LE MAQUIS ANCEL Dordogne 1944 -1945 Introduction Le maquis Ancel est né du reliquat du maquis Mireille maquis AS établi près de Cendrieux ; après l'arrestation de Mireille à Périgueux en octobre 1943, les maquisards rescapés se réfugient dans la Double, grande forêt peuplée d'étangs au nord de Ribérac et à l'ouest de la vallée de l'Isle affluent de la Dordogne qui baigne Périgueux. Gustave Houver Christophe et Antoine Diener Ancel vont s'y cacher début février 1944 sous la menace des arrestations conduites à Périgueux par la Gestapo parmi les réfugiés alsacienslorrains. Contacté par Bernard Metz du Réseau Martial, Gustave Houver en est depuis 1943 le responsable pour la Dordogne, il recrute parmi les réfugiés alsaciens-mosellans les membres des trois centuries, « Périgueux », « Brantôme » et « Bergerac ». Archives familiales Diener-Houver ; la photo du 15/8/1944 est la seule photo d'Ancel existante du temps du maquis ; elle a été prise par son épouse lors du baptême de leur fils nouveau né, la pellicule a été enterrée dans une bouteille de verre jusqu'à la libération du département. A Périgueux, il a rencontré de nombreux réfugiés qui se sont engagés comme lui dans le 26éme Régiment d'Infanterie de l'Armée d'Armistice, afin de ne pas rentrer en Alsace-Moselle annexée par le gouvernement nazi dès le 18 juin 1940, avant même la signature des clauses de l'armistice le 22 juin 1940 par le gouvernement de Pétain. De même, il recrute parmi les administrations municipales de Strasbourg « repliée », services municipaux, police, aide sociale, et l'Inspection académique et le Rectorat pour les enseignants d'Alsace-Moselle. A Bergerac, la poudrerie et la Manufacture de Tabac qui accueille celle de Strasbourg emploient de nombreux réfugiés, à Neuvic/ Isle l'entreprise BATA emploie son personnel mosellan, à Brantôme la base aéronavale également. 1 Antoine Diener, son beau-frère, instituteur à Teillots près du château d'Hautefort, à une heure d'autocar de Périgueux est l'un de ses adjoints. Le réseau Martial recrute des membres « dormants » ou « légaux » qui continuent leur vie professionnelle et familiale tout en prospectant pour des terrains de parachutage, en collectant tout renseignement utile, d'autant qu'ils sont bilingues, et ils s'engagent à l'action armée une fois le débarquement allié déclenché. Ce maquis leur a été indiqué par le responsable de Dordogne Centre, le strasbourgeois Charles Mangold, Vernois, et c'est l'intendant de l'AS de Dordogne Francheteau, Francine, qui enregistre leur nom de clandestinité. Il est installé au bord d'un étang près de la ferme du Grand Claud, abrité dans les bois de la Double, à l'Ouest de la vallée de l'Isle.. Deux semaines après leur arrivée dans la Double, le chef de maquis ayant été arrêté lors d'un déplacement, Charles Mangold, Vernois propose le commandement à l'un deux : ils sont tous deux officiers de réserve, ont été formés par l'armée, mobilisés ils ont l'expérience de la guerre, et ils font partie d'un réseau accrédité aux Forces Françaises Combattantes. L'alerte semble passée, Christophe préférant reprendre son travail de recrutement et de liaison, Ancel prend alors la responsabilité du maquis, une trentaine d'hommes. Très vite il faut déménager car Francine a eu vent du projet de l'ennemi, incendier la Double pour y piéger les maquisards, projet exécuté la seconde semaine de mars 1944..Ce maquis va se déplacer, survivre et combattre de fin février à août 1944, dans un espace délimité par la vallée de l'Isle où passent la route nationale et la voie ferrée Périgueux-Bordeaux à l'Ouest, la route Périgueux-Bergerac au centre et celle de Périgueux-Le Bugue à l'Est. Sillonné par les vallons du Vern, de la Crempse, du Caudau et de la Louyre, les mares et étangs sont nombreux, les bois de châtaigniers offrent leur refuge d'autant que les sous-bois sont touffus. Voir carte détaillée Un lacis de petites routes vicinales dessine à travers bois un maillage serré entre fougères et arbustes, véritable labyrinthe pour ceux qui ne sont pas « pays » ; les hameaux, l'habitat dispersé 2 des écarts en partie abandonnés depuis l'accélération de l'exode rural entre les deux guerres, offrent des possibilités de refuge. Les déplacements sont si nombreux qu’ils ne peuvent pas tous figurer sur la carte jointe, surtout après fin juin 1944 L'évolution de ce maquis, entre février 1944 et la libération de Périgueux le 20 août 1944, suit l'évolution des maquis de la zone Sud occupée depuis le 11 novembre 1942 ; tant du point de vue des effectifs, sans cesse croissants, des difficultés d'armement et de survie quotidienne, que de la répression de plus en plus importante de la part de la milice de l'Etat Français conjuguée à celle de l'occupant nazi, surtout après le débarquement allié.(O. Wieviorka, « Histoire de la Résistance, 1940-1945 » Perrin, 2013). Le Maquis, un refuge austère, rustique, et précaire Le chemin du maquis, fuite et/ou choix ? Jacques et Jean Porcher sont deux jeunes Parisiens qui en février 1944 ont déjà un long périple derrière eux. En décembre 1943, la convocation au STO les rattrape lors de leurs pérégrinations. Nous avons étudié leur récit, écrit à quatre mains vers 1984 pour leurs enfants qui l'ont confié au COMEBAL ; nous l'avons confronté aux autres témoignages et documents de cette période, entre 1942 et 1945 (voir les sources). Jacques et Jean Porcher, l'un depuis Paris et l'autre depuis le Cher décident de se soustraire au STO. Ils veulent gagner l'Espagne et rejoindre les Forces Françaises Libres gaullistes ; c'est ainsi qu'ils se retrouvent chemin faisant à Ribérac en Dordogne bûcherons et scieurs de bois afin de trouver gîte et couvert. La scierie de Ribérac livre des planches pour des caisses à l'entreprise Marbot-Bata de Moselle repliée depuis 1939 à Neuvic/Isle, au Sud Ouest de Périgueux. Les deux frères Porcher, bataillon Strasbourg, compagnie BARK, vers janvier 1945 (source : famille Wagner-Porcher) Deux mois plus tard, la filière vers l'Espagne n'ayant rien permis, ils s'ouvrent de leur projet à leur patron qui « travaille » avec la résistance et celui-ci leur propose faux papiers et refuge maquisard. Ils ont alors le choix entre rejoindre un maquis FTP ( Franc Tireur Partisan d'obédience communiste ) ou AS (Armée Secrète) formée par les trois réseaux de résistance intérieure que le 3 parti communiste clandestin a refusé de rejoindre. Les deux frères choisissent l'AS qui a la réputation d'être peu engagée dans un mouvement politique alors que les FTP sont dénoncés par la propagande vichyste comme des terroristes communistes. Le STO. Le Service de Travail Obligatoire est décidé en 1943 par le gouvernement de Pierre Laval de l'Etat Français présidé par Ph. Pétain à la demande de l'Allemagne nazie qui manque de main d'oeuvre pour son économie de guerre. Il s'agit d'envoyer les jeunes Français remplacer les Allemands mobilisés aux champs et dans les usines dans le Reich. Seuls, les réfugiés alsaciens-mosellans en zone Sud, et les jeunes gens qui choisissent les métiers de mineurs, policiers, miliciens ou poursuivent des études sont exemptés dans un premier temps. Ces exemptions concernent plus de la moitié des recensés entre 1942 et 1944, selon O. Wieviorka ; un million de salariés refusent de quitter le territoire français mais acceptent de travailler en France pour le Reich (14 000 entreprises) ; les réfractaires furent donc au total de 200 000 à 350 000 personnes ; tous ne se réfugient pas dans un maquis, mais tous se cachent, d'autant que les paysans français eux aussi manquent de main d'œuvre (il y a 1,5 million de prisonniers de guerre français en Allemagne). Ce mouvement s'accélère entre le 1/01/1944 et le 23/06/1944, le STO enregistre 95,05 % de réfractaires ! Une partie d'entre eux affluent vers les maquis. (O.W. Histoire de la Résistance op.cit.(op. cit. p. 213 et sqq). Pour la résistance, l'aide aux réfractaires fut une double occasion : celle d'encourager la désobéissance civile au gouvernement de Vichy en dénonçant la politique de collaboration avec le Reich, de montrer son efficacité pour l'aide apportée (faux papiers, caches) et de former une élite prête à s'engager dans la guérilla parmi ceux qu'elle cache dans les maquis. Dès le printemps 1943, les maquis eurent cette triple mission; cependant les réfractaires sont de plus en plus nombreux à partir de 1944 et cet afflux permet à la résistance de s'enraciner dans les campagnes en touchant tous les milieux et beaucoup de familles rurales. Ils ont eu le choix ce qui semble plutôt rare ; bien des jeunes gens ont été heureux d'être accueillis, au hasard, dans un maquis, quand d'autres y ont été requis , c'est le cas du jeune interne en médecine Marc Dorner en Savoie l'hiver 1944, ou fait prisonnier par des maquisards FTP comme Edmond Fischer dans le Lot en mai 1944. Les premiers jours de mars 1944, après avoir reçu les consignes, mot de passe « je viens de la part du général Lanrezac », le lieu de rendez-vous avec le contact, que faire si le contact n'est pas établi, les voilà à Saint Astier près de Neuvic/Isle. « Paul est chargé de nous conduire ...vêtu d'un costume bien coupé qui détonne dans ce cadre rustique...il a l'air d'un étudiant... » Tout en quittant le bourg par une petite route, ils apprennent la prudence : la RN 89 est traversée séparément après arrêt sous le couvert , ils ont devant eux quatre heures de marche par les bois ; soudain, « un bizarre personnage nous barre le sentier...c'est notre premier contact avec la mitraillette Sten... échange de mots de passe et Paul nous dirige vers une bâtisse au fond d'une clairière où circulent quelques jeunes gens. » Le maquis Ancel « A notre arrivée un homme sort de la grange..., plus âgé que nous, vêtu d'un blouson de cuir et d'un pantalon de cheval serré dans des bas de laine, sur la tête l'habituel béret ; de sa ceinture émerge la crosse d'un revolver ; voici le lieutenant Ancel qui commande ce maquis, nous dit Paul. » Ancel entraîne les deux frères dans la grange, les interroge sur leurs motivations, leur parcours ; puis il leur annonce qu'au maquis on est clandestin et qu'il faut se débarrasser des papiers et affaires personnelles (photos, courrier, carte d'identité même fausse!) pour éviter toute identification par la police en cas d'arrestation ; c'est pourquoi il faut choisir un pseudonyme. 4 Jacques Porcher se nomme Montrouge en pensant à ses parents et Jean choisit Sarthois en pensant au pays d'où vient sa famille. Viennent alors les présentations au groupe de jeunes gens. « ils sont une quinzaine : le sergent Gaston, les caporaux Pauly et Adolphe, et puis Jean-François qui arbore un superbe chapeau et un trench-coat taché mais bien coupé, Champagne le frère de Pauly, Michel, Roger qui viennent de rallier récemment, Parisien, André et Cuistot qui bien sûr est chargé de la cuisine ; il y a aussi des surnoms bucoliques, Fauvette, Gaufrette et Moscou un Alsacien rescapé des marais glacés de Stalingrad où l'avait conduit son incorporation de force dans l'armée du Reich. » La grange appartient à la famille Peytoureau, elle est entourée de bois, une source à proximité permet les lessives et la toilette et plus en amont de prendre l'eau pour la cuisine et la boisson ; la grange des Pâqueries est le troisième refuge du maquis atteint il y a quelques jours seulement depuis la forêt de la Double. Deux pièces éclairées à la bougie, un dortoir rustique, les couchettes sont sur la paille ; dans l'autre pièce où dorment les chefs, un maigre feu dans la cheminée, un drapeau tricolore, une planche sur tréteaux pour les repas ; chacun a une gamelle, un quart, une couverture. La grange des Pâqueries, en 1990 (photo prise par Jacques et Jean Porcher) Sentinelle du groupe Ancel, identité et date inconnues (printemps 1944 ? , photo fournie par Jean Claus) Il tient fièrement un fusil...de chasse ! Avant le coucher, après une soupe frugale mais chaude et une tranche de pain, Ancel rappelle les consignes de sécurité : deux sentinelles relevées toutes les deux heures, placées l'une à 300 m, la seconde à 150m pour qu'en cas d'alerte, les dormeurs aient le temps de se réfugier dans les bois. Les tours de garde, au début à deux pour apprendre, sont longs, il fait froid et humide, il faut apprivoiser les bruits de la forêt, surmonter peur et sommeil, mais la sécurité du groupe dépend de la vigilance de chacun ! Les journées sont réglées par l'emploi du temps que les caporaux font respecter : lever, toilette et corvées d'eau à la source pour la cuisine, petit déjeuner léger (un quart de chicorée et une tranche de pain) rangement du dortoir (chacun secoue sa couverture et la plie à sa place), enfin lever des couleurs en silence pour la discrétion. 5 Les aînés qui ont fait leur service militaire organisent un atelier : maniement d'armes avec le peu qui est disponible : début mars pour une trentaine d'hommes, un fusil MAS 36 des Manufactures d’Armes de Saint Etienne, un fusil Lebel (1893 !) surnommé « canne à pêche » tellement il est long, encore utilisé en 1939, deux ou trois mitraillettes Sten anglaises rustiques qui « partent toutes seules », quelques revolvers, quelques fusils de chasse apportés par les gars du pays. C'est une situation fréquente pour les petits groupes ; la question de l'armement est une préoccupation constante des chefs, il est toujours insuffisant et hétéroclite avant avril 1944. Les jeunes gens apprennent à manœuvrer la culasse, à démonter et remonter l'arme jusqu'à savoir le faire les yeux fermés, à la nettoyer mais ils ne peuvent tirer de munitions tant celles ci sont comptées et aussi pour des raisons de discrétion. De temps en temps une visite rompt la monotonie des jours, rythmés par la routine, le froid et l'humidité. « Nous faisons la connaissance de Francine, responsable du ravitaillement comme intendant de l'AS Dordogne, basé à Neuvic, qui vient présenter à Ancel un nouvel agent de liaison, Francis. Chacun apporte les nouvelles du monde. » Les conditions de la survie : la mobilité, une priorité. Entre fin février et juillet -août 1944, Ancel a cherché et organisé au minimum dix sept campements en sept mois (voir carte) ; trois seulement ont tenu trois à quatre semaines, un autre constitue une étape de 18 jours, six entre trois et sept jours ; après le 24 juin, l' incendie par l'ennemi du camp de Durestal oblige à la dispersion en petits groupes dans un cercle de 10 km de rayon dans les bois, tous les lieux ne figurent donc pas sur la carte ; dès mi- juillet Ancel et son PC ne passent pas plus de deux nuitées d'affilée, sa tête est mise à prix à Périgueux. Ancel avait gardé la carte d’État-Major donnée par son beau-père à son départ pour le maquis, il avait reconstitué un calendrier approximatif que nous avons comparé avec celui reconstitué par les frères Porcher, c'est avec Ancel que nous avons élaboré cette carte en 2005. Les sites choisis sont toujours à proximité d'une source pour avoir de l'eau, si possible d'une grange ou une bergerie à l'écart et à l'orée d'un bois pour se réfugier en cas d'alerte, pas trop loin d'une route. L'intendant de l'AS, Francine et les agents de liaison sont des aides précieux dans cette recherche d'autant que Francine est un « pays » et qu'il connaît son monde. La grange des Pâqueries est sise sur les terres de la famille Peytoureau, à Grignols. Fin mars Georges le fils, seize ans, est arrêté à Mussidan dans une rafle ; la prudence impose de déménager le camp et la famille, de nuit. Trois groupes sont formés : une escorte armée avec sentinelles, pour la protection des deux autres groupes, le groupe chargé du déménagement nocturne de la famille, avec le mulet et la charrette, l'autre chargé de nettoyer les traces d'occupation pour laisser le moins d'indices possible et d'emporter le « barda » du maquis afin d'éviter des représailles aux compatriotes qui acceptent de les héberger. La ferme des Gautheries, à quelques heures de sentier dans les bois est habitée, la fermière offre une soupe chaude à la trentaine de jeunes hommes trempés qui arrive tard, et va se coucher sur la paille de la grange. Ils s'y cachent deux nuits en bivouaquant, le temps qu'Ancel ait mis trente six heures à trouver un nouveau refuge au Château de Chaulnes. Ils campent presque trois semaines dans les bois de cette grande propriété, dans une grange, sur la paille infestée de poux de poules dont ils ne se débarrassent pas, même après une séance collective de rasage ! Ces trois semaines sur place leur permettent de s'organiser, de se ravitailler, d'accueillir de nouvelles recrues. Une après midi ensoleillée, le propriétaire du château vient prévenir que l'agent de liaison Francis a été arrêté et que de l'autre côté du vallon du Vern les GMR et les miliciens scrutent la vallée. A la jumelle, en lisière du bois, Ancel les distingue qui observent sans bouger ni ouvrir le feu. Ancel interdit de tirer. Bivouac de trois jours au « château » de la Feuillade. Ces noms pompeux désignent des communs plus ou moins abandonnés de ces grandes propriétés, rarement chauffés, alors que l'hiver 6 est rude dans les bois périgourdins. Changer de lieu expose à de lourdes contraintes, se méfier des rencontres, abandonner les contacts pour le ravitaillement, s’obliger à reconnaître un nouveau terrain. Le moulin du Rosier les accueille pour quinze jours ; abandonné depuis longtemps, sa roue à aube au dessus de l'eau est pourrie, l'humidité est partout, Sarthois y attrape une pleurite. Il faut à nouveau repartir jusqu'à une scierie, abandonnée, aussitôt baptisée Les Planches. Quelques jours plus tard, des tirs ont été entendus dans la forêt, Ancel et un groupe partent en reconnaissance et rencontrent un groupe de « maquisards » qui interrogés ne savent dire ni à quel groupe ils appartiennent ni le pseudo de leurs chefs. Renseignements pris, il s'agit de malfrats qui rançonnent les fermiers alentour en se faisant passer pour des maquisards. Ancel et Roland, chef d'un autre groupe franc de l'AS, leur tendent une embuscade et les neutralisent. Par précaution, on repart dans les bois, de nuit, pour le coteau de Fauchérias, drapeau tricolore en bandoulière et bidons de vin rescapés. On est début mai, il fait meilleur, on trouve un nouveau campement baptisé dans le souvenir du maquis « camp des sardines » (voir plus loin). Le déménagement suivant est provoqué par un incident grave lors de l'arraisonnement d'un camion de vin près de Fouleix. Les sardines à l'huile et au pain c'est plus appétissant accompagné de vin, aussi le jour de l'Ascension, le sergent Gaston monte l'embuscade, mais une voiture ennemie surgit et voyant des gens armés sur la route, ses passagers tirent, Cuistot est tué, fauché par une rafale. Le premier mort du maquis est inhumé la nuit même dans le petit cimetière du village, accompagné de ses amis et du curé. Cette mort, le débarquement qui se fait attendre, découragent quelques gars lassés d'attendre sans pouvoir se battre. Ancel accède à leur demande, mais il faut à nouveau déménager par prudence au cas où ces gaillards se feraient prendre ou se vanteraient trop fort. Après quelques nuits, en contournant Saint Alvère, le groupe arrive enfin de bergeries en bergeries à Durestal, sur la commune de Cendrieux. C'est une clairière à flanc de coteau, traversée par une source en bordure d'un bois, entourée de châtaigniers feuillus et verdoyants en cette fin mai ; « quelques cahutes construites par des tonneliers venus exploiter l'écorce des châtaigniers pour tresser les douves des barriques », leur silhouette vaut au campement le surnom de « village nègre ». Presque un mois de campement dans cet endroit où trois maquis successifs se sont installés dès 1943, dont celui de Mireille ; la boucle semble refermée mais les péripéties ne vont pas