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AUTOUR DE
ÇA IRA (1) FIN DE LOUIS
JOËL POMMERAT
COMPAGNIE LOUIS BROUILLARD
DE
Le spectateur d’aujourd’hui n’a pas envie qu’on réfléchisse à sa place.
Il a envie qu’on lui laisse un espace.
JOËL POMMERAT (ENTRETIEN AVEC ALTERNATIVES THEATRALES, 2011)
RESSOURCES A DESTINATION DES ENSEIGNANTS, ELEVES ET ETUDIANTS
Ces documents visent à ouvrir des pistes de réflexion et à expliquer le travail de
création sans imposer, si possible, une lecture du spectacle, dont le sens se veut ouvert
à la réception de chaque spectateur.
DOSSIER REALISE PAR MARION BOUDIER ET LA COMPAGNIE LOUIS BROUILLARD.
Remerciements aux élèves de khâgne du Lycée Fénelon et à leur professeur Bertrand
Schiro pour leur contribution.
Toutes les photos de ce dossier ont été prises par Elisabeth Carecchio.
1
SOMMAIRE
Une fiction inspirée de la Révolution française ..................................................................... 3
Déroulé du spectacle .......................................................................................................... 3
Dramaturgie : reconstruire une histoire complexe ............................................................ 5
Une épopée ? ...................................................................................................................... 7
Rendre le passé présent .......................................................................................................... 9
D’hier à aujourd’hui : résonnances et filiations................................................................ 13
Une histoire sensible ........................................................................................................... 13
La parole et son lieu ............................................................................................................... 15
La parole est l’action ......................................................................................................... 15
Espace théâtral, espace démocratique ......................................................................... 17
Le processus de création ...................................................................................................... 20
Ecrire avec la scène .......................................................................................................... 20
Ecrire l’Histoire ..................................................................................................................... 21
Un tournant dans l’œuvre de Joël Pommerat ? ................................................................... 24
Annexes .................................................................................................................................. 26
2
UNE FICTION INSPIREE DE LA REVOLUTION FRANÇAISE
Documents proposés en annexe :
- dialogue de présentation du spectacle
- plan scène à scène
- descriptif des personnages
- chronologie historique
Ça ira (1) Fin de Louis est une fiction politique inspirée du processus révolutionnaire de
1787 à 1791. Le spectacle représente ce moment d’invention démocratique,
fondement de nos représentations politiques contemporaines.
Joël Pommerat décrit son spectacle comme une « épopée » historique et une « fiction
vraie ».
Ça ira (1) Fin de Louis n’est pas une reconstitution historique de la Révolution française,
mais une création fictionnelle. C’est une fiction documentée, « vraie » en ce sens, mais
qui s’autorise des licences poétiques. On retrouve ce mélange entre réalité et fiction
dans la plupart des spectacles de Joël Pommerat.
DEROULE DU SPECTACLE
Les événements de Ça ira (1) Fin de Louis s’inspirent de la période 1787-1791.
La première partie du spectacle introduit le contexte de crise économique et politique,
depuis la tentative de réforme fiscale voulue par le roi jusqu’au « coup d’état » des
députés du tiers-état qui se déclarent Assemblée Nationale.
C’est la première fois depuis très longtemps que la population est autorisée et même
invitée à s’exprimer et se réunir pour élire ses représentants. Mais la réunion du
parlement des Etats généraux est « bloquée » : le tiers-état, qui représente la majorité
de la population, refuse de travailler selon l’usage de trois chambres séparées ayant
chacune une voix, car les deux partis privilégiés de la noblesse et de l’Eglise risquent de
s’allier pour créer une majorité alors qu’ils ne représentent qu’une minorité des Français.
La présence de militaires autour de Versailles et de Paris fait courir des rumeurs de
massacre général. Les premières violences éclatent.
La deuxième partie du spectacle représente le travail concret de l’Assemblée et
l’irruption de la violence jusqu’à ce que des députés nobles proposent la suppression
de leurs avantages.
Craignant une répression militaire, les Parisiens se sont armés et ont attaqué la prison
centrale, mais après la venue du roi à Paris pour apaiser la situation, le peuple croit
sincèrement que Louis va accompagner la révolution. Les députés travaillent à
l’écriture de la Constitution tout en devant faire face à la généralisation de la violence
dans le pays, à la pénurie alimentaire et à la menace de banqueroute.
La troisième partie du spectacle montre le fossé se creuser entre la population, les
députés et le roi.
Une manifestation de Parisiens menés par des femmes fait irruption à Versailles à
l’Assemblée, accuse et malmène les députés, exige de voir le roi et lui demande des
comptes. Un climat de guerre civile s’installe, certains nobles appelant à une contre-
3
révolution violente. Transféré à Paris, le roi garde confiance, convaincu que la majorité
silencieuse de la population le soutient et que les travaux de l’Assemblée sont voués à
l’échec.
