Une culture sismique locale à la Guadeloupe

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Actes des VIe Rencontres - Archéosismicité & Vulnérabilité, Environnement, bâti ancien et société ∗ Groupe APS ∗ 2002
Une culture sismique locale à la Guadeloupe
Michèle Robin-Clerc1
Résumé
Le centre ancien de Pointe-à-Pitre, ville côtière bordée
par la mer au sud et à l’ouest, a de nombreuses fonctions.
Elles sont politiques, administratives, touristiques et
commerciales. Mais l’aspect patrimonial de cette « Ville
d’art et d’histoire » est prépondérant. De par son passé
particulier au travers de sa résistance aux catastrophes,
elle porte les traces claires et lisibles de l’histoire de la
Guadeloupe et exprime une culture sismique locale
originale. La compréhension des typologies nées de cette
résistance aux catastrophes peut permettre de renforcer le
patrimoine existant qu’il soit celui des bâtiments classés,
des maisons de villes et immeubles ou des formes
urbaines. L’enjeu de la préservation de ce centre ancien
est la place primordiale qu’il occupe dans l’inconscient
collectif des Guadeloupéens
1. Introduction
L’histoire de Pointe-à-Pitre, port commerçant fondé en
1775 sur des marécages, va être celle de la lutte
permanente contre les incendies auxquels le bois ne
résiste pas et les tremblements de terre qui détruisent les
murs de maçonnerie. Entre 1775 et 1899, cette ville va
subir quatre incendies et deux séismes. Le séisme de
1843 sera suivi d’un incendie dévastateur. A chaque
désastre, les habitants courageux, le gouvernement
volontaire, un architecte ingénieux, tenteront par des
arrêtés, des prescriptions ou des ordonnances de rendre
les bâtiments résistants à ces catastrophes hélas
antinomiques.
Caraïbe et les séismes de sources lointaines inter-plaques
Caraïbe / Amérique (subduction).
2.1.1. Séismes de subduction (séismes inter-plaques) :
l’est caraïbe correspond à une marge active liée à la
subduction de la plaque Amérique sous la plaque Caraïbe
(Figure 2). Les caractéristiques de cette subduction
semblent justifier un niveau d’activité sismique
relativement modéré par rapport à d’autres zones de
subduction. Les forts séismes de subduction y sont
relativement rares, et de magnitude maximale de l’ordre
de 7.5 à 8. (le séisme de 1843 pourrait être un séisme de
subduction).
2.1.2. Séismes intra-plaque
2.1.2.1 De source lointaine : les séismes de sources
lointaines sont des séismes dont la distance au foyer est
supérieure à 10 Km. Les séismes de 1974 et de 1953,
pourtant de magnitudes proches de celui de 1843 (qui
pourrait être un séisme intra-plaque de source lointaine),
ont cependant leurs foyers beaucoup plus éloignés de la
Guadeloupe que celui de 1843, ce qui explique que les
dégâts occasionnés aient été moindres.
2.1.2.2 De source proche : les séismes de sources
proches ont des foyers situés à une distance de la
Guadeloupe inférieure à 10 km. Ceux générés par le jeu
des failles actives proches de l’agglomération (entre 0.5
et 4 Km) peuvent être de faible magnitude (maximum
5.5) et de courte durée, entraînant des pics d’accélération
pour les bâtiments de périodes de 0.1 à 0.5 s. (Martin et
Secanell, 2002).
2. Analyse de la sismicité
2.1. Cadre sismotectonique
La structure du globe génère un jeu entre les plaques qui
le composent en surface. Les séismes sont générés par
des failles. Ces failles peuvent être situées dans les
plaques, intra-plaque (sismicité intra-plaque), ou dues au
jeu de deux plaques entre elles, inter-plaques (sismicité
inter-plaques). Pour la Guadeloupe, la zone inter-plaques
Caraïbe/Amérique
est
caractérisée
par
un
chevauchement de la plaque Caraïbe sur la plaque
atlantique, c’est une zone de subduction.