manquer et au contraire de grandes transformations, en effectifs, en armement, en contacts et en combats vont s'y dérouler. Mi mai, Gandouin Zagouin y rejoint le camp Ancel avec sa centurie Valmy de Brantôme. Survivre c'est aussi se nourrir, se vêtir s'entraîner et s'armer. La mobilité fréquente du maquis est une condition de survie nous l'avons expliqué, mais elle a un revers : à chaque fois, il faut établir des contacts avec la population , trouver des complicités, parcourir des distances plus grandes pour trouver du ravitaillement, des armes, donc constituer peu à peu un parc de voitures et trouver de l'essence... Le ravitaillement une préoccupation quotidienne. A l'arrivée au maquis, début mars, Sarthois et Montrouge partagent une soupe et une tranche de pain avec leurs nouveaux compagnons : « la soupe est loin d'être aussi savoureuse que celle de notre cantine de Ribérac, mais la longue marche nous a ouvert l'appêtit et depuis longtemps nous avons cessé d'être difficiles. » Cuistot fait ce qu'il peut avec ce qu'il a …Trente hommes jeunes vivant dans les bois, l'hiver, cela mange pourtant ! Nulle trace de chasse, dans un pays où cette 7 activité est une tradition revendiquée, ni de pêche ni de cueillette de champignons ? Aucun collet posé pour attraper un lapin de garenne et améliorer l'ordinaire ? Trop de déménagements ? Pas de temps pour cela ? Peut-être, mais surtout, il ne faut pas braconner sur les terres et dans les bois des paysans qui vous accueillent sur leur propriété, ou vous tolèrent, ce serait déloyal, et c'est élémentaire pour éviter les délations. Aussi faut-il chercher le ravitaillement chez les producteurs. Leurs adresses sont fournies par l'intendant de l'AS Francine, les agents de liaison, adresses possibles pour des séjours « calmes et longs » qui favorisent bonnes relations et complicités. De l'avis de tous, elles n'ont pas manqué. Photo de la boulangerie en 2014, état semblable aux années 1940 d'après la fille du boulanger Mirabelle, qui habite toujours en face après avoir enseigné les enfants de la commune pendant 40 ans ! (photo Th. Hatt). Dès la quatrième nuit de son maquis, Sarthois va chercher le pain de la semaine. « C'est ma première escapade depuis notre arrivée et c'est un peu la fête. Sous la conduite du caporal Pauly, deux groupes se forment, l'un armé de mitraillettes et pistolets, l'autre se charge de longues perches dont je ne vois pas l'usage. Nous descendons en file indienne, dans le silence de la nuit...vers Grignols. » A l'entrée du village, Pauly part en éclaireur et on attend le signal pour le rejoindre dans l'arrière boutique du boulanger à peine éclairée. « Le boulanger Mirabel qui nous reçoit ...nous offre un verre d'un petit vin apprécié des buveurs d'eau que nous sommes ...les camarades ont enfilé les tourtes de pain sur les perches, les chargent sur leurs épaules par deux et ...toute la troupe se faufile, à la suite du caporal par le sentier qui s'enfonce dans la forêt. ». Outre le pain, l'essentiel de la nourriture consiste en pommes de terre, lard et viande cherchées soit chez des paysans complices, soit en arraisonnant le tram-train départemental Périgueux-Bergerac que prennent les paysans de la vallée de la Dordogne pour vendre leur production à Périgueux. Ainsi, le 18 avril près de Notre Dame de Sanilhac, le tram-train est arrêté par le commando toujours divisé en deux groupes, l'un armé qui fait le guet, intimide les convoyeurs, l'autre qui monte dans le train et récupère la marchandise, rapidement transportée dans une camionnette ou voiture de fortune qui ne traîne pas ; mais en route, elle croise une voiture « allemande » et des coups de feu sont échangés, il faut toute la rapidité et l'habileté du commando qui connaît le terrain pour s'échapper. Cela ne se déroule pas toujours aussi bien, on vient d'évoquer la mort de Cuistot. 8 Souvent de nuit, les réquisitions visent des producteurs jugés par le réseau trop zélés avec les autorités voire collaborateurs. Les rendez vous sont alors plus rudes, pas de petit vin blanc offert mais des armes pointées sur les fournisseurs, pas de bons de réquisition laissés. Lors du séjour au Moulin du Rosier, une vache laitière est ainsi ramenée au campement et fournit un petit déjeuner plus copieux que le quart de chicorée claire. Un autre soir c'est une brebis qui fournit la viande tandis que son agneau, bien vite « baptisé Turenne » nul ne sait pourquoi, est nourri dans l'espoir de régaler la troupe plus tard. Enfin, il est temps d'évoquer les attaques de train dans les gares, elles aussi nocturnes. Celleci explique le nom donné au campement de Fauchérias, le « camp des sardines ». Francine a eu vent d'un convoi de conserves destinée à la garnison ennemie de Périgueux, en provenance de Bordeaux, arrêté pour la nuit en gare de Marsac, petit bourg au sud de la ville, le 10 mai 1944. Très souvent, les cheminots résistants renseignent les autres réseaux ; ils surveillent le chargement des wagons, connaissent les étapes du convoi, leurs lieux d'arrêt. Le « Plan Vert » organisé par la résistance sur le territoire français est mis en œuvre depuis quelques mois : il concerne la surveillance des convois ; il s'accélère avec les parachutages de plastic qui permet le sabotage des voies ferrées après l'hiver 1943. Les locomotives sont alors à vapeur, il faut remplir les tenders du charbon qui permet de chauffer l'eau pour produire la vapeur, il faut donc recharger charbon et eau d'étapes en étapes fréquentes et pour éviter les bombardements alliés de plus en plus nombreux, les arrêts sont prévus dans les petites gares ; les cheminots indignés par les réquisitions imposées dans les clauses de l'armistice du 22 juin 1940 par les Nazis et qui affament la population renseignent donc les réseaux locaux. Le groupe Roland et le groupe Ancel sont chargés de ce convoi de conserves. La proximité de Marsac avec Neuvic incite à faire appel au camion prêté par l'entreprise mosellane Marbot-Bata réfugiée à Neuvic depuis 1939. Ce n'est ni la première ni la dernière fois. Une partie des camarades armés se postent en guetteurs, tandis que d'autres sont chargés de neutraliser les requis civils de surveillance qui se laissent faire et d'arracher les fils électriques de l'alarme, d'autres encore « arrêtent » le chef de gare pour lui éviter des sanctions, tandis que les portes des wagons sont forcées. Le camion est chargé à ras bord de cartons de conserves, quelques uns sont laissés sur la chaussée pour remercier les civils et la population du bourg de leur passivité. Chacun des deux maquis emporte la manne ainsi conquise. Il faut décharger bien vite le camion, car le chauffeur doit commencer sa journée tôt matin à l'usine, et à l'heure ; il faut assurer la discrétion de l'expédition et des complicités. « Les cartons sont transportés dans notre clairière à l'aide de notre remorque tirée à mains ; tout le monde est excité devant cette abondance après quelques jours de bivouac et de fringale...nous nous gavons de sardines...certains jusqu'à vingt boîtes par jour , faisant une cure de vitamines D au point d'en être ...incommodés. » Les maigres effectifs de mars (une trentaine au camp des Pâqueries) ont gonflé, courant avril, il faut nourrir une centaine de jeunes et moins jeunes. Ainsi à peine arrivés au Château de Chaulnes après le 20 mars, « arrive un vieux sous-officier de la coloniale, blanc de cheveux et de moustache... c'est un brave homme, dynamique en diable, qui s'intègre rapidement dans notre jeune bande ; il est bien sûr immédiatement affublé du surnom de grand père. Il connaît le pays comme sa poche et nous rendra les plus grands services jusqu'à la libération ». Courant avril beaucoup de nouveaux, surtout des Alsaciens-Lorrains ; ils apportent des nouvelles fraîches ; les deux aviateurs américains (voir plus loin) sont bientôt suivis par quatre jeunes gens de Razac/Isle conduits par un vétéran le Père Simon ; nous faisons ainsi connaissance avec Charlie, Bill, Jimmy et Buffalo » des amateurs de western à entendre les pseudonymes choisis. Chacun est venu avec ses vêtements sur le dos, sa carabine de chasse parfois, mais sans paquetage. 9 Il faut donc organiser aussi des réquisitions de vêtements. Début mars déjà, une expédition nocturne est programmée avec la complicité du patron de BATA de Neuvic ; le gardien maîtrisé et empêché d'alerter pour donner le change, un échantillon de bottes a chaussé les maquisards, hommes des bois, plutôt que l'ennemi. Mi mars, un commando récupère au sanatorium de Bassy près de Mussidan, un lot important de couvertures, virée nocturne là encore. Fin mars c'est une expédition en plein jour qu’ Ancel décide d’organiser, en pleine ville de Périgueux : quatre hommes, le chauffeur de la camionnette à gazogène, deux gaillards munis d'armes de poing et Montrouge armé d'un colt 45, tous en civil. Il s'agit de récupérer, le plus fermement et civilement possible, un stock de vêtements et de chaussures destiné aux prisonniers libérés dans le bâtiment du Secours National, sis dans la gare de marchandises, dans un espace clos d'un grand portail. Arrivé en fin de matinée, le portail étant par « chance »ouvert, le chauffeur gare la camionnette contre une fenêtre du hangar. Les hommes descendent, frappent à la porte du hangar, sous l’œil indifférent d'une dizaine d'Allemands désœuvrés. Un garde-magasin ouvre, repoussé fermement à l'intérieur en braquant les armes et en lui ordonnant le silence ; premier geste, arracher les fils du téléphone, tenir le garde en respect tandis que les autres enfournent par la fenêtre ouverte tout ce qui tombe sous la main, chemises, linge de corps, vareuses, casquettes et même des bandes molletières bien appréciées plus tard dans les taillis épineux des sous-bois. Sitôt la camionnette chargée, on repart d'abord tranquillement pour donner le change, puis le pont de Bordeaux franchi, le plus vite possible pour gagner les bois. Fin avril, les effectifs s'étaient accrus encore jusqu'à atteindre plus d'une centaine de maquisards, Ancel reprit l'opération à une plus grande échelle. Cette fois la camionnette ne suffit pas, c'est le camion Bata qui transporte un effectif doublé, armé de façon plus efficace et voyante, mitraillettes Sten, revolvers et deux fusils-mitrailleurs ; en outre, le même jour deux autres commandos pour Périgueux suivent, l'un sur un dépôt de tabac, l'autre d'essence. « Les trois véhicules sont entrés dans Périgueux par des itinéraires différents, les hommes juchés sur le plateau du camion et sur les ailes, mitraillettes en position de tir sous le regard surpris des passants. Arrivé devant le portail à midi..., beaucoup de monde dans la rue, nous avons renseigné les gens sur notre action et quelques-uns nous proposaient leur aide, refusée pour ne pas compromettre leur sécurité et... la nôtre. Les deux hommes au fusil-mitrailleur s'installent en batterie devant le portail, on fonce sur la porte du baraquement... on intercepte les deux gardes du magasin avant qu'ils ne donnent l'alarme et ils sont neutralisés par la menace d'une mitraillette Sten ; le camion chargé, il faut faire vite, se frayer un chemin parmi les curieux assemblés auxquels on lance quelques paires de chaussures pour faire diversion. Le chauffeur, au lieu de s'engouffrer vers le Pont de Bordeaux prend la direction inverse à travers la ville ce qui fut salutaire ; car les Allemands, alertés par les gardes surgissaient pour se lancer à nos trousses dans la direction opposée à celle choisie. De retour dans les bois, nous retrouvons les commandos chargés de bidons d'essence et de cartouches de cigarettes tous sains et saufs et nous avons droit à une cigarette chacun et aux félicitations d'Ancel. J'y ai gagné aussi un pantalon neuf et une paire de chaussures ». D'après ce récit de Montrouge, authentifié par Ancel cinquante ans plus tard, on comprend qu'il s'agissait d'une démonstration de force, au bluff et peut-être bien avec des complicités achetées. Ces commandos répondent bien sûr à des nécessités de survie des maquisards, mais ils sont aussi un entraînement pour les hommes, ils renforcent la cohésion du groupe. Sang froid, coordination, efficacité, rapidité, maîtrise des armes, ne jamais se laisser aller à la facilité de tirer sont à l'oeuvre. 10 « Il fallait des expéditions de ce genre pour garder le moral. Notre lieutenant Ancel en était conscient. Plus d'une fois, nous l'avons vu déambuler dans le camp, de son éternel balancement d'une jambe sur l'autre, fumant cigarette sur cigarette. Les occasions de se dégourdir les jambes étant rares, Ancel établit un tour de rôle pour faire sortir un peu les gars du bois. » Voler des cartes vierges d'identité et des cartes d'alimentation sont affaire plus discrète, confiée à un binôme qui opère de nuit. André Bord le Bronzé et Jean Claus Alouette (voir fiches) sont des experts. Ils les fournissent à ceux qui, dans les réseaux, se sont spécialisés dans la confection des faux papiers, nécessaires aux maquisards en mission. Le parc de véhicule se constitue en « empruntant » vélos et automobiles trouvés en chemin ou réquisitionnés, reste à assurer l’approvisionnement en essence. Dans tous les maquis surtout à partir du printemps 1944, ces expéditions sont une nécessité, un entraînement, une raison d'agir et de ronger son frein, donc de contrôler la discipline du groupe dans l'attente d'un débarquement attendu impatiemment. Enfin, face à la rivalité des tenants de l'action immédiate, les FTP, ces commandos permettent d'occuper les plus impatients des jeunes gens ; la réussite de ces expéditions en impose et assure la position de ceux qui veulent attendre le débarquement allié, puisque seules les embuscades sont possibles au vu de l'armement insuffisant des maquisards. Pourtant, malgré les complicités achetées ou tissées, à chaque fois l'enjeu est grand, l'affaire peut tourner mal, les vies sont en jeu. Combattre : de la guérilla défensive à la guérilla offensive. La quête incessante d'armes. A leur arrivée début mars 1944 au maquis Ancel, Sarthois et Montrouge découvrent dépités l'armement hétéroclite et très insuffisant dont dispose la trentaine de maquisards réunis aux Pâqueries. Ils partagent alors le même étonnement qu'éprouvent Ancel et Christophe en arrivant au Grand Claud un mois auparavant. Le dépit s'explique par la propagande vichyste qui présente les « terroristes » comme armés jusqu'aux dents ! Gustave Houver, Christophe cherche des armes pour les centuries dormantes qu'il recrute depuis un an, il sait cependant à quel point sa tâche est difficile. Un mois plus tard, il est arrêté à Limoges (le 6 avril 1944) avec trois autres responsables du Réseau Martial, Dillenseger et Hubert de Limoges et Courtot, venu de Toulouse. Ils ont rencontré dans le bureau de Hubert qui travaille à la préfecture, un officier de l'ORA, Julien, qui promet des armes pour le débarquement qu'on devine et espère imminent. Jusqu'au printemps 1944, l'Armée Secrète, constituée de civils souvent officiers de réserve, mais de peu de militaires d'active, cherche les caches d'armes organisées par les militaires de l'armée d'armistice au moment de sa dissolution le 28 novembre 1942, exigée par l'envahisseur nazi de la zone sud. Le gouvernement de Vichy donne à son armée l'ordre de livrer les armes, mais il n'est qu'en partie obéi. Les militaires détruisent un tiers des armes pour les soustraire à l’ennemi, en livrent un tiers, et le dernier est caché sous la responsabilité de l'OMA devenue en 1944 l'ORA. Quelques exceptions à cette méfiance des militaires d'active envers les réseaux de résistance organisés par des civils, le Général Noettinger à Toulouse ou le Général Delaye à Grenoble. (O. Wieviorka, op cit p 196 et sqq.). C'est pourquoi la branche armée des réseaux de résistance civile se constitue en Armée Secrète, AS, et recrute de nombreux civils officiers de réserve, comme Ancel et Christophe ou Hubert. L'ORA, Organisation de Résistance de l'Armée, est la dernière phase de la transformation de l'ex-armée d'armistice de l'Etat Français sous les ordres de Philippe Pétain. 11 Gustave Houver, « Christophe » (14.06.1919 – 04.11.1998) Issu de l'Ecole Normale d'instituteurs de Montigny les Metz, où il se lie d'amitié avec Ferdinand Diener (le jeune frère d'Antoine, alias Ancel), il est instituteur et secrétaire de mairie à Woustwiller près de Sarreguemines. Lorsque le secteur est évacué en septembre 1939, il rejoint l’école des E.O.R (Elèves Officiers de Réserve) du er camp d’Auvours près du Mans. Après une formation accélérée de 6 mois il est nommé aspirant le 1 mai 1940 et ème prend le commandement de la 44 compagnie qui part pour Orléans. ème A la signature de l'armistice le 22 juin 1940, il est affecté au 26 RI à Périgueux, il refuse de rejoindre l'Alsaceème Lorraine annexées, et poursuit ses activités d'officier du 26 RI jusqu'à la dissolution de l'armée française en novembre 1942. En octobre 1940 Houver a retrouvé à Périgueux Ferdinand Diener. Pendant les années 1940 et 1941 se forment alors des relations proches avec la famille et la belle-famille d'Antoine Diener établies à Périgueux et dans le village de Ligueux. Pendant ses loisirs de militaire il participe beaucoup à la vie sociale du village, et il y rencontre sa future épouse, sœur des frères Diener. Le 11 novembre 1942, lorsque les Allemands envahissent la zone sud, l’armée française dite d'armistice est dissoute. Démobilisé le 28 novembre 42, il est mis à la disposition de l’Inspection académique d’Alsace-Lorraine ème repliée à l’école Jules Ferry de Périgueux. Il y est secrétaire, mais garde le contact avec ses chefs du 26 RI, les capitaines Salm et Anet et le colonel De Grancey. ème Il entre en résistance active en janvier 1943, contacté par Bernard Metz, agent recruteur de la «7 colonne» pour recruter des hommes prêts à combattre après le jour J. C'est par ce canal qu'Antoine Diener Ancel)rejoint la résistance. A l'été 1943 G. Houver a recruté trois centuries, Périgueux, Bergerac, Brantôme. Fin 1943 la Gestapo multiplie ses attaques contre les milieux résistants et les Alsaciens-Mosellans réfractaires. Houver entre alors en clandestinité sous le pseudo de Christophe avec l'accord complice du recteur, et effectue de fréquents déplacements vers Lyon, Clermont, Limoges et vers les centuries. La menace se rapprochant, Houver et Ancel rejoignent un maquis de l'AS en formation dans la forêt de la Double. Ancel en prend rapidement le commandement sur le terrain pendant que Houver reprend son travail de liaison. . Le jeudi 6 avril 1944, à l’issue d’une réunion tenue à Limoges pour discuter des moyens d'armement, les chefs départementaux du GMA sud sont arrêtés tous les quatre : Houver pour la Dordogne, Courtot pour Toulouse, Hubert et Dillenseger pour la Haute-Vienne. Bernard Metz, Bertrand Maurin, qui devait également participer à la réunion, échappe à l’arrestation car son train a déraillé entre Clermont Ferrand et Guéret. Houver est interrogé et torturé, puis il a la chance de rester ensuite emprisonné pendant plusieurs semaines sans autres interrogatoires. Le 21 mai 1944, c'est le départ vers l’Allemagne en train de marchandise, à raison de cent hommes par wagon, pour arriver le mercredi 24 mai au camp de concentration KZ-Neuengamme près de Hambourg. Il parvient à y survivre jusqu’à l’évacuation du camp le 26 avril 1945 par les nazi en direction du port de Lübeck, où les déportés de plusieurs camps sont embarqués sur trois bateaux, qui sont bombardés le 3 mai par une escadrille de la Royal Air Force. Dans cette tragédie près de 8 000 personnes meurent noyées. Environ 300 déportés seulement survivent, dont Houver qui réussit à s'extraire du Thielbeck et à nager vers la rive. Il est récupéré par une vedette allemande puis enfin