Pourquoi avoir choisi une séquence historique allant de l’assemblée des
notables, dès 1787, jusqu’au printemps 91 ?
Ce choix correspond, je crois, à la volonté de Joël Pommerat de dérouter les
récits dominants de la tradition dramaturgique ainsi qu’à proposer une histoire
« épaisse », qui restituerait le rôle et l’intelligence de chacun des acteurs de la
Révolution. Commencer en 1787, c’est-à-dire au moment où le roi convoque
l’Assemblée des Notables et se retrouve confronté à leur farouche opposition,
déplace l’acte de naissance de l’événement, habituellement fixé aux Etats
Généraux de mai 89, ce qui présente un intérêt dramaturgique, mais rend aussi
compte des recherches récentes : une des thèses fortes de l’historien JeanClément Martin est ainsi de montrer que la Révolution française ne commence
pas par les actions des patriotes mais que ce sont ceux que l’on appellera les
« Contre-Révolutionnaires » qui provoquent le blocage initial, menant à
l’effondrement de la monarchie absolue. Là encore, cette tension entre
recherche historique et dramaturgique me semble particulièrement
représentative du travail mené en commun. Quant au choix du printemps 1791,
il s’explique un peu de la même manière. Il est cohérent d’un point de vue
historique : la fuite du roi (20 juin 1791) constitue un des principaux tournants de
la Révolution. Il revêt également un sens dramaturgique, le spectacle étant en
partie centré sur la trajectoire de Louis XVI. Pour l’événement révolutionnaire
comme pour la personne du roi elle-même, le printemps 1791 symbolise, de ce
fait, une sorte de point de non-retour.
Guillaume Mazeau (conseiller historique),
Revue d’Histoire du Théâtre, n° 268, 2015
4
Commencer avant 1789 déporte le spectacle par rapport à un récit schématique et
consensuel de la Révolution tel que l’a en partie fossilisé le Bicentenaire.
Débuter le spectacle par la crise et les tentatives de réformes des années 1786-1788
établit également un lien entre la politique et l’économie, qui est par ailleurs un motif
récurrent dans les spectacles de Joël Pommerat (par exemple dans Les Marchands,
Ma chambre froide, La Grande et Fabuleuse Histoire du commerce).
DRAMATURGIE : RECONSTRUIRE UNE HISTOIRE COMPLEXE
Dans l’ensemble, la dramaturgie du spectacle a été guidée par la volonté de raconter
une histoire qui donne à voir un processus et ses acteurs dans leur variété et sans
préjugés.
L’histoire est racontée « avec innocence », comme si nous n’en connaissions pas la fin
ni les héros. Réécriture de l’archive et imagination se sont mêlées pour « rendre
présent » le passé dans toute son imprévisibilité (voir ci dessous « RENDRE LE PASSE PRESENT »
et « LE PROCESSUS DE CREATION »).
En représentant des assemblées, des réunions, des débats, en mettant en
scène la conflictualité révolutionnaire, l’avènement de citoyens autonomes et
délibérants, Ça ira (1) Fin de Louis cherche à placer les spectateurs au cœur
de la complexité humaine de l’expérience politique.
Marion Boudier, Avec Pommerat, un monde complexe, Actes Sud, 2015
5
Pour représenter le renversement et la réinvention du pouvoir, le récit de Ça ira (1) Fin
de Louis est notamment construit autour de quatre axes dramaturgiques :
-
-
-
la parole politique : presque toutes les scènes sont des scènes de réunion et de
politiques.
trois lieux qui représentent différentes sphères de débat et de souveraineté : le
roi et son entourage dans la résidence royale à Versailles, les députés à
l’Assemblée à Versailles, les parisiens réunis en comités de quartier.
une multitude de personnages, qui représentent différentes parties de la société
et différents types d’engagement politique, qui appartiennent à des groupes
mais suivent aussi des trajectoires individuelles (engagement, revirement,
radicalisation…).
une continuité narrative : le récit progresse de manière linéaire en déroulant les
grandes étapes du processus révolutionnaire. Par rapport à la chronologie des
événements historiques, cette temporalité linéaire comporte des ellipses et des
contractions qui construisent la tension narrative.
Selon les moments du spectacle, Joël Pommerat étire ou concentre les événements. Il
consacre notamment la moitié de la première partie au « blocage » initial des Etats
généraux afin d’en faire comprendre tout l’enjeu : avec ce « coup d’état » des
représentants du tiers-état, on peut considérer que la révolution est quasiment faite
(reste à la mettre en pratique et à savoir si elle est terminée ou non).
Certaines scènes de débats entre députés se déroulent comme en « temps réel »,
donnant à ressentir l’énergie et le piétinement des discussions. Le récit progresse peu
dans ces scènes, mais l’événement y est donné à comprendre de manière sensible.
Par rapport à la discipline historique, Ça ira (1) Fin de Louis invite à une autre forme de
compréhension du passé grâce à la mise en intrigue et à travers le présent de la
séance théâtrale. Les émotions et la compréhension narrative des événements priment
sur l’exactitude d’une éventuelle démonstration scientifique exhaustive.
