Présence inhabituelle et reproduction de l`Échasse blanche au

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ARTICLE
Présence inhabituelle et reproduction de l’Échasse
blanche au printemps 2013 en Saône-et-Loire
Jean-Marc FROLET*
Résumé
Les conditions météorologiques au printemps 2013 en Saône-et-Loire (inondation de nombreuses prairies et champs)
ont permis la nidification exceptionnelle de 8 couples d’Echasses blanches. 4 couples ont eu des jeunes. Seul, un
couple a amené ses 4 jeunes à l’envol.
Mots-clés : Himantopus himantopus, nidification continentale.
Unusal Black-winged stilt’s presence and reproduction during 2013’s spring in Saône-et-Loire
Abstract
The inondation of many meadows and fields during 2013’s spring allowed exceptionaly the nesting of 8 Black-winged
stilt’s pairs. For of them had youngs. Only one pair succed in bringing his 4 youngs at their taking flight.
Key words : Himantopus himantopus, continental nesting
* 46 rue du Gravalou - 71530 VIREY-LE-GRAND
L’Échasse blanche Himantopus himantopus est un limicole rare en Saône-et-Loire,
observé essentiellement au passage prénuptial (FROLET, 2012). Elle est observée tous les
ans depuis 1999, avec 1 à 4 mentions par an, principalement dans les vallées alluviales
inondées : val de Saône dans 75 % des cas et vallée de la Loire.
En France, dans les années 2000, l’effectif des Échasses blanches nicheuses se situait
autour de 2 à 3 000 couples, essentiellement sur la côte méditerranéenne des Bouchesdu-Rhône à l’Aude, sur la facade atlantique du Morbihan à la Charente-Maritime, plus
rarement dans le Nord-Pas-de-Calais, en Brenne et dans la Somme (DUBOIS, 2008). En
Bourgogne et dans les départements limitrophes, l’Échasse blanche niche dans la Dombes
(58 couples en moyenne de 2000 à 2010), le Forez et occasionnellement dans l’Yonne
en 2004 et 2011 (ROLLAND, 2012). En Saône-et-Loire, lors d’une crue de la Saône en
1983, 3 couples ont tenté de nicher à Verjux (2 nids sont repérés le 8 mai, nids qui ont
été submergés le 30 mai). Le 5 juin, 3 couples restent observés (dont 1 couple nicheur)
sans suite en raison de la décrue. L’échasse a niché une fois en Côte-d’Or, en 1978 dans
un bassin de décantation proche de la Saône (FERRY, 1978). La nidification de l’espèce
reste donc exceptionnelle en Bourgogne.
L’Échasse blanche vit surtout près des marais d’eau douce ou salée, des lacs peu
profonds, des lagunes côtières, des rizières, des vasières, des étangs les plus plats (la
Dombes) et des champs inondés. Le nid est souvent dans l’eau fait de tiges de roseaux,
de débris végétaux, de brindilles, plus ou moins haut en fonction du niveau d’eau ou sur
sol sec et il est à ce moment minimal, les œufs étant déposés sur le sol avec quelques
brindilles. Les 4 œufs sont piriformes, jaunâtres à bruns, avec quelques taches grises et
couvés pendant 22 à 24 jours. Les jeunes sont volants entre 28 et 32 jours après l’éclosion.
Observations au printemps 2013
Les premières Échasses blanches sont notées dans la vallée de la Loire (2 ind. le 26 mars
à Vindecy) puis dans le mois d’avril à Fleurville et entre Marnay et Varennes-le-Grand (6 ind.
le 18 avril) et progressivement dans tout le val de Saône avec un maximum d’oiseaux les
2e et 3e décade du mois de mai pour se terminer dans le courant du mois de juin. En 2013,
les Échasses blanches ont fait l’objet de 17 mentions (dont 14 dans le val de Saône) au
moins pour un total de 66 oiseaux ce qui est du jamais vu en Saône-et-Loire. La nidification
ne concerne a priori que 2 sites en Saône-et-Loire, Saint-Symphorien-d’Ancelles et Ciel.
Elle est la conjonction d’un printemps extrêmement pluvieux suivi d’inondations durables
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Alexis RÉVILLON
Harcèlement d’un Milan noir
par le couple d’Échasse blanche
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Mâle d’Echasse blanche.
Brigitte GRAND
dans le bassin de la Saône de la mi-avril à fin
mai associé à un passage migratoire prénuptial
exceptionnel. Cette nidification aura fait l’objet
d’un suivi sans précédent car des données ont
été transmises pratiquement tous les jours voire
2 ou 3 fois par jour...
Chronique de la nidification
Saint-Symphorien-d’Ancelles
(Mâconnais)
Vue d’une partie du site de nidification du silo de Verdun-sur-le-Doubs.
Un couple d’Échasse blanche a tenté de se
reproduire dans une ancienne parcelle de maïs
entre les lieux-dits les Cluseaux et les Pasquiers,
parcelles longtemps inondées où un couple de
Mouette rieuse a aussi tenté de nicher (CŒUR
& TILLIER, 2013).