libéré par des soldats anglais dans la ville de Neustadt. Il arrive en Moselle le 24 mai 1945 où, après plus d'un an d'absence, il retrouve enfin sa famille et découvre Jean-Christophe, son fils de 13 mois. (voir fiche détaillée en annexe) Pour ces militaires, l'ennemi n°1 reste l'Allemagne et la situation de l'armistice du 22 juin 1940 semblait à leurs yeux « laisser du temps au temps ». Une majorité est anti- gaulliste, ils se méfient de tous, et espèrent dans les troupes françaises de l'Empire. Mais la politique de collaboration du gouvernement de Laval, sous l'autorité de Pétain, en scandalise plus d'un. Les Accords de Paris, signés en avril 1941 entre Laval et le Reich, autorisent les troupes ennemies à utiliser tous les ports, aérodromes, et voies ferrées de l'Empire pour aller en Afrique et au Proche12 Orient combattre les Britanniques ! Darlan, à Alger donne l'ordre aux troupes françaises de tirer sur les Américains qui débarquent le 8 novembre 1942 au Maroc. Le 5 novembre 1942, le Général Frère et le Colonel Zeller s'envolent pour Alger se placer sous les ordres du Général Giraud dans l'esprit de préparer la reconquête militaire avec les Alliés, sans risque politique étant donnée l'adhésion du Général Giraud aux idées de la Révolution Nationale prônée par les Vichystes. En 1943, B. Metz agent recruteur du réseau 7ème Colonne d'Alsace, (futur Réseau Martial) rencontre à plusieurs reprises ces responsables. Ces « vichyssorésistants » au gouvernement à Vichy, ou à Alger, ne sont pas convaincus qu'il faut armer les civils et sont méfiants vis à vis de l'AS. Cette méfiance est tout autant partagée par le Général de Gaulle à Londres et par les Alliés ; tous craignent d’encourager une guérilla prématurée alors que les groupes FTP d'obédience communiste sont nombreux en zone Sud. Ancel poursuit la quête des armes La situation change pourtant ; dès l'été 1943, des membres de l'AS sont chargés dans toute la zone Sud, donc en Dordogne, de chercher des terrains propices aux parachutages ; des sites éloignés des grandes villes, suffisamment découverts pour être repérés par les pilotes mais proches de bois pour s'abriter rapidement, localisés sur une carte dont les coordonnées sont envoyées par radio aux services de Londres. Bien des futurs maquisards d'Ancel sont occupés à cette mission dont Jean Claus, Alouette ainsi qu’en Auvergne Godefroy Gerhards (voir fiche), par exemple. Pour préparer le débarquement, les parachutages se multiplient au printemps 1944. Fin mars, au campement du château de Chaulnes, «par une belle nuit claire, Ancel quitte le camp avec une équipe ; le lendemain matin nos camarades étalent sur la table bancale une superbe collection de fusils Enfield, de mitraillettes, des Sten mais aussi des américaines, les Thomson, des revolvers Colt et Smith et Wesson, des grenades Gramon et tout un assortiment de matériel de sabotage. ». Chacun dont Sarthois et Montrouge, veut toucher, manipuler et dans la bousculade, Paul Rossé, Moscou (voir fiche) qui tient un revolver chargé, blesse Pauly au cou. « Pauly, évacué s'en tire ; Moscou, vieux briscard est désespéré ». L'hétérogénéité des armes parachutées comme celles qui sont récupérées lors d'embuscades sur l'ennemi rend difficile la fourniture de munitions ; à Vergt, le tenancier du café de la grande place, ex-armurier mis au chômage puisque toute la population civile est censée être désarmée, « arrange » les armes pour que les munitions puissent être utilisées et sa fille « Coco» agente de liaison, circule le long des petites routes pour apporter sa livraison à bicyclette (voir photo p. 35). Le maquis reçoit courant avril deux aviateurs américains dont le Mustang a été abattu près d'Angoulême. Arrivés un soir avec Ancel, ils cherchent à rejoindre l'Espagne, ils sont en transit, accueillis de cache en cache. Les difficultés de langue sont surmontées par les gestes de la vie quotidienne ; trois maquisards essaient de rassembler leurs souvenirs de lycée sans réussir à expliquer ce qu'ils veulent ; c'est vers 19 heures, à la bougie, quand le poste à galène est disposé sur les tréteaux que les aviateurs comprennent que leur aide est nécessaire et miracle vers vingt heures, retentit l'indicatif un peu brouillé de l'émission « Ici Londres, les Français parlent aux Français »; Il faut tendre l'oreille, brouillage par l'ennemi et enfoncement dans les bois perturbent la réception. Les soirées sont longues et sombres en effet au maquis, pas de chants autour du feu de camp comme dans les Chantiers de la Jeunesse organisés par Vichy ; des jeux, devinettes, charades, des récitals de poésie animés par Jean François et Ancel, le tour des informations collectées, des blagues occupent les soirées ; aussi la possibilité « d'écouter le poste » est une bonne surprise. Le chapelet des messages incongrus et saugrenus met de l'ambiance ; Ancel lance un concours d'invention de messages : « l'autruche se tape sur le ventre » provoque l'hilarité et l'agneau réquisitionné et baptisé Turenne est mis à l'honneur par une injonction « en garde Turenne ! » (« garde à vous Turenne », selon J. Poirier). Ce message, transmis par l'agent du SOE Jean-Pierre 13 sera diffusé pour annoncer au groupe Ancel le parachutage le 8/7/44 du Capitaine Marc, Marc Gershel un étudiant strasbourgeois du SOE. (Voir photo). Un autre soir, Sarthois, Montrouge et Olivier inventent la Chanson du Maquis que la BBC diffuse à leur grande fierté en mai 1944, plusieurs fois entonnée dans les bois, à la Libération de Périgueux, et plus tard sous le ciel vosgien. La Chanson du Maquis, quelque part en Dordogne, avril 1944 Refrain En avant jeunes de France Groupons nous, oui, groupons nous Pour hâter la délivrance, La patrie compte sur nous. Les souffrances de nos frères Les angoisses de nos mères Nous donnent le droit suprême De les venger nous mêmes 1 Sur cette terre de misère Nous sommes venus pour souffrir Mais nous les jeunes réfractaires Nul ne saura nous asservir. Ni les menaces ni les crimes N'auront raison de notre foi Assez de sang et de victimes Nous défendrons tous notre droit. 2 On nous appelle fortes têtes, Le bon bourgeois le croit parfois, Car au milieu de la tempête Nous vivons tous en hors- la- loi ; Nous sommes partis sans histoire, Quittant nos parents, nos amis Nous ne recherchons pas la gloire Nous voulons libérer le pays. 3 Tous les maquis disent les traîtres Sont des repaires de bandits ; Joseph Darnand doit s'y connaître Lui et sa horde de nervis. Mais l'on sait que l'armée du crime Que l'on dit cachée dans nos bois N'aura jamais d'autres victimes Que les traîtres emplis d'effroi. Olivier, Sarthois, Montrouge Sur l'air d'une chanson des bataillons disciplinaires d'Afrique, interdite par les autorités militaires comme séditieuses.Chanson diffusée par la BBC grâce à l'instructeur Jean Pierre (SOE), le 26 mai 1944, entendue dans les bois de Durestal, entonnée dans les défilés de libération à Périgueux et Bergerac, chantée dans les Vosges. Travaux pratiques Avec le printemps, les actions de la résistance dans le département s'amplifient. Guy Penaud a comptabilisé les faits dans son Histoire de la Résistance en Périgord (op.cit.) : les vols de cartes d'alimentation dans les mairies ont été multipliés par trois, les attaques contre les lignes téléphoniques et les assassinats de suspects de collaboration par quatre, les attaques de débits de 14 tabac par cinq, les vols de moyens de locomotion par sept, les attaques des caisses publiques (perceptions et bureau de postes) par douze ! Les hommes du maquis Ancel y participent en proportion. Mi-avril, arrive au Moulin du Rosier, un instructeur anglais parachuté du SOE, le Capitaine Jean Pierre. Il parle un français très correct mais son accent épouvantable lui vaut rapidement le surnom de « Tchatteuton » (allusion au ruban adhésif). Convivial, très flegmatique, avec beaucoup d'humour, il enseigne l'usage du plastic, cet explosif mou comme du mastic de vitrier, celui des grenades Gamon qui n'explosent qu'en cas de choc, des crayons allumeurs à retardement et de l'unique bazooka qui leur est échu, seule arme antichars. Moscou qui a l'expérience des combats de la Wehrmacht en Russie, explique que les chars Tigre ont un angle mort et qu'il faut l'utiliser pour échapper à la riposte. Avec son flegme, Jean Pierre entraîne aussi les gars au combat au corps à corps. Le « Plan Vert » en Aquitaine doit être déclenché à la mi-mai ; il consiste à saboter des voies ferrées de façon à ralentir les convois de soldats ennemis et de leur matériel afin de retarder des renforts sur les zones du débarquement. Il doit donc préparer et précéder le « Plan Tortue » qui vise à ralentir les convois de renfort ennemis par route vers les mêmes zones. Ancel choisit le 1er mai de commencer les travaux pratiques. Le site choisi se trouve aux Moulineaux, sur la voie ferrée Périgueux-Bordeaux, où la voie est coincée entre le talus et le cours de l'Isle. A la nuit noire, la petite équipe monte dans la voiture conduite par Ancel; on se perd dans le lacis des routes, sous les bois où on circule phares éteints ; on arrive sur les lieux quand l'aube pointe. La voiture garée sous un appentis abandonné, l'équipe portant le container à matériel chemine sur le chemin qui longe le remblai ; un groupe se place en protection de part et d'autre, Sarthois installe les charges le long des voies, tandis que J. François fixe les pétards et connecte les détonateurs. Tout le monde se retrouve à la voiture et on attend...en vain. Après avoir vérifié l'heure à sa montre, Ancel envoie J. François s'enquérir auprès des requis civils sensés surveiller les voies si le train est en retard ; les gardes, peu rassurés, assurent que le train est passé à l'heure. Le matériel n’a pas fonctionné, les crayons allumeurs étaient mouillés, tout est récupéré, l'équipe file sans demander son reste ! Ancel décide la nuit suivante de réitérer les travaux pratiques ; même scénario, puis l'attente plus nerveuse cette fois ...« la locomotive, annoncée par son grondement arrive et à la grande stupeur de tous continue sa route... je vois défiler les wagons au-dessus de moi et les fenêtres occupées par des soldats encore ensommeillés...nous sommes à quelques mètres les uns des autres mais personne ne réagit, les Allemands trop surpris et nous abasourdis par l'échec de notre dispositif. » raconte Sarthois. De retour au Moulin du Rosier, le dispositif est examiné de près, Jean François avait placé les détonateurs à l'envers ! Cet échec sert de leçon et les sabotages suivants sont réussis. 15 Face à la répression accrue, se protéger La dégradation du contexte militaire pour l'ennemi, le « Plan Vert » mis en action, les actions de guérilla s'intensifiant, la répression s'accroît elle aussi. La Milice depuis janvier 1944 a instauré des cours martiales, sans avocat et la seule peine possible est la peine de mort. En Dordogne, outre la Milice, différentes troupes sont chargées du maintien de l'ordre public dû par le Régime de Vichy et exigé par les troupes ennemies. Les Groupes Mobiles de Réserve GMR sont des gendarmes français ; certains sont noyautés par des résistants qui informent et d'autres comportements sur le terrain indiquent que leur zèle est ralenti par la tournure des événements, ils sont souvent moins combatifs, mais pas forcément moins dangereux. Ainsi Charles Mangold, Vernois a été arrêté par l'un d'eux à un carrefour alors qu'il circulait à vélo le 12 aôut 1944, puis transféré à la Gestapo, interrogé, torturé, fusillé au final. ! Les troupes ennemies sont bien plus redoutables ; à Périgueux du 24 mars au 2 avril 1944, la division Brehmer qui incorpore des Géorgiens, vient renforcer la phalange nord-africaine sous les ordres de Alexis Villaplane, arrivée vers le 20 mars et composée de criminels de droit commun libérés que les Périgourdins qualifient de « Bicots » ; ces forces policières sèment la terreur, les représailles sur les populations civiles sont féroces, on ne fait pas de prisonniers, on pille, on rançonne, on incendie ; après un attentat de FTP près de Brantôme le 25/3/44 contre une voiture d'officiers ennemis, la petite ville de Brantôme est mise à sac le 25 mars et 26 otages ramenés de Limoges y sont fusillés le 26 ; parmi eux le résistant alsacien Jules Ruhfels Rouffignac membre du Directoire départemental AS, arrêté et torturé pendant un mois sans parler ; ensuite le village de Rouffignac est complètement détruit, incendié le 31 mars (G. Penaud op. cit.). Dans un rapport au gouvernement de Vichy, le préfet Popineau indique : « les autorités allemandes ont engagé une lutte sans merci contre les maquis, une lutte sévère et sanglante. Des fermes, des bois sont incendiés, les gens du maquis ou leurs complices sont tués sur les bords des routes...ces événements tragiques créent une atmosphère lourde, pleine d'angoisse. Les gens, à la campagne ou à la ville sont terrorisés... » (Archives départementales 24, cote 1 W 1815 cité dans Schunck op.cit.p.95). Le Gouvernement Provisoire de la République du Général de Gaulle, établi à Alger au printemps 1944 a prévu l'installation de Comités Départementaux de Libération, les CDL, chargés de traquer et punir les collaborateurs afin de protéger la résistance et lutter contre les réquisitions exigées par l'ennemi. Les chefs de maquis sont donc encore plus vigilants quant à la sécurité ; des effectifs croissants permettent des mesures de protection renforcées, les sentinelles sont plus nombreuses de plus en plus en avant des sites de campement, les agents de liaison recrutés renseignent mieux grâce aux planques plus fréquentes ; chacun est responsable de la sûreté des effectifs qu'il recrute ; ainsi fin mai, Gandouin Zaguoin rejoint avec sa centurie Valmy de Brantôme le site de Durestal, et assure Ancel de la confiance qu'il a en ses hommes. Parallèlement, l'ennemi pratique l'infiltration ; début mai 1944, sur le site de la scierie des Planches, alors que le maquis est harcelé par les GMR et la phalange nord-africaine, une nouvelle recrue est rapidement soupçonnée de jouer double jeu ; Ancel, après quelques jours d'observation, est persuadé d'avoir à faire à un milicien ; il en réfère à l'AS qui en conseil de guerre requiert l'exécution, la sécurité de tous étant menacée. Après la Libération, Ancel et les chefs de l'AS rendront compte à la Justice de cette exécution et le procureur de Périgueux, plus tard, attestera à l'occasion d'une autre enquête que le nom du milicien M. figurait bien sur une liste d'un membre de la Gestapo. En juin, un commando du maquis est chargé de l'arrestation dans un château proche de Villamblard d'un collaborateur notoire qui reconnaît les faits, s'en explique, et condamné à mort par le conseil de guerre AS, meurt dignement au poteau d'exécution. Dans le récit de Sarthois et Montrouge, récit authentifié par Ancel, trois exécutions à mort sont citées. 16 Libérer des camarades arrêtés ? Un coup de main risqué L’exfiltration des agents de liaison Jean Claus Alouette et André Bord le Bronzé a donné lieu à plusieurs récits dans les bulletins de l'Amicale des Anciens de la BIAL et ailleurs. Les acteurs de l'aventure en ont donné une version sobre, sous la plume de Jean Claus en 2011, versée aux archives du Comebal ; c'est cette version que nous présentons ici. « Je rejoins en avril 1943 le groupe de A. Bord le Bronzé et Raymond Winter Raoul avec une fausse carte d'identité fournie par A. Bord... Je suis chargé par Ancel de repérer des sites de parachutages, de missions de liaison... Début mai 1944, nous logions, Bord, Schneider, Winter et moi dans une bergerie entre Chalagnac et Vergt où je m'exerçais parfois à être cuisinier... Avertis d'une patrouille de miliciens et GMR dans le coin, le 10 mai 1944, nous quittons la bergerie tôt matin et vers midi, devant l'apparent calme, nous y revenons...Soudain, comme nous contournions l'angle de la bergerie, une longue rafale de fusil mitrailleur nous cloue, Bord et moi, au sol tandis que Schneider et Winter arrivent à s'éclipser. Nous sommes faits et brutalement embarqués sur un camion encadrés de GMR et de miliciens,... heureusement, à Rossignol, le cafetier, ex gendarme, a vu le convoi, m'a repéré sur le camion et ainsi notre arrestation a pu être diffusée. Nous sommes prisonniers à la caserne des GMR au quartier Saint-Georges de Périgueux ». Les conditions de détention sont assouplies chez les GMR puisque les deux prisonniers, couchés sur la paille dans une cave, sont laissés ensemble et peuvent discuter en alsacien. La nuit est plus difficile puisque des miliciens éméchés viennent se dégriser « en gratifiant les prisonniers de coups de trique et de poings ». Pendant les trajets, traversée de la cour pour rejoindre les toilettes avec un garde, en voiture lors du premier transfert au siège de la milice le lendemain, Claus examine soigneusement les lieux envisageant une possible évasion. L'interrogatoire par trois miliciens est brutal mais Claus peut justifier son refus du STO par son expulsion d'Alsace par le Reich ; « il tient en mains mes papiers de la marine, me dit qu'ils ne valent plus rien et me demande ce que je faisais là où j'ai été pris ; je réponds que j'étais cuisinier ». L'interrogatoire de A. Bord, plus brutal et menaçant, se conclut par l'annonce d'une condamnation à mort devant la cour martiale de la milice à Limoges. Revenus le soir en cellule, ils mettent au point leur défense et concluent qu'« ils ont été brutaux jusqu'à maintenant, nous ont laissé mijoter hier et que le plus dur reste à venir. » Au cours du transfert au siège de la milice, les prisonniers ont repéré Jean Austin qui planque et les a vus dans la voiture. « Le lendemain après midi, engagés dans la cour pour aller aux toilettes, je vois deux énergumènes sortir du poste de police en hurlant « amenez nous Claus et Bord ! » ; notre gardien nous demande nos noms et s'exécute en nous poussant vers eux ; nous reconnaissons alors Jean Austin et Raymond Winter déguisés en miliciens ! Ils nous empoignent, nous bousculent durement, crient et nous passons devant le chef de poste médusé. Dehors au volant d'une petite voiture noire, Guy Austin, à ses côtés un grand gaillard béret au gamma sur la tête, salue Winter, ouvre la porte arrière et tous quatre nous nous engouffrons dans la voiture...qui ne démarre pas. Le GMR de faction la pousse et enfin elle démarre !. Nous nous arrêtons quelques rues plus loin où les frères et sœurs d'Austin nous attendent avec des bicyclettes ; nous abandonnons la voiture, et franchissons la voie ferrée pour nous engager dans les bois vers Atur. » Les rescapés rejoignent le maquis Ancel où « le patron » très réticent à cette exfiltration n'avait pas donné son accord mais félicite néanmoins tous les acteurs de ce « beau coup de main risqué». 