La Guadeloupe est soumise à trois types de séismes
(Figure 1): les séismes de sources proches intra-plaque
Caraïbe, les séismes de sources lointaines intra-plaque
1
2.2. Etude de l’activité sismique
Le réseau de surveillance sismique de l’Observatoire
Volcanologique de la Soufrière de Guadeloupe
(O.V.S.G.) enregistre entre 500 et 1200 séismes par an
(Figure 3). Tous ont un foyer inférieur à 190 kilomètres,
la plupart s’initiant à une profondeur inférieure à 40
kilomètres. La majorité des séismes a une magnitude
inférieure ou égale à 2.5. Entre 5 à 10 séismes de
magnitude supérieure ou égale à 4 sont ressentis chaque
année par la population. La plupart des séismes ont des
épicentres situés au nord et au nord-est de la GrandeTerre et de la Désirade, au nord et à l’est de MarieGalante et dans la région proche d’Antigue. Une zone
moins sismogène existe entre la Désirade et MarieGalante et pourrait constituer une zone dite de lacune
architecte, 21, passage Lathuille, 75018 Paris, courriel : [email protected]
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Figure 1 : Carte tectonique des Petites Antilles (Source N. Feuillet).
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Figure 2 : Système de failles actives de la Guadeloupe (Source N. Feuillet).
sismique dans laquelle l’énergie s’accumule dans les
roches sans être dissipée. Ceci augmente la possibilité
d’un séisme important dans le futur compte tenu du passé
sismique de la région (magnitude 7.5 à 8).
Pour analyser la déformation de la plaque Caraïbe,
l’Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP) a mis en
place, en 2002, un réseau d’antennes particulier. Il s’agit
de trois stations avec antennes GPS (Global Positioning
System) situées à Basse-Terre, en Région Pointoise et à
la Pointe des Châteaux, qui servent à mesurer les
déformations superficielles de la plaque Caraïbe induites
en Guadeloupe par la subduction de la plaque Atlantique
Séismes forts ressentis à la Guadeloupe
Intensité
VI
VII
XVIIème siècle
1 (1690)
XVIIIème siècle
1
2
XIXème siècle
(1843)
6
3
XXème siècle
4
1669-1978
12
5
VIII
IX
2 (1897/51) 1
2
1
Figure 3 : Séismes forts ressentis à la Guadeloupe, d’après
Feuillard, 1980.
sous la plaque Caraïbe. S’il y a « blocage » au niveau
de l’interface de subduction, cela entraînera des
déformations de la plaque Caraïbe qui se verront sur le
réseau GPS. Ces mesures permettront alors d’estimer la
magnitude possible à attendre pour un fort séisme de
subduction. S’il n’y a pas de déformation mesurable de
la plaque, cela signifiera que le glissement le long de la
zone de subduction se fait sans blocage significatif. La
tendance ne pourra pas être confirmée avant une dizaine
d’années, les déformations n’étant mesurables que sur la
partie émergée représentée par la Guadeloupe, c'est-àdire sur une centaine de kilomètres seulement
2.3. Aléa sismique régional
2.3.1. Mouvement au rocher
Les caractéristiques de la subduction concernant la
Guadeloupe semblent justifier un niveau d’activité
sismique relativement modéré par rapport à d’autres
zones de subduction. Notre durée d’observation est
courte (à peine plus de 3 siècles). Elle permet de voir que
des magnitudes 7,5 à 8, comme celle évaluée pour le
séisme de 1843, sont rares mais elle ne permet pas
d’estimer une période de récurrence fiable pour ce type
de séismes. L’aléa probabiliste pour une période de
retour de 475 ans, (soit 10% de probabilité d’occurrence
sur 50 ans), permet d’estimer des valeurs de pics
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d’accélération de l’ordre de 0,25 à 0,3g au rocher
pouvant être atteintes ou dépassées dans la région de la
Guadeloupe ((Martin et Secanell, 2002).
2.3.2. Effets de site
Les effets de site sont importants sous l’agglomération
de Pointe à Pitre, du fait de l’épaisseur de marnocalcaires meubles qui engendre une amplification des
ondes sismiques. L’amplification est due à la résonance
entre la période propre de cette couche meuble sollicitée
par les ondes sismiques et celle des bâtiments construits
sur ce sol.
2.3.3. Liquéfaction
Une grande partie de l’agglomération pointoise est une
zone de terrains potentiellement liquéfiables : milieu
granulaire peu consolidé et gorgé d’eau. En cas d’ondes
sismiques de forte amplitude, le sol perd sa cohésion et
les fondations des bâtiments s’enfoncent ou basculent
entraînant des dommages aux constructions.
