SOCIOLOGIE DES ORGANISATIONS THEATRALES Collection Logiques Sociales Série Sociologie des Arts Dirigée par Bruno Péquignot Comme phénomène social, les arts se caractérisent par des processus de production et de diffusion qui leurs sont propres. Dans la diversité des démarches théoriques et empiriques, cette série publie des recherches et des études qui présentent les mondes des arts dans la multiplicité des agents sociaux, des institutions et des objets qui les définissent. Elle reprend à son compte le programme proposé par Jean-Claude Passeron : être à la fois pleinement sociologie et pleinement des arts. De nombreux titres déjà publiés dans la Collection Logiques Sociales auraient pu trouver leur place dans cette série parmi lesquels on peut rappeler: BRUN Jean-Paul, Nature, art contenlporain et société: le Land Art comme analyseur du social, deuxième volume, New York, déserts du Sudouest et COSlnos,l'itinéraire des Land Artists, 2006. PAPIEAU Isabelle,Art et société dans l'œuvre d'Alain-Fournier, 2006. GIREL Sylvia (sous la dir.), Sociologie des arts et de la culture, 2006. FAGOT Sylvain et UZEL Jean-Philippe (sous la dir.), Énonciation artistique et socialité, 2006. DENIOT Joëlle & PESSIN Alain, Les peuples de l'art TOlne 1, 2006. DENIOT Joëlle & PESSIN Alain, Les peuples de l'art Tome 2, 2006. BRUN Jean-Paul, Nature, art contemporain et société: le Land Art comme analyseur du social, premier volume, Nature sauvage, Contre Culture et Land Art, 2005. ETHIS Emmanuel, Les spectateurs du temps, 2005. DUTHEIL-PESSIN, Catherine, PESSIN Alain et Ancel PASCALE: Rites et rythnles de l'œuvre (2 vol), 2005. NICOLA-LE STRAT Pascal: L'expérience de l'intermittence. Dans les champs de l'art, du social et de la recherche, 2005. ETHIS Emmanuel: Pour une po(ï)étique du questionnaire en sociologie de la culture. Le spectateur Ùnaginé, 2004. GREEN Anne-Marie (dir) : Lafête comme jouissance esthétique, 2004. LIOT Françoise: Le métier d'artiste, 2004. DUTHEIL-PESSIN Catherine: La chanson réaliste. Sociologie d'un genre, 2004. BARRE-MEINZER Sylvestre: Le cirque classique, un spectacle actuel, 2004. GUIGOU Muriel: La nouvelle danse française, 2004. PAPADOPOULOS Kalliopi: Profession musicien: un «don », un héritage, un projet?, 2004. TASSIN Damien: Rock et production de soi. Une sociologie de l'ordinaire des groupes et des musiciens, 2004. Gaëlle REDON SOCIOLOGIE DES ORGANISATIONS THEATRALES L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique; FRANCE L'Hannattan Hongrie Konyvesbolt Kossuth L. u. 14-16 1053 Budapest Espace Fac..des L'Harmattan Kinshasa Sc. Sociales, Pol. et Adm. BP243, Université L'Harmattan Italia Via Degli Artisti, 15 10124 Torino KIN XI de Kinshasa ; 75005 Paris - RDC ITAllE L'Harmattan Burkina Faso 1200 logements villa 96 12B2260 Ouagadougou 12 http://ww\v.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@\vanadoo.fr harmattan I@\vanadoo. fr @L'Harmattan,2006 ISBN: 2-296-01513-1 EAN: 9782296015135 Comme le disait Jean Vilar à propos des entreprises d'art, donner naissance à un ouvrage dépend non seulement d'une décision raisonnable, mais souvent de la folie! Merci alors à toutes ces personnes sans qui celui-ci n'aurait pu voir le jour: à Bruno Péquignot pour la confiance qu'il m'a accordée dès le début de cette «aventure» et pour sa grande disponibilité. J'ai sans doute mis sa patience à rude épreuve durant ces années... Merci également à toutes les personnes que j'ai sollicitées, rencontrées, interrogées, sollicitées de nouveau... et qui ont fait preuve d'une grande disponibilité, qu'il s'agisse de comédiens, de metteurs en scène, de responsables DRAC, de directeurs ou d'administrateurs de la Régie des Affaires Culturelles, de membres de la Fédération des Œuvres Laïques. Et j'adresse un merci particulier à Nicolas Blanc, chargé de mission au théâtre et à la danse de l'ADDMCT de Perpignan, à l'époque où celleci existait encore, pour son aide et ses informations précieuses. Cette liste est bien sûr incomplète et mes remerciements sont pauvres au regard de tout ce que ces rencontres m'ont enseigné et procuré. SOMMAIRE PRESENTATION 9 PREMIERE PARTIE Repères et définitions 13 Chapitre 1. Le terrain: Principaux critères 15 15 16 1- La région Languedoc-Roussillon 2- Les Pyrénées-Orientales Chapitre 2. Théâtre amateur et théâtre professionnel 1- La professionnalité et l'amateurisme 2- Alors, deux formes de théâtre? 