17 Enfin, cela bouge ! Fin mai, le camp de Durestal, le « camp nègre » (voir p 10) s'organise avec deux points d'appui dans un rayon de 15 km, le bourg de Vergt où la pharmacie de Madame Boubaud est une boite aux lettres précieuse et Saint-Alvère où Solange Granjean, la télégraphiste de l'hôtel « La Boule d'Or » prévient des mouvements sur la route grâce à un téléphone relié par un fil qui court d'arbre en arbre aux avant-postes du camp. La visite du colonel Berger Les premiers jours de juin, « un matin, notre lieutenant arpente le sentier de concert avec un grand type encore jamais vu ; il est vêtu d'une canadienne délavée, d'une culotte de cheval...coiffé du traditionnel béret...lancé dans une conversation dont il semble mener le fil en agitant la cigarette qu'il tient entre ses doigts » raconte Sarthois ; « puis Ancel ordonna un rassemblement pour nous présenter celui qui devait devenir notre grand patron, le colonel Berger dont nous ne sûmes que bien plus tard qu'il s'agissait d'André Malraux. Très peu d'entre nous, à part Ancel connaissaient sa carrière et son œuvre, mais il suffisait de le voir quelques instants pour comprendre quelle force intérieure habitait cet homme...nous avons été attentifs aux quelques phrases qu'il a prononcées ce jour là ; c'était des mots simples...des mots s'adressant à des hommes et aussi à des jeunes gens qui allaient le devenir très vite » ajoute Montrouge. La première rencontre de Berger et d'Ancel a eu lieu les premiers jours de mai. Toujours à la recherche d'armes, Ancel s'enquiert auprès de Jean-Pierre, instructeur du SOE des parachutages promis ; ce dernier l'accompagne alors à « un PC interallié » installé au château d'Urval près du Bugue. Ils s'y rendent un soir et Ancel se présente, chef d'un maquis AS regroupant plus de 200 hommes dans le but de libérer le département ; cela n'a rien d'exceptionnel, c'est le but de tous les maquis de la Dordogne , mais il ajoute qu'il est membre d'un réseau de résistance d'AlsaciensLorrains qui ont pour but ultime de rentrer en libérateurs dans leur « petite patrie ». Malraux qui a choisi le pseudo de Berger, car il s'écrit de la même manière dans la langue de Goethe et dans celle de Hugo, nom du héros alsacien du roman qu'il vient de terminer, «Les Noyers de l'Altenburg » dresse l'oreille. Jusque là, Malraux a répondu à tous ceux venus le solliciter de les rejoindre dans la résistance, « avez-vous des armes ? ». C'est la guerre qu'il veut faire et non plus défendre des entreprises mal conduites ; les défaites en Espagne et celle de juin 1940 en France lui ont laissé un goût amer. Son demi frère Roland, du réseau Buckmaster (SOE) a été arrêté quelques semaines plus tôt, il sait par lui ce qui se passe en Dordogne et il a l'ambition de coordonner les différents maquis, s'appuyant sur le réseau SOE de la région. Ancel plus jeune que lui d'une quinzaine d'années doit lui aussi dégager énergie et conviction, il lui présente un horizon plus ambitieux que « les bords de la Dordogne et sa verte douceur »...Berger promet des armes et demande à venir voir le maquis. Ancel a reconnu Malraux dont il a lu les œuvres La Condition Humaine et L'Espoir avant guerre ; il sait son engagement antinazi dès 1934. Dans les premiers jours de juin, avant l'annonce du débarquement allié, Malraux se rend à Durestal et propose à Ancel d’assurer la protection d'un parachutage près de Domme. Ancel ordonne le rassemblement pour le lever des couleurs, au son d'une Marseillaise chantée par tous, et « voilà Berger qui salue le drapeau le poing levé » ; Ancel raconte à Lacouture ce geste inhabituel dans un maquis AS et l'effet des paroles prononcées sur ses hommes et lui même. (J. Lacouture, op. cit. p. 285). Des armes parviennent dans la première quinzaine de juin. Le camp que découvre à son retour Sarthois le 7 juin a bien changé ; « celui ci est devenu une sorte de citadelle. Un grand nombre d'hommes armés portant des uniformes variés, parcourt les sentiers et mes anciens compagnons sont perdus dans la multitude. » 18 Le « Plan Fer » est activé pendant les deux mois qui suivent et le maquis y prend sa part Les réquisitions se poursuivent afin de constituer un parc de véhicules permettant la mobilité des hommes. Le 7 juin, un commando part récupérer à Périgueux une ambulance des SapeursPompiers complices et de l'essence ; dans une attestation de services maquis signée par Ancel en 1975 à l'un des maquisards qui fut à Durestal, on lit : « 7/6/1944, coup de main sur la caserne des Sapeurs-Pompiers et essence ; accrochage avec une patrouille de feldgendarmes ». Racontée le soir même à Sarthois, venu annoncer la nouvelle du débarquement au camp et prendre des nouvelles de son frère Montrouge, l'expédition se transforme en « odyssée » de Titi (Bernard Malherbe) ; « la première partie du programme se déroula sans incident et l'ambulance, conduite par un sapeur, prit le chemin des faubourgs ; son chauffeur, pas trop rassuré, manifestait des signes de panique en dépit des encouragements prodigués par mes camarades,... Titi...eut la malencontreuse idée de faire prisonnier un brave feldgendarme qui sirotait tranquillement sa bière à [une] terrasse...Titi alla...pointer son revolver sous le nez du malheureux...l'Allemand n'opposa aucune résistance et embarqua dans l'ambulance, ...Titi le désarma d'un petit revolver...puis l'Allemand reprit courage, commença à se débattre et ...Titi réussit ...à le basculer hors de la voiture...sitôt à terre, l'Allemand se mit à crier pour alerter ses compatriotes qui ouvrirent le feu sur les fuyards...Ancel accueillit fraîchement le récit de l'exploit et enjoignit... à Titi d'aller seul à Périgueux chercher le bidon d’essence [oublié dans l'affaire]». L'initiative indisciplinée de Titi mettait en jeu la réussite de l'expédition et la sécurité de tous, même si l'issue fut sans conséquence « En visitant les installations, j'ai admiré le parc auto, installé dans une clairière en bordure des prés qui nous séparent de la route de Saint-Alvère ; il y a là une soixantaine de véhicules depuis le car de gendarmes jusqu'à la fameuse ambulance ! » Sarthois Dans des attestations de présence au maquis et d'action combattantes, rédigées en 1947 à la demande du Ministère de la Défense en vue de reconnaître la qualité de résistant des impétrants, Ancel écrit : « le 8 juin à Rossignol, la section Innocenti et une autre sous les ordres d'Ancel accrochent très tôt le matin une colonne allemande accompagnée de miliciens, la colonne s'éparpille mais les miliciens poursuivent les retardataires dont Montrouge qui en abat plusieurs au fusil mitrailleur. Les maquisards rentrent sains et saufs. » Le 12 juin en catastrophe, Ancel envoie Montrouge avec l'unique bazooka et un chargeur, Gérard, en renfort d'une section FTP à Eglise-Neuve-de Vergt à 20 km de Durestal. La mission consiste à bloquer trois chars Tigre qui ont quitté Périgueux, se dirigeant vers Lalinde et Bergerac ; il faut les neutraliser avant qu'ils atteignent le gros bourg de Vergt pour éviter les massacres de civils qui se multiplient et protéger les arrières du maquis. Au rendez-vous, point de FTP ; peu après arrivent trois chars, qui passent à travers les vignes droit sur l'église où ils coupent les moteurs. Les deux hommes s'en approchent, observent et vont se poster avec le bazooka au dessus de la route. Le chargeur introduit la fusée, établit la connexion électrique. On entend les chars qui redémarrent. « Dès que le nez du premier char apparaît, je presse la détente, voit une grande lueur, entend un bruit impressionnant, le recul me surpend et je rate le char ! les chars accélèrent en direction de Vergt...quelques minutes après, les chars ont fait demi tour et reviennent...je camoufle le bazooka dans une haie. Nous filons à travers un champ de blé en rampant cependant que les balles de mitrailleuses sifflent. Ce qui nous sauve, c'est qu'ils sont trop près de nous et gênés par des angles morts...enfin on atteint la vigne puis la forêt. » Cachés derrière les troncs, Montrouge et Gérard voient passer les trois chars qui rebroussent chemin vers Périgueux. « Il faut rechercher le bazooka camouflé dans la haie avant de déguerpir et trouver des vélos pour rejoindre sans bruit notre base ! ». Arrivés à Vergt, ils sont fêtés par la population ; les nouvelles vont vite à la campagne, il paraît que si Montrouge a raté le char, il a tué le chef de char dont le buste émergeait !.. 19 Message d'Ancel à son épouse du 22/6/44, (Archives privées Ancel) Acte de décès des trois morts du Grand Castang (Archives privées Ancel) 20 Il faut préciser que c'est la première fois que Montrouge tirait une fusée avec ce « tuyau de poêle » qu'il n'avait jusque là manipulé qu'à blanc. Pendant ces trois semaines de juin, c'est un autre maquis qui vit et combat, emblématique du tournant de juin 1944. Fin mai, Ancel est rejoint à sa demande par son ami de longue date Adelphe Peltre, Adelphe ; celui ci avait repris en avril la mission de Gustave Houver, arrêté, jusqu'à l'arrivée en Dordogne de Georges Bennetz, Guéry, recruté par Bernard Metz. L'annonce du Débarquement le 6 juin et l'appel du Général de Gaulle à la BBC précipite jusqu'à 800 volontaires sur le site de Durestal. « J'ai huit cents poussins à nourrir, la production bat son plein et je n'ai plus de grains » écrit Ancel à son épouse le 15 juin dans un message codé que porte Adelphe son adjoint. La sûreté de tous est mise en cause ; on manque de nourriture et d'armes. Le 21 juin, c'est de Durestal que part la centurie menée par Innocenti vers le Grand Castang, appelée en renfort d'autres groupes. Cette fois, il s'agit d'accrocher le groupe de combat Bode, l'unité de reconnaissance de la 11ème Panzerdivision, arrivée à Bergerac le 19 juin. Des combats acharnés l'ont le matin même affrontée aux groupes résistants AS et FTP de Mouleydier et Pressignac à la sortie de Bergerac. Le bilan établi par les Renseignements Généraux est impressionnant : 170 maisons sur 200 sont incendiées, 19 tués à Mouleydier, 43 à Lalinde, 150 jeunes maquisards fusillés à Préssignac-Vicq selon leur rapport (G. Penaud op.cit. AD24 1 W 1815). La section Innocenti affronte l'ennemi après ces massacres. Montrouge, à qui Ancel a confié depuis le début l'unique bazooka, est cette fois accompagné du chargeur Titi. « On les avait amenés en toute hâte, vers midi à un croisement de route qu'ils avaient mission de verrouiller ; à peine arrivés, ils avaient entendu les moteurs. On attendait des chars Tigres et voilà que c'étaient des chenillettes, munies certes de canons de gros calibre ; Innocenti et Ancel avaient interdit de tirer au bazooka sur ce menu fretin, les fusées du bazooka étant comptées. Que faire ? » Les chenillettes arrivaient rapidement. Titi avait déjà introduit la fusée dans le bazooka...Montrouge appuya sur la détente...rien ! C'est la deuxième fois qu'il utilise l'arme ! Il tire à nouveau en oubliant de rectifier son tir ; la fusée atteint alors une chenillette dans la colonne au lieu de la première qui devait immobiliser le convoi. Stoppant sur place, avec une rapidité incroyable, les ennemis aguerris dirigent dans leur direction un feu nourri tandis que les autres engins se dispersent en éventail dans les prés cherchant à repérer et anéantir les fusils mitrailleurs qui tiraillaient dru. Innocenti donne l'ordre de décrocher « ne restez pas là, avancez en vous distançant » crie l'adjudant qui savait la leçon de la guérilla, agir, attaquer et décrocher rapidement. Comme Montrouge se redresse, il ressent une soudaine brûlure ; sautant d'un rocher, il se casse la cheville...Au bout d'une heure, ils arrivent à une ferme où un vieux paysan panse la cheville à coup de gniole et d'une bande bien serrée ; mais ils avaient perdu la section...Le silence était revenu sur un paysage où une ferme brûlait ; ils empruntèrent au paysan le cheval et sa charrette et retournèrent au champ de bataille chercher les blessés et les morts. Ils trouvèrent la dépouille de Moscou qui leur avait enseigné les angles morts des chars Tigre et qui avait attaqué la première chenillette à coup de grenades avant qu'une mitrailleuse ne l'ait fauché, puis deux autres tués ; ils ramassèrent avec d'infinies précautions deux blessés, Jean et le grand Vic qui s'en sortiront. Ils se dirigèrent vers le village de Grand Castang et retrouvèrent leur section devant la Mairie. Innocenti, le baroudeur au courage et à la volonté de fer, ne put cacher son émotion en voyant arriver les deux camarades et leur sinistre convoi. Le maire décida que les trois morts seraient inhumés dans le cimetière du village, Ancel et une délégation du maquis s'y rendirent le lendemain. La riposte ne se fait pas attendre. Le 24 juin, en début d'après midi, le groupe de combat Bode prend la route de Saint-Alvère, une colonne d'une vingtaine de véhicules, et investit le bourg, positionnant deux automitrailleuses à des points stratégiques ce qui laisse supposer que l'ennemi était bien renseigné voire même guidé ; tout ce qui semble suspect est mitraillé. 21 Toujours bien renseigné, un groupe allemand pénètre dans l'hôtel de la « Boule d'Or », arrête la téléphoniste de la poste Solange Grandjean pour l'interroger et après avoir pillé l'hôtel l'incendie au lance-flammes. L'incendie se propage activé par un vent violent. La colonne quitte le bourg en direction de Durestal. Georges Rougemont, habitant le moulin de Durestal sur la route, apercevant la colonne fuit par les bois, aide les trois blessés du maquis à évacuer l'infirmerie installée dans la maison des Chattes, dont Vilatte blessé le 21 juin, et un autre blessé aux deux genoux qui ne peut marcher et qu'il prend sur ses épaules pour les mener aux avants postes du maquis Ancel ; ils y trouvent le sergent Le Bail, armé d'un fusil mitrailleur qui donne l'alerte au camp. (Extrait de la plaquette Fernand Sabouret, Devoir de mémoire, souci de vérité 1939-1945) Sarthois, venu de Trémolat prendre des nouvelles de Montrouge blessé le 21/6, raconte : « Tous les gradés sont appelés, chacun reçoit sa consigne tandis que l'ordre de s'enfoncer dans les bois est diffusé. Ce fut une après midi d'enfer et il faut louer le sang froid et la lucidité d'Ancel qui organise la retraite sans que nous ayons à déplorer un mort ni blessé...150 d'entre nous seulement sont armés. Pendant que nous reculons sous les futaies, le feu avance. Sous la conduite de Titi, une équipe dégage les véhicules à la main, par prudence et pour économiser l'essence ; les autres se réfugiant dans les bois, emportent ce qu'ils peuvent de ravitaillement et de matériel. Aidé de Popaul, jeune frère d'Ancel, je confectionne une civière, deux perches passées dans les manches de deux vestes pour transporter Montrouge qui ne peut marcher. Heureusement, les Boches avaient une trouille bleue de s'aventurer dans les bois et ne connaissaient ni notre nombre ni notre armement. A la tombée du jour, l'ennemi lève le siège... » Tous ces récits de combats de guérilla, sobres dans les attestations écrites par Ancel 30 ans plus tard ou plus détaillés avec un ton d’épopée à travers les témoignages de Montrouge et de ses camarades, illustrent plusieurs traits communs aux tactiques des maquis. Face aux unités allemandes, très bien équipées, aguerries par la guerre menée sur le front russe dont ils utilisent les méthodes, que peuvent ces escouades de garçons dont la majorité n'a pas fait de service militaire, dont l'armement est certes plus important en juin qu'en mars, mais qu'ils n'ont pas eu le temps ni l'occasion de prendre en main et qu'ils expérimentent dans le vif du combat ? Le courage, le culot voire l'inconscience du danger ne compensent pas le déséquilibre des forces. Aussi plus encore que dans les combats traditionnels, ils sont toujours « Fabrice à Waterloo », ne comprenant rien aux tenants et aux aboutissants de la situation, dans la fureur des tirs ; d'autant que les renseignements ne sont pas toujours exacts et les renforts annoncés parfois absents. Cependant, l'ennemi les craint et c'est cela l'objectif : les maquis doivent harceler les unités ennemies pour les ralentir, les inquiéter, renverser le rapport de force et inquiéter aussi les Français collaborateurs, en particulier les miliciens. Au prix souvent de massacres y compris parmi les civils. Le 26 juin au soir, près de Journiac, Ancel obtient enfin ce qu'il demande depuis quinze jours aux chefs de l'AS, la dispersion du maquis en groupes de douze hommes dans les bois afin qu'ils puissent se cacher, se nourrir, et attendre que les combats de guérilla puissent reprendre. « Dans les yeux d'Ancel il y avait ce soir là, une infinie tristesse » écrit Montrouge dans ses souvenirs ; il devait y avoir aussi beaucoup d'inquiétude. Cette dispersion chèrement obtenue, explique la difficulté de situer tous les refuges sur la carte pendant le mois de juillet. Ancel dont la dénonciation a été mise à prix sur des affiches placardées à Périgueux, change d'abri tous les deux soirs, les alertes sont fréquentes. Le 8 juillet, la sentinelle, le jeune Reghem Ch'timi, donne l'alerte, l'ennemi est sur leur trace, à la Borie ; ce faisant, il sauve l'équipe autour d'Ancel mais il est blessé puis sauvagement massacré avant d'être achevé. A la merci d’une traque ou d'une dénonciation les centuries Verdun, Valmy à la Taillandière près de Veyrines de Vergt, sont dispersées. 22 La stèle à la mémoire de Jean Réghem, à un km. A l’ouest de Cendrieux (Photographies Comébal) Vers la libération Le maquis est maintenant dispersé dans un cercle d'environ 15 km de diamètre autour de Vergt, par petits groupes d'une dizaine de maquisards qui sont contactés chaque jour pour les opérations. Deux parachutages très importants sont organisés dans le Sud-Ouest de la France.(région R5) L'action du SOE, leurs rapports plus convaincants à Londres, les demandes du colonel Berger appuyé à partir du 9 juillet par le commandant Jacquot ont peut-être eu de l'effet ? Toujours est-il que le 14 juillet 1944, jour de la fête nationale, en plein jour à midi, sur le plateau du Causse de 23 Loubressac dans le Lot, comme en Corrèze sur le plateau de Moustoulat près d'Argentat, pendant six heures d'affilée, plus de deux cents forteresses volantes larguent les containers sur des terrains balisés depuis des semaines par les maquis. Ancel et ses hommes sont chargés avec d'autres groupes AS de Dordogne dont le groupe Roland, de chercher à Moustoulat les containers destinés aux forces FFI du département. Il a confié la responsabilité du maquis à son second, Adelphe son condisciple et ami. Partis de nuit avec les camions, sur les petites routes, ils sont à pied d'oeuvre en fin de matinée le 14. Ancel sait qu'il doit contacter Hervé, un des chefs AS de Corrèze. Quand les deux hommes sont face à face, ils se reconnaissent et tombent dans les bras l'un de l'autre : Hervé est un officier d'active qui fut le supérieur d'Ancel à Saint-Cyr en 1937 lors de son service militaire et son témoin de mariage ! Ancel lui fait part de ses responsabilités et du projet de libération de l'Alsace-Lorraine. Parachutages du 14 juillet 1944, Moustoulat, (Photographies Comébal) 24 Tous ne sont pas partis sur les lieux des deux parachutages. Les chefs de l’AS de la Région 5 ont choisi avec bon sens et souci politique de faire un amalgame des groupes et des chefs en qui ils ont toute confiance, accompagnés chacun d’une partie seulement de leurs troupes. Aussi le 14 juillet 1944, des hommes restent sur place et célèbrent la fête nationale, instituée par la République en 1885, dont l’occupant a interdit la célébration depuis l’occupation de la zone sud. En attendant « le jour de gloire », les citoyens que sont la majorité des maquisards entretiennent ainsi l’espoir de la Libération que ces parachutages favorisent. Mais l’euphorie du retour des containers est vite douchée par la triste nouvelle du massacre du groupe Rasquin à Martel. Stèle du lieu-dit Martel, commune de Marsaneix, (Photographie Comébal) Paul Albert Bouboul (Photos confiées par ses enfants au Comebal) 25 Le pire arrive au lieu dit Martel sur la commune de Marsaneix ; le 18 juillet au petit matin le groupe Rasquin est cueilli par des soldats allemands guidés au plus profond des bois par des miliciens. La sentinelle est neutralisée, dans la grange où ils dorment les hommes sont durement extirpés de leur sommeil, alignés contre le mur puis fusillés ; un seul rescapé, le jeune Paul Albert, Bouboule qui a raconté le sinistre piège Une altercation quelques jours avant ce matin fatidique avec des paysans voisins qui rechignent, par peur ou opposition à fournir un peu de ravitaillement, a provoqué la dénonciation. Paul Albert, Bouboul, mosellan , incorporé de force par les Nazis, déserteur, qui comprend