3. Une culture sismique locale contrariée
De 1765 à 1775, la ville est fondée rapidement, selon un
plan en damier proposé par le Ministère de la Marine, sur
un sol marécageux et des mornes calcaires arasés. Les
matériaux des mornes arasés (« le solide ») ont servi à
combler les marais (« les comblements ») (Figure 4).
Figure 4 : Emplacement des mornes calcaires. Plan de Pointeà-Pitre en 1775. Centre des Archives d’Outre-Mer, 11/PFA/315.
3.1. L’incendie du 30 mars 1780
Les maisons étaient alors construites en bois avec une
couverture en essentes de bois.
« Il y eut 87 grandes maisons ou magasins brûlés, et
environ 24 petites maisons ou cases. Il n’existe plus
qu’environ 30 maisons. La perte totale est évaluée à près
de 10 millions, ce qui ne paraît pas exagéré, égard à
l’abondance de denrées et de marchandises de toute
espèce qui se trouvaient dans les magasins de
commerce». (d’Arbaud, 1780).
A la suite de cet incendie, l’ordonnance du 20 mai 1780
fut prise :
« Obligation de construire toutes les maisons
construites sur du « solide » en pierres et en tuiles. Les
maisons construites sur des « comblements » doivent
être couvertes en ardoises dès que les circonstances le
permettront; la séparation des terrains sur du solide ou
sur des comblements, doit être faite par un mur ».
(d’Arbaud, 1780).
Les ardoises et tuiles remplacèrent donc les essentes de
bois inflammables. Mais elles étaient plus lourdes. A la
suite de cet incendie on reconstruisit donc en pierres sur
le solide, de belles maisons à deux ou trois étages, et sur
les comblements des maisons ou de simples cases en
bois.
La situation à la veille du séisme de 1843 est celle-ci: sur
le solide sont construites des maisons en maçonneries à 2
ou 3 étages ayant des charpentes en bois et de lourdes
couvertures en ardoises ou en tuiles. Sur les
comblements on a édifié des maisons ou des cases en
bois. Les maisons n’ont pas de fondations ou des
fondations légères. Il y a 1389 maisons et terrains bâtis.
3.2. Le séisme du 8 février 1843.
Pointe-à-Pitre avait 12 000 habitants (il y en avait
129 000 pour la Guadeloupe). « On était le 8 février
1843, il était dix heures trente. C’était une belle matinée,
le ciel était serein. Quelques nuages d’un blanc éclatant
passaient au zénith. Pas de brise. La brise fraîche du
nord est atteignit la Guadeloupe après le désastre (…)
Il se fit un bruit comparable à celui d’un chariot roulant
sur des pavés à faible distance et le sol fut pris de
trépidations (...). D’abord assez faible, la secousse
acquérait de moment en moment plus de violence; vers le
milieu, elle devint extrêmement forte puis, après un
affaiblissement du mouvement, les oscillations reprirent
de leur violence, acquérant plus de force que jamais.
Enfin, progressivement, elles s’atténuèrent. » (Deville,
1843).
Cela dura une minute trente cinq secondes. Les gens sont
tombés, la terre leur manquant sous les pieds. Presque
tous les feux étaient allumés dans les cuisines pour
préparer le déjeuner. Les enfants étaient à l’école. Il y
avait environ 1400 maisons à Pointe-à-Pitre. 987
maisons et 90 constructions diverses furent détruites. Les
maisons s’écroulèrent. Il y eut rupture des conduites
enterrées, des dégâts aux réservoirs. Les maisons se
désolidarisèrent de leurs fondations quand elles en
avaient. Les sols se fracturèrent. Il y eut liquéfaction de
sols, c’est à dire que les sols sableux, imbibés d’eau de
mer, rejetèrent cette eau en fontaines artésiennes sous
l’effet des secousses et perdirent alors leur cohésion. Ils
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ne supportèrent plus aucune charge. L’incendie
commença juste après le séisme et dévora les maisons de
bois qui avaient résisté. L’hôpital brûla. Les 312 maisons
restantes étaient toutes en bois, elles étaient celles qui
avaient été épargnées par l’incendie de 1780. L’église
s’écroula, il ne resta que sa façade debout, avec son
horloge arrêtée à10 heures 45. Il y eut 1120 morts et 1500
blessés (Figure 5).
