Actes des VIe Rencontres - Archéosismicité & Vulnérabilité, Environnement, bâti ancien et société ∗ Groupe APS ∗ 2002 Une culture sismique locale à la Guadeloupe Michèle Robin-Clerc1 Résumé Le centre ancien de Pointe-à-Pitre, ville côtière bordée par la mer au sud et à l’ouest, a de nombreuses fonctions. Elles sont politiques, administratives, touristiques et commerciales. Mais l’aspect patrimonial de cette « Ville d’art et d’histoire » est prépondérant. De par son passé particulier au travers de sa résistance aux catastrophes, elle porte les traces claires et lisibles de l’histoire de la Guadeloupe et exprime une culture sismique locale originale. La compréhension des typologies nées de cette résistance aux catastrophes peut permettre de renforcer le patrimoine existant qu’il soit celui des bâtiments classés, des maisons de villes et immeubles ou des formes urbaines. L’enjeu de la préservation de ce centre ancien est la place primordiale qu’il occupe dans l’inconscient collectif des Guadeloupéens 1. Introduction L’histoire de Pointe-à-Pitre, port commerçant fondé en 1775 sur des marécages, va être celle de la lutte permanente contre les incendies auxquels le bois ne résiste pas et les tremblements de terre qui détruisent les murs de maçonnerie. Entre 1775 et 1899, cette ville va subir quatre incendies et deux séismes. Le séisme de 1843 sera suivi d’un incendie dévastateur. A chaque désastre, les habitants courageux, le gouvernement volontaire, un architecte ingénieux, tenteront par des arrêtés, des prescriptions ou des ordonnances de rendre les bâtiments résistants à ces catastrophes hélas antinomiques. Caraïbe et les séismes de sources lointaines inter-plaques Caraïbe / Amérique (subduction). 2.1.1. Séismes de subduction (séismes inter-plaques) : l’est caraïbe correspond à une marge active liée à la subduction de la plaque Amérique sous la plaque Caraïbe (Figure 2). Les caractéristiques de cette subduction semblent justifier un niveau d’activité sismique relativement modéré par rapport à d’autres zones de subduction. Les forts séismes de subduction y sont relativement rares, et de magnitude maximale de l’ordre de 7.5 à 8. (le séisme de 1843 pourrait être un séisme de subduction). 2.1.2. Séismes intra-plaque 2.1.2.1 De source lointaine : les séismes de sources lointaines sont des séismes dont la distance au foyer est supérieure à 10 Km. Les séismes de 1974 et de 1953, pourtant de magnitudes proches de celui de 1843 (qui pourrait être un séisme intra-plaque de source lointaine), ont cependant leurs foyers beaucoup plus éloignés de la Guadeloupe que celui de 1843, ce qui explique que les dégâts occasionnés aient été moindres. 2.1.2.2 De source proche : les séismes de sources proches ont des foyers situés à une distance de la Guadeloupe inférieure à 10 km. Ceux générés par le jeu des failles actives proches de l’agglomération (entre 0.5 et 4 Km) peuvent être de faible magnitude (maximum 5.5) et de courte durée, entraînant des pics d’accélération pour les bâtiments de périodes de 0.1 à 0.5 s. (Martin et Secanell, 2002). 2. Analyse de la sismicité 2.1. Cadre sismotectonique La structure du globe génère un jeu entre les plaques qui le composent en surface. Les séismes sont générés par des failles. Ces failles peuvent être situées dans les plaques, intra-plaque (sismicité intra-plaque), ou dues au jeu de deux plaques entre elles, inter-plaques (sismicité inter-plaques). Pour la Guadeloupe, la zone inter-plaques Caraïbe/Amérique est caractérisée par un chevauchement de la plaque Caraïbe sur la plaque atlantique, c’est une zone de subduction. La Guadeloupe est soumise à trois types de séismes (Figure 1): les séismes de sources proches intra-plaque Caraïbe, les séismes de sources lointaines intra-plaque 1 2.2. Etude de l’activité sismique Le réseau de surveillance sismique de l’Observatoire Volcanologique de la Soufrière de Guadeloupe (O.V.S.G.) enregistre entre 500 et 1200 séismes par an (Figure 3). Tous ont un foyer inférieur à 190 kilomètres, la plupart s’initiant à une profondeur inférieure à 40 kilomètres. La majorité des séismes a une magnitude inférieure ou égale à 2.5. Entre 5 à 10 