l'allemand, saisit l'urgence des ordres prononcés par l'officier à ses soldats et tente le tout pour le tout ; au lieu de se ranger contre le mur, il crie « suivez moi ! », fonce en zigzagant entre les rangs de vigne, et gagne le bois tout proche quelques balles sifflant autour de lui. Blessé au bras mais sauvé, il rend compte du drame à Adelphe. Les habitants de Marsaneix, guidé par leur maire Monsieur Boissavy vont chercher les neuf fusillés, qui sont inhumés avec les honneurs en présence du maire, du curé, d'Adelphe et de leurs compagnons. Un conseil de guerre réunit le soir même, maire, curé, maquisards, Adelphe et confond les délateurs : les billets de la prime de délation sont encore sur la cheminée de la ferme, ils reconnaissent les faits, sont condamnés à mort et fusillés. Le train de la Banque de France à Neuvic/Isle, le hold up de la Résistance. La seconde mission a alimenté longtemps rumeurs et récits fantaisistes. Le directeur de la Banque de France de Périgueux informe les chefs AS, pour se dédouaner ?, qu'un convoi de billets de banque allait quitter nuitamment l'établissement la nuit du 26 au 27 juillet pour mettre ce trésor en sûreté à Bordeaux. Le « hold up » est confié, parmi d'autres groupes dont le groupe Roland, au maquis Ancel. C'est Gandouin, Zaguoin, chef de la centurie Valmy qui est pour le groupe Ancel chargé de l'attaque du train à Neuvic/Isle, lieu choisi car la gare est à l'extérieur du bourg (voir carte des combats) ; dans ce groupe, Ancel, Zaguoin et Adelphe sont les seuls au courant du contenu des sacs ; parallèlement Ancel et Adelphe organisent le contrôle en amont et en aval des carrefours routiers avec commandos armés afin de stopper les éventuels renforts ennemis. Le camion BATA est de service pour charger le butin du fourgon aux bois ; toute la nuit les sacs sont transportés à dos d'hommes par les sentiers, inaccessibles aux camions, jusqu'au PC de Cendrieux qu'Ancel rejoint en fin de matinée ; il y trouve Francine et ses adjoints comptant les liasses de billets ; un seul sac a été ouvert sur le lieu même de l'opération pour en vérifier le contenu, une seule liasse manque. Ce butin de 150 sacs contient 2,28 milliards de francs 1944. Francine l'intendant de l'AS gère une partie du butin, qui a permis d'acheter du ravitaillement, de l'essence, de subventionner des familles de maquisards, d'acheter des renseignements, des armes, comme ce fut fait ailleurs dans d'autres départements et in fine des camions gazogènes pour le Bataillon Strasbourg de la BIAL. En moins de quinze jours, deux hauts faits de la Résistance de Dordogne auxquels les hommes du maquis Ancel ont heureusement participé, voilà de quoi remonter le moral de tous ! Sur les photos prises dans les bois fin juillet et début août par ces jeunes gens, leur fierté s'affirme, ils exhibent les armes distribuées, foin de la sécurité ! Ils posent déjà en futurs vainqueurs dans une image de virilité revendiquée, chèrement acquise, et nourrie des images vues aux actualités cinématographiques de la guerre d'Espagne ou des films de propagande ennemis. Savent-ils que leur patron, le colonel Berger, a été blessé et arrêté et qu'il est prisonnier à Toulouse ? Ancel le sait, il en discute avec Bernard Metz lors d'un rendez-vous les 28-29 juillet près de Cendrieux, alors qu’ils se rendent au Bugue envoyer un nouvel appel à Londres pour demander l’envoi d’un chef pour la future unité militaire d’Alsaciens-Lorrains . 26 Photo confiée par André Peynichou, datée de début août 1944, légendée par ses soins. Fin juillet, les chefs des centuries recrutées par Houver se regroupent sous l’autorité d’Ancel pour affronter les combats de la Libération, selon l’engagement des membres du Réseau Martial 27 d’aider à la libération des départements refuges. Cette unité est baptisée Légion Alsace-Lorraine par les chefs (souvent confondue dans la mémoire et les témoignages des maquisards avec la BAL). Enfin les combats de libération des villes Pourtant les combats pour libérer la région vont encore être meurtriers ; autour de Périgueux, Ancel prépare avec ses adjoints chefs de centuries le harcèlement des troupes qui risquent d'apporter des renforts aux garnisons de Périgueux. Des Cosaques, dépendant du général Arndt, arrivés à Périgueux le 8 août 1944, (le 360e régiment de grenadiers cosaques) investissent le sud de la région de Bergerac le 11 août 1944. Cette unité entreprend des reconnaissances aux environs de Périgueux, en particulier à Châteaul'Evêque le 14 août, Atur, Chancelade, Coursac, Puy de-Fourches le 15. Elle quitte la région le 16 août à bord d'une douzaine de camions. (Guy Penaud, Les troupes d'occupation en Périgord de 1942 à 1944 (11 novembre 1942-25 août 1944), B.S.H.A.P., Tome CXXVI, 1999). La centurie Bir-Hakeim, créée par Charles Mary, strasbourgeois, a rallié le maquis Ancel et affronte ces Cosaques le 15 août à Atur ; le combat se solde par de nombreux tués dont Charles Mary lui même, blessé en sortant de son PC, il est achevé d'une balle dans la tête. L'ennemi ne fait pas de prisonniers... Entre le 17 et 19 août, l'étau se resserre autour des garnisons, le maquis Ancel est chargé de harceler les troupes ennemies qui cherchent à quitter la ville ; le pont de Cerf est miné, les carrefours gardés ; les FTP se réservent la libération interne de Périgueux. A Saint-Astier, au Pizou et jusqu'à Mussidan, les maquisards harcèlent les troupes ennemies. Avant de quitter la ville, le 19 août, l'ennemi prend le temps de fusiller ses prisonniers détenus à la caserne Daumesnil, dont Charles Mangold Vernois, chef de l'AS centre Dordogne, Fernand Flieg contremaître à l'usine Bata et un médecin de Clairvivre Lucien Schiffmann. D'autres otages pris parmi les habitants de Périgueux sont traînés sur le cours Montaigne et assassinés. Photo fournie par Jean Claus (voir fiche), par lui datée de fin juillet 1944 et localisée à Durestal 28 « Ancel à Guéry Tous renseignements concordent pour affirmer départ imminent (de l’ennemi) ou déjà amorcé. Les routes en direction de Bordeaux sont donc les plus intéressantes et il y a lieu de prévoir sans démolir dispositif actuel une formation en profondeur et interdiction de route D4. Vous êtes affaibli sur la D4 (itinéraire très utilisé) par le fait que vous avez disposé de la section Malmory en appui de St Astier. Je remplace sur son ancien emplacement la section Malmory par une section de réserve de Marcel que vous prendrez en subsistance vu son éloignement de ses bases. Dès que vous aurez récupéré Malmory, rendez compte afin que je puisse disposer de la section Marcel (n’est pas urgent) Gandoin me signale que la Gestapo part ce soir par D4. Etes appuyé par 4 FM 1 1 Prat (bazooka) et minage au Pont du Cerf. Votre section des Embois (?) pourra tirer sur les avant-garde. Valmy se réserve sur le gros de la colonne. » 19/8/44 17(h)50 p.o. Lt Adelphe » Billet d'ordre signé Adelphe, (Archives Ancel) 29 Le 20, c'est le défilé dans Périgueux libéré sous un soleil chaud et la Légion Alsace-Lorraine défile fièrement sur les boulevards, mêlant Alsaciens-Lorrains et Périgourdins dans la joie grave et émue de l'achèvement de cette première bataille. Tandis que les jeunes troupes sont encasernées au quartier Bugeaud, l'ancienne caserne du 26 RI où certains d'entre eux s’enrôlèrent avant 1942, l'Etat-major s'installe à l'hôtel Fénelon . ème Sarthois écrit « nous gardons le dépôt d'essence Desmarais que convoitent les FTP installés dans un grand immeuble sur le cours… 30 Nous retrouvons, à la sortie de la ville en direction de Tulle un grand charnier, les corps des 45 victimes des troupes nazies y sont jetés pêle-mêle avec des chevaux...Le 28 août, je suis de garde d'honneur sur le cours devant le palais de justice où les cercueils sont alignés ; le soleil d'août accentue l'odeur pestilentielle qui se répand dans l'air surchauffé...les hommes tombent comme des quilles, et moi en dernier ». Le temps du maquis, de la clandestinité, est terminé ; quelques jours de caserne entrecoupés de baignades dans l'Isle, de chahuts les soirs sur les cours, d'amitié insouciante entre les jeunes maquisards font une grande permission avant le départ pour le Nord-Est. C'est l'été, il fait chaud, ils sont en short et espadrilles, tenue des jeunes gens de l'époque, mode des Chantiers de Jeunesse mais aussi des mouvements et des auberges de jeunesse d'avant guerre. L'Etat-major de la Légion Alsace-Lorraine négocie, quant à lui, son départ pour la seconde partie de son combat. Marie-Noèl Diener-Hatt, 27/10/2016 31 32 Annexes – Fiches biographiques Nous présentons ici les fiches biographiques de quelques-uns des hommes qui ont été les acteurs de la génèse de la Brigade AlsaceLorraine, en Dordogne. Ce ne sont bien sûr que les fiches de ceux pour qui nous avions suffisamment d’informations fiables ; la liste n’est donc en rien exhaustive, d'autres sont en préparation. Elle pourra être complétée si d’autres informations nous sont fournies, appuyées sur des sources et témoignages raisonnablement fiables. Ces courtes biographies éclairent beaucoup les motivations, les solidarités à l’œuvre, et le parcours souvent hasardeux de ces jeunes gens, dont les plus âgés ont de vingt-cinq à vingt-huit ans lorsqu’ils s’engagent. Georges Bennetz, Guéry André Bord, Le Bronzé Théodore et Jean Claus, Alouette Antoine Diener, Ancel Ferdinand Diener, Ferdy Paul Diener, Popaul Famille Gerhards, dont Godefroy Gustave Houver, Christophe Adelphe Peltre, Adelphe Les incorporés de force : Paul Albert, Bouboule, les incorporés de force Paul Rossé, Moscou Georges BENNETZ (Guéry) (1915 – 1944) Né le 23 février 1915 à Mulhouse, il est engagé dans les Eclaireurs Unionistes dont il est chef de clan en 1939. Célibataire, officier de réserve, il est mobilisé en 1939 ; il se retrouve à Marseille l'été 1940, et exprime son opposition au nazisme par son refus de retourner en Alsace annexée, germanisée et nazifiée. Son expérience du scoutisme le conduit à prendre des responsabilités au commissariat régional des Chantiers de Jeunesse, structure d'encadrement de la Jeunesse du Régime de Vichy autorisée par les clauses de l'Armistice pour « régénérer la jeunesse française », politique nécessaire aux yeux des responsables français de la Révolution Nationale promue par le Régime de Vichy. Cette structure est le lieu où sont envoyés les jeunes réfugiés alsaciens-mosellans et leurs aînés quand le Service du travail obligatoire (STO) est instauré. En effet les réfugiés d'AlsaceMoselle en sont exemptés jusqu’au printemps 1944. Comme les Ecoles de formation des Cadres, les Chantiers de Jeunesse sont dirigés peu à peu par des dissidents au Régime de Vichy , ce dont témoigne l'évolution de nombreux réfugiés.L'engagement chrétien et patriote de Georges Bennetz contre le nazisme et la politique de collaboration, l'acceptation de l'occupation de la zone sud par le Régime de Vichy, la répression grandissante de la milice et de la Gestapo le conduisent à la rupture et à l'entrée dans la résistance dans la région de Marseille. Lorsque Bernard Metz cherche un recruteur pour la Dordogne après l'arrestation de Christophe (G. Houver) le 6 avril 1944, il se rend à Marseille contacter Florent Holweck, scout comme lui à Strasbourg, retrouvé au pélerinage du Puy le 15 aôut 1942. Ce dernier le met en contact avec Georges Bennetz qui accepte la mission. Il est accueilli avec soulagement par Ancel (Antoine Diener) qui tentait de mener et la direction du maquis fraîchement installé à Durestal, et le travail de recrutement mené jusque là par Christophe. Georges Bennetz prend le nom de guerre de Guéry ; il tente aussi de remplacer Ernest Huber pour remettre sur pied une centurie à Limoges mais l'urgence du débarquement exige de renforcer l’efficacité de l'équipe dirigeante du réseau en Dordogne. C'est en juillet 1944 que Guéry retrouve Jean Louis Hoepffner dans une exploitation de Gironde et lui demande d'être son aide. Le trio A n c e l, Adelphe et Guéry mène à bien les combats de la Libération en Dordogne, et participe avec Bernard Metz à la mise sur pied de la future unité militaire d'Alsaciens-Lorrains. (voir l’article sur la constitution de la BIAL). Georges Bennetz prend le commandement de la compagnie Verdun du bataillon Strasbourg le 3 septembre 1944 avec le grade de capitaine. Il participe au convoi jusqu'au pied des Vosges à Froideconche (près de Luxeuil, Haute-Saône) et commande le baptême du feu des jeunes engagés qu'il conduit, encourage et soutient avec une amitié exigeante selon le témoignage du soldat Jean-Louis Hoepffner. La proximité très répandue que les officiers manifestent auprès de leurs hommes lors de ce baptême du feu, témoigne de la fraternité développée dans la clandestinité au maquis et n'entache en rien l'estime et l'esprit de discipline entre gradés et simples soldats. Georges Bennetz en est un exemple parmi d'autres. Après trois semaines de combats difficiles par une météo épouvantable, les engagés de la BAL ont pu accompagner les chars de la 5ème division blindée (DB) pour libérer les vallées de la Moselle et de la Moselotte, sur le versant ouest des Vosges, mais la 1ère Armée n’a pas pu passer les cols défendus par un ennemi aguerri. Le Général de Lattre décide d'arrêter l'offensive au vu du mauvais temps et du retard des ravitaillements en munitions et hommes du front. La BAL est envoyée au repos à Remiremont pour équipement et instruction. Le 25 octobre 1944, Georges Bennetz est envoyé en mission auprès de Malraux à Paris. Conduits dans une voiture par Jean Lassignardie, accompagné par le médecin Georges Woringer, ils sont victimes d'un accident de circulation : dans la nuit, sans éclairage, près de Bar le Duc, le chauffeur veut emprunter un pont sur le canal de la Marne au Rhin, sans voir qu’il est détruit. La voiture tombe à l'eau, les soldats américains, alertés par le bruit de la chute sauvent le passager arrière, Georges Woringer, mais les deux passagers avant ont été tués. C'est le second capitaine que le Bataillon Strasbourg perd en trois semaines et tous en sont tristement affectés. Marie-Noèl Diener-Hatt Première publication dans le DVD “La résistance des Alsaciens”, Aeria, oct. 2016, reprise avec l’aimable autorisation de l’Aeria Sources : B. BAL n° 226-II (1992), p.14 - n°158-III (1975), suite E - n°130-III (1968), suite A - n°78-III (1955), suite A - n°54-X (1951), suite A - n°21-I (1949), suite L - n°20-XII (1948), suites D-E -n°14-VI (1948), suite B. Etat des personnels de la Brigade Alsace-Lorraine. Témoignage de J. Louis Hoepffner, 2005, COMEBAL Bibliographie : Léon MERCADET, La Brigade Alsace-Lorraine, Paris, Grasset, 1984. Rémy Trommenschlager, Etude prosopographique de la Brigade Alsace-Lorraine, Master d'Histoire , Université de Haute Alsace, 2012. Marie-Noèl Diener-Hatt, La Brigade Alsace-Lorraine in L'Alsace libérée, 1944-45, revue Saisons d'Alsace n°61 septembre 2014, p.44-57. André Bord (1922 – 2013) Né à Strasbourg, évacué avec ses parents à Périgueux en Dordogne en septembre 1939, il revient à Strasbourg en famille durant l'été 1940, vite rattrapé par la germanisation et la nazification. En décembre 1941, il décide avec son ami Raymond Winter (1919-1983), scout au Schluthfeld à Neudorf, de retourner à Périgueux, où ils pensent retrouver des amis. Ils passent la frontière des Vosges, se retrouvent dans cette ville et s'engagent au 26ème régiment d'infanterie (RI) où ils rencontrent Jean Seger, strasbourgeois comme eux (1922-1995). L'invasion de la zone non occupée le 11 novembre 1942 et la dissolution de l'armée d'armistice les laissent tous les trois sans emploi; Raymond Winter et Jean Seger trouvent un travail à la poudrerie de Bergerac (Dordogne). Dès 1943, ils sont contactés par Gustave Houver qui recrute pour le futur Groupe Mobile Alsace (GMA) Sud. André Bord devient agent de liaison pour les réseaux Andalousie et Martial, assurant la transmission des messages, le transport de fonds et de faux papiers. Contacté par Freddy Claus, alsacien interprète de la Gestapo, il refuse de faire le même travail que ce dernier mais serait resté en contact pour lui soustraire des renseignements. Le 14 mai 1944, il est arrêté avec Jean Claus, strasbourgeois rencontré à Chalagnac, près de Périgueux, dans une bergerie cernée par les groupes mobiles de réserve (GMR) de l'Etat de Vichy. Le récit de leur « évasion » a nourri les témoignages des bulletins de l'Amicale des Anciens de la Brigade Alsace-Lorraine (BAL). Nous donnons ici le témoignage que Jean Claus et André Bord nous ont confié en 2011: "Nous sommes prisonniers à la caserne des GMR au quartier Saint-Georges de Périgueux." Les conditions de détention sont assouplies chez les GMR puisque les deux prisonniers, couchés sur la paille dans une cave, sont laissés ensemble et peuvent discuter en alsacien. La nuit est plus difficile puisque des miliciens éméchés viennent se dégriser en gratifiant les prisonniers de coups de trique et de poings. "Pendant les trajets, traversée de la cour pour rejoindre les toilettes avec un garde, en voiture lors du premier transfert au siège de la milice le lendemain, Claus examine soigneusement les lieux envisageant une possible évasion. L'interrogatoire par trois miliciens est brutal mais Claus peut justifier son refus du STO par son expulsion d'Alsace par le Reich (...) il tient en mains mes papiers de la marine, me dit qu'ils ne valent plus rien et me demande ce que je faisais là où j'ai été pris ; je réponds que j'étais cuisinier." L'interrogatoire d'André Bord, plus brutal et menaçant, se conclut par l'annonce d'une condmanation à mort devant la cour martiale de la Milice à Limoges. "Revenus le soir en cellule, ils mettent au point leur défense et concluent qu'ils ont été brutaux jusqu'à maintenant, nous ont laissé mijoter hier et que le plus dur reste à venir." Au cours du transfert au siège de la Milice, les prisonniers ont repéré Jean Austin qui surveille et les a vus dans la voiture. « Le lendemain après-midi, engagés dans la cour pour aller aux toilettes, je vois deux énergumènes sortir du poste de police en hurlant amenez-nous Claus et Bord ! Notre gardien nous demande nos noms et s'exécute en nous poussant vers eux. Nous reconnaissons alors Jean Austin et Raymond Winter déguisés en miliciens. Ils nous empoignent, nous bousculent durement, crient et nous passons devant le chef de poste médusé. Dehors, au volant d'une petite voiture noire, Guy Austin, à ses côtés un grand gaillard béret au gamma sur la tête, salue Winter, ouvre la porte arrière et tous quatre nous nous engouffrons dans la voiture... qui ne démarre pas. Le GMR de faction la pousse et enfin elle démarre. Nous nous arrêtons quelques rues plus loin où les frères et sœurs d'Austin nous attendent avec des bicyclettes; nous abandonnons la voiture, et franchissons la voie ferrée pour nous engager dans les bois vers Atur. » Les rescapés rejoignent le maquis Ancel où «le patron» très réticent à cette exfiltration n'avait pas donné son accord mais félicite néanmoins tous les acteurs pour ce «beau coup de main risqué». Au maquis, tous trois participent aux combats de la libération du département dont notamment le combat d'Atur le 15 août 1944 où Charles Mary est tué. Ensuite, ils s'engagent dans la compagnie Verdun du bataillon Strasbourg de la BAL, où ils participent à tous les combats des Vosges à la plaine d'Alsace. En janvier 1945, André Bord et Jean Claus sont à Gerstheim (Bas-Rhin) avec la compagnie Verdun. L'offensive ennemie Nordwind les y piège. Leurs parcours divergent alors : Jean Claus reste avec son père Théodore et partage le sort des hommes faits prisonniers alors qu'André Bord réussit avec une centaine d'hommes, dont le pasteur Fernand Frantz, une exfiltration nocturne au prix de grandes souffrances. Après la démobilisation de la BAL, en mars 1945, André Bord s'engage pour la campagne d'Allemagne sous les ordres du colonel Jacquot. Mai 1972 à Durestal (Dordogne) De gauche à droite, Bernard Metz, André Bord et Antoine Diener alias Ancel. (arch. Fam. Diener) André Bord, 2010 Photo : http://www.france-deutschlandvet.org/actualites.html#ancre16 Après guerre, redevenu strasbourgeois, André Bord travaille chez un libraire puis comme contrôleur à la Communauté de la navigation française rhénane avant d'entamer en 1947 au sein du Rassemblement pour la France (RPF), une longue carrière politique. Toute sa vie, malgré des dissensions politiques avec certains Anciens de la BAL, il reste fidèle à la fraternité vécue au maquis. Il décède le 14 mai 2013 à Strasbourg Marie-Noèl Diener-Hatt Première publication dans le DVD “La résistance des Alsaciens”, Aeria, oct. 2016, reprise avec l’aimable autorisation de l’Aeria Sources primaires Combattant volontaire de la Résistance (CVR), 13 mars 1953, André Bord né le 30 novembre 1922 à Strasbourg. . Archives COMEBAL ; ère B. BAL n°258 (2001-2002), p.55. — n°238+239 : 1+2 (1996), 1 page. — n°228-II (1993), p.55. — n°227-I (1993), p.10. — n°203-IV (1986), p.3. — °202-III (1986), pp.37-38, 41. — n°195-IV (1984), — n°180-I (1981), suite A. — n°169-II (1978), suite L. — n°164-I (1977), suite A. — n°161-II (1976), suite H.