Résumé
Le centre ancien de Pointe-à-Pitre, ville côtière bordée
par la mer au sud et à l’ouest, a de nombreuses fonctions.
Elles sont politiques, administratives, touristiques et
commerciales. Mais l’aspect patrimonial de cette « Ville
d’art et d’histoire » est prépondérant. De par son passé
particulier au travers de sa résistance aux catastrophes,
elle porte les traces claires et lisibles de l’histoire de la
Guadeloupe et exprime une culture sismique locale
originale. La compréhension des typologies nées de cette
résistance aux catastrophes peut permettre de renforcer le
patrimoine existant qu’il soit celui des bâtiments classés,
des maisons de villes et immeubles ou des formes
urbaines. L’enjeu de la préservation de ce centre ancien
est la place primordiale qu’il occupe dans l’inconscient
collectif des Guadeloupéens
1. Introduction
L’histoire de Pointe-à-Pitre, port commerçant fondé en
1775 sur des marécages, va être celle de la lutte
permanente contre les incendies auxquels le bois ne
résiste pas et les tremblements de terre qui détruisent les
murs de maçonnerie. Entre 1775 et 1899, cette ville va
subir quatre incendies et deux séismes. Le séisme de
1843 sera suivi d’un incendie dévastateur. A chaque
désastre, les habitants courageux, le gouvernement
volontaire, un architecte ingénieux, tenteront par des
arrêtés, des prescriptions ou des ordonnances de rendre
les bâtiments résistants à ces catastrophes hélas
antinomiques.
2. Analyse de la sismicité
2.1. Cadre sismotectonique
La structure du globe génère un jeu entre les plaques qui
le composent en surface. Les séismes sont générés par
des failles. Ces failles peuvent être situées dans les
plaques, intra-plaque (sismicité intra-plaque), ou dues au
jeu de deux plaques entre elles, inter-plaques (sismicité
inter-plaques). Pour la Guadeloupe, la zone inter-plaques
Caraïbe/Amérique est caractérisée par un
chevauchement de la plaque Caraïbe sur la plaque
atlantique, c’est une zone de subduction.
La Guadeloupe est soumise à trois types de séismes
(Figure 1): les séismes de sources proches intra-plaque
Caraïbe, les séismes de sources lointaines intra-plaque
Caraïbe et les séismes de sources lointaines inter-plaques
Caraïbe / Amérique (subduction).
2.1.1. Séismes de subduction (séismes inter-plaques) :
l’est caraïbe correspond à une marge active liée à la
subduction de la plaque Amérique sous la plaque Caraïbe
(Figure 2). Les caractéristiques de cette subduction
semblent justifier un niveau d’activité sismique
relativement modéré par rapport à d’autres zones de
subduction. Les forts séismes de subduction y sont
relativement rares, et de magnitude maximale de l’ordre
de 7.5 à 8. (le séisme de 1843 pourrait être un séisme de
subduction).
2.1.2. Séismes intra-plaque
2.1.2.1 De source lointaine : les séismes de sources
lointaines sont des séismes dont la distance au foyer est
supérieure à 10 Km. Les séismes de 1974 et de 1953,
pourtant de magnitudes proches de celui de 1843 (qui
pourrait être un séisme intra-plaque de source lointaine),
ont cependant leurs foyers beaucoup plus éloignés de la
Guadeloupe que celui de 1843, ce qui explique que les
dégâts occasionnés aient été moindres.
2.1.2.2 De source proche : les séismes de sources
proches ont des foyers situés à une distance de la
Guadeloupe inférieure à 10 km. Ceux générés par le jeu
des failles actives proches de l’agglomération (entre 0.5
et 4 Km) peuvent être de faible magnitude (maximum
5.5) et de courte durée, entraînant des pics d’accélération
pour les bâtiments de périodes de 0.1 à 0.5 s. (Martin et
Secanell, 2002).