séismes de magnitude supérieure ou égale à 4 sont ressentis chaque année par la population. La plupart des séismes ont des épicentres situés au nord et au nord-est de la GrandeTerre et de la Désirade, au nord et à l’est de MarieGalante et dans la région proche d’Antigue. Une zone moins sismogène existe entre la Désirade et MarieGalante et pourrait constituer une zone dite de lacune architecte, 21, passage Lathuille, 75018 Paris, courriel : [email protected] Une culture sismique locale à la Guadeloupe - Michèle Robin-Clerc 1 Actes des VIe Rencontres - Archéosismicité & Vulnérabilité, Environnement, bâti ancien et société ∗ Groupe APS ∗ 2002 Figure 1 : Carte tectonique des Petites Antilles (Source N. Feuillet). Une culture sismique locale à la Guadeloupe - Michèle Robin-Clerc 2 Actes des VIe Rencontres - Archéosismicité & Vulnérabilité, Environnement, bâti ancien et société ∗ Groupe APS ∗ 2002 Figure 2 : Système de failles actives de la Guadeloupe (Source N. Feuillet). sismique dans laquelle l’énergie s’accumule dans les roches sans être dissipée. Ceci augmente la possibilité d’un séisme important dans le futur compte tenu du passé sismique de la région (magnitude 7.5 à 8). Pour analyser la déformation de la plaque Caraïbe, l’Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP) a mis en place, en 2002, un réseau d’antennes particulier. Il s’agit de trois stations avec antennes GPS (Global Positioning System) situées à Basse-Terre, en Région Pointoise et à la Pointe des Châteaux, qui servent à mesurer les déformations superficielles de la plaque Caraïbe induites en Guadeloupe par la subduction de la plaque Atlantique Séismes forts ressentis à la Guadeloupe Intensité VI VII XVIIème siècle 1 (1690) XVIIIème siècle 1 2 XIXème siècle (1843) 6 3 XXème siècle 4 1669-1978 12 5 VIII IX 2 (1897/51) 1 2 1 Figure 3 : Séismes forts ressentis à la Guadeloupe, d’après Feuillard, 1980. sous la plaque Caraïbe. S’il y a « blocage » au niveau de l’interface de subduction, cela entraînera des déformations de la plaque Caraïbe qui se verront sur le réseau GPS. Ces mesures permettront alors d’estimer la magnitude possible à attendre pour un fort séisme de subduction. S’il n’y a pas de déformation mesurable de la plaque, cela signifiera que le glissement le long de la zone de subduction se fait sans blocage significatif. La tendance ne pourra pas être confirmée avant une dizaine d’années, les déformations n’étant mesurables que sur la partie émergée représentée par la Guadeloupe, c'est-àdire sur une centaine de kilomètres seulement 2.3. Aléa sismique régional 2.3.1. Mouvement au rocher Les caractéristiques de la subduction concernant la Guadeloupe semblent justifier un niveau d’activité sismique relativement modéré par rapport à d’autres zones de subduction. Notre durée d’observation est courte (à peine plus de 3 siècles). Elle permet de voir que des magnitudes 7,5 à 8, comme celle évaluée pour le séisme de 1843, sont rares mais elle ne permet pas d’estimer une période de récurrence fiable pour ce type de séismes. L’aléa probabiliste pour une période de retour de 475 ans, (soit 10% de probabilité d’occurrence sur 50 ans), permet d’estimer des valeurs de pics Une culture sismique locale à la Guadeloupe - Michèle Robin-Clerc 3 Actes des VIe Rencontres - Archéosismicité & Vulnérabilité, Environnement, bâti ancien et société ∗ Groupe APS ∗ 2002 d’accélération de l’ordre de 0,25 à 0,3g au rocher pouvant être atteintes ou dépassées dans la région de la Guadeloupe ((Martin et Secanell, 2002). 2.3.2. Effets de site Les effets de site sont importants sous l’agglomération de Pointe à Pitre, du fait de l’épaisseur de marnocalcaires meubles qui engendre une amplification des ondes sismiques. L’amplification est due à la résonance entre la période propre de cette couche meuble sollicitée par les ondes sismiques et celle des bâtiments construits sur ce sol. 2.3.3. Liquéfaction Une grande partie de l’agglomération pointoise est une zone de terrains potentiellement liquéfiables : milieu granulaire peu consolidé et gorgé d’eau. En cas d’ondes sismiques de forte amplitude, le sol perd sa cohésion et les fondations des bâtiments s’enfoncent ou basculent entraînant des dommages aux constructions. 