— n°159-IV (1975), suite B. — n°149-II (1973), suite D. — n°146-III (1972), suite C. — n°133-II Bibliographie - 39/45 Magazine, 268, Juin 2009, mensuel, SEILER Richard, « La résistance alsacienne en Dordogne 1943-1944. L'héroïque aventure d'André Bord », p. 23 à 28. . - 39/45 Magazine, 273, Décembre 2009, mensuel, SEILER Richard, « Les actions de guerre d'André Bord au sein de la Brigade Alsace-Lorraine - septembre 1944-mars 1945 », p. 12 à 19. . - Journal des Combattants, Mai 2013, périodique, « Disparition d'André Bord - L'ancien résistant gaulliste devenu ministre des Anciens combattants est décédé le 13 mai à l'âge de 90 ans ». . - Nouveau dictionnaire de biographie alsacienne, 4, 1984, publication, THOMANN Marcel, « André Bord », p. 302 à 303. . - Saisons d'Alsace, 61, Septembre 2014, périodique, HATT-DIENER Marie-Noël, « Ils ont rejoint Malraux », p. 41. . - Saisons d'Alsace, 61, Septembre 2014, périodique, HATT-DIENER Marie-Noël, « Sur les ailes de la Brigade Alsace-Lorraine », p. 44 à 57. . - Saisons d'Alsace, 61, Septembre 2014, périodique, HATT-DIENER Marie-Noël, « Antoine Diener alias Ancel », p. 50 à 51. . - MERCADET Léon, La Brigade Alsace-Lorraine, Paris, Grasset, 1984, 285. - TROMMENSCHLAGER Rémy, Prosopographie de la Brigade Alsace-Lorraine, Mémoire de Master 1 et 2 - Histoire de l'Europe, Université de Haute-Alsace - Mulhouse, 2011-2012. Théodore et Jean Claus Théodore Claus est né le 17 avril 1892 à Buhl (Haut-Rhin), et son fils Jean Claus le 6 août 1924 à Strasbourg. Au cours de la Première Guerre mondiale, Théodore Claus est engagé volontaire dans l'armée française. Durant l'entre-deux-guerres, son fils, Jean Claus, suit sa scolarité au lycée Fustel-de-Coulanges à Strasbourg. En septembre 1939, quand la ville est évacuée, il suit ses parents à Buhl, ville natale de son père. Alors que l'administration nazie annexe de fait l'Alsace, la famille Claus est expulsée le 11 novembre 1940. Dirigée vers Périgueux (Dordogne), elle s'installe dans la campagne, à Chalagnac au sud de la ville. Jean Claus s'engage dans la Marine nationale jusqu'au sabordage de la flotte à Toulon, le 27 novembre 1942 alors que l'armée allemande envahit la zone non occupée. Il revient alors en Dordogne pour s'engager dans l'action clandestine où il rencontre Jean Seger, André Bord ainsi que Gustave Houver. En mars 1943, il est membre du réseau Andalousie et du réseau Martial. Avec André Bord, il se consacre à la diffusion de faux papiers (cartes d'identité et d'alimentation) au service des fugitifs, des incorporés de force évadés, ainsi qu'aux liaisons et à la recherche de renseignements. Le 10 mai 1944, lors d'un retour au campement avec Raymond Winter, André Bord et Thomas Schneider, une escouade de Gardes mobiles de réserve (GMR) arrête deux retardataires, André Bord et lui-même. Ils se retrouvent à la caserne des GMR à Périgueux. Ils s'en évadent très rapidement. Accueilli au camp du maquis Ancel à Durestal (Dordogne), Jean Claus participe aux coups de mains des maquisards, balise le terrain d'atterrissage de Coursac (Dordogne) où il accueille le capitaine Marc, envoyé du Special Operation Executive (SOE), en réalité Marc Gerschell, strasbourgeois, le 8 juillet 1944. Il participe au parachutage du 14 juillet 1944 mais pas au « hold up » de Neuvic-sur-l'Isle (Dordogne). Après le 6 juin 1944, Théodore Claus vient au maquis pour encadrer les jeunes. Le groupe Ancel en juillet 1944 (arch. Fam. Claus). Debout, deuxième en partant de la gauche, Jean Claus, Alouette. Assis, premier en partant de la gauche, son père, Théodore Claus. Théodore et Jean Claus participent aux combats de la libération de Périgueux harcelant la garnison ennemie aux alentours de Razac-sur-l'Isle (Dordogne). Le 3 septembre 1944, ils s'engagent au bataillon Strasbourg de la Brigade Alsace-Lorraine (BAL). Le 10, ils quittent Périgueux, Jean comme sergent de la compagnie Bark et Théodore comme adjudant de la compagnie Verdun. Ils participent à tous les combats de la BAL, sont pris dans le piège de Gerstheim (BasRhin) les 7-10 janvier 1945, lors de l'opération Nordwind. Théodore et Jean restent pour assurer la garde avec 80 autres hommes. Ils sont tous faits prisonniers par les Allemands. Internés à Neuf-Brisach (Haut-Rhin), ils sont libérés en mars 1945. A la démobilisation de la BAL, Jean Claus s'engage auprès du colonel Jacquot pour la campagne d'Allemagne et entreprend une carrière d'officier dans l'armée française. Alors que son père Théodore devient un temps président de la section Haut-Rhin de l'Amicale des anciens de la BAL, Jean, revenu à Buhl (Haut-Rhin) à sa retraite, reste lui aussi fidèle à l'Amicale des Anciens, membre, vice-président puis président de la section Haut-Rhin. Jean décède le 10 août 2015. Marie-Noèl Diener-Hatt Première publication dans le DVD “La résistance des Alsaciens”, Aeria, oct. 2016, reprise avec l’aimable autorisation de l’Aeria Sources - COMEBAL, Etat des personnels de la Brigade Alsace-Lorraine (BAL). . - SHD, 16 P 132174, P, Jean Clauss né le 6 août 1924 à Strasbourg. . Bibliographie - TROMMENSCHLAGER Rémy, Prosopographie de la Brigade Alsace-Lorraine, Mémoire de Master 1 et 2 - Histoire de l'Europe, Université de Haute-Alsace - Mulhouse, 2011-2012. Antoine Diener, ANCEL (1916-2005) Fils d'un instituteur alsacien, né en Moselle, aîné de 4 enfants tous instituteurs, il suit ses classes primaires à Bourg en Bresse puis à l'EPS de Saint-Avold et entre à l'Ecole Normale de Montigny les Metz en 1934. Là, il rejoint un groupe « Marcel Légaut » de la mouvance du catholicisme social de Marc Sangnier et devient lecteur de la revue Sept ; il prend conscience du caractère profondément antichrétien du nazisme. Sorti major de sa promotion, il fait son service militaire comme c'est de règle à l'époque, en Préparation Militaire Supérieure ; affecté à Saint-Cyr, il en sort sous-lieutenant en 1937. Il épouse alors Paule Malet, originaire de Dordogne, institutrice, et exerce son métier en Moselle. Mobilisé en 1939 sur la ligne Maginot, il est fait prisonnier à Badonviller, dans les Vosges le 21 juin 1940, et interné en camp de prisonniers en Sarre. Libéré le 7 juillet en tant que Volkdeutscher, il traverse à vélo la France pour rejoindre en Dordogne sa famille repliée chez ses beaux parents dans la maison familiale de Ligueux. Démobilisé, il obtient le statut de réfugié alsacien-mosellan et il est affecté à chaque rentrée sur des postes vacants, de Bassillac à Tourtoirac puis Teillots près d'Hautefort. L'été 1941 et 1942, avec d'autres amis instituteurs dont Adelphe Peltre, il rejoint les « Carrefours des Tilleuls » organisés à l'initiative d'Emile Baas, alsacien, professeur de philosophie réfugié à Rodez ; il s'agit de réunir pendant l'été les élèves normaliens repliés à Solignac et Bergerac pour une grande semaine de « Rencontres » tolérées par le gouvernement de Vichy mais ajournées l'été 1943 quand l'Etat Français de Pétain devient de plus en plus milicien, sous la férule de l'occupant après l'invasion de la zone Sud le 11 novembre 1942… Il s'agit de formation professionnelle, des conférences et des ateliers sont organisés, à mi-chemin des colonies de vacances et de stages. Pour les aînés qui encadrent les ateliers, il s'agit de diffuser des informations sur la germanisation et la nazification des habitants de l'Alsace-Moselle, son emprise sur la jeunesse puis de réfléchir à la reconstruction d'une petite patrie, l'Alsace-Moselle, dans une perspective de démocratie chrétienne. Ils entretiennent ainsi un espoir de retour, une conviction dès 1941 de défaite du nazisme, affichant une dissidence publique en diffusant à leur retour un « stencil » résumant la conférence d'Emile Baas. Dès janvier 1943, il est recruté par Gustave Houver, son futur beau-frère, contacté lui même par Bernard Metz, agent du Réseau Martial tout juste enregistré aux Forces Françaises Combattantes. Ce réseau recrute des réfugiés alsaciens-mosellans, cellules dormantes, s'engageant pour la libération d'abord des départements refuges puis celle de l'Alsace-Moselle avec les Alliés, en formant un Groupe Mobile d’Alsace Sud (GMA sud). Les arrestations se multiplient en Dordogne à l'automne 1943 - hiver 1944 ; à Périgueux les réfugiés alsaciens et mosellans sont inquiétés et A. Diener et G. Houver se réfugient dans un maquis AS (Armée Secrète), rescapé du maquis Mireille, installé dans la Double. Mi-février 1944, Charles Mangold, Vernois de l'AS Dordogne demande à A. Diener, devenu Ancel, de prendre ce commandement, tandis que Houver, devenu Christophe, reprend son activité de recrutement tout en assurant au Rectorat de Strasbourg replié à Périgueux un emploi de couverture.De fin février au 20 août 1944, Antoine Diener-Ancel dirige ce maquis dont les effectifs de 30 hommes en février passent à 200 en mai, puis à plus de 1000 hommes après le 6 juin, mêlant jeunes réfractaires au STO, réfugiés alsaciens - mosellans recherchés par l'ennemi pour incorporation de force. Ancel cherche à les recruter pour le GMA Sud. La vie du maquis est une routine de clandestinité, de lutte pour la survie, qui suppose des complicités pour le ravitaillement, la nourriture et les vêtements, l'information sur les mouvements ennemis . Ligueux, 15 août 1944 De g. à dr. : Pierre Malet, beau-père d’Ancel, Jean Gaussen, médecin du maquis, Antoine Diener, Ancel (arch. famille Diener) Mais il faut aussi et surtout des armes ; encore en nombre infime et hétéroclite fin février, Ancel arrive en tissant des liens avec l'AS (Charles Mangold Vernois et Henri Brandstetter Schatzy, chefs AS de Dordogne centre) à assurer la fourniture en mitraillettes Sten et la venue d'un instructeur du SOE Jean-Pierre qui apprend le maniement de nouveaux moyens aux maquisards. Jean-Pierre indique à Ancel un « QG interallié » installé près du Bugue : Ancel s'y rend un soir, rencontre un colonel Berger qui lui rappelle les traits et le style d'un écrivain antifasciste dont il a lu La condition humaine et L' Espoir avant guerre. Ce dernier promet des armes mais demande à «voir le maquis». L'inspection a lieu un matin de début juin, à Durestal. Ancel est frappé de l'effet que les mots tenus par le colonel Berger fait sur ses hommes. L'avis de Malraux concorde avec celui de l'instructeur Jean-Pierre, il promet des armes... La réputation de discipline et de combativité du maquis Ancel conduit les chefs de l'AS à lui confier deux missions importantes ce mois de juillet 1944, en coopération avec d'autres groupes dont le groupe Roland. La première est de chercher à 150 km à l'est, près d'Argentat au plateau de Moustoulat, les armes parachutées le 14 juillet à midi et destinées à toutes les forces clandestines de Dordogne ; l’aller-retour se fait entre le 13 et le 19 juillet en camions gazogènes, de nuit . La seconde mission a alimenté longtemps rumeurs et récits fantaisistes. Le directeur de la Banque de France de Périgueux informe les chefs AS - pour se dédouaner ? - qu'un convoi de billets de banque allait quitter nuitamment l'établissement la nuit du 26 au 27 pour mettre ce trésor en sûreté à Bordeaux en zone occupée. Le « hold up » est confié parmi d'autres groupes dont le groupe Roland, au maquis Ancel, avec succès. En août 1940 le maquis Ancel participe aux combats de la libération de Saint Astier, Atur, Périgueux puis à la poursuite de la garnison ennemie au Pizou, à Mussidan ; il a baptisé son unité Légion Alsace-Lorraine pour la libération de Périgueux (19 -20 août 1940) et les défilés dans les villes ; puis afin de ne pas démobiliser les hommes, une partie de sa légion part en renfort des FFI pour libérer Angoulême, avec un sérieux accrochage à Torsac le 28 août. Ancel consacre la dernière semaine d'août à l'organisation du départ du bataillon Strasbourg, décision qu'il faut négocier fermement avec les chefs de l'AS peu disposés à affaiblir les troupes FFI face aux FTP. Il négocie avec l'aide de Schatzy qui s'engage à la BAL à l’État Major de Malraux –Jacquot ; une partie du butin du hold up de la Banque de France peut être utilisée pour acheter les véhicules qui vont transporter son bataillon vers les Vosges. Le bataillon Strasbourg sous le commandement d'Ancel est le plus nombreux des trois qui constituent la Brigade Alsace-Lorraine, les Alsaciens-Mosellans y sont nombreux mais « les copains périgordins » du maquis Ancel tiennent à accompagner les camarades qui se sont battus en Dordogne. Il est le premier à monter au front dans les Vosges, et participe à tous les combats menés par la Brigade Alsace-Lorraine pour la libération et le défense de l'Alsace. La garde sur le Rhin se termine mi-mars, la BIAL est démobilisée . Antoine Diener choisit de revenir à la vie civile, pour se consacrer à sa deuxième « mission » : reconstruire une Alsace libérée, française, démocrate-chrétienne. Il dirige l’École des Cadres de la Jeunesse (mouvements de jeunes et formation des instituteurs) inaugurée à Strasbourg dès juillet 1945 afin d'y faire connaître et aimer la culture française bannie depuis cinq ans par les Nazis. Il a consacré 30 ans de sa vie professionnelle à la diffusion de la culture populaire en Alsace, tout en restant fidèle à la fraternité de la BAL, puisqu'il assure pendant trois ans la solidarité financière pour les veuves et orphelins de la BAL, puis la présidence de l'Amicale des Anciens de la BAL pendant une dizaines d'années. Militant d'un groupe « Esprit », il est resté fidèle à l'engagement chrétien d'un citoyen antinazi défendant les trois composantes de la devise de la République Française. Marie-Noèl Diener-Hatt. Première publication : Chemins de la Mémoire - Le maquis de Durestal, ANACR, Périgueux, 2013 Sources Archives Ancel privées: - formulaires de l'enquête du ministère de la Défense, 1946 pour le maquis AS ; - attestations de présence au maquis pour l'attribution de la carte de résistant, 1947-1975 ; - messages personnels, carte d'EM utilisée au maquis, témoignages etcorrespondances. Bulletins de l'Amicale des Anciens de la BAL:n°5 p. 1, n°10, 66, 99, 124, 126, 148, 151, 154, 159, 161, 172, 183, 227 p. 10. Bibliographie : Mercadet Léon, La Brigade Alsace-Lorraine , Grasset, Paris, 1984. Penaud Guy, Histoire de la Résistance en Périgord», P. Fanlac, Périgueux,1985. B. Metz , Les résistances des Alsaciens-Mosellans durant la seconde guerre mondiale 1939-1945 pp.175207, Actes du colloque 19-20/11/2004, dir. Alfred Wahl, Metz, 2006. Penaud Guy, Les crimes de la division « Brehmer », la traque des résistants et des juifs en Dordogne, Corrèze, Haute-Vienne , La Lauze, 2005. Rémy Trommenschlager, Etude prosopographique de la Brigade Alsace-Lorraine, Master d'Histoire , Université de Haute Alsace, 2012. Chemins de la Mémoire - Le maquis de Durestal, dir. J.P. Bedoin, 2013, ANACR Dordogne, Périgueux, 112 pages, pp. 37-40 Marie-Noèl Diener-Hatt, De la reconquête militaire à la libération des esprits, un itinéraire cohérent, Courrier AMAM mars.2011 sur B. Metz, pp. 15-17. Marie-Noèl Diener-Hatt, En 1944, le maquis Ancel, »refuge d'Alsaciens-Mosellans » en Dordogne, Courrier AMAM octobre 2014 pp. 12-15. Marie-Noèl Diener-Hatt, La Brigade Alsace-Lorraine in L'Alsace libérée, 1944-45, revue Saisons d'Alsace n°61 septembre 2014, pp.44-57. Ferdinand Diener, Ferdy (1919-1986) Fils d'Antoine Diener, frère d'Ancel, il suit la trace de son aîné : EPS, Ecole Normale de Montigny-lès-Metz, instituteur. Appelé au service militaire en 1939, il est fait prisonnier en juin 1940 à Nantes. Evadé, il passe la ligne de démarcation de façon rocambolesque d'après le récit qu'il nous en a fait en 1984. Sur les bords de la Loire, il cherche à passer la ligne et se réfugie à l'église dans un petit village ; il y rencontre le curé à qui il fait part de son projet ; ce dernier lui rétorque que son problème du jour est de trouver un servant pour une messe d'enterrement ; Ferdy se souvient fort à propos qu'il a été enfant de choeur, puis organiste et propose ses services. Le curé lui indique alors que le cimetière se trouve sur l'autre rive de la Loire, il suffira de franchir le pont pour l'inhumation et après celle ci de lui rendre sa chasuble de diacre. Ainsi fut fait ! Arrivé en Dordogne, il se fait démobiliser et obtient le statut de réfugié alsacien-mosellan. Il est nommé instituteur à Bergerac où il retrouve son condisciple Raymond Bergdoll ; il épouse à l'automne 1940 une parisienne réfugiée, Jacqueline David, deux enfants naissent. En 1943, il est nommé instituteur à Coubjours, au Nord Ouest du département. Recruté par son beau-frère Gustave Houver à l'été 1943, il assure dès mars 1944 des missions de renseignement ; il participe à la libération de Périgueux en tant que chef de section du commando « Valmy » du maquis Ancel. Engagé le 10 septembre 1944 dans la BIAL, sergent au bataillon Strasbourg, il participe aux combats dans les Vosges et en Alsace. Démobilisé en mars 1945, il poursuit une carrière de professeur de mathématiques en LEP, puis d'inspecteur de l'enseignement technique. Son engagement après guerre est syndical, en tant que militant de la CFDT et politique, adhérent au PSU fondé par Michel Rocard. Marie-Noèl Diener-Hatt Sources : archives Ancel privées: - formulaires de l'enquête du ministère de la Défense, 1946 pour le maquis AS ; - attestations de présence au maquis pour l'attribution de la carte de résistant, 1947-1975 ; - Photos:archives COMEBAL (photo du 9/9/44 avec la famille Diener au complet et photo maquis avec Vernois août 44) - Bulletins de l'Amicale de la BAL:n°203-IV p.14, n) 53-X, 46-II, 25-V. Bibliographie : Mercadet Léon, « La Brigade Alsace-Lorraine », Grasset, Paris, 1984. « Le maquis de Durestal », dir. J P Bedoin, brochure Chemin de la Mémoire n°2, ANACR Dordogne 2013. Courrier AMAM mars et nov.2011 sur B. Metz et Maquis Ancel octobre 2014, L'Alsace Libérée, 1944-45, Saisons d'Alsace, DNA, septembre 2014, p44-57. Paul Diener, Popaul (1922-2004) Paul est le plus jeune de la fratrie Diener. Né à Bourg en Bresse, il suit comme les autres, la voie de l'Ecole Normale d'instituteur. En 1939, il partage le sort des réfugiés alsaciens-mosellans de l'Ecole Normale de Montigny les Metz, repliée à Solignac. Mineur, il rentre avec ses parents en Moselle en septembre 1940 et partage leur sort d'expulsés par les Nazis en janvier 1941. Revenu en Dordogne, il y enseigne comme instituteur remplaçant. En 1942, convoqué aux Chantiers de Jeunesse, il se trouve nez