Joël Pommerat travaille à révéler la complexité des individus. Il représente des
anonymes pour déjouer les attentes du spectateur et brise les clichés qui entourent le
roi et la reine en montrant notamment la jeunesse du roi, ses tentatives de réforme et
ses hésitations. La reine n’est pas une beauté frivole mais une femme politique, en
décalage par rapport à son entourage.
Les parcours des personnages révèlent comment l’on devient partisan ou ennemi de la
Révolution, progressivement et selon de multiples facteurs. Le député modéré Carray
se rapproche des conservateurs en réaction à la violence par exemple, tandis
qu’Elisabeth (la sœur du roi) ou la reine sont incapables de penser un autre monde.
Ça ira (1) Fin de Louis met en mouvement de nombreux motifs et questionnements qui
ne trouvent pas forcément de réponse et demeurent des enjeux pour aujourd’hui, entre
autres :
-
l’exercice et l’organisation du pouvoir, le fonctionnement démocratique, la
relation entre le peuple et ses représentants, l’égalité…
le rapport entre les idées et les actes, le rôle de l’émotion et de l’idéologie dans
l’action publique, l’engagement, le courage, la prise de conscience politique…
les liens entre économie et société…
la justice, la légitimité de la violence, les différents types de violence…
6
La périodisation choisie, les thèmes mis en jeu, le traitement des personnages et des
événements sur le mode du débat constant en donnant voix à chaque acteur de la
Révolution aspirent à restituer une histoire complexe et plurielle, qui cherche à mettre
en échec toute tentative d’imposer une vérité unique, forcément partiale.
On retrouve dans Ça ira (1) Fin de Louis, le refus de tout surplomb ou dogmatisme
propre à l’écriture de Joël Pommerat qui cherche à orienter le moins possible le
jugement de son public. Mais Ça ira (1) Fin de Louis ne met pas pour cela en place une
« stratégie poétique » comme c’est le cas par exemple dans Les Marchands où un récit
en voix off et les images scéniques entraient en friction. Dans Ça ira (1) Fin de Louis, la
volonté d’ouvrir la réception passe en partie par le large éventail des positions
idéologiques représentées, toutes traitées avec une égale dignité, sans manichéisme ni
caricature, et par le dispositif scénographique d’immersion proposée au spectateur.
UNE EPOPEE ?
Joël Pommerat dit qu’il souhaitait écrire une « épopée », c’est-à-dire s’emparer d’une
matière historique et mythique, travailler un ample récit, dérouler une chronologie avec
différentes situations, différents plans de représentation et de nombreux personnages.
L’ampleur narrative a pour corollaire une ampleur scénique : Joël Pommerat a écrit ce
spectacle pour un grand plateau d’une vingtaine de mètres d’ouverture et pour une
jauge de plus de 500 spectateurs.
Ce qui me trouble dans cette époque, c’est la foule de protagonistes
différents, au-delà des figures centrales de Danton, Marat ou Robespierre.
J’essaie de rendre compte de ce fourmillement de personnages dont il faut
faire la synthèse. [...] J’aime organiser cette cohue, trouver un équilibre dans
cette spontanéité et cette violence et une intelligence dans ce chaos. Ce
théâtre épique essaie d’épouser les contours d’une révolution qui s’est
construite au jour le jour, dans la douleur et l’improvisation.
Joël Pommerat, RTBF, 22/09/2015
Par rapport au genre épique, le spectacle mêle réalité historique et fiction, de même
que l’épopée peut donner une dimension merveilleuse au récit vraisemblable des faits
historiques.
Mais alors que l’épopée est habituellement caractérisée par une succession de
grandes actions, souvent guerrières et héroïques, et aspire à construire une légende en
transmettant des valeurs, Ça ira (1) Fin de Louis montre l’histoire en formation, dans sa
marche hésitante, dans toute sa complexité et son imprévisibilité, sans qu’une vision
dominante ne soit trop directement imposée au spectateur.
Le spectacle ne propose pas « l’histoire des grands hommes » mais une histoire « à
hauteur d’homme », faite par des anonymes.
Si l’on souhaite attribuer une dimension épique au spectacle, cela pourrait être dans
une acception brechtienne. Pommerat n’utilise pas les procédés typiques de
distanciation propre au théâtre épique, mais il rejoint le projet de Brecht en ce qu’il
invite le spectateur à considérer l’histoire comme une question ouverte et à interroger
à travers elle sa propre inscription dans le monde contemporain.
7
Quelle vision de la Révolution avez-vous voulu transmettre ?