Jean-Marc FROLET
Deux couples sont notés les 20 et 22 mai
dans la partie ouest de la parcelle. Le 8 juin
pas d’échasse visible. Le 16 juin, par contre,
un corvidé est repoussé par 2 échasses qui se
posent l’une après l’autre. La femelle est retrouvée en position de couveuse, tandis que le mâle
s’alimente à quelques mètres. Ce dernier prend
le relais de la femelle pour la couvaison. Les 18
et 22 juin, les échasses n’ont pas été revues,
mais entre temps, la parcelle s’est asséchée et
les travaux agricoles ont repris dans la grande
partie est de la parcelle.
Ciel et Verdun-sur-le-Doubs
Alexis RÉVILLON
Lagunage où les jeunes ont en partie été élevés.
Mâle adulte en vol.
Le suivi y a été collectif car bien souvent
l’objet de 2 voire 3 visites par jour. La première
échasse est observée sur le site le 8 mai suivie
d’un couple le lendemain. Les oiseaux s’alimentent dans les champs inondés avec une
préférence pour les champs labourés rendus
presque lisses par les inondations et recouverts
de quelques centimètres d’eau. Le 15 mai, alors
que 8 oiseaux sont comptés, P. GAYET observe
la première en position de couvaison, protégée
des regards par une touffe de Guimauve officinale dans une parcelle de laisses de maïs de
9,5 hectares. Progressivement, les Échasses
blanches s’installent dans la même parcelle,
construisent leur nid rudimentaire fait au mieux
de quelques branchages discrètement surélevés
dans l’eau ou sur la terre.
Jusqu’à 17 Échasses (C. GENTILIN, le 2 juin)
se sont installées dont 7 couveurs (2 dans la partie la plus enherbée, plus sèche et les 5 autres
dans les laisses de maïs dans 5 à 10 cm d’eau
initialement au sud de la parcelle). Ce qui est
l’occasion de constater que la couvaison est une
affaire de couple. En effet, lorsque le couveur
se lève du nid et s’éloigne pour s’alimenter,
l’autre adulte s’installe à son tour après avoir
réarrangé les œufs avec son bec.
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Alexis RÉVILLON
La femelle d’Échasse blanche avec les 4 jeunes non volants.
La nidification du couple qui s’était installé près du chemin a été interrompue, sans
doute du fait d’un dérangement humain, laissant 3 œufs dans le nid le 1er juin. L’eau se
retire doucement dans la première semaine de juin, certains nids se retrouvant progressivement et dangereusement au sec, réduisant les ressources alimentaires.
Le 5 juin, le premier couveur change de comportement et les adultes attaquent tout
ce qui approche son nid. Ce n’est que le lendemain que S. MEZANI observe 2 pulli au
changement de couveur (ce qui fait une date de ponte estimée le 15 mai).
Le 13 juin, il reste encore 7 Échasses blanches dont 5 couveurs et un couple protégeant 2 jeunes. Le 15 juin, 7 Échasses blanches sont présentes avec 2 couveurs dans
la partie sud-est du site et un couple dont la femelle se met régulièrement en position
de couvaison. Je finis par apercevoir entre le mâle (qui se situe à 3-4 mètres) et le nid
d’abord 2 petites boules de plume beige puis une troisième qui sort du nid. Ceux-ci sont
sous surveillance, mais déjà très mobiles et quasi invisibles entre les laisses de mais. Les
2 adultes pourchassent tout ce qui passe à proximité des jeunes au sol (Bruant poyer
Milaria calandra, Alouette des champs Alauda arvensis, Bergeronnette printanière Motacilla
flava...) ou en vol lorsque la femelle de Faucon pèlerin Falco peregrinus survole le champ.
Le 18 juin, il n’y a plus d’eau dans la parcelle ! Restent sur le site 5 oiseaux visibles,
dont un couve encore dans la partie est de la parcelle et le couple avec ses 3 jeunes qui
crapahutent dans une zone très délimitée entre le mâle et la femelle. De temps à autre un
adulte s’absente, ce qui rend le repérage des jeunes plus difficile. Ce jour là, la femelle s’est
aplatie à tel point que je ne la voyais presque plus, mais dans le ciel cerclaient la femelle
de Faucon pèlerin et son jeune volant que sont allés houspiller 2 Vanneaux huppés. Des
alarmes d’Échasses blanches dans mon dos proviennent du lagunage. Effectivement, un
mâle est sur le bord enherbé ; la femelle est au bord de l’eau et s’alimente avec 4 jeunes
nettement plus grands que ceux observés précédemment.
Depuis 48 heures, il avait plu abondamment, contribuant à inonder certains champs
juste à l’ouest du lagunage et à attirer une centaine de grands goélands, essentiellement
des Goélands leucophées Larus michahellis de 2e et 3e année et quelques Goélands bruns
Larus fuscus eux aussi immatures restés sur place durant 3 jours.
