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Qu’est-ce que l’humanisme chrétien ?
Yves SEMEN
Directeur de l’Institut Philanthropos
Henri Lafont : Yves Semen est bien
connu pour son ouvrage désormais célèbre,
La sexualité selon Jean-Paul II, paru il y a
quatre ans aux Presses de la Renaissance et
déjà traduit en espagnol, en italien, en
portugais et en polonais.
Il est le père de huit enfants. Il vit dans la
Drôme, non loin de Châteauneuf-de-Galaure.
Il a accédé au doctorat en philosophie
politique en 1994 par une thèse intitulée
Laïcisme d’État et bien commun politique,
notions antinomiques. Il est également
diplômé en Études supérieures de Théologie,
Maître en économie sociale, Licencié ès
Lettres.
Outre l’ouvrage déjà cité, il est également
co-auteur de Jean-Paul II, héritage et
fécondité aux éditions Paroles et Silence.
Il se situe dans le sillage de Jean-Paul II
dont il exploite le très riche et très original
enseignement sur l’homme, le corps et la
sexualité.
Après avoir occupé des postes de direction
dans différents organismes de formation ou
d’action culturelle, Yves Semen est
aujourd’hui directeur et co-fondateur de
l’Institut européen d’Études anthropologiques
Philanthropos.
Cet établissement, situé à Fribourg, en
Suisse, propose une année de formation de
niveau universitaire dans une vision intégrale
de l’anthropologie chrétienne, en lien avec les
grands défis auxquels la personne humaine est
aujourd’hui confrontée. La formation est
puisée à une triple source : une anthropologie
philosophique, une anthropologie théologique
et une vie sacramentelle. Notre Président, ici
présent, figure parmi le corps enseignant.
Nous avons sollicité Yves Semen pour
clore le cycle consacré à la question : Qu’est-
ce que l’homme ?, un sujet qui nous occupe et
qui tient la première place dans les
préoccupations de l’Académie non seulement
en raison de ses statuts, mais aussi parce
qu’elle décerne chaque année, avec
l’Association sœur, Association d’Éducation
et d’Entraide sociale, un Prix intitulé
“Humanisme chrétien”. Et je vais citer Yves
Semen : « Seule la capacité de répondre à la
question Qui est l’homme ? permet de se
situer face aux problèmes actuels et
d’affronter les défis de l’avenir », lit-on en
marge de la présentation de l’Institut
Philanthropos.
Comment ne pas nous sentir en phase avec
Yves Semen et avoir hâte de l’entendre !
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Yves Semen : Qu’est-ce que l’humanisme
chrétien ? Vous m’avez confié une mission
impossible, du moins impossible en l’espace
d’une heure !
Les usages veulent que l’on introduise son
propos par une revue historique brillante et
érudite. Je n’en ai pas le temps et je vous
avoue bien simplement que cela m’arrange un
petit peu d’en être dispensé… Alors, j’irai
sans beaucoup de détours à ce qui me paraît
essentiel. Qu’est-ce que l’humanisme
chrétien ? La réponse pourrait sembler fort
simple : l’humanisme chrétien consiste à
promouvoir la conception chrétienne de
l’homme. Encore faut-il savoir s’il y a une
définition proprement chrétienne de l’homme.
C’est pourquoi je vous renvoie directement à
un passage de la Constitution pastorale
Gaudium et Spes de Vatican II sur lequel je
me centrerai uniquement : « L’homme, seule
créature sur terre que Dieu a voulue pour
elle-même, ne se trouve pleinement que dans
le don désintéressé de lui-même. » 1
Ce texte est cité pour la première fois par
Jean-Paul II quelques mois après son élection2
et il ne cessera de le citer à de très
nombreuses reprises et à un rythme qui va
d’ailleurs en s’intensifiant tout au long de son
pontificat, comme s’il prenait conscience
progressivement de toute la portée
anthropologique et éthique de ce passage du
Concile3. Est-ce une définition théologique
ou philosophique de la personne humaine ?4
1 Vatican II, Constitution pastorale Gaudium et Spes,
n°24, §3
2 Homélie pour la fête de la Présentation du Seigneur
2 février 1979 n°2
3 Cf. Mgr Pascal Ide, Une théologie du don – Les
occurrences de Gaudium et Spes n°24 §3 chez Jean-
Paul II, in Anthropotes 17/1 (2001) pp. 149-178 et
17/2 (2001) pp. 129-163
4 Sur la frontière entre philosophie et théologie : cf.
note de Jean-Paul II, audience du 29 juin 1979.
