
Si le Conseil estime que les devis ministériels privent l'enseignement de la philosophie de
tout "intérêt" pour les jeunes d'aujourd'hui, pourquoi ne recommande-t-il pas de les rafraîchir? Au
Collège de Rosemont, les professeurs du département de philosophie ont déjà démontré leur
capacité d’élaborer et d'enseigner des cours qui, tout en respectant les principes de l'approche
philosophique, débordent largement le champ des "humanités classiques", tout en s’intégrant de
manière harmonieuse dans le nouveau programme "Histoire et civilisation" offert au Collège.
L’argumentation du Conseil à l’appui de ses recommandations résiste mal à un examen
même superficiel. Les membres du Conseil semblent eux-mêmes avouer leurs lacunes lorsqu’ils
écrivent, dans leur avis, que « les raisons qui sous-tendent les changements proposés en
formation générale ne sont pas faciles à cerner » (p. 98). Peut-être est-ce parce que ces raisons
« ne sont pas toujours clairement exprimées » (p. 98). La moindre des choses, de la part d’un
organisme dont le rôle est de conseiller le ministre sur les orientations qu’il doit donner à
l’éducation des jeunes québécois, serait d’exprimer clairement les raisons qui justifient leurs
recommandations, de trouver des raisons qui soient suffisamment fortes et d’éviter l’incohérence
qui prive leur discours de toute valeur pour ceux qui estiment que les choix éducatifs doivent être
rationnels.
La formation générale, une formation fondamentale
Le théoricien Edgar Morin 2 soutient que notre époque, parfois qualifiée de
«postmoderne» serait marquée par trois caractéristiques principales : 1) l’absence de vérité
fondamentale, 2) l’impossibilité logique d’un fondement premier, car on peut toujours trouver un
fondement au fondement, et 3) parce que le réel nécessite de recourir à quelque chose d’autre
pour se justifier, il n’est pas fondamentalement réel. Non seulement ébranlée par une
méthodologie sceptique, qui naturellement initie toute pensée critique, cette position relativiste
rend pratiquement impossible toute constitution positive du savoir, tout enseignement. Or, en
suggérant que la formation générale soit dénaturée en l’ouvrant à l’ensemble des
disciplines (arts, lettres, sciences pures, sciences humaines…) le Conseil supérieur de
l’éducation nous semble adopter d’une certaine façon une thèse relativiste. En effet, la formation
générale y apparaît comme un amas disparate de cours optionnels bâti selon les goûts et
caprices de l’étudiant-client. Cette forme de relativisme, insidieuse et si fréquente dans nos
sociétés pluralistes sans repères, mène à une sorte de subjectivisme. Sera vrai seulement ce qui
est choisi, acheté. Pour paraphraser Descartes, je choisis donc je suis. Or, même si la relation
pédagogique doit prendre en compte la nature de l’apprenant, il faut absolument éviter le culte
2 MORIN, Edgar. La méthode 3. La connaissance de la connaissance 1, Paris, Seuil, 1986. Pour une
présentation critique des thèses d’Edgar Morin, voir MORIN, Lucien et BRUNET, Louis. Philosophie de
l’éducation, Québec, Presses de l’Université Laval, 2000.