3. Une culture sismique locale contrariée De 1765 à 1775, la ville est fondée rapidement, selon un plan en damier proposé par le Ministère de la Marine, sur un sol marécageux et des mornes calcaires arasés. Les matériaux des mornes arasés (« le solide ») ont servi à combler les marais (« les comblements ») (Figure 4). Figure 4 : Emplacement des mornes calcaires. Plan de Pointeà-Pitre en 1775. Centre des Archives d’Outre-Mer, 11/PFA/315. 3.1. L’incendie du 30 mars 1780 Les maisons étaient alors construites en bois avec une couverture en essentes de bois. « Il y eut 87 grandes maisons ou magasins brûlés, et environ 24 petites maisons ou cases. Il n’existe plus qu’environ 30 maisons. La perte totale est évaluée à près de 10 millions, ce qui ne paraît pas exagéré, égard à l’abondance de denrées et de marchandises de toute espèce qui se trouvaient dans les magasins de commerce». (d’Arbaud, 1780). A la suite de cet incendie, l’ordonnance du 20 mai 1780 fut prise : « Obligation de construire toutes les maisons construites sur du « solide » en pierres et en tuiles. Les maisons construites sur des « comblements » doivent être couvertes en ardoises dès que les circonstances le permettront; la séparation des terrains sur du solide ou sur des comblements, doit être faite par un mur ». (d’Arbaud, 1780). Les ardoises et tuiles remplacèrent donc les essentes de bois inflammables. Mais elles étaient plus lourdes. A la suite de cet incendie on reconstruisit donc en pierres sur le solide, de belles maisons à deux ou trois étages, et sur les comblements des maisons ou de simples cases en bois. La situation à la veille du séisme de 1843 est celle-ci: sur le solide sont construites des maisons en maçonneries à 2 ou 3 étages ayant des charpentes en bois et de lourdes couvertures en ardoises ou en tuiles. Sur les comblements on a édifié des maisons ou des cases en bois. Les maisons n’ont pas de fondations ou des fondations légères. Il y a 1389 maisons et terrains bâtis. 3.2. Le séisme du 8 février 1843. Pointe-à-Pitre avait 12 000 habitants (il y en avait 129 000 pour la Guadeloupe). « On était le 8 février 1843, il était dix heures trente. C’était une belle matinée, le ciel était serein. Quelques nuages d’un blanc éclatant passaient au zénith. Pas de brise. La brise fraîche du nord est atteignit la Guadeloupe après le désastre (…) Il se fit un bruit comparable à celui d’un chariot roulant sur des pavés à faible distance et le sol fut pris de trépidations (...). D’abord assez faible, la secousse acquérait de moment en moment plus de violence; vers le milieu, elle devint extrêmement forte puis, après un affaiblissement du mouvement, les oscillations reprirent de leur violence, acquérant plus de force que jamais. Enfin, progressivement, elles s’atténuèrent. » (Deville, 1843). Cela dura une minute trente cinq secondes. Les gens sont tombés, la terre leur manquant sous les pieds. Presque tous les feux étaient allumés dans les cuisines pour préparer le déjeuner. Les enfants étaient à l’école. Il y avait environ 1400 maisons à Pointe-à-Pitre. 987 maisons et 90 constructions diverses furent détruites. Les maisons s’écroulèrent. Il y eut rupture des conduites enterrées, des dégâts aux réservoirs. Les maisons se désolidarisèrent de leurs fondations quand elles en avaient. Les sols se fracturèrent. Il y eut liquéfaction de sols, c’est à dire que les sols sableux, imbibés d’eau de mer, rejetèrent cette eau en fontaines artésiennes sous l’effet des secousses et perdirent alors leur cohésion. Ils Une culture sismique locale à la Guadeloupe - Michèle Robin-Clerc 4 Actes des VIe Rencontres - Archéosismicité & Vulnérabilité, Environnement, bâti ancien et société ∗ Groupe APS ∗ 2002 ne supportèrent plus aucune charge. L’incendie commença juste après le séisme et dévora les maisons de bois qui avaient résisté. L’hôpital brûla. Les 312 maisons restantes étaient toutes en bois, elles étaient celles qui avaient été épargnées par l’incendie de 1780. L’église s’écroula, il ne resta que sa façade debout, avec son horloge arrêtée à10 heures 45. Il y eut 