Figure 5 : Le séisme du 8 février 1843, Epinal 1843, fabrique
de Pellerin, gravure sur bois coloriée, 40X59 cm. 11/PFA/315.
Le tremblement de terre de 1843 ébranla fortement les
murs de l’église Saint-Pierre et Saint-Paul de Pointe-àPitre. La façade subsista, mais en si piteux état qu’il
fallut en abattre la partie supérieure à coups de canon
pour déblayer les approches du monument et permettre
les réparations. Les oeuvres vives étaient profondément
atteintes : colonnes branlantes, entablement lézardé,
tympan et clocheton ruineux... On du fermer l’église qui
le resta dix ans. Sans regret on démolit presque tout, avec
l’intention d’utiliser tous les matériaux utilisables.
3.3. La reconstruction
Ce fut l’architecte Petit qui fut chargé de la
reconstruction. Cet architecte eut l’idée que les
maçonneries armées pourraient être une réponse adaptée
et le formula ainsi :
« Les murs de pierre, construits suivant les usages
ordinaires, et nullement combinés de façon à résister à
de secousses de tremblement de terre, n’ont pu tenir
contre les mouvements qui les attaquaient en sens divers
; ils se sont brisés, et les matériaux, en se séparant, ont
entraîné la chute immédiate de tous les édifices. Au
contraire, les maisons de bois, présentant des murailles
plus légères, mais surtout adhérentes et en quelque sorte
élastiques, ont résisté aux violentes oscillations du sol et
ont repris leur position lorsque la terre s’est calmée. De
là est venue naturellement la pensée de n’employer que
le bois dans les constructions nouvelles. Puisqu’il est
reconnu que l’emploi du bois pour les constructions
nouvelles est, et doit être généralement et définitivement
adopté, nous poserons en principe que la concentration
d’un incendie, fléau malheureusement très fréquent, doit
être l’objet de toutes les études. La Pointe-à-Pitre ellemême en 1780, Hambourg et Port-au-Prince en 1842,
n’ont que trop prouvé le danger qu’offrent les maisons de
bois qui n’ont point été élevées en prévision de ces
terribles accidents. Il faut donc, pour obvier à ce péril
de tous les instants, trouver un moyen de concentrer le
feu à sa naissance ; en isolant chaque maison, puisque
l’incendie peut y éclater d’un moment à l’autre. Pour
nous, le plus facile comme aussi le plus sûr de tous les
moyens à employer, est de renfermer, d’enchâsser entre
deux murs de maçonnerie chacune des constructions en
bois. Ces murs seraient armés de montants et de
traversines en fer, fortement agrafés et reliés, de manière
à ne former de chaque mur qu’un seul bloc, qu’une seule
pierre, qui pourrait obéir aux mouvements du sol sans se
briser ; la disposition calculée et combinée de
l’armature maintiendrait les murs en tous sens et en
empêcherait la chute. » (Petit, 1844).
Il reconstruisit l’église en appliquant ces principes, très
proches des prescriptions parasismiques actuelles,
précisant qu’ils devaient être « une garantie contre les
secousses des tremblements de terre. ». Il arma les murs
de deux lits d’armatures, l’un intérieur, l’autre extérieur,
et les relia entre eux. De plus il chaîna les angles et les
ouvertures. La charpente métallique, enfin, soutenue par
des piliers métalliques séparant les nefs, est décollée de
la face intérieure des murs de façon à rendre
indépendante la maçonnerie.
3.4. L’incendie de 1871
La rue centrale était la rue des forges. Le feu partit des
foyers artisanaux des forgerons et s’alimenta des braises
des cuisines des maisons et de l’éclairage de nuit. Pointeà-Pitre fut détruite de fond en comble. A la suite de cet
incendie, l’arrêté de novembre 1871 fut pris, et trois
possibilités furent offertes aux habitants pour rebâtir :
- constructions avec des murs en briques et des
charpentes métalliques.
- réalisation d’une ossature de murs en bois avec des
remplissages en briques ou en maçonneries.
- exécution de rez-de-chaussée et de pignons latéraux,
jusqu’aux faîtages, en maçonnerie. Etages réalisés en
structure de bois avec des remplissages en bois ou en
briques.