2.2. Etude de l’activité sismique
Le réseau de surveillance sismique de l’Observatoire
Volcanologique de la Soufrière de Guadeloupe
(O.V.S.G.) enregistre entre 500 et 1200 séismes par an
(Figure 3). Tous ont un foyer inférieur à 190 kilomètres,
la plupart s’initiant à une profondeur inférieure à 40
kilomètres. La majorité des séismes a une magnitude
inférieure ou égale à 2.5. Entre 5 à 10 séismes de
magnitude supérieure ou égale à 4 sont ressentis chaque
année par la population. La plupart des séismes ont des
épicentres situés au nord et au nord-est de la Grande-
Terre et de la Désirade, au nord et à l’est de Marie-
Galante et dans la région proche d’Antigue. Une zone
moins sismogène existe entre la Désirade et Marie-
Galante et pourrait constituer une zone dite de lacune
Une culture sismique locale à la Guadeloupe
Michèle Robin-Clerc1
1architecte, 21, passage Lathuille, 75018 Paris, courriel : michele.robin-cler[email protected]
Une culture sismique locale à la Guadeloupe - Michèle Robin-Clerc
Actes des VIe Rencontres - Archéosismicité & Vulnérabilité, Environnement, bâti ancien et société
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Figure 1 : Carte tectonique des Petites Antilles (Source N. Feuillet).
sismique dans laquelle l’énergie s’accumule dans les
roches sans être dissipée. Ceci augmente la possibilité
d’un séisme important dans le futur compte tenu du passé
sismique de la région (magnitude 7.5 à 8).
Pour analyser la déformation de la plaque Caraïbe,
l’Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP) a mis en
place, en 2002, un réseau d’antennes particulier. Il s’agit
de trois stations avec antennes GPS (Global Positioning
System) situées à Basse-Terre, en Région Pointoise et à
la Pointe des Châteaux, qui servent à mesurer les
déformations superficielles de la plaque Caraïbe induites
en Guadeloupe par la subduction de la plaque Atlantique
sous la plaque Caraïbe. S’il y a « blocage » au niveau
de l’interface de subduction, cela entraînera des
déformations de la plaque Caraïbe qui se verront sur le
réseau GPS. Ces mesures permettront alors d’estimer la
magnitude possible à attendre pour un fort séisme de
subduction. S’il n’y a pas de déformation mesurable de
la plaque, cela signifiera que le glissement le long de la
zone de subduction se fait sans blocage significatif. La
tendance ne pourra pas être confirmée avant une dizaine
d’années, les déformations n’étant mesurables que sur la
partie émergée représentée par la Guadeloupe, c'est-à-
dire sur une centaine de kilomètres seulement
2.3. Aléa sismique régional
2.3.1. Mouvement au rocher
Les caractéristiques de la subduction concernant la
Guadeloupe semblent justifier un niveau d’activité
sismique relativement modéré par rapport à d’autres
zones de subduction. Notre durée d’observation est
courte (à peine plus de 3 siècles). Elle permet de voir que
des magnitudes 7,5 à 8, comme celle évaluée pour le
séisme de 1843, sont rares mais elle ne permet pas
d’estimer une période de récurrence fiable pour ce type
de séismes. L’aléa probabiliste pour une période de
retour de 475 ans, (soit 10% de probabilité d’occurrence
sur 50 ans), permet d’estimer des valeurs de pics
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Figure 3 : Séismes forts ressentis à la Guadeloupe, d’après
Feuillard, 1980.
Figure 2 : Système de failles actives de la Guadeloupe (Source N. Feuillet).
Séismes forts ressentis à la Guadeloupe
Intensité VI VII VIII IX
XVIIème siècle 1 (1690)
XVIIIème siècle 1 2
XIXème siècle 6 3 2 (1897/51) 1
(1843)
XXème siècle 4
1669-1978 12 5 2 1
d’accélération de l’ordre de 0,25 à 0,3g au rocher
pouvant être atteintes ou dépassées dans la région de la
Guadeloupe ((Martin et Secanell, 2002).
2.3.2. Effets de site
Les effets de site sont importants sous l’agglomération
de Pointe à Pitre, du fait de l’épaisseur de marno-
calcaires meubles qui engendre une amplification des
ondes sismiques. L’amplification est due à la résonance
entre la période propre de cette couche meuble sollicitée
par les ondes sismiques et celle des bâtiments construits
sur ce sol.
2.3.3. Liquéfaction
Une grande partie de l’agglomération pointoise est une
zone de terrains potentiellement liquéfiables : milieu
granulaire peu consolidé et gorgé d’eau. En cas d’ondes
sismiques de forte amplitude, le sol perd sa cohésion et
les fondations des bâtiments s’enfoncent ou basculent
entraînant des dommages aux constructions.
3. Une culture sismique locale contrariée
De 1765 à 1775, la ville est fondée rapidement, selon un
plan en damier proposé par le Ministère de la Marine, sur
un sol marécageux et des mornes calcaires arasés. Les
matériaux des mornes arasés (« le solide ») ont servi à
combler les marais (« les comblements ») (Figure 4).