1120 morts et 1500 blessés (Figure 5). Figure 5 : Le séisme du 8 février 1843, Epinal 1843, fabrique de Pellerin, gravure sur bois coloriée, 40X59 cm. 11/PFA/315. Le tremblement de terre de 1843 ébranla fortement les murs de l’église Saint-Pierre et Saint-Paul de Pointe-àPitre. La façade subsista, mais en si piteux état qu’il fallut en abattre la partie supérieure à coups de canon pour déblayer les approches du monument et permettre les réparations. Les oeuvres vives étaient profondément atteintes : colonnes branlantes, entablement lézardé, tympan et clocheton ruineux... On du fermer l’église qui le resta dix ans. Sans regret on démolit presque tout, avec l’intention d’utiliser tous les matériaux utilisables. 3.3. La reconstruction Ce fut l’architecte Petit qui fut chargé de la reconstruction. Cet architecte eut l’idée que les maçonneries armées pourraient être une réponse adaptée et le formula ainsi : « Les murs de pierre, construits suivant les usages ordinaires, et nullement combinés de façon à résister à de secousses de tremblement de terre, n’ont pu tenir contre les mouvements qui les attaquaient en sens divers ; ils se sont brisés, et les matériaux, en se séparant, ont entraîné la chute immédiate de tous les édifices. Au contraire, les maisons de bois, présentant des murailles plus légères, mais surtout adhérentes et en quelque sorte élastiques, ont résisté aux violentes oscillations du sol et ont repris leur position lorsque la terre s’est calmée. De là est venue naturellement la pensée de n’employer que le bois dans les constructions nouvelles. Puisqu’il est reconnu que l’emploi du bois pour les constructions nouvelles est, et doit être généralement et définitivement adopté, nous poserons en principe que la concentration d’un incendie, fléau malheureusement très fréquent, doit être l’objet de toutes les études. La Pointe-à-Pitre ellemême en 1780, Hambourg et Port-au-Prince en 1842, n’ont que trop prouvé le danger qu’offrent les maisons de bois qui n’ont point été élevées en prévision de ces terribles accidents. Il faut donc, pour obvier à ce péril de tous les instants, trouver un moyen de concentrer le feu à sa naissance ; en isolant chaque maison, puisque l’incendie peut y éclater d’un moment à l’autre. Pour nous, le plus facile comme aussi le plus sûr de tous les moyens à employer, est de renfermer, d’enchâsser entre deux murs de maçonnerie chacune des constructions en bois. Ces murs seraient armés de montants et de traversines en fer, fortement agrafés et reliés, de manière à ne former de chaque mur qu’un seul bloc, qu’une seule pierre, qui pourrait obéir aux mouvements du sol sans se briser ; la disposition calculée et combinée de l’armature maintiendrait les murs en tous sens et en empêcherait la chute. » (Petit, 1844). Il reconstruisit l’église en appliquant ces principes, très proches des prescriptions parasismiques actuelles, précisant qu’ils devaient être « une garantie contre les secousses des tremblements de terre. ». Il arma les murs de deux lits d’armatures, l’un intérieur, l’autre extérieur, et les relia entre eux. De plus il chaîna les angles et les ouvertures. La charpente métallique, enfin, soutenue par des piliers métalliques séparant les nefs, est décollée de la face intérieure des murs de façon à rendre indépendante la maçonnerie. 3.4. L’incendie de 1871 La rue centrale était la rue des forges. Le feu partit des foyers artisanaux des forgerons et s’alimenta des braises des cuisines des maisons et de l’éclairage de nuit. Pointeà-Pitre fut détruite de fond en comble. A la suite de cet incendie, l’arrêté de novembre 1871 fut pris, et trois possibilités furent offertes aux habitants pour rebâtir : - constructions avec des murs en briques et des charpentes métalliques. - réalisation d’une ossature de murs en bois avec des remplissages en briques ou en maçonneries. - exécution de rez-de-chaussée et de pignons latéraux, jusqu’aux faîtages, en maçonnerie. Etages réalisés en structure de bois avec des remplissages en bois ou en briques. Pointe-à-Pitre, à la veille du séisme de 1897, est constituée de maisons ayant des rez de chaussée et des murs pignons coupe-feu