« Nous avons le droit de parler du rapport existant
entre l’expérience et la vélation ; nous avons
même le droit de poser le problème de leur relation
réciproque, même si, pour de nombreux auteurs, il
passe entre elles une ligne de démarcation qui est
une ligne d’absolue antithèse et de radicale
antinomie. Cette ligne, à leur avis, doit
nécessairement être tracée entre la foi et la science,
entre la théologie et la philosophie. Pour formuler
Assurément théologique, mais comme le
prolongement et le développement d’une
anthropologie philosophique et plus
précisément d’une anthropologie du don. Le
défi qu se présente aujourd’hui à l’humanisme
chrétien n’est-il pas d’explorer les possibles
assises philosophiques de cette définition. N’y
a-t-il pas nécessité d’une philosophie de la
personne fondée sur l'exploration de cette
riche notion de don qui est au cœur de
Gaudium et Spes ? Le référent thomiste, lui-
même fondé sur la notion boécienne de la
personne comme « substance individuelle de
nature raisonnable », est-il aujourd’hui
suffisant ? N’exige-t-il pas d’être élargi dans
une approche plus ample de ce qui fait que
l’homme est une personne ?
Je vous donne un petit florilège des
appréciations de Jean-Paul II sur ces paroles
de Gaudium et Spes qui en soulignent
l’importance. Il dit notamment que « c’est un
passage assez simple, mais d’une
extraordinaire densité »5, qu’il s’inscrit
« dans la ligne de toute la tradition »6, qu’il
exprime « la vérité qu’est l’homme »7. Dans
son encyclique sur l’Esprit-Saint, Dominum et
vivificantem, il dit encore : « Dans ces paroles
de la Constitution pastorale du Concile, est
résumée toute l’anthropologie chrétienne »8.
Aux jeunes, à l’occasion de l’année
internationale de la Jeunesse de 1985, il dit
que « ce texte remarquable synthétise la
vérité essentielle sur l’homme »9. Dans la
magnifique Lettre Mulieris dignitatem sur la
un tel point de vue, il a fallu prendre en
considération des concepts abstraits, plutôt que
l’homme comme sujet vivant. »
5 Discours à la Fédération italienne des consulteurs
familiaux d'inspiration chrétienne du 2 mars 1990,
n°4
6 Discours à la Curie romaine pour la Présentation des
vœux de Noël du 22 décembre 1992, n°2
7 Homélie à la fête de la Présentation du Seigneur du 2
février 1979, n°2
8 Lettre encyclique sur l'Esprit Saint dans la vie de
l'Église et du monde Dominum et vivificantem, du
18 mai 1986, n°59
9 Lettre apostolique aux jeunes du monde pour l'Année
Internationale de la Jeunesse du 31 mars 1985,
n°14. On trouve une formule presque identique
dans le discours à la rencontre avec les jeunes de
Castiglione delle Stiviere à la mémoire de St Louis
de Gonzague du 22 juin 1991, n°3.
3
dignité de la femme, il précise : « En
s’exprimant ainsi, dit-il, ce texte conciliaire
présente d’une manière synthétique
l’ensemble de la vérité sur l’homme et sur la
femme – vérité qui se dessine déjà dans les
premiers chapitres du Livre de la Genèse –
comme la structure qui porte l’anthropologie
biblique et chrétienne »10. Et dans sa Lettre
aux jeunes du monde entier : « Qu’est-ce que
l’homme ? Le dernier Concile répond :
l’homme, seule créature sur terre que Dieu a
voulue pour elle-même, ne se trouve que dans
le don désintéressé de lui-même. Cette
réponse, poursuit Jean-Paul II, est la synthèse
de la vérité contenue dans l’Évangile, de la
vérité qu’ont approfondi et rifié les
générations de ceux qui ont suivi le Christ
dans le cours des siècles »11. Et puis, pour
terminer : « (le passage final de Gaudium et
Spes 24 est) d’une certaine manière la
définition de l’homme que nous a léguée le
Concile Vatican II ».12
On pourrait dire que ce n’est pas seulement
le Concile, mais que c’est Jean-Paul II lui-
même qui nous donne cette définition de
l’homme. En atteste tout l’investissement de
celui qui n’était encore que Mgr Karol
Wojtyla dans la préparation du Concile et
singulièrement de cette Constitution Gaudium
et Spes.