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Jean-Marc FROLET
Alexis RÉVILLON
Un jeune.
Un adulte et ses 4 jeunes volants.
Le 23 juin, il ne reste que le couple avec couveur. Aucun oiseau n’est sur la lagune,
ni de jeune sur les bords. Un mâle vient s’installer sur le bord de la lagune mais en fait
il s’agit du mâle du couple du champ. Les jeunes ont probablement été victimes de la
prédation des grands goélands sur place. Le couple restant a vu éclore 4 pulli entre les
24 et 25 juin (date de ponte le 1er juin) ce alors que toute la parcelle est maintenant très
sèche. Le couple emmène ses jeunes tout d’abord dans les fossés contenant encore de
l’eau, puis à partir du 14 juillet sur le lagunage, tous les fossés étant secs. En cas d’alarme
(Milan noir Milvus migrans, Corneille noire Corvus corone corone), les jeunes s’enfuient dans
toutes les directions le plus souvent dans le champ de pois en contrebas (où ils peuvent
se cacher), voire dans l’eau en nageant pendant que les adultes pourchassent l’intrus.
Le 30 juin, le couple d’Echasse blanche avec ses 4 jeunes croise avec prudence un
couple de Vanneau huppé accompagné de ses 4 jeunes. La coexistence avec le Vanneau
huppé Vanellus vanellus qui a mené a bien plusieurs nichées sur le site est plutôt du
type collaboratif. Dans la plupart des cas, les 2 espèces vont houspiller les prédateurs
potentiels, même si de temps à autre une seule des 2 espèces se déplace (le couple de
Vanneau huppé contre un couple de Corneilles noires et le couple d’Echasse blanche
contre un Milan noir).
Le 27 juillet, les 4 jeunes sont volants (leur envol se situe donc entre les 20 et 27 juillet). Ils sont le plus souvent observés sur le lagunage de Verdun-sur-le-Doubs, mais à
partir du 1er août, les 2 adultes et les 4 jeunes volants sont quelquefois observés à Ciel
près d’un lagunage et d’une mare. La famille a quitté le site entre le 13 et le 17 août et
n’a pas été revue depuis.
Conclusion
L’année 2013 aura battu tous les records concernant l’Échasse blanche en Saôneet-Loire. Le nombre d’oiseaux de passage au printemps a été particulièrement élevé, et
pour la première fois dans notre département, l’espèce s’est reproduite avec succès dans
un champ longuement inondé du val de Saône, ce qui n’avait pas été le cas lors de leur
unique tentative précédente en 1983.
Présence inhabituelle et reproduction de l’Échasse blanche au printemps 2013 en Saône-et-Loire
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Cette année restera donc exceptionnelle car il est évident que l’Échasse blanche ne
trouvera sans doute pas de lagunes favorables les années prochaines. Sa reproduction,
inédite en 2013, restera donc occasionnelle.
Parmi les 8 couples nicheurs du printemps 2013 en Saône-et-Loire, 4 ont abandonné
les sites (conjonction de l’assèchement des parcelles, de la reprise des travaux agricoles à
Saint-Symphorien-d’Ancelles et du dérangement humain) et 4 couples ont élevé 13 jeunes,
victimes sans doute pour 9 d’entre eux de la prédation.
Remerciements
Je tiens à remercier tous les observateurs qui ont transmis leurs données : P. AGUETTI,
S. CŒUR, M. DUMAS, B. DURY, B. FONTAINE, P. GAYET, C. GENTILIN, B. GRAND, L. JOLY,
O. LÉGER, S. MEZANI, A. RÉVILLON, A. ROUGERON et F. TILLIER.
Merci à B. GRAND, S. MEZANI et P. GAYET pour leurs conseils, merci aux photographes
qui m’ont transmis leurs clichés (B. GRAND, L. JOLY, A. RÉVILLON).
Bibliographie
CŒUR S. & TILLIER F. 2013. Les Échasses
blanches de Saint-Symphorien-d’Ancelles, AOMSL infos, tome 13 n°2:
7-8.
DUBOIS P.J, LE MARECHAL P., OLIOSO G.,
& YESOU P. 2008. Nouvel inventaire
des oiseaux de France. Delachaux et
Niestlé, 559 p.
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Jean-Marc FROLET
FERRY C. 1978. L’Echasse Himantopus
himantopus a niché en Côte d’Or. Le
Jean-le-Blanc 17: 72-73.
ROLLAND A. 2012. Reproduction de
l’Échasse blanche dans l’Yonne en
2012. Le Moyen Duc 21: 12-13
FROLET J.M. 2012. Échasse blanche
Himantopus himantopus. In : FROLET
J.M. & MEZANI S. (coord.) Les oiseaux
de Saône-et-Loire - Inventaire & synthèse des connaissances. Rev. sci.
Bourgogne-Nature Hors-série 10: 165.
Rev. sci. Bourgogne-Nature - 19-2014, 29-34
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