en maçonnerie et des étages en bois. Les maçonneries sont de moellons de calcaire et de mortier de chaux et de sable, sachant que la chaux de la Guadeloupe est de très mauvaise qualité. Une dizaine de maisons sont réalisées en fer et en briques. C’est très coûteux et cela ne peut se généraliser. Les murs en maçonnerie de certaines maisons ont été renforcés par de grands S en fer reliés de part et d’autre du mur par des étriers, suivant les recommandations de l’architecte Petit. Une culture sismique locale à la Guadeloupe - Michèle Robin-Clerc 5 Actes des VIe Rencontres - Archéosismicité & Vulnérabilité, Environnement, bâti ancien et société ∗ Groupe APS ∗ 2002 3.5. Le séisme du 29 avril 1897 On était jeudi, il était 10 heures 25. « Les gens ont entendu un grondement souterrain, certains parlent d’un bruit de détonation qui aurait précédé la secousse principale, enfin d’une immense clameur au milieu d’un craquement général et du bruit d’effondrement des murs (…) La terre a tremblé pendant dix à douze secondes, d’abord d’un mouvement de trépidation puis d’un mouvement d’oscillation de l’est à l’ouest » (Lacour, 1979). Le séisme dura douze secondes, avec une intensité de VIII. Les pignons de maçonnerie s’écroulèrent. 150 maisons en maçonnerie furent détruites, il y eut 6 morts et 39 blessés. La façade de Saint-Pierre et Saint-Paul fut toute « déchiquetée », les murs de bas-côtés fendillés et la chapelle ouest très endommagée. Un nouvel arrêté fut pris : dorénavant les pignons devront être réalisés en bois et recouverts de tôles. On avait déjà oublié l’incendie. 4. Culture sismique locale de bâtiments isolés Les règlements permettant de construire des bâtiments parasismiques, s’ils génèrent des calculs complexes, partent cependant d’observations simples que les anciens ont appliquées d’instinct comme nous allons le voir dans les bâtiments qui suivent et qui sont tous des bâtiments antérieurs aux tremblements de terre de 1843 et 1897 et existant encore aujourd’hui. 4.1. Formes simples « Il convient de donner aux bâtiments en plan une forme aussi simple que possible. Toute dissymétrie importante se traduit par une amplification des oscillations de torsion susceptibles de se produire dans le bâtiment ». (Zacek, 1996). Le clocher de l’église du Vieux Fort datant de 1730 (Figure 6), celui de l’église de Gustavia à Saint Barthélémy (1730) et celui de l’église de Sainte-Rose (1846) ont aussi des formes simples. 3.6. L’incendie du 17 au 18 avril 1899 Le feu prit à minuit, une forte brise du sud-est activait l’incendie. Le dixième de la ville brûla. 313 maisons furent détruites et 3000 personnes se retrouvèrent sans abri. Les pertes furent évaluées à 3000000 de francs. (L’Illustration, 1899). 3.7. Le cyclone de 1928 Ce cyclone dévasta la Guadeloupe et un architecte des colonies, Ali Tur, fut envoyé pour reconstruire les bâtiments gouvernementaux puis communaux (palais de justice, mairies, églises…). Il introduisit le béton armé et forma des ouvriers locaux à sa mise en oeuvre. Ce matériau allait enfin permettre de lutter contre l’incendie et contre le séisme. 3.8. Typologie du centre ancien Actuellement, le centre ancien de Pointe-à-Pitre est une vivante illustration de cette guerre incendie tremblement de terre. Aucun bâtiment antérieur au séisme de 1843 ne subsiste. Seul nous sont parvenus, de la deuxième moitié du 19ème siècle, des immeubles ayant un rez-de-chaussée en maçonnerie, avec des étages en bois et des murs pignons coupe-feu en maçonnerie parfois renforcés par du fer. Les pignons en bois recouverts de tôles ont été mis en place après le tremblement de terre de 1897. La construction neuve est réalisée bien sûr selon les règles parasismiques, le plus souvent en béton et sur pieux quand c’est nécessaire. Il est vraisemblable qu’en cas de tremblement de terre d’une magnitude supérieure ou égale à 7 les bâtiments du centre ancien, faits de pignons et de rez-de-chaussée en maçonneries, seraient détruits. Figure 6 : Clocher de l’église du Vieux-Fort, 1730 (photo M. Robin-Clerc). 