Déjà, dans les travaux de la Commission
préparatoire au Concile – commission créée
en 1959 par Jean XXIII –, il avait fourni un
essai dans lequel il posait la question qui lui
semblait être la question essentielle et à
laquelle devait répondre le Concile : « Qu’est-
ce que la condition de l’homme dans le
monde d’aujourd’hui ? ». C’était pour lui une
question cruciale : la personne humaine est-
elle toujours considérée comme créature dont
la dignité procède d’une vie intérieure est
gravée l’image de Dieu ? Dans cet essai, Mgr
Wojtyla montrait que la crise de l’humanisme,
au milieu de ce XXe siècle qui se targuait
pourtant de son humanisme, devait être la
10 Lettre apostolique Mulieris Dignitatem du 15 août
1988, n°7
11 Aux jeunes venant du monde entier, 24 mars 1991,
n°4
12 Discours à la Curie romaine pour la présentation des
vœux de Noël, du 22 décembre 1995, n°2
base et le cadre des délibérations du Concile.
Il n’hésitait pas à affirmer qu’au bout de deux
mille ans d’histoire chrétienne, le monde avait
une question à poser à l’Église : Qu’est-ce
que l’humanisme chrétien, et en quoi diffère-
t-il de toutes les formes d’humanisme
proposés par la modernité ?13 Cette question,
la Constitution pastorale sur l’Église dans le
monde de ce temps, Gaudium et Spes, tente
d’y répondre.
Pendant le Concile, Mgr Karol Wojtyla
s’est particulièrement investi dans la rédaction
de Gaudium et Spes qui était à l’origine le
Schéma XIII. Ce fameux schéma XIII a été
énormément débattu, discuté et même
contesté au point qu’à un moment, à la veille
de la troisième session du Concile, en octobre
1964, il a failli être abandonné. Avec la
Conférence épiscopale polonaise, Mgr
Wojtyla rédige alors deux importants
mémorandums sur le Schéma XIII et il
propose, au cours de la troisième session du
Concile, plus de quatre-vingt amendements au
texte initial. C’est lui qui obtient, d’une
certaine manière, la révision de ce texte pour
la quatrième session du Concile. Cette
quatrième session du Concile sera consacrée à
la refonte du texte et sera préparée elle-même
par trois longues séances qui ont lieu au début
de l’année 1965 auxquelles il participe avec le
Cardinal Garonne, le Père Congar, le Père
Daniélou, le Père de Lubac. C’est au cours de
cette quatrième session que Mgr Wojtyla
donnera, le 28 septembre 1965, sa plus
magnifique intervention de tout le Concile, sa
plus mémorable – pendant laquelle il a
d’ailleurs été interrompu par le Cardinal
modérateur car il dépassait son temps de
parole. Grâce à cette intervention, il sauve en
quelque sorte le texte du Schéma XIII qui
deviendra la Constitution Gaudium et Spes.
Son discours développait deux thèmes : d’une
part le monde n’est pas extérieur à l’Église et
vice-versa, les mystères de la Création et de la
Rédemption font partie de l’histoire du monde
bien interprétée ; d’autre part la foi chrétienne
n’est pas aliénante, elle est libératrice dans le
sens le plus profond de la liberté humaine.
13 Cf. George Weigel, Jean-Paul II, témoin de
l’espérance – Ed. JC Lattès 1999, p. 204
4
Si je vous dis tout cela, c’est pour
manifester combien Mgr Wojtyla était attaché
à cette constitution Gaudium et Spes. Devenu
Jean-Paul II, il citera principalement deux
passages de Gaudium et Spes : le n° 22 § 1
qui affirme qu’une véritable anthropologie
doit être christo-centrique : « En réalité le
mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que
dans le mystère du Verbe incarné ». Cette
approche de l’humanisme enrichie par la
rencontre avec le Christ, rédempteur de
l’Homme, sera le sujet de la première
encyclique du pape, Redemptor Hominis. Et
puis le n° 24 §3 qu’il a cité à plus de cent
reprises dans les vingt premières années de
son pontificat14, ce qui en fait la référence la
plus constante du pontificat de Jean-Paul II.