Aucune ! Joël Pommerat n’a pas fait cette pièce avec des intentions
historiques ou politiques, même si la pièce dit quelque chose de l’histoire et de
la politique. Il n’est plus possible ni probablement souhaitable de faire avec la
Révolution ce théâtre trop explicitement militant qui, au fond, conforte
chacun dans ses opinions et place les spectateurs dans une position de
réception passive. Il ne s’agit donc pas d’une pièce à message, mais d’une
expérience collective qui consiste à faire vivre la Révolution comme pour la
première fois. […] La Révolution coule encore dans nos veines. Elle est notre
mythologie parce que les révolutionnaires ont posé les bases d’une nouvelle
anthropologie. La Révolution nous interroge profondément sur l’organisation
des hommes en société, sur les rapports de domination, sur la construction du
commun, sur la violence aussi et, fondamentalement, sur la place de l’homme
sur terre. Pourtant avec le temps, et parce que nous sommes de plus en plus
saisis par la tentation de l’incroyance collective, nous y sommes devenus plus
insensibles. La Révolution s’est largement patrimonialisée et dépolitisée.
La
pièce représente la Révolution dans son bouillonnement initial, avec ses
espoirs, ses inventions démocratiques. Elle questionne les origines de notre
communauté civique et politique mais de manière non manichéenne,
prenant au sérieux tous les acteurs de ce grand combat, qu’ils soient
révolutionnaires ou contre-révolutionnaires.
Guillaume Mazeau (conseiller historique)
L’Histoire, 16/10/15
8
RENDRE LE PASSE PRESENT
Documents proposés en annexe :
- dialogue de présentation du spectacle
Dans Ça ira (1) Fin de Louis, les costumes et la langue sont contemporains, le décor
abstrait mais moderne. On relève également quelques francs anachronismes tel le
commentaire télévisé de l'ouverture des Etats généraux. Tout cela peut provoquer
chez le spectateur la sensation d’un flottement temporel.
Ça ira (1) Fin de Louis n’est pas une reconstitution historique de la Révolution française,
mais une recréation dans un temps fictionnel contemporain.
Joël Pommerat assume des « licences poétiques » qui sont des entorses à l’histoire : il
représente par exemple des femmes députées alors que les femmes n’avaient alors
aucun droit ; il omet certains débats, procède à des ellipses ou à des contractions
d’événements.
On ne relèvera donc pas de correspondances exactes avec l’histoire telle qu’elle s’est
déroulée, même si le sens global adhère souvent le plus étroitement possible avec ce
qui s’est passé. Il est fait allusion à des lieux et à des événements réels mais ils sont
désignés autrement. Les personnages ont été inspirés par les idées de plusieurs individus
ayant réellement existé, mais ce sont des êtres fictifs. Dans le spectacle, seul le roi est
clairement identifié comme Louis XVI.
Comme l’ont montré notamment le philosophe Paul Ricoeur (« le temps raconté ») ou
l’historien Paul Veyne (« l’histoire est un roman vrai »), la fiction peut être au service de
la représentation de l’histoire. L’historien et l’écrivain ont en commun de mener une
enquête sur les hommes du passé, et pour se développer cette recherche a besoin
d’imagination. C’est ce qu’a réaffirmé encore récemment Ivan Jablonka dans son
9
essai L’Histoire est une littérature contemporaine : selon lui, l’histoire est d’autant plus
scientifique qu’elle est littéraire.
La Révolution française est une réalité historique et un mythe, une légende :
mon objectif n’est pas de raconter la légende ni de créer un folklore
patrimonial consensuel. Ce qui m’intéresse, c’est d’écrire une histoire qui
reconstruit la réalité telle que des contemporains ont pu la vivre : donc placer
le spectateur dans le temps présent d’une réalité qui se déroule sous leurs
yeux.
Joël Pommerat, RFI, 11/11/2015
Comme pour le travail sur les contes (Le Petit Chaperon rouge, Pinocchio, Cendrillon),
Joël Pommerat a voulu « démythifier » le récit pour le « rendre présent ».
Il s’agit de plonger le public « dans le présent du passé » pour lui faire ressentir le passé
comme si c’était du présent. Ça ira (1) Fin de Louis propose de (re)découvrir la
Révolution de 1789 plutôt que de la reconnaître.
Tout ce qui pourrait créer de la distance et empêcher les spectateurs de croire qu’ils
découvrent les événements pour la première fois est donc transposé : la langue, les
costumes, la musique, les accessoires du décor sont contemporains.
Au bout de quelque temps, je me suis dit « oui cette langue est très belle, mais
attention, ne soyons pas fétichiste ». J’ai fait le choix dans ma pièce de ne pas
travailler avec le costume d’époque. Je serais cinéaste, peut-être que je
n’aurais pas le même point de vue. Je pense que le costume d’époque au
théâtre, c’est la mort. C’est impossible à contourner. Le costume, la réalité, le
détail et la langue sont des trucs pour endormir… […]
Plus que la langue, il y a les concepts, la pensée, et, dans le fond peu importe
la forme dans laquelle cette pensée et ces concepts sont traduits. C’est parce
qu’ils sont puissants qu’ils ont fait bouger le système
Joël Pommerat, Libération, 23/10/2015
10
Une série d’adaptations et d’entorses à la réalité du passé ont été faites pour rendre le
passé présent, par exemple :
-
-
-
La distribution de comédiens d’âges, de sexes et de couleurs de peau
différentes est une entorse assumée à la vérité historique, concrètement liée à la
composition de l’équipe avant même le choix du thème du spectacle, mais qui
crée un fort effet de proximité et de vraisemblance.