4.2. Contreventements, chaînages et masse abaissée « Le contreventement est l’aspect le plus important de la protection parasismique. Il faut veiller à contreventer le bâtiment dans le plan vertical et à créer des diaphragmes horizontaux permettant le report des efforts Une culture sismique locale à la Guadeloupe - Michèle Robin-Clerc 6 Actes des VIe Rencontres - Archéosismicité & Vulnérabilité, Environnement, bâti ancien et société ∗ Groupe APS ∗ 2002 horizontaux sur les éléments verticaux. D’une manière générale il faut toujours se rapprocher de la symétrie de contreventement par rapport aux deux plans principaux de la construction ». (Zacek, 1996). « Les ouvrages en maçonnerie nécessitent l’encadrement par des chaînages ». (Zacek, 1996). L’église dominicaine de Vieux-Habitants (1703-1721) (Figure 7) a des chaînages d’angle, des piédroits, des linteaux de portes et de fenêtres en pierres taillées. Les façades sont faites de moellons noyés dans un mortier à base de mélasse de canne à sucre car faute de calcaire dans la région de Basse-Terre, un liant fut improvisé pour remplacer la chaux. La charpente, en bois, est conçue comme une coque de bateau renversée à ceci près que les lisses sont alors fixées en dessous pour constituer la voûte. De même, l’église de Bouillante (1827), celle de Figure 7 : Eglise dominicaine de Vieux-Habitants, 17031721 (photo M. Robin-Clerc). Capesterre de Marie-Galante (1868) ont des contreforts qui ne servent pas à supporter la charpente légère et tout à fait classique des églises de cette époque. « On doit s’efforcer d’abaisser autant que possible le centre de gravité du bâtiment ». (Zacek, 1996). Les maisons de Saint-Barthélémy, qui datent de la première moitié du 19ème siècle, ont des murs épais de 70 cm. 5. Conclusion L'église St Pierre et St Paul construite en 1853 correspond à un bâtiment dont le comportement dynamique est proche de celui d'une construction en béton armé. Parce qu'ils subissaient des tremblements de terre destructeurs et fréquents (période de temps de l'ordre de la génération), les anciens avaient observés avec acuité leurs effets et conçus des techniques sismorésistantes telles que chaînages et liaisonnements. En ce qui concerne les habitations de Pointe à Pitre, leur expérience des techniques sismo-résistantes utilisant traditionnellement le bois fut contrarié par leur vulnérabilité au feu. Les matériaux utilisés pour résister au feu ou au tremblement de terre s'opposèrent et se sont succédés au rythme de ces catastrophes. Pour ce qui est des plus vieilles églises de la Guadeloupe, elles sont parvenues jusqu'à nous grâce à leurs contreforts, tirants ou murs épais. On peut avancer que ces bâtisseurs qui sur-dimensionnaient leurs constructions avaient acquis une culture sismique locale. Ainsi, contreforts, maçonneries armées, tirants, murs épais, constituent une culture sismique à la Guadeloupe. On peut tout à fait imaginer utiliser actuellement ces techniques pour réduire la vulnérabilité du bâti ancien. Bibliographie d’Arbaud, 1780 d’Arbaud, Lettre du 17 avril 1780. CAOM. C7A39. Feuillard, 1980 Feuillard, M., Nos séismes et nous. Bulletin de la Société d’Histoire de la Guadeloupe, 1980. N°43-44. p. 9 - 29. Feuillet, 2000 Feuillet, N. Sismotectonique des petites Antilles. Liaison entre activité sismique et volcanique. Thèse de doctorat de l’Université Paris 7, IPGP, 2000, 283 p. Martin et Secanell, 2002 Martin, Ch. et Secanell, R. Révision du zonage sismique de la France, Etude probabiliste. Rapport Geoter, 2002. L’Illustration, 1899. Lacour, 1979 Lacour, A.. Histoire de la Guadeloupe. Société d’histoire de la Guadeloupe. Tome cinquième, pp.171-189. Une culture sismique locale à la Guadeloupe - Michèle Robin-Clerc 7 Actes des VIe Rencontres - Archéosismicité & Vulnérabilité, Environnement, bâti ancien et société ∗ Groupe APS ∗ 2002 Petit, 1844 Petit, A. Plan et exposé de la situation actuelle de Pointe-à-Pitre. Locquin, Paris, 1844. Sainte-Claire Deville, 1843 Sainte-Claire Deville, C. Observations sur le tremblement de terre éprouvé à la Guadeloupe le 8 février. Imprimerie du Gouvernement,1843. Zacek, 1996 Zacek, M. Construire parasismique. Parenthèses. Marseille, 1996. Une culture sismique locale à la Guadeloupe - Michèle Robin-Clerc 8