19 19 23 DEUXIEME PAR TIE L'analyse de terrain 37 Chapitre 1. Données officielles 39 1- Recensement des troupes amateurs et des compagnies professionnelles et méthodes d'enquêtes 2- Présentation et composition des troupes amateurs 3- Présentation et composition des compagnies professionnelles Chapitre 2. Quelques données chiffrées 1- Tableaux 1 et 2 : paysage culturel (théâtral) de la région Languedoc-Roussillon en 2003 2- Lecture de tableaux Chapitre 3. Sur le terrain 39 43 44 ,49 49 .50 53 53 1- La politique culturelle des Pyrénées-Orientales 2- Les compagnies professionnelles locales, une tendance à l'enfermement 65 3- Les troupes amateurs, une tendance au repli sur soi 107 4- Amateur/ Professionnel: deux manières d'aborder le théâtre? 125 Chapitre 4. Une approche organisationnelle du monde de l'art théâtral 1- L'entreprise et son évolution organisationnelle 2- L'analyse des organisations théâtrales 3- Amateur/Professionnel: trois manières d'aborder le théâtre 4- Organisations des troupes amateurs 5- Organisations des compagnies professionnelles 135 135 145 152 155 201 CONCLUSION 271 GENERALE BIBLIOGRAPHIE 285 8 PRESENTATION De nombreux travaux ont déj à été menés sur les troupes et les compagnies théâtrales, auxquels il faudrait aussi ajouter les monographies réalisées sur et/ou par des villes données. Il est donc légitime de s'interroger sur l'utilité d'une nouvelle recherche sur un thème tant abordé. En premier lieu, l'intérêt pour ce sujet aujourd'hui relève Ge l'espère) d'une logique complémentaire: quel nouveau regard pouvons-nous porter sur l'ensemble des questions soulevées par la constitution des troupes et des compagnies de théâtre, en mobilisant des outils propres à la sociologie? Principalement, il me semble qu'aujourd'hui la situation des troupes et des compagnies théâtrales est foncièrement différente de ce qu'elle a pu être avant les années quatre-vingt, quatre-vingt-dix. Il ne s'agit plus du tout d'une période de lancement d'une politique culturelle: plus que de l'Etat, la situation paraît en grande partie relever de l'action de ces groupements, qu'ils soient amateurs ou professionnels. C'est en effet à leur niveau que se définit très souvent la mission du théâtre en province, que sont recherchés les moyens de maintenir un niveau d'activité important et qu'apparaissent les questions concernant les enjeux artistiques. Pour diverses raisons d'ordre pratique, j'ai basé ce travail sur la région Languedoc-Roussillon et plus particulièrement sur un de ses départements, les Pyrénées-Orientales. Mais je souhaite évidemment qu'il puisse aboutir, pour les lecteurs, à une généralisation que je laisserais, pour ma part, dans le domaine de I'hypothétique. Ce travail part d'une double observation: la multiplication des troupes de théâtre amateur; la faible programmation des compagnies professionnelles locales dans leur propre département G' ai fait le choix de départ de me baser sur le recensement effectué par la DRAC, qui distingue la troupe, groupement amateur, de la compagnie, groupement professionnel. Je serai plus tard amenée à m'éloigner parfois de cette stricte distinction...). Dans ce contexte, il m'a semblé pertinent d'aborder ces groupements théâtraux et de les comparer, en appliquant des méthodes et des outils que se propose d'utiliser dans ses recherches, la sociologie des organisations. Et en cela, cette approche, je le souhaite, se distingue par exemple de celles développées dans les travaux précédents menés en histoire, en sociologie de l'art ou en littérature et portant notamment sur la naissance des premières troupes et leur inscription dans le temps, sur l'émergence du groupe des metteurs en scène à partir des années 1950, ou encore, sur la coopération entre Etat, villes et groupements théâtraux dans l' élaboration des politiques culturelles... Ces questionnements seront évidemment très présents dans mes recherches tant ils caractérisent la situation théâtrale actuelle, mais je fais ici I'hypothèse que les divers groupements théâtraux sont orientés d'une part, par leur inscription historique et territoriale particulière, et d'autre part, par leur organisation