3.1. L’incendie du 30 mars 1780
Les maisons étaient alors construites en bois avec une
couverture en essentes de bois.
« Il y eut 87 grandes maisons ou magasins brûlés, et
environ 24 petites maisons ou cases. Il n’existe plus
qu’environ 30 maisons. La perte totale est évaluée à près
de 10 millions, ce qui ne paraît pas exagéré, égard à
l’abondance de denrées et de marchandises de toute
espèce qui se trouvaient dans les magasins de
commerce». (d’Arbaud, 1780).
A la suite de cet incendie, l’ordonnance du 20 mai 1780
fut prise :
«Obligation de construire toutes les maisons
construites sur du « solide » en pierres et en tuiles. Les
maisons construites sur des « comblements » doivent
être couvertes en ardoises dès que les circonstances le
permettront; la séparation des terrains sur du solide ou
sur des comblements, doit être faite par un mur ».
(d’Arbaud, 1780).
Les ardoises et tuiles remplacèrent donc les essentes de
bois inflammables. Mais elles étaient plus lourdes. A la
suite de cet incendie on reconstruisit donc en pierres sur
le solide, de belles maisons à deux ou trois étages, et sur
les comblements des maisons ou de simples cases en
bois.
La situation à la veille du séisme de 1843 est celle-ci: sur
le solide sont construites des maisons en maçonneries à 2
ou 3 étages ayant des charpentes en bois et de lourdes
couvertures en ardoises ou en tuiles. Sur les
comblements on a édifié des maisons ou des cases en
bois. Les maisons n’ont pas de fondations ou des
fondations légères. Il y a 1389 maisons et terrains bâtis.
3.2. Le séisme du 8 février 1843.
Pointe-à-Pitre avait 12 000 habitants (il y en avait
129 000 pour la Guadeloupe). « On était le 8 février
1843, il était dix heures trente. C’était une belle matinée,
le ciel était serein. Quelques nuages d’un blanc éclatant
passaient au zénith. Pas de brise. La brise fraîche du
nord est atteignit la Guadeloupe après le désastre (…)
Il se fit un bruit comparable à celui d’un chariot roulant
sur des pavés à faible distance et le sol fut pris de
trépidations (...). D’abord assez faible, la secousse
acquérait de moment en moment plus de violence; vers le
milieu, elle devint extrêmement forte puis, après un
affaiblissement du mouvement, les oscillations reprirent
de leur violence, acquérant plus de force que jamais.
Enfin, progressivement, elles s’atténuèrent. » (Deville,
1843).
Cela dura une minute trente cinq secondes. Les gens sont
tombés, la terre leur manquant sous les pieds. Presque
tous les feux étaient allumés dans les cuisines pour
préparer le déjeuner. Les enfants étaient à l’école. Il y
avait environ 1400 maisons à Pointe-à-Pitre. 987
maisons et 90 constructions diverses furent détruites. Les
maisons s’écroulèrent. Il y eut rupture des conduites
enterrées, des dégâts aux réservoirs. Les maisons se
désolidarisèrent de leurs fondations quand elles en
avaient. Les sols se fracturèrent. Il y eut liquéfaction de
sols, c’est à dire que les sols sableux, imbibés d’eau de
mer, rejetèrent cette eau en fontaines artésiennes sous
l’effet des secousses et perdirent alors leur cohésion. Ils
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Figure 4 : Emplacement des mornes calcaires. Plan de Pointe-
à-Pitre en 1775. Centre des Archives d’Outre-Mer, 11/PFA/315.
ne supportèrent plus aucune charge. L’incendie
commença juste après le séisme et dévora les maisons de
bois qui avaient résisté. L’hôpital brûla. Les 312 maisons
restantes étaient toutes en bois, elles étaient celles qui
avaient été épargnées par l’incendie de 1780. L’église
s’écroula, il ne resta que sa façade debout, avec son
horloge arrêtée à10 heures 45. Il y eut 1120 morts et 1500
blessés (Figure 5).
Le tremblement de terre de 1843 ébranla fortement les
murs de l’église Saint-Pierre et Saint-Paul de Pointe-à-
Pitre. La façade subsista, mais en si piteux état qu’il
fallut en abattre la partie supérieure à coups de canon
pour déblayer les approches du monument et permettre
les réparations. Les oeuvres vives étaient profondément
atteintes : colonnes branlantes, entablement lézardé,
tympan et clocheton ruineux... On du fermer l’église qui
le resta dix ans. Sans regret on démolit presque tout, avec
l’intention d’utiliser tous les matériaux utilisables.