à nez avec des soldats allemands à Toulouse après l'invasion de la zone sud, le 11 novembre 1942 ; il s'engage alors dans l'armée d'armistice, démobilisée le 22 novembre 1942 ! Il rejoint ensuite ses parents à Périgueux et enseigne sur des postes de remplaçant, dont Bergerac. Recruté par Gustave Houver son beau-frère, il fait partie de la centurie Périgueux du réseau Martial et se réfugie en mai 1944 au maquis Ancel. Il participe auprès de Jean Paul Séret-Mangold et de son père Vernois aux actions et aux combats du maquis, puis à la libération de Périgueux et du département. Il épouse à Ligueux le 4 septembre 1944 Jacqueline Arrazeau, institutrice, et s'engage le 9 septembre 1944 à la BIAL dont le bataillon Strasbourg quitte Périgueux. Sergent à la compagnie Hors Rang, il participe aux combats de la libération de l'Alsace . A la démobilisation de la BIAL, en mars 1945, il doit honorer son engagement dans l'armée d'armistice qui, contrairement aux autres brigadistes, l'engageait pour la durée de la guerre. Il participe donc à la campagne d'Allemagne sous le commandement du colonel Jacquot. Après le 8 mai 1945, il est nommé à Constance instituteur des enfants de l'armée française d'occupation jusqu'à sa démobilisation en juin 1946. Il poursuit une carrière de professeur de mathématiques en LEP qui le conduit à Pau et un engagement de militant syndical CFDT. Marie-Noèl Diener-Hatt Sources archives familiales famille Diener La famille Gerhards (Saverne) C'est à quelques membres d'une famille savernoise, emblématique de cette attitude et de cet engagement, que ces lignes sont consacrées. La plupart des faits rapportés ici ont été établis dans ses ouvrages par Auguste Gerhards, fils d'un des membres de cette fratrie, une autre part découlant directement du témoignage d'un des protagonistes. Ils sont en l'occurrence repris et réordonnés pour souligner que des postures individuelles ou collectives de refus et de résistance au sort que les nazis réservent à l'Alsace furent possibles, effectives, et, pour partie, efficaces. Le père, allemand, est venu dans cette petite ville alsacienne en tant que militaire, état qu'il conserve jusqu'en 1904. Il devient ensuite assistant du chef de gare. Catholique pratiquant, il épouse une Alsacienne protestante en 1899. Tombant de par sa nationalité sous le coup d'un arrêté d'expulsion en 1919, il est obligé de retourner en Allemagne pour y poursuivre sa vie professionnelle. En 1926, à la retraite, il choisit de revenir en Alsace. Le couple a treize enfants dont dix sont encore en vie en 1940. C'est sur quelques-uns d'entre eux, qui se sont engagés à des titres et selon des voies diverses, que se porte notre attention: Théo, l'aîné, Marguerite, Maria, Joseph, Henri et Godefroy, le benjamin, que vingt ans séparent du premier. Né en 1900 à Saverne, Théodore Gerhards s'engage rapidement dans l'action clandestine. Arrêté le 6 juillet 1942, condamné à la peine de mort pour espionnage, il est guillotiné le 29 octobre 1943 à Halle (Allemagne). Durant la guerre, son frère Joseph, de dix ans son cadet, qui est fonctionnaire, transmet des documents que lui fournit Théo aux services spéciaux qui agissent sous le couvert d'un office du retour à la terre du ministère de l'Agriculture. Leur sœur Marguerite, née en 1905, accompagne des prisonniers de guerre évadés, les prenant en charge à la Maison des Missions et les menant en train jusqu'à Stambach (BasRhin) pour les remettre à l'hôtel “A la fameuse truite”, tenu par Juliette Heitz (épouse Falières) qui les met en contact avec un passeur. Maria Gerhards Théodore Gerhards Maria, d'un an plus jeune, participe dès 1940 à l'approvisionnement en vêtements des prisonniers de guerre (PG) français détenus à Saverne. Après l'arrestation de son frère Théo, elle proteste auprès des autorités allemandes contre les conditions de détention de celui-ci dans des lettres dont le ton lui vaut d'être internée au camp de sûreté de Schirmeck. A la veille de son transfert annoncé à Ravensbrück, elle est convoquée par le commandant du camp qui « hurla contre [elle] », et lui ordonne de rassembler ses effets et de quitter immédiatement les lieux. Trente ans plus tard, elle ne trouve toujours pas d'explications à cette surprenante libération... Elle est titulaire de la médaille militaire et élue au deuxième rang aux municipales de septembre 1945. Henri, né en 1907, est mobilisé d'août 1939 à fin juin 1940, moment où il rejoint son foyer à Altkirch (Haut-Rhin). Il y reprend son métier d'organiste de l'église Notre-Dame et de professeur de piano, mais se voit interdire fin 1941 par la chambre de musique du Reich le droit de donner des cours particuliers « tant que son orientation politique reste[rait] ce qu'elle est ». Le 15 octobre 1943, il est incorporé de force dans la Wehrmacht et envoyé en Pologne. Sa qualité de musicien lui épargne le front : il anime de ses récitals un mess d'officiers. En février 1944, lors d'une permission, il se fait faire une injection et remettre des médicaments afin de simuler les symptômes d'une jaunisse. Il obtient une nouvelle permission au printemps 1944, mais avec obligation cette fois de séjourner à la caserne d'Altkirch. Il s'en évade fin août avec deux compagnons et se réfugie dans une ferme à Bettendorf (Haut-Rhin). Il est déclaré déserteur, condamné à mort par contumace, et sa famille est placée sous la surveillance étroite de la Gestapo. Il rentra à Altkirch le 22 novembre 1944, peu après l'arrivée de la 1ère armée, où il retrouve quelques jours plus tard son plus jeune frère parvenu là avec la Brigade AlsaceLorraine (BAL). Rue Théodore Gerhards à Saverne (Bas-Rhin) Godefroy Gerhards en uniforme de la Brigade Alsace-Lorraine (BAL) Godefroy - c'est peut-être le parcours de ce dernier qui permet de saisir plus précisément ce qu'ont pu être les motivations et les formes d'un tel engagement, en raison du témoignage plus étoffé qu'il a laissé. Il prend position, avec d'autres jeunes gens d'une vingtaine d'années, dès juin 1940: « Il convenait de sauver notre acquis patriotique, spirituel et culturel ». L'aide aux PG évadés, le maintien du mouvement scout, la constitution de cercles de réflexion chrétienne pour combattre l'idéologie nazie et le refus de poursuivre ses études dans des universités allemandes constituent les aspects d'une première réaction. Puis, face à une implantation de l'ennemi qui apparait durable au constat de l'extension de ses conquêtes, il fait en sorte de se soustraire à l'embrigadement dans les organisations du NSDAP. Au terme d'une première année d'annexion, il gagne la zone non occupée avec un petit groupe de camarades et grâce à divers concours, après un passage dans une prison suisse. Il reprend ses études à l'université de Strasbourg repliée à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Sur le plan organisationnel, une ébauche de réseau entre Alsaciens dispersés dans différentes régions d'accueil est rendue possible à travers un pèlerinage au Puy-en-Velay (Haute-Loire) en août 1942, pendant lequel, avec d'autres évadés d'Alsace, il apporte des informations inquiétantes sur la nazification en cours. C'est là aussi qu'il rencontre Bernard Metz. Après un temps d'arrêt consécutif à l'occupation de la zone non occupée en novembre 1942, un séjour dans une école de formation des cadres de la jeunesse dans la Drôme complète son éducation politique, puis, celle-ci étant fermée, il gagne Lyon pour échapper au Service du travail obligatoire (STO). Il est engagé par Bernard Metz dans le Groupe Mobile Alsace (GMA-Sud). Il sert d'agent de liaison pour les Alsaciens de Savoie puis est envoyé au Mont-Dore (Puy-de-Dôme) pour préparer le maquis qui doit accueillir les étudiants strasbourgeois de Clermont-Ferrand. Un projet avorté après les deux rafles de juin et novembre 1943. Malgré ces tristes nouvelles, et celles, non moins inquiétantes, d'ordre familial, l'activité se poursuit: propagande, avec le transport et la diffusion des Cahiers du témoignage chrétien (la revue est engagée dans la défense de l'Alsace et de la Lorraine françaises et contre l'antisémitisme), préparation en Auvergne de terrains en vue du parachutage d'armes, récupération des armes larguées... Pendant la période qui suit le débarquement de Normandie, il est arrêté, mais libéré dans la journée, après avoir réussi à convaincre (en allemand bien sûr) ses geôliers de sa parfaite innocence — épisode dont l'issue reste pour lui heureuse et malheureuse à la fois, un autre jeune arrêté en même temps ayant été fusillé. En septembre 1944, il rejoint les maquisards alsaciens et leurs amis périgourdins au sein du bataillon Strasbourg de la Brigade Alsace-Lorraine (BAL) sous le commandement d'Ancel (Antoine Diener), pour remonter sur l'Alsace avec la 1ère armée française du général de Lattre de Tassigny. Il participe au mouvement vers Strasbourg libéré en décembre puis il est engagé pour la défense de la ville au cours de l'hiver 1944-1945. Arnaud Gerhards Fiche tirée du DVD “La résistance des Alsaciens”, Aeria, oct. 2016, reproduite avec l’aimable autorisation de l’Aeria Sources primaires : - ADBR, 2083 W 1864, W, Théodore Gerhards né le 1er février 1900 à Saverne (Bas-Rhin). . - ADBR, 718 D 170, D, Théodore Gerhards né le 1er février 1900 à Saverne (Bas-Rhin). . - Archives privées de la famille Gerhards, Documents concernant le résistant-déporté Théodore Gerhards. . - Archives privées de la famille Gerhards Auguste, Documents écrits et photographiques concernant Auguste Gerhards et archives concernant les procès du Reichskriegsgericht, les Tribunaux de guerre du Reich contre les Alsaciens et Alsaciennes. . - Combattant volontaire de la Résistance (CVR), 9 février 1953, Maria Gerhards née le 26 novembre 1906 à Saverne (Bas-Rhin). . - Combattant volontaire de la Résistance (CVR), 6 février 1979, Godefroy Gerhards né le 17 juillet 1920 à Dalheim (Allemagne). . - Service central d'archives militaires de l'armée tchèque, Fonds Reichskriegsgericht - Vojensky ustredni archiv Praha. GERHARDS Théodore (Marguerite Fuhrmann et Marcel Kopp) 3ème Sénat du Reichskriegsgericht, le Tribunal de guerre du Reich, le 3 mai 1943 à Berlin, 30 pages. . - SHD, 16 P 252568, P, Théodore Gerhards né le 1er février 1900 à Saverne (Bas-Rhin). . Bibliographie - GERHARDS Auguste, Morts pour avoir dit non - 14 Alsaciens et Lorrains face à la justice nazie, Barle-Duc, La Nuée Bleue, 2007, 249 p., Recherches de l'historien Auguste Gerhards, neveu du résistant alsacien Théo Gerhards exécuté en 1943. . - GERHARDS Auguste, Theo Gerhards 1900-1943 - Un Alsacien en résistance, Strasbourg, Oberlin, 2003, 222 p. - GERHARDS Auguste, Tribunal de guerre du IIIème Reich - Des centaines de Français fusillés ou déportés, Paris, Le cherche-midi et ministère de la Défense, 2014, 799 p., Résistants et héros inconnus 1939-1945. - Gerhards Arnaud, Godefroy : de l’Université de Clermont à la BAL – Le courrier du Mémorial n° 25, mars 2015, p. 18 Gustave Houver, Christophe (1919 – 1998) Né le 14 juin 1919 à Rémelfing, village près de Sarreguemines au nord du département de la Moselle, son père est cheminot et sa mère, ouvrière à la faïencerie, puis mère de famille pour élever ses enfants. Il suit l'école primaire du village de 1924 à 1932 où l'instituteur œuvre pour mener ses élèves vers l'enseignement primaire supérieur. Il entre à l'Ecole Primaire Supérieure de SaintAvold en Moselle de 1932 à 1935 où il passe le Brevet Supérieur et prépare le concours d'entrée à l'Ecole Normale d'instituteurs. Reçu à l'Ecole Normale d'instituteurs de Montigny les Metz il suit sa formation de 1935 à 1938 et se lie d'amitié avec Ferdinand Diener (le jeune frère d'Antoine, alias Ancel). Il est nommé à son premier poste d'instituteur en août 38 à Woustwiller près de Sarreguemines dans la classe unique de l’école de garçons (6 à 14 ans). Il y est également secrétaire de mairie et anime l'équipe de football locale. 1er septembre 1939 : mobilisation générale et évacuation de tout le secteur de Sarreguemines (1ère zone). Depuis mai 39 les instituteurs ont l’ordre de se mettre à la disposition du maire de leur commune pour encadrer le départ des réfugiés vers les départements d’accueil. G. Houver accompagne les habitants de Woustwiller vers leur destination près de Confolens en Charente, où il organise l'installation du village dans un contexte très mal préparé par les autorités françaises. Sa mère et son frère également évacués dans un autre site de Charente, son père réquisitionné comme cheminot, reste en Moselle. Sursitaire, il doit rejoindre l’armée le 15 novembre 39 à l’école des E.O.R (Elèves Officiers de Réserve) du camp d’Auvours près du Mans. Après une formation accélérée de 6 mois il est nommé aspirant le 1er mai 1940 et prend le commandement de la 44ème compagnie qui part pour Orléans. A la signature de l'armistice le 22 juin 1940, il est affecté au 26ème RI à la caserne Bugeaud de Périgueux. Il refuse de rejoindre l'Alsace- Lorraine annexées et il est affecté à partir du 28 août, en tant que volontaire à l’I.E.M. (2ème bureau) auprès du capitaine Salm. Il est, pendant quelque mois, chargé de contact avec les autorités allemandes dans des missions « spéciales » le long de la ligne de démarcation et dans la zone occupée, jusqu'à ce que les autorités allemandes le récusent en raison de son origine mosellane. Il poursuit ses activités d'officier du 26ème RI jusqu'à la dissolution de l'armée française en novembre 1942. En septembre 1940 les villages évacués sont rapatriés en Alsace-Moselle. Les parents et le jeune frère de Houver reviennent dans leur village. Après l'ordonnance allemande d'incorporation obligatoire des Alsaciens-Lorrains d'août 1942, son frère est arrêté à son travail et incorporé de force dans la marine allemande. Ainsi pendant que l'un des frères entre en résistance puis est déporté en Allemagne, l'autre est "malgré-nous" et sert dans la marine allemande au large de la Norvège. En octobre 1940 Houver a fortuitement retrouvé à Périgueux Ferdinand Diener, son ami de l’École Normale. Pendant les années 1940 et 1941 se forment alors des relations de plus en plus proches avec la famille et la belle-famille d'Antoine Diener établies à Périgueux et dans le village de Ligueux. Pendant ses loisirs de militaire il participe beaucoup à la vie sociale du village en animant notamment les équipes de football et de basketball locales, et… il y rencontre sa future épouse. Le 11 novembre 1942 les Allemands envahissent la zone sud, l’armée française dite d'armistice est dissoute. Les officiers sont réaffectés dans des administrations civiles ; démobilisé le 28 novembre 42, il est mis à la disposition de l’Inspection académique d’Alsace-Lorraine repliée à l’école Jules Ferry de Périgueux. Il y est secrétaire, mais garde le contact avec ses chefs du 26ème RI, les capitaines Salm et Anet et le colonel De Grancey. Il entre en résistance active en janvier 1943, contacté par Bernard Metz, agent recruteur de la «7ème colonne» pour recruter des hommes prêts à combattre après le jour J. C'est par ce canal qu'Antoine Diener (Ancel) rejoint la résistance. A l'été 1943 G. Houver a recruté trois centuries, Périgueux, Bergerac, Brantôme, rencontrées par B. Metz avec Ernest Georges. Fin 1943 la Gestapo multiplie ses attaques contre les milieux résistants et les AlsaciensMosellans réfractaires. Le 17 janvier 44, Greber, un voisin alsacien du lotissement St Georges et responsable départemental du mouvement Combat est arrêté à la préfecture où il travaille, mais il sera, assez curieusement, rapidement libéré. Houver entre alors en clandestinité avec l'accord complice du recteur Lagaude qui valide un dossier médical de maladie pulmonaire truqué. Ce même dossier sert à justifier plusieurs mises en congé maladie d'autres enseignants rejoignant un maquis (c'est le cas d'Ancel). Il s'installe chez un réfugié lorrain dans une ferme près de St Astier en Dordogne d'où il effectue de fréquents déplacements vers Lyon, Clermont, Limoges et les centuries. Gustave Houver et son épouse Marie-Louise Diener-Houver, avec leur nièce Chantal Diener. Ligueux (Dordogne), été 1943 (arch. Fam. Houver). Le 22 février à 6 heures du matin la Gestapo effectue une descente au quartier St Georges avec 3 camions de soldats armés, ils forcent les portes et fouillent plusieurs maisons dont les logements de Houver et de ses beaux-parents Diener qui étaient en congé de carnaval dans le village de Ligueux à une vingtaine de km de Périgueux. Entre temps, Houver et Ancel avaient rejoint un maquis de l'AS en formation dans la forêt de la Double. Ancel en prend rapidement le commandement sur le terrain pendant que Houver reprend son travail de liaison. Le dimanche 2 avril 44 Houver dîne clandestinement avec sa famille à Ligueux, leur promettant de revenir le 9, jour de Pâques. Il ne la reverra qu'en mai 1945. Le jeudi 6 avril 44, pour discuter des moyens d'armement, se réunissent à Limoges, un responsable de l'ORA et les chefs départementaux du GMA sud : Houver pour la Dordogne, Courtot pour Toulouse, Hubert et Dillenseger pour la Haute-Vienne. Bernard Metz qui devait également participer à la réunion n’y parviendra jamais car son train déraille sur des voies détruites par la résistance, entre Clermont Ferrand et Guéret. Après la réunion, ils sont tous les quatre arrêtés à 5 heures de l’après-midi par la Gestapo conduite par Greber. On ne saura jamais si Greber était déjà un agent allemand infiltré ou s'il avait été "retourné" par la gestapo pendant son incarcération. Responsable de nombreuses arrestations de résistants il sera plus tard "exécuté" par les FTP. Houver est interrogé et torturé en présence de Greber, il reste ensuite emprisonné pendant plusieurs semaines sans autres interrogatoires. Il peut néanmoins échanger quelques lettres avec son épouse et apprend ainsi la naissance de son fils Jean-Christophe le 26 avril 1944. Le 12 mai 44, il est transféré de Limoges au camp de transit de Compiègne. Il apprend là, d'un autre prisonnier, l’arrestation par la résistance du traître Greber et comprend alors la raison de l’arrêt de ses interrogatoires. Le 21 mai, c'est le départ vers l’Allemagne en train de marchandise, à raison de cent hommes par wagon, pour arriver le mercredi 24 mai au camp de concentration KZNeuengamme près de Hambourg. C'est le premier convoi de Français (1986 personnes) qui arrive dans ce camp (les précédents étaient polonais et russes). Quatre autres convois français d’environ 2000 personnes arriveront en juin et juillet en provenance de Compiègne ou de Belfort. De 1942 à 1945 le camp recevra 100 000 déportés dont la moitié seront ensuite envoyés dans des "commandos" situés dans toute l'Allemagne. Pendant deux mois il est affecté au Klinkertwerk (briqueterie) à décharger des péniches dans des conditions très pénibles puis au Metalwerk (fabrication d'armes). Grâce à sa connaissance de l'allemand il peut ensuite entrer au Schreibstube (secrétariat) dans des conditions de vie un peu moins pénibles. Après les bombardements intenses de Hambourg pendant l'hiver 44-45, les Anglais atteignent la rive gauche de l’Elbe à la mi-avril 1945. Le camp de Neuengamme est évacué par les responsables SS du camp. Houver fait partie du dernier convoi qui, parti en train à bestiaux le 26 avril, arrive après un bombardement à pied dans le port de Lübeck le 2 mai 1945. La mort de Hitler est annoncée et on dit aux déportés qu'ils partent pour la Suède. En fait Houver et ses codétenus sont embarqués sur un cargo, le Thielbeck, qui est remorqué en baie de Lübeck où stationnent déjà un autre cargo, le Deutschland, et un grand paquebot, le Cap Arcona, tous deux également chargés de déportés des camps de Neuengamme, DoraMittelbau et Stutthof (en Allemagne, et non celui du