Certaines expressions figées ont été traduites dans un souci d’explicitation des
enjeux (les Etats généraux sont « une grande consultation nationale », un
« parlement »), d’autres pour éviter le folklore et les images stéréotypées.
Les costumes crées par Isabelle Deffin mêlent des inspirations des années
soixante à nos jours afin de gommer la distance et l’étrangeté du passé.
L’univers sonore, les bruitages et musiques choisis par François Leymarie mêlent
passé et présent. L’utilisation d’une chanson du groupe Europe (« The Final
Countdown ») par exemple pour l’arrivée du roi à l’Hôtel de Ville transpose la
tradition historique des entrées royales spectaculaires en évoquant celles des
hommes politiques contemporains lors des meetings.
Comment s’est déroulée la recherche costume ? Comment traiter l’aspect
historique ?
Isabelle Deffin : Nous avons cherché une forme de contemporanéité
intemporelle avec des costumes non historiques. Pour cela il faut trouver le
« basique ». Intemporel ne veut pas dire fade : ce n'est pas forcément simple,
ce n'est pas forcément trois couleurs (en noir, en gris ou en blanc). Cela doit
être très expressif mais on doit trouver l'essence du vêtement, ce qu'il peut
dégager dans l'imaginaire collectif. […] Le côté intemporel intervient quand on
essaye de ne pas figer le temps. Il faut mixer les éléments, repérer des basiques
et les retravailler en utilisant parfois des choses un petit peu plus modernes.
11
Quand un élément est trop spécifique d'une période, on gomme des petites
choses. Quand on veut faire un peu ancien ou vintage, ça peut être
intéressant de travailler sur la couleur. Des couleurs brunes, bleues racontent
beaucoup les années 60 par exemple.
Il est intéressant de connaître la réalité, mais cela ne marche pas forcément sur
un plateau de théâtre. Il faut changer ce qu'on perçoit de la réalité pour qu'on
puisse comprendre cette même réalité sur un plateau. Il faut que je sache ce
qui m’intéresse dans l’image tirée de la vie réelle pour réfléchir à la manière de
faire ressentir la même chose aux gens qui regardent.
Isabelle Deffin (costumière),
Revue d’Histoire du Théâtre, n°268, 2015
12
D’HIER A AUJOURD’HUI : RESONNANCES ET FILIATIONS
C’est bien la révolution de 1789 qui est présente sur scène et non celle qui pourrait
avoir lieu en 2015.
Ça ira (1) Fin de Louis n’a pas été écrit comme une parabole qui ferait un détour par le
passé pour parler d’aujourd’hui. La pièce ne fonctionne pas non plus telle une pièce
« à clefs » que l’on pourrait déchiffrer pour y reconnaître des personnalités ou des
événements de notre actualité politique. Si des points communs peuvent être établis,
comme entre la crise financière de 1789 et la crise économique de 2008 par exemple,
la Révolution française est toujours présentée comme un événement singulier, sans
analogie historique.
En revanche le choix d’un tel sujet historique n’est pas anodin et permet de mettre en
évidence la forte empreinte laissée par la Révolution française dans notre présent. Joël
Pommerat a la conviction que nous ne sommes pas coupés de ce passé
révolutionnaire, que nous avons toujours la même façon de penser et de vivre la
politique.
Le spectacle met ainsi en évidence la continuité entre nos débats actuels et ceux des
révolutionnaires. Le spectateur est laissé entièrement libre d'établir les analogies qui lui
sembleront pertinentes, et d'entendre les échos, sinon les appels, qu'il peut lancer.
Au-delà de la langue, les débats, à quelques détails près, sont quasiment
identiques à ce que l’on connait aujourd’hui. On veut nous faire croire que la
Révolution, c’est de la préhistoire. Or les débats à l’époque ne sont rien moins
que le choc entre le progressisme et le conservatisme, pour prendre des mots
schématiques.
Joël Pommerat, Libération, 23/10/2015
UNE HISTOIRE SENSIBLE
Ça ira (1) Fin de Louis cherche à retrouver du vivant et du présent dans la
représentation de la Révolution française, à rendre sensible une histoire plus ou moins
connue de tous, pour dépasser les stéréotypes consensuels d’un mythe national
patrimonialisé et figé.
Il s’agit par là aussi de renouer avec « l’intempestivité », la fébrilité, d’une histoire en
train de se faire.