3.3. La reconstruction
Ce fut l’architecte Petit qui fut chargé de la
reconstruction. Cet architecte eut l’idée que les
maçonneries armées pourraient être une réponse adaptée
et le formula ainsi :
«Les murs de pierre, construits suivant les usages
ordinaires, et nullement combinés de façon à résister à
de secousses de tremblement de terre, n’ont pu tenir
contre les mouvements qui les attaquaient en sens divers
; ils se sont brisés, et les matériaux, en se séparant, ont
entraîné la chute immédiate de tous les édifices. Au
contraire, les maisons de bois, présentant des murailles
plus légères, mais surtout adhérentes et en quelque sorte
élastiques, ont résisté aux violentes oscillations du sol et
ont repris leur position lorsque la terre s’est calmée. De
là est venue naturellement la pensée de n’employer que
le bois dans les constructions nouvelles. Puisqu’il est
reconnu que l’emploi du bois pour les constructions
nouvelles est, et doit être généralement et définitivement
adopté, nous poserons en principe que la concentration
d’un incendie, fléau malheureusement très fréquent, doit
être l’objet de toutes les études. La Pointe-à-Pitre elle-
même en 1780, Hambourg et Port-au-Prince en 1842,
n’ont que trop prouvé le danger qu’offrent les maisons de
bois qui n’ont point été élevées en prévision de ces
terribles accidents. Il faut donc, pour obvier à ce péril
de tous les instants, trouver un moyen de concentrer le
feu à sa naissance ; en isolant chaque maison, puisque
l’incendie peut y éclater d’un moment à l’autre. Pour
nous, le plus facile comme aussi le plus sûr de tous les
moyens à employer, est de renfermer, d’enchâsser entre
deux murs de maçonnerie chacune des constructions en
bois. Ces murs seraient armés de montants et de
traversines en fer, fortement agrafés et reliés, de manière
à ne former de chaque mur qu’un seul bloc, qu’une seule
pierre, qui pourrait obéir aux mouvements du sol sans se
briser ; la disposition calculée et combinée de
l’armature maintiendrait les murs en tous sens et en
empêcherait la chute. » (Petit, 1844).
Il reconstruisit l’église en appliquant ces principes, très
proches des prescriptions parasismiques actuelles,
précisant qu’ils devaient être « une garantie contre les
secousses des tremblements de terre. ». Il arma les murs
de deux lits d’armatures, l’un intérieur, l’autre extérieur,
et les relia entre eux. De plus il chaîna les angles et les
ouvertures. La charpente métallique, enfin, soutenue par
des piliers métalliques séparant les nefs, est décollée de
la face intérieure des murs de façon à rendre
indépendante la maçonnerie.
3.4. L’incendie de 1871
La rue centrale était la rue des forges. Le feu partit des
foyers artisanaux des forgerons et s’alimenta des braises
des cuisines des maisons et de l’éclairage de nuit. Pointe-
à-Pitre fut détruite de fond en comble. A la suite de cet
incendie, l’arrêté de novembre 1871 fut pris, et trois
possibilités furent offertes aux habitants pour rebâtir :
- constructions avec des murs en briques et des
charpentes métalliques.
- réalisation d’une ossature de murs en bois avec des
remplissages en briques ou en maçonneries.
- exécution de rez-de-chaussée et de pignons latéraux,
jusqu’aux faîtages, en maçonnerie. Etages réalisés en
structure de bois avec des remplissages en bois ou en
briques.
Pointe-à-Pitre, à la veille du séisme de 1897, est
constituée de maisons ayant des rez de chaussée et des
murs pignons coupe-feu en maçonnerie et des étages en
bois. Les maçonneries sont de moellons de calcaire et de
mortier de chaux et de sable, sachant que la chaux de la
Guadeloupe est de très mauvaise qualité. Une dizaine de
maisons sont réalisées en fer et en briques. C’est très
coûteux et cela ne peut se généraliser. Les murs en
maçonnerie de certaines maisons ont été renforcés par de
grands S en fer reliés de part et d’autre du mur par des
étriers, suivant les recommandations de l’architecte Petit.
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Figure 5 : Le séisme du 8 février 1843, Epinal 1843, fabrique
de Pellerin, gravure sur bois coloriée, 40X59 cm. 11/PFA/315.
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