Struthof-Natzweiller en Alsace). Le projet des nazis était vraisemblablement de rejoindre la haute mer et de couler ces navires pour faire disparaître les déportés. On ne le saura jamais car le 3 mai, à 14h30, une escadrille de la Royal Air Force anglaise survole la baie, bombarde les bateaux et mitraille les nageurs rescapés, les prenant pour des Nazis en fuite. Le Cap Arcona prend feu et se couche sur le flanc, le Deutschland coule instantanément et le Thielbeck s’incline et met un quart d’heure pour couler. Dans cette tragédie près de 8 000 personnes meurent noyées. Environ 300 déportés seulement survivent, dont Houver qui réussit à s'extraire du Thielbeck et à nager vers la rive. Il est récupéré par une vedette allemande puis enfin libéré par des soldats anglais dans la ville de Neustadt. En définitive plus de la moitié des 100 000 déportés du camp de Neuengamme auront péri du fait des conditions inhumaines de vie et de travail, de la violence des gardiens SS ou du naufrage final. Après sa libération, Houver reste 2 semaines à Neustadt en participant avec les autorités militaires anglaises à l'accueil, au regroupement et au rapatriement des rescapés français. Il est ensuite lui-même rapatrié en camion et arrive à l'hôtel Lutetia à Paris, au centre d'accueil des déportés, le 22 mai 1945. Houver n'a alors aucune nouvelle de sa famille laissée en Dordogne. Où les chercher ? Une tante habitant Issy-les-Moulineaux le renseigne et le met en contact avec son beau-frère Ferdinand qui réside à Paris. Il apprend alors qu'après son arrestation à Limoges les résistants de ce réseau, devenu la Brigade Alsace-Lorraine, ont continué la lutte. Ils ont participé à la libération du Sud-Ouest, puis ont pris la route des Vosges et de septembre 44 à avril 45 ont combattu aux côtés de l'Armée de De Lattre jusqu'à la libération totale de l'Alsace-Lorraine. Il apprend aussi que le chef de cette "Brigade Alsace Lorraine" s'appelle André Malraux, le frère de Roland Malraux, déporté avec lui à Neuengamme, devenu son ami et disparu dans le naufrage du Cap Arcona. Le lendemain, Houver rencontre André Malraux et la femme de Roland à Paris pour les informer du sort de Roland, une mission bien douloureuse. Houver arrive en Moselle le 24 mai 1945 où, après plus d'un an d'absence, il retrouve enfin sa famille et découvre Jean-Christophe, son fils de 13 mois. Très vite, le recteur Lagaude, revenu à Strasbourg, lui propose de créer une Ecole Professionnelle dans l'esprit de la loi Astier de 1919, non appliquée en Moselle. Il se lance à corps perdu dans cette aventure, car bâtir une formation pour l'avenir de la jeunesse permettrait de compenser les effets de l'entreprise de démolition humaine dont il sort. Jean-Christophe Houver, Marie-Noèl Diener-Hatt Première publication dans le DVD “La résistance des Alsaciens”, Aeria, oct. 2016, reprise avec l’aimable autorisation de l’Aeria Sources Bull. BAL n° 248-49, 1998, pp. 53-61 Archives famille Houver Archives famille Diener Bibliographie B. Metz , Les résistances des Alsaciens-Mosellans durant la seconde guerre mondiale 19391945 pp.175-207, Actes du colloque 19-20/11/2004, dir. Alfred Wahl, Metz, 2006. Adelphe Peltre (1915-1944) Né le 31 mai 1915, fils d'un petit cultivateur d'Albestroff (Moselle) et troisième de cinq enfants, l’instituteur du village (Mr Guirlinger) le pousse vers l'école primaire supérieure (EPS) de Phalsbourg (Moselle), d'où il intègre l'école normale (EN) de Montigny-lès-Metz (promotion 193134). Il y noue une amitié forte avec Antoine Diener, futur "Ancel" dans la clandestinité en 1944. En stage en 1935 à l'EPS de Dieuze (Moselle), il est ensuite en poste au cours complémentaire de Sarralbe (Moselle) de septembre 1934 à juillet 1938, bénéficiant d'un sursis en tant que soutien de famille. Durant cette période, il revient fréquemment à Albestroff à vélo (19 km) pour aider son père, déjà âgé pour travailler seul, en remboursant notamment par des journées de travail des labours au cheval effectués par des cousins ou voisins plus riches. Après un passage au centre d'instruction météorologique de Saint-Cyr (automne 1938), il effectue son service militaire à Toulon-La Mître dans la Marine, en tant que matelot spécialité météo. Il est démobilisé le 28 août 1940 et affecté à un poste administratif à l'inspection des écoles d'Alsace-Lorraine, logée à l'école Jules-Ferry, avenue de Paris à Périgueux (Dordogne). Ses parents ont été expulsés d'Albestroff, village de langue française, et envoyés à Béziers où la vie est difficile et le ravitaillement insuffisant, Adelphe les fait venir ; c'est là qu'ils apprennent la mort de Jeanne, la plus jeune soeur d'Adelphe, tuée à Châtillon sur Seine lors d'un bombardement italien. L'été 1941 et 1942, avec d'autres amis instituteurs de l'EN de Montigny-lès-Metz, il participe aux "Carrefours des Tilleuls" organisés par Emile Baas, professeur de philosophie alsacien réfugié à Rodez (Aveyron). C'est une grande semaine de "rencontres", à mi-chemin entre retraite et colonie de vacances, qui réunit les élèves normaliens repliés à Solignac et Bergerac. On analyse la germanisation et la nazification de la jeunesse d'Alsace-Moselle et on réfléchit à ce que devra être une reconstruction de la petite patrie dans une ligne de démocratie chrétienne. Les aînés, dont Adelphe et Antoine Diener-Ancel, encadrent les ateliers et rédigent à leur retour un rapport de huit pages pour diffuser, dès 1941, la conviction dissidente d'un retour français en Alsace-Moselle. Adelphe Peltre et son épouse MarieThérèse durant l'été 1943. (arch. Fam. Diener) 20 juillet 1941 Pont sur l’Isle, à Savignac-les-Eglises De gauche à droite, second rang :Adelphe Peltre, Antoine Diener-Ancel. Premier plan : Paule Mallet-Diener et MarieThérèse Schmitt-Peltre. (arch. Fam. Diener). Chargé des services de comptabilité de l'Inspection à Périgueux, il accueille souvent des collègues venus des départements de l'Est. Il fait ainsi la connaissance de Marie-Thérèse Schmitt, institutrice strasbourgeoise réfugiée. Ils se fiancent en été 1941. A la même période c'est le retour des réfugiés en Alsace : Marie-Thérèse reçoit son ordre de mission pour reprendre son poste à Strasbourg. Comme elle ne souhaite pas retourner en Alsace annexée et qu'elle n'a plus de travail à Périgueux, elle trouve un poste de dactylographe à Vichy, au ministère de l'Instruction publique. Adelphe parvient à obtenir une mutation à Vichy. Ils se marient à Périgueux le 27 décembre 1941 et vivent à l'hôtel Barcelone à Vichy. Après la naissance d'une petite fille, en avril 1943, Marie-Thérèse tombe malade. Elle repart à Périgueux où elle loge chez sa tante Juliette Schmitt, réfugiée, la maman d'Adelphe s'occupant du bébé jusqu'en juillet. C'est une séparation de plusieurs mois avant qu'Adelphe ne puisse revenir à Périgueux. Affecté au service social de l'Enseignement public à Périgueux, il y paie de sa personne jusqu'à son départ pour le maquis. D'octobre 1943 à février 1944, il est engagé dans l'Armée secrète (AS). Puis, de février à juin 1944, il participe à l'organisation et à la mise sur pied du service départemental de renseignement du réseau Martial dont le responsable est Gustave Houver, Christophe. Après l'arrestation de ce dernier en avril 1944, il continue seul puis en mai 1944, il devient l'adjoint du lieutenant Bennetz alias Guéry. Adelphe Peltre rejoint début juin 1944 le maquis AS dirigé par son ami Antoine Diener, Ancel, dont il devient l'adjoint. En tant que sous-lieutenant des Forces françaises de l'intérieur (FFI), il contribue à la difficile organisation du maquis, débordé par l'afflux des volontaires : un millier en quelques jours, qu'il faut renvoyer chez eux en attendant de pouvoir les nourrir et les armer, tout en dispersant ceux qui restent en petits groupes. En juillet 1944, il exerce le commandement du maquis pendant la semaine où Ancel va réceptionner les armes parachutées sur le plateau de Moustalat (Dordogne), à 150 kilomètres de là Périgueux, 9 septembre 1944. - De g à dr, dernier rang, Antoine Diener (père), Paul Diener, Georges Schmitt. Premier rang, Ferdinand Diener, Antoine Diener-Ancel et Adelphe Peltre (arch. Fam. Diener). . Durant cette période, il parvient tout même à venir voir de temps en temps sa femme et son bébé la nuit, en passant par la fenêtre de l'arrière-cour ; elle le raccompagne ensuite jusqu'à la sortie de Périgueux, le bébé sur le porte-bagages…. C'est aussi l'époque où sa belle-soeur, Annette Schmitt, 21 ans, assure à bicyclette une partie des liaisons pour le maquis entre Périgueux et Vergt et vit quelques aventures rocambolesques… En août 1944, le maquis, baptisé par Ancel "Légion Alsace-Lorraine" pour marquer ses origines et son ambition de retour les armes à la main, participe aux combats de la Libération de la Dordogne, Atur, Saint-Astier, Périgueux et fournit un appui aux combats pour Angoulême. Après la libération de Périgueux (20 août) Adelphe participe activement à l'organisation du bataillon Strasbourg de la Brigade Indépendante Alsace-Lorraine (BIAL). Il est aussi de ceux qui, avec Ancel et Bernard Metz, appuient l'attribution du commandement de la Brigade à André Malraux. Les quelque 600 hommes du bataillon Strasbourg quittent Périgueux le 9 septembre 1944 en direction du front de l'Est, en un convoi hétéroclite de camions gazogènes et de voitures dépareillées, que l'on peine à faire rouler par petites étapes entrecoupées de haltes de plusieurs jours pour réparer. Ancel souffre d'une pleurésie, Adelphe a la charge du commandement pour faire avancer le bataillon : Fretigney-et-Velloreille (près de Vesoul en Haute-Saône) est atteint le 20 septembre 1944. La Brigade Indépendante Alsace-Lorraine, créée par la volonté de quelques hommes seulement, à la faveur aussi de circonstances favorables, prend corps en cette fin septembre avec l'arrivée du bataillon Metz, issu des maquis du Gers, et du bataillon Mulhouse, issu des maquis savoyards et de Belfort. Le bataillon Strasbourg prend son cantonnement à Froideconche (près de Luxeuil en Haute-Saône). Le 27 septembre 1944, c'est l'engagement de la compagnie Verdun (l'une des trois compagnies qui composent le bataillon Strasbourg) en appui des chars de la 1ère division blindée (DB) de l'armée du général de Lattre de Tassigny "au Nord-Est de Vesoul", en direction du Thillot et de la vallée de la Moselle. Les combats sont durs et les hommes mal équipés. Le 2 octobre 1944, Ancel, Adelphe et leurs chauffeurs, Popaul (Paul Diener) et Gaston (Michel Valdan), montent à Bois-le-Prince (commune de Ramonchamps Vosges) sur la route des crêtes de HauteSaône où sont engagés les hommes de Verdun. Ils apportent des casques, enfin disponibles, aux soldats coincés dans leurs trous. Dans des lignes assez calmes, une série de tirs éclate. Adelphe est tué par un tir de mortier. Durant ces quelques jours la Brigade Froideconche (Haute-Saône), octobre 1944 perd 30 hommes et compte 60 blessés. Enterrement d'Adelphe Peltre (arch. Fam. Diener) Le 28 septembre 1944 dans une lettre parvenue le 4 octobre 1944, Adelphe écrivait à sa femme: "C'est la guerre et elle s'annonce suffisamment rude pour que nous la regardions en face. De quoi demain sera-t-il fait ? A la grâce de Dieu. Je n'ignore pas que j'ai femme et enfant, enfants peut-être ? Et pour vous, et pour moi, je tiens à la vie pour faire tout mon devoir : celui d'homme, au plein sens du mot, qui essaye de donner à tous ce qu'il doit de lui-même, et qui est sans témérité..." Adelphe Pierre Peltre, Marie-Noèl Diener-Hatt Première publication : Chemins de la Mémoire - Le maquis de Durestal, ANACR, Périgueux, 2013 Sources - Archives privées de la famille Peltre : note « Adelphe Peltre » écrite en 1985 par Marie-Thérèse Peltre ; - Archives privées de la famille Diener-Hatt, - COMEBAL, Etat des personnels de la Brigade Alsace-Lorraine (BAL). Bibliographie - Chemins de la Mémoire - Le maquis de Durestal, Dir. J.P. Bédoin, 2013, publication ANACR Dordogne, Périgueux, 112 pages, pp. 102 – 104. - TROMMENSCHLAGER Rémy, Prosopographie de la Brigade Alsace-Lorraine, Mémoire de Master 1 et 2 Histoire de l'Europe, Université de Haute-Alsace - Mulhouse, 2011-2012. Paul Albert ( 1924- 8 mai 2003) Les Incorporés de Force 33 jeunes Alsaciens-Lorrains, incorporés de forces par les Nazis, désertèrent et s'engagèrent dans la BAL.Certains sont évadés depuis le front de l'Est, tel Paul Rossé, né à Guebwiller, 23 ans, Moscou, qui arrive dans le groupe Ancel dès février 1944 ; tué le 2 juin 1944 dans le combat du Grand-Castang en Dordogne, il n'a pu délivrer son Alsace natale. D’autres ont déserté à l'occasion d'une permission ou d'un cantonnement en zone sud : Antoine Burg, mosellan rallie le groupe Ancel, puis le bataillon Strasbourg, il est tué à Ramonchamp en octobre 44 ; Gaston Hirtz de Hirsingue déserte en mars 43 en Savoie et combat dans le Bataillon Mulhouse ; Victor Tchelesnikow déserte à Périgueux, combat dans le Bataillon Strasbourg, « est rappelé par l'URSS le 24 octobre 1944» sur demande de l'URSS. D'autres encore désertent en Alsace et rejoignent la BAL. L'un deux est mieux connu des membres du COMEBAL, c'est Paul Albert. Paul Albert est né à Grigy (Moselle) en juin 1924. Incorporé de force en 1/43, il déserte lors d'une permission dans sa famille à la suite d'une blessure au pied lors d'un exercice en Pologne ; il est recherché, sa famille menacée de représailles, mais tous sont tirés d'affaire car un témoin affirme qu'il a été tué lors du bombardement de la gare de Metz. Lui a fui par la zone interdite, a passé la ligne de démarcation, et par Riom, Clermont Ferrand, il arrive en Dordogne ; il trouve un emploi et une cachette dans une ferme, sous la menace de dénonciation. Il a vraisemblablement été pris en charge par de multiples réseaux de passeurs dont les membres des réseaux Martial et AS. Recruté par Paul Seret-Mangold, il arrive au maquis Ancel après 6 juin 1944. Le 24 juin 1944 le maquis est attaquée par l'ennemi qui incendie les bois ; Ancel disperse ses hommes par petits groupes dans des lieux épars ; Paul Albert fait partie du groupe Rasquin, abrité dans une bergerie isolée au lieu-dit Martel sur la commune de Marsaneix. Alsace, hiver 1945 à gauche Paul Albert, Bouboule Photos arch. fam. Albert Le 18 juillet 1944 au petit matin, des soldats ennemis, guidés par des miliciens sur dénonciation, les arrêtent fourbus de sommeil au retour d'une nuit de parachutage. Paul Albert, qui comprend les ordres donnés en allemand par l'officier et à pu voir le comportement de l'armée allemande en Pologne, joue son va-tout, crie à ses copains « sauvez vous ils vont nous fusiller », file en zigzag à travers les vignes, rejoint les bois, blessé au bras mais sauf ! Il entend le bruit de la fusillade. Il rejoint le PC du maquis et conduisit sur les lieux ses responsables, dont Adelphe, adjoint d'Ancel non encore rentré du parachutage de Moustoulat en Corrèze. Le maire de Marsaneix, Monsieur Boisavy avait fait chercher entre-temps les corps des 9 compagnons fusillés, installer une chapelle ardente et le curé célébra la cérémonie de l'enterrement le lendemain. Un conseil de guerre est réuni le soir même du massacre : composé du maire, du curé et des chefs du maquis ; l’enquête à la ferme proche trouve les billets, prime de la dénonciation, qui sont encore sur le manteau de la cheminée, et recueille les aveux de la fermière et de son fils. La condamnation à mort est prononcée et appliquée. Tous les décès, ceux des morts pour la France et ceux des dénonciateurs sont inscrits dans l’État-Civil de la Commune avec leur cause par le Maire Boisavy. Paul Albert participa aux combats de la Libération en Dordogne puis s'engagea à la BAL au Bataillon Strasbourg, fit toute la campagne d'Alsace, avec une blessure dans les Vosges, et continua la campagne d'Allemagne sous les ordres du Colonel Jacquot après la dissolution de la BAL. Comme le raconte le Docteur Jean Gaussen, médecin du maquis Ancel puis du Bataillon Strasbourg, une demande exceptionnelle de chaussure pour pied bot fut déposée pour lui auprès du service d'Habillement de la 1ere Armée! Après la guerre il fut un membre actif et fidèle de l'Amicale des Anciens de la BAL, section Moselle ; il reçut et régala avec grande générosité ses membres dans son restaurant de Metz. Il resta fidèle à ses camarades de maquis en Dordogne : il finança avec la prime de réparation que la RFA versa aux Malgré Nous l'aménagement de la stèle érigée sur le lieu-dit Martel sur la Commune de Marsaneix en Dordogne, devenue un des lieux de mémoire de la BAL. Il fut présent jusqu'à sa mort aux cérémonies de mi-juillet qui commémorent la mémoire de ces jeunes maquisards « Morts pour la France ». La commune de Marsaneix le déclara « citoyen d'honneur » et la place de la commune porte son nom. Marie-Noèl Diener-Hatt Sources Archives famille Albert Bull. BAL n° 205, 1987, pp. 12-14 Paul Rossé, Moscou Né le 24 août 1921 à Guebwiller. En février 1944, il entre dans le maquis de l'Armée secrète (AS) du groupe Ancel lorsque les deux frères Porcher, Montrouge et Sarthois y arrivent. Dans leur journal, rédigé à quatre mains fin des années 1970, ils le présentent sous le pseudo de Moscou, venu des neiges soviétiques. Incorporé de force dans la Wehrmacht, évadé, garçon un peu « étrange » qui a des colères subites et des moments de grande émotion, peu causant. Paul Rossé, Moscou Lors d'un atelier de maniement d'armes, Paul Rossé blesse un camarade de maquis Pauly et il faut l'empêcher de se tirer une balle. Le camarade s'en sort heureusement. Lorsque le maquis reçoit enfin un seul bazooka, Moscou leur apprend que les chars Tigre ont un angle mort qui est leur talon d'Achille. Fait-il partie de l'unité des Géorgiens arrivée en Dordogne l'hiver 1943-44, rescapée de la bataille de Stalingrad ? Ceux qu'André Bord et Jean Claus essayaient de rallier à la résistance alsacienne par la désertion ? Il fait partie de toutes les échauffourées du printemps 1944 que mène le groupe Ancel. Le 21 juin 1944, sous le commandement du sergent Innocenti Blanchet, il meurt dans le combat du Grand-Castang près du cingle de Trémolat de la Dordogne vers midi. Le groupe Ancel envoie en renfort une section. Le récit du combat est celui de Montrouge qui tient l'unique bazooka et qui essaie de retenir la leçon de Moscou. Ce dernier fait feu sur un Panzer avec son fusil mitrailleur (FM) et subit un tir mortel en retour. Ils affrontent le groupe de combat Bode, unité de reconnaissance de la division des Waffen SS - Das Reich, arrivée le 19 juin 1944 à Bergerac. Le groupe Ancel perd trois hommes dont Moscou et compte dix blessés graves. Vers le soir, Montrouge et son chargeur Titi retournent sur le lieu du combat, et emportent sur une charrette réquisitionnée les blessés et les morts au village du Grand-Castang, où les villageois, maire et curé en tête, dressent une chapelle ardente et préparent des obsèques pour le lendemain. Marie-Noèl Diener-Hatt Première publication : DVD “La résistance des Alsaciens”, Aeria, oct. 2016, reprise avec l’aimable autorisation de l’Aeria Sources - COMEBAL, Etat des personnels de la Brigade Alsace-Lorraine (BAL). . - SHD, 16 P 520712, P, Paul Rossé né le 24 août 1921 à Guebwiller (Haut-Rhin). . Bibliographie - Chemins de Mémoire - Le maquis de Durestal, Samedi 15 juin 2013, publication, ANACR Dordogne, 112 pages. . - PENAUD Guy, Histoire de la Résistance en Périgord, Périgeux, P. Fanlac, 1985. - PENAUD Guy, La « Das Reich », 2e SS Panzer Division, Périgueux, La Lauze, 2005. - PENAUD Guy, Les crimes de la division Brehmer, Périgueux, La Lauze, 2004. - TROMMENSCHLAGER Rémy, Prosopographie de la Brigade Alsace-Lorraine, Mémoire de Master 1 et 2 - Histoire de l'Europe, Université de Haute-Alsace - Mulhouse, 2011-2012.