interne qui se répercute à son tour sur le niveau de jeu, les subventions, le public, la durabilité. .. Je voudrais montrer par là que la troupe ou la compagnie ne peuvent être étudiées isolément. Qu'il existe un véritable rapport qui s'opère entre leur environnement externe et leur organisation interne, pouvant être, selon les circonstances et successivement, la cause et/ou l'effet de l'un sur l'autre. Ce sont cette hypothèse et cet angle d'approche que j'ai choisis de développer dans cet ouvrage. Ce travail consiste donc en une analyse sociologique du fonctionnement des troupes amateurs et professionnelles présentes sur le territoire des Pyrénées-Orientales. Ainsi, j'ai dans un premier temps fait rapidement ressortir les traits essentiels de mon terrain d'étude et tenté de les croiser avec ceux de mon sujet de départ. Mais une telle approche m'a rapidement paru insuffisante puisque prenant en considération uniquement l' environnement externe des troupes et des compagnies. Le fonctionnement effectif de ces groupements repose, en effet, à la fois sur des relations d'échange, de coopération, de concurrence entre ces groupements euxmêmes, mêlant aussi des acteurs tels qu'Etat, collectivités territoriales, professionnels, etc., et composé également de tout un ensemble de jeux complexes au sein même de ces associations. Il faut alors revenir à la base de ces groupements et essayer de découvrir la cause préalable de leur naissance, et l'intérêt actuel de leur maintien. Par cette voie, je pourrais enfin analyser ces différentes formes de groupements de l' « intérieur», en me servant, comme énoncé, de méthodes et d'outils appliqués en sociologie des organisations. Il me semble, pour ce sujet d'étude et le biais par lequel je vais l'aborder, que 10 cette approche complète de manière pertinente celle utilisée également tout au long de ma recherche, l' interactionnisme ; approche reposant en grande partie sur le mode d'analyse proposé par Howard S. Becker au sujet des mondes de l'artI qui se composent de l'ensemble des personnes dont les activités sont nécessaires à la réalisation des œuvres et qui se caractérisent par la perméabilité de leurs frontières. Je m'intéresse ici à un monde spécifique, celui du théâtre, entendu comme un réseau de chaînes de coopération reliant les différents participants selon un ordre établi. En effet, la mise à jour d'un spectacle est loin d'être l'œuvre d'une seule personne mais suppose au contraire la participation d'un nombre considérable d'individus dont les activités sont coordonnées grâce à des conventions propres à ce monde social et artistique. Mon analyse se limitera ici plus particulièrement, à un maillon de la chaîne de coopération, à savoir donc, les troupes et les compagnies théâtrales dans leur production et leur diffusion. L'étude de ces troupes et compagnies théâtrales que je propose, emprunte de ce fait aux analyses développées par les interactionnistes, ainsi qu'à certains travaux menés dans le cadre de la sociologie des organisations (notamment ceux de la théorie des jeux), branche de la sociologie qui utilise d'ailleurs très fréquemment le courant interactionniste dans ses recherches. La coopération entre les acteurs étant placée au centre de l'analyse, l'ensemble des acteurs partagent des obj ectifs communs, même si leurs intérêts peuvent être divergents et leur coordination problématique. Les individus abordent une situation donnée en recherchant la stratégie la plus conforme à leur statut, tout en intégrant les réactions des autres individus et en devant adapter leur conduite selon les situations. Les acteurs, interdépendants, doivent donc choisir leur stratégie et s'accorder sur la définition de mécanismes d'ajustement, c'est-à-dire de conventions ou règles acceptées de part et d'autre. J'aborderai ainsi les troupes et les compagnies théâtrales comme le produit du travail de groupes d'individus, de leurs négociations et de leurs conflits, internes et externes. L'approche interactionniste ajoutée aux outils de la sociologie des organisations devrait ainsi permettre de découvrir les différences entre théâtre amateur et professionnel dans leur pratique de groupe, mais également faire ressortir de fortes similitudes en fonction de la forme de groupement dans laquelle