Pointe-à-Pitre, à la veille du séisme de 1897, est
constituée de maisons ayant des rez de chaussée et des
murs pignons coupe-feu en maçonnerie et des étages en
bois. Les maçonneries sont de moellons de calcaire et de
mortier de chaux et de sable, sachant que la chaux de la
Guadeloupe est de très mauvaise qualité. Une dizaine de
maisons sont réalisées en fer et en briques. C’est très
coûteux et cela ne peut se généraliser. Les murs en
maçonnerie de certaines maisons ont été renforcés par de
grands S en fer reliés de part et d’autre du mur par des
étriers, suivant les recommandations de l’architecte Petit.
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3.5. Le séisme du 29 avril 1897
On était jeudi, il était 10 heures 25. « Les gens ont
entendu un grondement souterrain, certains parlent d’un
bruit de détonation qui aurait précédé la secousse
principale, enfin d’une immense clameur au milieu d’un
craquement général et du bruit d’effondrement des murs
(…) La terre a tremblé pendant dix à douze secondes,
d’abord d’un mouvement de trépidation puis d’un
mouvement d’oscillation de l’est à l’ouest » (Lacour,
1979). Le séisme dura douze secondes, avec une
intensité de VIII. Les pignons de maçonnerie
s’écroulèrent. 150 maisons en maçonnerie furent
détruites, il y eut 6 morts et 39 blessés. La façade de
Saint-Pierre et Saint-Paul fut toute « déchiquetée », les
murs de bas-côtés fendillés et la chapelle ouest très
endommagée.
Un nouvel arrêté fut pris : dorénavant les pignons
devront être réalisés en bois et recouverts de tôles. On
avait déjà oublié l’incendie.
4. Culture sismique locale de bâtiments isolés
Les règlements permettant de construire des bâtiments
parasismiques, s’ils génèrent des calculs complexes,
partent cependant d’observations simples que les anciens
ont appliquées d’instinct comme nous allons le voir dans
les bâtiments qui suivent et qui sont tous des bâtiments
antérieurs aux tremblements de terre de 1843 et 1897 et
existant encore aujourd’hui.
4.1. Formes simples
« Il convient de donner aux bâtiments en plan une forme
aussi simple que possible. Toute dissymétrie importante
se traduit par une amplification des oscillations de
torsion susceptibles de se produire dans le bâtiment ».
(Zacek, 1996).
Le clocher de l’église du Vieux Fort datant de 1730
(Figure 6), celui de l’église de Gustavia à Saint
Barthélémy (1730) et celui de l’église de Sainte-Rose
(1846) ont aussi des formes simples.
3.6. L’incendie du 17 au 18 avril 1899
Le feu prit à minuit, une forte brise du sud-est activait
l’incendie. Le dixième de la ville brûla. 313 maisons
furent détruites et 3000 personnes se retrouvèrent sans
abri. Les pertes furent évaluées à 3000000 de francs.
(L’Illustration, 1899).
3.7. Le cyclone de 1928
Ce cyclone dévasta la Guadeloupe et un architecte des
colonies, Ali Tur, fut envoyé pour reconstruire les
bâtiments gouvernementaux puis communaux (palais de
justice, mairies, églises…). Il introduisit le béton armé et
forma des ouvriers locaux à sa mise en oeuvre. Ce
matériau allait enfin permettre de lutter contre l’incendie
et contre le séisme.
3.8. Typologie du centre ancien
Actuellement, le centre ancien de Pointe-à-Pitre est une
vivante illustration de cette guerre incendie tremblement de terre. Aucun bâtiment antérieur au
séisme de 1843 ne subsiste. Seul nous sont parvenus, de
la deuxième moitié du 19ème siècle, des immeubles
ayant un rez-de-chaussée en maçonnerie, avec des étages
en bois et des murs pignons coupe-feu en maçonnerie
parfois renforcés par du fer. Les pignons en bois
recouverts de tôles ont été mis en place après le
tremblement de terre de 1897.
La construction neuve est réalisée bien sûr selon les
règles parasismiques, le plus souvent en béton et sur
pieux quand c’est nécessaire. Il est vraisemblable qu’en
cas de tremblement de terre d’une magnitude supérieure
ou égale à 7 les bâtiments du centre ancien, faits de
pignons et de rez-de-chaussée en maçonneries, seraient
détruits.
Figure 6 : Clocher de l’église du Vieux-Fort, 1730 (photo M.
Robin-Clerc).