Ça ira (1) Fin de Louis met en scène des idéologies et visions du monde, la rencontre
entre des ressorts intimes, des croyances, des convictions, et une volonté d’action. Le
spectacle révèle les motivations subjectives, concrètes et parfois obscures, de l’action
publique et collective. Il montre la fragilité et l’épaisseur humaine de la parole
politique, profondément affective et ancrée dans le corps : quel est le rôle du stress et
de la fatigue, du vertige et de la peur, de l’attente, de l’effet de masse, dans le
discours et la prise de décision politiques ?
C’est l’émotion du député Gigart par exemple, son exaspération épidermique face à
l’intransigeance et au mépris de la noblesse, qui le pousse du côté des radicaux pour
déclarer l’Assemblée nationale, tandis que Ménonville regrette d’avoir participé à ce
coup d’Etat sous la pression des circonstances et l’enthousiasme général.
13
La démarche théâtrale de Joël Pommerat rejoint ici les préoccupations d’historiens
contemporains tels Guillaume Mazeau ou Sophie Wahnich qui soulignent le rôle central
des émotions dans l’histoire.
Il s’agit de retrouver le sensible en politique alors que ce qui caractérise notre
époque, c’est soit l’impassibilité stoïque, soit la haine de l’hétérogène. Mais
sans hétérogénéité et sans conflictualité, il n’y a plus de politique. Les arts
offrent la possibilité de retrouver ce qu’on nomme au XVIIIe siècle une « raison
sensible ». C’est le propre du théâtre de faire appel à une intrication du logos
(raison, NDLR) et du corps. Mais c’est vrai aussi de la littérature car le corps
sensible du lecteur y est convoqué. Ce sont les retrouvailles avec ces médias
sensibles et la sensibilité à l’humanité qui fabriquent l’homme sensible, c’est-àdire engagé et révolutionnaire de 1789. […]
Or, la Révolution n’est pas un mythe, c’est une histoire vécue, des gens l’ont
espérée, ils ont agi, pris des risques importants pour la faire exister et elle a
laissé des traces dans l’imaginaire. Mais devenue mythique, la Révolution
française était devenue « indisponible ». Puis, dans un deuxième temps,
« infréquentable » car [on] l’a accusée d’être matrice des totalitarismes.
Sophie Wahnich, Libération, 23/10/15
Le rôle de l’acteur est primordial pour cette histoire sensible (voir ci-dessous le
témoignage du comédien Bogdan Zamfir dans « Le processus de création »).
La présence, l’engagement physique et vocal des comédiens (incarnation, adresse,
rythme et déplacement) donnent à comprendre les événements autrement qu’un livre
d’histoire, en donnant à éprouver leur surgissement, leur énergie et leur incertitude.
Les moments de cacophonie et d’empoigne à l’Assemblée placent par exemple le
spectateur dans un certain inconfort qui devait aussi être celui des députés à
l’époque.
Derrière l’acteur, c’est aussi moi, citoyen, qui m’engage chaque soir dans le
spectacle comme pour la première fois.
Yannick Choirat, comédien, décembre 2015
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LA PAROLE ET SON LIEU
LA PAROLE EST L’ACTION
Plus que dans d’autres spectacles de Joël Pommerat, la parole est au centre de Ça ira
(1) Fin de Louis : le plateau devient tribune, salle de réunion ou conciliabule.
Comme le dit l’auteur-metteur en scène, Ça ira (1) Fin de Louis n’est « pas un spectacle
politique mais un spectacle sur la politique », sur la parole et l’action politiques dans
toute leur diversité et leur radicalité, voire leur violence.
Un temps important des répétitions a été consacré à la recherche d’une véritable
parole politique : une parole vivante à l’opposé de la reproduction de postures
politiques. Tout en s’appropriant les idées des discours des révolutionnaires, les
comédiens ont cherché à ressentir la nécessité et le contexte de ces prises de parole
afin de construire une adresse engagée et persuasive.
On a cherché à retrouver ce que c’est qu’une parole politique, et pour
commencer à définir ce qu’est une parole politique. Pour entrer dans les
actions de ces événements, il fallait entrer dans l’expérience de cette parole
politique. Une parole politique, c’est quoi ? C’est essayer de dire le plus
précisément et de manière la plus efficace et convaincante possible. Le projet
de celui qui parle en politique, a priori, c’est de toucher, d’atteindre, de
convaincre l’autre, ou bien de le fragiliser, de le combattre. Doc la parole du
politique se doit d’être d’une précision, d’une clarté et d’une efficacité très
grande.
Joël Pommerat, France Culture, 11/11/2015
15
Dans Ça ira (1) Fin de Louis, la parole véhicule l’action et permet le récit de certains
événements, mais elle est aussi et surtout l’action même. Les discours font advenir une
nouvelle réalité hic et nunc, en réaction à l’enchaînement des événements et aux
repositionnements des uns et des autres dans l’arène politique.
Les différents positionnements idéologiques n’étant pas encore sédimentés en blocs
opposés (c’est la Révolution qui invente le « côté gauche » et le « côté droit »), les
orateurs s’emparent de la parole avec liberté, sans nécessairement suivre une ligne
politique préétablie. Les arguments s’élaborent dans l’instant de la crise, dans
l’incertitude et la violence de la confrontation.