Compte tenu de ce que je vous ai dit, il est
permis de penser qu’à chaque fois, il se cite
lui-même !
L’idée que je tâcherai de soutenir au cours
de cette communication, c’est que cette
anthropologie contenue dans Gaudium et Spes
24 parce que Gaudium et Spes 24, c’est
d’abord une anthropologie et non pas d’abord
une affirmation éthique trouve ses
fondements et sa justification dans
l’enseignement anthropologique de Jean-
Paul II, et plus précisément dans sa théologie
du corps.
Je vous propose d’abord de commenter
rapidement cette définition en la décortiquant
de manière un peu systématique.
Deuxièmement de nous poser la question de
savoir comment il est possible de parvenir à
cette définition par la médiation de la
théologie du corps de Jean-Paul II. Dans un
troisième temps, de tirer quelques
conséquences de cette approche
anthropologique. Il y en a de nombreuses, j’en
retiendrai simplement deux au plan éthique et
deux au plan davantage politique. Enfin
j’essaierai ce qui sera en même temps ma
conclusion - de montrer le défi auquel ouvre
cette définition pour l’humanisme chrétien.
I - Commentaire de cette finition.
14 Notamment, 6 fois dans la Lettre apostolique
Mulieris dignitatem du 15/08/1988, 4 fois dans la
Lettre aux Familles Gratissimam Sane du
02/02/1994, 5 fois dans l’Encyclique Evangelium
Vitae du 25/03/1995
Reprenons donc cette définition.
« L’homme, seule créature sur terre que Dieu
a voulue pour elle-même ne se trouve que
dans le don désintéressé de lui-même »
On peut distinguer trois parties dans la
définition. Nous allons les reprendre d’une
manière un peu méthodique. Pardonnez-moi
cet exercice, mais je crois qu’il est nécessaire.
Première partie de la définition :
« L’homme, seule créature sur terre que Dieu
a voulue pour elle-même… ». Dieu veut
l’homme pour lui-même. Qu’est-ce à dire ?
Pour l’homme, vouloir, c’est chercher le
bien, s’ordonner au bien, et pour cela il faut
au préalable qu’il le connaisse. Pour Dieu,
vouloir, ce n’est pas chercher le bien, c’est
tout simplement le créer. C’est en être
l’auteur absolu. Par ailleurs, Dieu est amour et
donc tout ce qu’Il accomplit, tout ce qu’Il
crée, est un acte d’amour. Et aimer, pour
Dieu, c’est se donner. Comment Dieu se
donne-t-Il ? Il se donne en envoyant son Fils
et il se donne par le don de l’Esprit-Saint15.
Autrement dit, dire que l’homme est la
seule créature que Dieu a voulue pour elle-
même, donc dire que Dieu veut l’homme,
c’est dire que Dieu se donne à l’homme.
Deuxième partie de la définition : « ne
se trouve pleinement (qu’en se donnant) »
« Se trouver » : le verbe est employé à la
forme pronominale, c’est-à-dire réfléchie. On
peut donc y voir la signification de la capacité
de réflexion et d’auto-appropriation de
l’homme ; autrement dit : sa liberté. Donc
c’est l’homme en tant que libre qui se trouve
en se donnant.
Mais que veut dire « se trouver » ? Ce
verbe mérite d’être un petit peu interrogé.
Dans le texte latin de Gaudium et Spes (qui
est le texte qui fait autorité), on a le verbe
invenire, trouver. « Se invenire » (seipsum
invenire non posse, dit le texte) c’est « se
retrouver », « se reconnaître », que l’on peut
prendre au sens quasi topographique, au sens
l’on « se reconnaît » dans une certaine
situation, l’on retrouve son chemin : on
« se » retrouve, on « se » reconnaît.
15 Cf. 1 Jean 4, 9-13
5
Et on peut passer, si j’ose dire, de cette
signification topographique à une
signification anthropologique, c’est-à-dire que
l’homme se retrouve, l’homme se reconnaît,
l’homme découvre sa pleine identité ; en
d’autres termes, il trouve ce pour quoi il est
fait.