4.2. Contreventements, chaînages et masse abaissée
« Le contreventement est l’aspect le plus important de la
protection parasismique. Il faut veiller à contreventer le
bâtiment dans le plan vertical et à créer des
diaphragmes horizontaux permettant le report des efforts
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horizontaux sur les éléments verticaux. D’une manière
générale il faut toujours se rapprocher de la symétrie de
contreventement par rapport aux deux plans principaux
de la construction ». (Zacek, 1996).
« Les
ouvrages
en
maçonnerie
nécessitent
l’encadrement par des chaînages ». (Zacek, 1996).
L’église dominicaine de Vieux-Habitants (1703-1721)
(Figure 7) a des chaînages d’angle, des piédroits, des
linteaux de portes et de fenêtres en pierres taillées. Les
façades sont faites de moellons noyés dans un mortier à
base de mélasse de canne à sucre car faute de calcaire
dans la région de Basse-Terre, un liant fut improvisé pour
remplacer la chaux. La charpente, en bois, est conçue
comme une coque de bateau renversée à ceci près que les
lisses sont alors fixées en dessous pour constituer la
voûte.
De même, l’église de Bouillante (1827), celle de
Figure 7 : Eglise dominicaine de Vieux-Habitants, 17031721 (photo M. Robin-Clerc).
Capesterre de Marie-Galante (1868) ont des contreforts
qui ne servent pas à supporter la charpente légère et tout
à fait classique des églises de cette époque.
« On doit s’efforcer d’abaisser autant que possible le
centre de gravité du bâtiment ». (Zacek, 1996).
Les maisons de Saint-Barthélémy, qui datent de la
première moitié du 19ème siècle, ont des murs épais de
70 cm.
5. Conclusion
L'église St Pierre et St Paul construite en 1853
correspond à un bâtiment dont le comportement
dynamique est proche de celui d'une construction en
béton armé. Parce qu'ils subissaient des tremblements de
terre destructeurs et fréquents (période de temps de
l'ordre de la génération), les anciens avaient observés
avec acuité leurs effets et conçus des techniques sismorésistantes telles que chaînages et liaisonnements. En ce
qui concerne les habitations de Pointe à Pitre, leur
expérience des techniques sismo-résistantes utilisant
traditionnellement le bois fut contrarié par leur
vulnérabilité au feu. Les matériaux utilisés pour résister
au feu ou au tremblement de terre s'opposèrent et se sont
succédés au rythme de ces catastrophes. Pour ce qui est
des plus vieilles églises de la Guadeloupe, elles sont
parvenues jusqu'à nous grâce à leurs contreforts, tirants
ou murs épais. On peut avancer que ces bâtisseurs qui
sur-dimensionnaient leurs constructions avaient acquis
une culture sismique locale. Ainsi, contreforts,
maçonneries armées, tirants, murs épais, constituent une
culture sismique à la Guadeloupe. On peut tout à fait
imaginer utiliser actuellement ces techniques pour
réduire la vulnérabilité du bâti ancien.
Bibliographie
d’Arbaud, 1780
d’Arbaud, Lettre du 17 avril 1780. CAOM. C7A39.
Feuillard, 1980
Feuillard, M., Nos séismes et nous. Bulletin de la Société d’Histoire de la Guadeloupe, 1980. N°43-44. p. 9 - 29.
Feuillet, 2000
Feuillet, N. Sismotectonique des petites Antilles. Liaison entre activité sismique et volcanique. Thèse de doctorat
de l’Université Paris 7, IPGP, 2000, 283 p.
Martin et Secanell, 2002
Martin, Ch. et Secanell, R. Révision du zonage sismique de la France, Etude probabiliste. Rapport Geoter, 2002.
L’Illustration, 1899.
Lacour, 1979
Lacour, A.. Histoire de la Guadeloupe. Société d’histoire de la Guadeloupe. Tome cinquième, pp.171-189.
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Petit, 1844
Petit, A. Plan et exposé de la situation actuelle de Pointe-à-Pitre. Locquin, Paris, 1844.
Sainte-Claire Deville, 1843
Sainte-Claire Deville, C. Observations sur le tremblement de terre éprouvé à la Guadeloupe le 8 février. Imprimerie
du Gouvernement,1843.
Zacek, 1996
Zacek, M. Construire parasismique. Parenthèses. Marseille, 1996.
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