, et fondamental. La deuxième divinité c'est la Terre, qui occupe
déjà une place car l'espace vide s'est commencé à remplir, et la Terre sera une sorte de
mère universelle, puisqu'elle engendre d'abord le ciel, Ouranos, et après, d'une manière
incestueuse on pourrait dire, elle aura beaucoup d'enfants. Mais, et peut être par excès
d'optimisme, Hésiode est conscient du fait que pour s'unir avec un partenaire il faut de
l'amour, et, d'une manière tout à fait inattendue, il place comme deuxième naissance celle
précisément d'Éros. Ceci est insolite. Dans d'autres mythes Eros naît beaucoup plus tard;
dans le Banquet de Platon il est conçu même après Aphrodite. Je n'hésite pas à dire
qu'Hésiode a voulu introduire de la logique dans le mythe qu'il va raconter, et la logique
c'est la mise en place du lógos, de l'argumentation, de la raison.
Or, la terre engendre le ciel et, parce qu'il y a de l'amour, elle s'unit à lui qui, dit
Hésiode, la couvre entièrement –qui pourrait le nier?- et ils ont eu beaucoup d'enfants:
Océan, Téthys, Japet, la liste est longue. Mais le ciel détestait ses enfants et, à peine nés, il
ne les laissait pas sortir à la surface de la terre, et, nous pouvons imaginer, il les enfonçait
à nouveau dans l'utérus de la terre, car le Ciel était toujours couché sur elle; on pourrait
imaginer qu'entre le ciel et la terre il n'y avait rien; ils étaient collés l'un contre l'autre.
Or, comment décoller le ciel de la terre, afin qu'il y ait cet espace que nous
partageons tous? Encore une fois, Hésiode met en place la logique, car d'autres traditions
mythiques ne disent rien. Le lien d'union entre le ciel et la terre était le pénis du ciel,
enfoncé dans la terre. Or, la terre, qui en avait marre d'avoir tous ses enfants chez elle -et
il faut prendre l'expression littéralement- proposa au dernier né de couper, avec une serpe,