les membres sont insérés. Chacune des deux grandes parties de l'ouvrage sera abordée sous un angle spécifique. La première partie, bien plus succincte que l'autre, s'intéressera aux traits essentiels du terrain d'étude et à ceux de notre ) Howard Samuel Becker, Les mondes de l'art, Editions Flammarion, Paris, 1988. Il sujet. Il s'agira là d'apporter les définitions et les caractéristiques indispensables à la continuation de ce travail de recherche. Cette première approche impliquera donc de dresser une carte générale de la situation actuelle, tant d'un point de vue territorial que théâtral. Elle donnera aussi une définition plus précise du théâtre et de ses acteurs, avec notamment le rôle et la place du metteur en scène et des comédiens au sein de la troupe et de la compagnie. Se jouera là, en particulier, la question de la hiérarchie, du pouvoir et de la dépendance plus ou moins forte de ces derniers sur le premier (et vice-versa...). La deuxième partie présentera plus particulièrement les résultats d'enquêtes menées sur le terrain, basés essentiellement sur les entretiens qui y ont été menés. Résultats croisant les dires de professionnels d'organismes culturels, de personnes politiques présentes sur le territoire et de membres composant les troupes et les compagnies étudiées. La première dimension à relever sera le facteur d'enfermement, généralisé à l'ensemble du département et particulièrement significatif pour comprendre la situation théâtrale actuelle. Il agit directement comme une sanction sur la reconnaissance des troupes et des compagnies, et se retrouve dans toutes les étapes du parcours des groupes théâtraux, de leur formation à leur diffusion. La deuxième dimension à prendre en considération sera le fait que le théâtre amateur et professionnel ne se réduit pas seulement à deux pratiques bien distinctes; l'organisation interne des groupes détermine également la trame de vie de ceux -ci, production, diffusion mais aussi (re)présentation affectuelle et sociale et équilibre. Sur cette question, il importera d'autant plus de prendre en compte la composition des groupes, que je désire cerner en quoi et comment ils peuvent être apparentés à des entreprises, traditionnelles ou récentes, dans leur organisation comme dans leur production. C'est-à-dire confronter les connaissances de la sociologie des organisations à ce cas d'étude particulier et lier mes observations et mes analyses à des règles ou une théorie beaucoup plus globales. 12 PREMIERE PARTIE Repères et définitions Introduction Avant de débuter tout travail de recherche, il convient de situer le terrain d'étude. Situer historiquement, géographiquement, économiquement et culturellement. Cette rapide présentation du Languedoc-Roussillon recentrée plus particulièrement sur un de ses départements, les Pyrénées-Orientales, s'avère nécessaire pour tout travail approfondi en un lieu donné. Car la géographie d'une région, dont découle bien souvent sa vie économique et culturelle, explique une certaine manière de vivre, une certaine mentalité, quand I'histoire, elle, dévoile ses guerres, révèle les batailles de son peuple et nous permet de saisir, par ce passé qu'elle lègue, la majeure partie des comportements de la population d'aujourd'hui. De ce fait, la culture contemporaine languedocienne, plus qu'un simple témoignage ou une révélation, apparaît également, avec ses forces et ses faiblesses, comme la conséquence du lourd héritage d'une région très contrastée dans tous les domaines. CHAPITRE 1 Le terrain: Principaux critères 1- La région Languedoc-Roussillon Toumée vers la Méditerranée sur plus de 230 kilomètres de côte, cette région est une terre de contrastes géographiques et culturels, aux facettes multiples. Elle représente la huitième région française par sa superficie et sa capitale (régionale) y est Montpellier. Elle se compose de cinq départements que sont, par ordre croissant, les Pyrénées-Orientales, la Lozère, le Gard, I'Hérault et l'Aude. De par sa position géographique, notamment son ouverture maritime sur la Méditerranée, la région Languedoc-Roussillon est à la fois une voie de passage européenne et un espace d'accueil ouvert et attractif. Mais si cette zone est attractive et que de ce fait, sa population augmente considérablement, elle