Au cœur du spectacle, la parole fuse de toutes parts, enveloppe le public et l’immerge
dans des débats chaotiques, avec des orateurs qui s’invectivent, crient et s’insultent,
allant parfois jusqu’à l’altercation physique.
La présence de quinze « forces vives », des participants amateurs disséminés dans le
public pour applaudir et réagir aux différents discours, crée le climat d’un débat vivant.
La sonorisation (utilisation de micro et diffusion du son dans la salle) soutient également
cette « immersion » des spectateurs dans l’événement de la parole.
Ce trop-plein de mots et d’idées contradictoires peut être troublant pour le spectateur
qui se retrouve malgré lui happé par des discours et se demande quel parti prendre.
En plaçant le spectateur en position de témoin immergé, le spectacle lui donne à voir
et à sentir le débat politique dans son effervescence et sa diversité. De la virulence et
de la cacophonie émergent l’enthousiasme de la prise de parole publique et
l’urgence du débat citoyen.
Théâtre « en présence » de l’événement, Ça ira (1) Fin de Louis interroge ce faisant
indirectement notre rapport actuel au débat politique et à la liberté d’expression. La
représentation théâtrale devient alors une invitation à vivre « l’histoire en partage »
(Guillaume Mazeau) : le spectacle ne donne pas une leçon d’histoire au public mais
l’invite à prendre part à une histoire en cours...
16
ESPACE THEATRAL, ESPACE DEMOCRATIQUE
Le dispositif scénographique de Ça ira (1) Fin de Louis est frontal ou englobant selon les
scènes. Comme dans Au monde, Les Marchands ou Cendrillon, le plateau se constitue
parfois en boîte noire dans laquelle se déroule une action que le spectateur observe
de l'extérieur.
Pour les réunions entre notables et députés ainsi que pour l’avant dernière scène située
dans une association de quartier, le « quatrième mur » est brisé. La salle entière devient
la scène : les spectateurs sont des membres de ces assemblées. Il ne s'agit pas
exactement de rendre le public acteur, mais de l'englober.
Alors que dans Ma Chambre froide, la scène circulaire tournait pour offrir une certaine
mobilité de perception au spectateur, dans Ça ira (1) Fin de Louis, ce sont les
spectateurs qui doivent, s’ils le souhaitent, se tourner sur leurs sièges pour suivre les
débats entre la scène et la salle. La communauté théâtrale que le dispositif bifrontal de
La Réunification des deux Corées rendait visible dans la pénombre est ici en pleine
lumière, et devient d’autant plus concrète que les personnages qui la traversent
s’interrogent sur l’invention et le fonctionnement d’une communauté politique.
Avec sa dernière création, Ça ira (1) Fin de Louis, Pommerat revient
apparemment à une scénographie frontale, mais c’est pour mieux l’éclater : les
spectateurs, pris à témoin et englobés par les débats représentés, forment
l’assemblée des membres du Parlement ou des districts. Cette immersion
physique à travers le débordement de la scène dans la salle souligne
indirectement qu’on ne peut aborder au théâtre la question de la
représentation démocratique sans interroger la représentation théâtrale ellemême et la convention qui sépare ceux qui regardent de ceux qui
représentent en action. […]
En immergeant le spectateur dans les assemblées, cette « épopée » historique
aux aspects d’uchronie rend sensible le fait, souvent abstrait, d’appartenir à
une communauté de destin pour laquelle le débat démocratique demeure un
enjeu. Plus qu’un but avoué de l’écriture, l’éveil de cette conscience est une
des nombreuses questions qui se pose au moment d’achever ce livre alors que
le spectacle vient à peine d’être créé…
Recherche d’une sincérité de la parole à chaque instant, présences vraies des
acteurs au plateau, kaléidoscopes de points de vue, mise en action mentale
du spectateur, mise en mouvement de son regard : c’est avant tout par ces
gestes simples et fondamentaux que le théâtre de Pommerat devient politique.
Marion Boudier, Avec Joël Pommerat, un monde complexe, Actes Sud, 2015
On retrouve dans Ça ira (1) Fin de Louis de grands principes d’écriture scénique
caractéristiques du travail de Joël Pommerat avec la Compagnie Louis Brouillard :
-
construire à partir du noir et du vide (plateau nu)
esquisser et suggérer le réel avec quelques accessoires
stimuler l’imaginaire du spectateur et une réception sensible en le plongeant
dans l’obscurité et un riche environnement sonore
Mais la pénombre laisse aussi place à certains moments à des intensités lumineuses très
fortes.
17
A la différence des spectacles précédents, l’enchaînement des scènes dans Ça ira (1)
Fin de Louis ne se réalise pas systématiquement par un passage au noir de quelques
secondes qui fait surgir la scène suivante telle une apparition. Certains changements
de décor sont au contraire réalisés à vue, ce qui constitue une évolution importante
dans l’esthétique de Joël Pommerat.