Et donc dans l’expression « seipsum
invenire » qu’emploie la Constitution
Gaudium et Spes, il y a contenue l’idée de
finalité, l’idée d’un accomplissement par
l’atteinte de sa finalité. Et cela nous est
confirmé par l’utilisation de Gaudium et
Spes 24 dans le texte de la Lettre sur la
dignité de la femme, Mulieris Dignitaem,
quand Jean-Paul II dit : « Être une personne
signifie tendre à la réalisation de soi (le texte
conciliaire dit “se trouver”) qui ne peut
s’accomplir qu’à travers un don désintéressé
de soi »16. Dans Mulieris Dignitatem, Jean-
Paul II confirme donc cette interprétation de
l’accomplissement de l’homme dans le don de
soi, cet accomplissement étant l’œuvre de sa
liberté.
Troisième partie de la définition : « …que
dans le don désintéressé de lui-même. »
Il y a aussi des choses intéressantes à
évoquer.
« Désintéressé », c’est la traduction
officielle française du texte conciliaire qui est
due au Cardinal Gabriel-Marie Garonne. On
peut dire que c’est une traduction un peu
interprétative (traduttore, traditore…). La
polyglotte vaticane dans la traduction d’autres
occurrences de Gaudium et Spes 24 traduit
parfois autrement. Par exemple dans
Evangelium Vitae17, l’encyclique sur
l’Évangile de la vie, il est traduit comme un
« don total de soi ».
« Désintéressé », c’est intéressant, si je
puis dire, parce que cela souligne la gratuité
du don. « Total » est intéressant également
parce que cela insiste sur l’absolu du don.
16 Jean-Paul II, Lettre apostolique Mulieris Dignitatem
du 15 août 1988, n°7
17 Le 96 § 1 de Evangelium Vitae renvoie
explicitement en note à Gaudium et Spes 24,
mais on retrouve l’expression « don total de soi »
en référence implicite à Gaudium et Spes n° 24
également aux n° 25, 81, 86 de la même encyclique.
Mais si l’on regarde, par exemple dans la
Lettre apostolique Familiaris Consortio (au
n° 22), quand il y a une référence à Gaudium
et Spes, c’est le mot « sincère » qui est
employé dans la traduction18. D’ailleurs c’est
la traduction littérale du texte latin de la
Constitution conciliaire Gaudium et Spes (nisi
per sincerum sui ipsius donum).
C’est qu’il y a peut-être intérêt à
interroger l’étymologie du mot sincerum.
« Sincerum » c’est une étymologie très
concrète et très parlante. Cela vient de « sine
cera », « sans cire », et cela fait référence au
miel qui n’était pas mélangé de cire et qui, par
conséquent, était le miel vendu par les
marchands intègres par opposition au miel
frelaté des marchands indélicats qui le
vendaient mélangé avec de la cire d’abeille.
Sine cera, c’est la qualité d’un miel non
mélangé. Donc dans le mot sincère, dans le
sine cera, il y a l’opposition à la tricherie, à la
tromperie, à la fausseté. Sincère signifie
objectivement la pureté, le vrai, le « non
trafiqué », ce qui correspond à la réalité des
choses. Et finalement, c’est le sens du mot qui
est employé par les commissaires aux
comptes lorsqu’ils certifient les comptes
d’une entreprise et qu’ils emploient la
formule : « comptes certifiés sincères et
véritables ». Autrement dit : ils correspondent
à la réalité des choses, il n’y a pas de
tromperie, pas de dissimulation.
Le mot « sincère » en français pose un peu
problème car il est souvent entendu avec un
infléchissement subjectiviste de la notion de
sincérité. C’est vrai pour ce qui concerne la
sincérité au sens moral, mais au sens
anthropologique « sincère » peut vouloir
signifier aussi l’implication de la subjectivité
consciente de l’homme. Cela rejoint bien la
volonté de Jean-Paul II d’unir toujours la
dimension objective et la dimension
subjective de l’homme, l’alliance qu’il a
réussi à opérer entre sa formation d’origine
thomiste et ses accointances avec la pensée
phénoménologique. Et donc « sincère » peut
18 « La promotion et la dignité et de la vocation de
chacune des personnes, qui trouvent leur plénitude
dans le don sincère d’elles-mêmes » (suit en note la
référence explicite à Gaudium et Spes, n° 24)
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