ne se compose cependant pas dans sa majorité, de travailleurs actifs et c'est également une région où le taux de chômage est extrêmement élevé. Le champ de la culture de cette région est caractérisé par une multitude de créations, dans toutes les formes d'expression artistique et est marqué à la fois par la permanence (1'empreinte de son histoire et de ses traditions) et par une évolution continuelle, tant en matière de création que de diffusion. Mais cette même région est également marquée par des désordres: surabondance et prolifération dans certains secteurs et pénurie dans d'autres, manque de lieux permanents de création et de diffusion, sous utilisation du patrimoine, déséquilibres territoriaux et discontinuités dans l'offre culturelle, rareté des réseaux régionaux... De plus, plusieurs siècles plus tard, I'histoire semble se répéter: comme auparavant, nous le verrons, des artistes étrangers à la région Languedoc-Roussillon s'installent aujourd'hui et viennent enrichir la culture languedocienne (ou pourraient l'enrichir. . .) mais ils sont souvent mal accueillis car persiste toujours ce sentiment de repli qui caractérise cette zone - et notamment le département des PyrénéesOrientales - pourtant loin d'être démunie culturellement, tant au niveau de son patrimoine que de son foyer d'artistes locaux. 2- Les Pyrénées-Orientales «Etre homme de deux cultures sera dans l'avenir une chose banale... Nous voulons être à la fois dans l'ethnie catalane et dans la nation française, rester à la fois catalans et Français». Ferdinand Villacèque, 1978 Les Pyrénées-Orientales et ses 221 communes appartiennent à la Région par son économie, sa démographie, ses mentalités, mais reste quand même «indépendant », certes avec modération, comme en témoigne le titre du quotidien du territoire en question, L'Indépendant. Perpignan, préfecture du département, commande l'ensemble dont l'agglomération compte aujourd'hui 159 000 habitants. Dans cette ville frontière et ville militaire dans le passé, puis ville de passage vers l'Espagne, la pratique quotidienne de la langue catalane, le maintien des traditions, affichent un certain art de vivre et renforcent le sentiment régionaliste, sinon autonomiste (accentué par l'obtention d'une université, la présence d'un quotidien et de quelques éditeurs locaux qui la confortent dans ses aspirations de mini capitale). Cependant, malgré le renforcement de ses liens avec Toulouse, sa fragilité n'échappe à personne et est d'autant plus marquée par l'absence en son sein, d'industries d'importance et de la pénétration de capitaux étrangers, notamment catalans, qui montrent les limites de son dynamisme qui ne s'exprime finalement que dans sa démographie2. Sa géographie mais aussi son passé, avec ses invasions et ses guerres, ses famines et son isolement, son rattachement tardif à la France et ses résistances à la francisation, ont donc fortement marqué le département et expliquent un nombre important de phénomènes, notamment culturels. . . Ainsi, si la richesse du patrimoine naturel et historique donne aux Pyrénées-Orientales de vastes possibilités, le Roussillon, géographiquement isolé et économiquement autosuffisant, n'a jamais véritablement été une terre d'échanges et n'a en fait, jamais développé une culture collective de l'ouverture sur d'autres régions ou d'autres pays. 2 Marce1 Ba1este, Jean-C1aude Boyer, So1ange Montagné- Villette, Jacques Gras, C1aude Vareille, La France, les 22 régions, Editions Armand 16 Colin, Se édition, 2001, pp. 246,247. Au-delà donc de sa façade ensoleillée et sous des aspects contestataires, ce Midi bouillonnant semble en proie à une certaine incapacité au changement. . . Aujourd'hui, les deux clés des problèmes rencontrés par ce département semblent donc liées d'une part, à l'absence de conscience collective des échanges, et donc d'ouverture, et d'autre part, à l'absence de conscience collective culturelle, et donc de notoriété. 17 Théâtre CHAPITRE 2 amateur et théâtre professionnel Dès l'introduction à mon domaine d'étude, j'ai énoncé ma volonté d'étudier l'art théâtral sous deux aspects: amateur et professionnel. Il est donc nécessaire, à présent, de se pencher sur la défmition de ce que représentent le théâtre amateur et le théâtre professionnel. « On sourit bien souvent de l'amateur. On parle de l'amateur comme d'un talent mineur... Pourtant, les amateurs ont souvent autant de talent que les professionnels et il leur arrive quelques fois d'en avoir plus. Ils ont aussi pour eux la foi, le désintéressement absolu, le sens de l'équipe et, s'il leur arrive d'être traités de bricoleurs, qu'ils songent que le travail de bien des bricoleurs est beaucoup plus soigné que celui des professionnels tant ils y mettent de souci et d'amour (.. .). Les exemples abondent d 'hommes de talent qui ont renoncé à leurs activités premières pour exercer uniquement une profession nouvelle qu'ils ne pratiquaient au préalable qu'en amateurs. Au fond, nous sommes tous des amateurs, c'est-à-dire des professionnels en puissance et, comme dans amateur, il y a amour, je ne pense pas que ce sort soit si méprisable »3. Paul Minot. 1- La professionnalité et l'amateurisme L'article L 212-1 définit ainsi les interprètes: « Al' exclusion de l'artiste de complément, considéré comme tel par les usages professionnels, l'artiste interprète ou exécutant est la personne qui représente, chante, récite, déclame, joue ou exécute de toute autre 3 Paul Minot, Président du Conseil Municipal de Paris, «Défense et illustration de l'amateur» in Le théâtre amateur, organe officiel de la Fédération Française des Sociétés Théâtrales d'Amateurs, Paris, mai 1962, n° 35, p.7. manière une œuvre littéraire ou artistique, un numéro de variétés, de cirque ou de marionnettes». Cette définition est valable pour tous, comédiens, acteurs, conteurs, chanteurs, choristes, instrumentistes solistes ou accompagnateurs, danseurs, mimes, marionnettistes. Et ne faisant pas de distinction entre les interprètes professionnels et amateurs, tous deux ont la qualité d'interprète et peuvent bénéficier des droits que le code de la propriété intellectuelle leur confère4. Appliquée au domaine artistique et particulièrement au domaine théâtral, la professionnalité pose donc d'emblée un problème. Problème de définition puisque dans le secteur théâtral, le metteur en scène, comme le comédien, occupe une position sociale plus qu'une profession. Pour entrer dans le champ théâtral français (car d'autres pays d'Europe Centrale telle que la Pologne ne fonctionnent pas ainsi5), il n'est pas nécessaire en effet, d'obtenir un diplôme; il n'y a pas de classification, pas de concours d'entrée, pas de barrière. C'est en ce sens que l'on peut dire que la fonction de metteur en scène ou de comédien n'est pas une fonction structurée comme une profession. Tout serait donc une question d'autoproclamation. Cependant que, quand même, la position actuelle du metteur en scène est très liée au développement du théâtre public (où il occupe une place centrale beaucoup plus marquée que dans le théâtre privé pour lequel le personnage central serait davantage le comédien) dans lequel il concentre les pouvoirs, qu'ils soient politique, administratif, créatif, intellectuel, etc. Mais encore fautil que l'Etat, auquel il est fortement intégré, le reconnaisse comme artiste et donc le subventionne et lui octroie des responsabilités (par exemple, la gestion d'un théâtre)6... 4 Guy Haumont, Le guide juridique et pratique des comédiens, acteurs et auteurs à la scène et à l'écran, Ondine Edition, Paris, 1994, pp.l6, 17. 5 JustYne Balasanski, «La rançon de la "normalité". Les processus multiples de la transition culturelle en Pologne », in La nouvelle alternative, revue spécialisée sur l'Europe centrale et du sud-est postcommuniste, Centre National du Livre, volume 17, n057, automne-hiver 2002, pp. 63-67. Les comédiens polonais, notamment avant 1990, ne peuvent acquérir un poste dans un théâtre qu'après l'obtention obligatoire du diplôme du conservatoire d'Etat. 6 Serge Proust, « Une nouvelle figure de l'artiste: le metteur en scène de théâtre », article et intervention orale lors du séminaire Culture, Travail, Emploi Gens de théâtre: engagements publics et emploi, Noisy-le-Grand, 17 juin 2004, p.l. Avec l'apparition du Théâtre d'Art à la fin du XIXe siècle, les metteurs en scène occupent progressivement une place majeure; cel1e-ci étant particulièrement manifeste pour les plus reconnus d'entre eux qui dirigent la totalité des grandes institutions du théâtre public. 20