Nous revenons à un théâtre frontal mais nourri de nos recherches immersives,
circulaires et bifrontales. L'espace scénique devient total, il englobe la scène
et la salle et du coup aussi le spectateur.
Le pari à tenir est de faire vivre cet ensemble, sans prendre le spectateur en
otage. L'immerger sans le prendre en otage.
Il y a dans ce spectacle une tension qui parcourt la durée qui est soutenue par
des niveaux lumineux extrêmement intenses. Une forme de pression lumineuse
est recherchée et sert de lien au rapport scène-salle.
Le dispositif scénique est à l'échelle de la cage de scène, une machine à
cadrer, à créer du hors champs, et à ménager les espaces de coulisse
nécessaires à la circulation des nombreux comédiens et des accessoires tout
aussi nombreux (tables, chaises, pupitres…).
Le théâtre et ses espaces se construit et se déconstruit, sous nos yeux parfois
éblouis, comme un passage au blanc.
Une petite ouverture au lointain est la partie immergée de la projection de
tous les espaces possibles (nombreux couloirs d'assemblés, de palais, de
champs de batailles...).
Le dispositif est fragmentaire, laissant la cage de scène dans laquelle il s'inscrit
trouver sa respiration. Les matières qui le constituent sont brutes et à même de
recevoir la réflexion de ces haut flux lumineux.
La lumière participe à ces respirations multiples et aux changements
d'échelles.
Eric Soyer (scénographe, éclairagiste), septembre 2015
Dans la résidence royale, la nudité du plateau ainsi qu’une lumière froide et tamisée
donnent à sentir l’immensité de l’espace du pouvoir, évoquant tout à la fois la
puissance et la fragilité. Les déplacements y sont réglés (ballet des domestiques,
distance protocolaire). A l’Assemblée nationale au contraire, la lumière est franche et
la scène est fourmillante, notamment à travers les allers et venues des assesseurs et des
députés entre les bureaux, le micro et la salle.
Le hors-scène a une fonction importante dans Ça ira (1) Fin de Louis, notamment pour
la représentation du peuple, un des enjeux d’une pièce sur la Révolution. Si le peuple
n’est pas physiquement sur scène, sa participation est suggérée par les sons, les coups,
les vibrations et les cris qui invitent le spectateur à imaginer la foule à l’extérieur,
manifestant aux portes de l’Assemblée ou de la résidence royale.
Par ce procédé, le peuple est représenté comme une force agissante mais insaisissable.
Le mot peuple désigne d’ailleurs des réalités différentes pour les différents personnages.
Au-delà du problème de représentation que pose la foule au théâtre, la dissociation
spatiale qui s’opère entre le peuple dans le hors-scène et ses représentants en scène
éclaire la relation ambiguë qui les unit : le plateau ne fait paraître que ceux qui ont la
charge de porter sa voix, représentants à la fois redevables de son soutien et craintifs
face à sa violence.
18
MULLER. Quel est-il ce véritable esprit de la monarchie ?
DUMONT BREZE. Il est respectueux de l’avis du peuple
MULLER. De quel peuple parlez-vous monsieur ?
[…]
GIGART. Ce peuple, je ne crains pas aujourd’hui de le désigner sous
l’appellation de « peuple illégitime », et même de « mauvais peuple » car ce
peuple-là, c’est un peuple criminel et sauvage, mesdames messieurs, qui ne
doit pas être confondu avec le véritable peuple, citoyen, qui connaît ses
devoirs, qui a respect des lois et de la vie humaine.
Joël Pommerat, Ça ira (1) Fin de Louis, scènes 2 et 18.
19
LE PROCESSUS DE CREATION
Documents proposés en annexe :
- bibliographie du spectacle
- calendrier de création
- témoignages et discours d’époque
- extrait de Timothy Tackett (historien)
ECRIRE AVEC LA SCENE
Joël Pommerat écrit ses textes en même temps qu’il les met en scène. Il se revendique
en ce sens « écrivain de spectacles », refusant la séparation traditionnelle entre l’auteur
et le metteur en scène.
Je n’écris pas des pièces, j’écris des spectacles, c’est comme ça. Je ne me suis
pas dit : je vais écrire du théâtre. Je ne pense pas « texte ». Le texte c’est ce qui
vient après, c’est ce qui reste après le théâtre.
Le texte, c’est la trace que laisse le spectacle sur le papier. C’est d’ailleurs sa
juste définition. On n’écrit pas un texte de théâtre. Ça c’est de la littérature.
Dire que l’on écrit un texte et faire de cet acte l’objet premier du théâtre, c’est
une perversité. Il y a là quelque chose de fétichiste, de détourné. L’essence du
théâtre pour moi, ce n’est pas cela. Le théâtre se voit, s’entend. Ça bouge, ça
fait du bruit. Le théâtre, c’est la représentation. Quand on écrit du théâtre, on
écrit en vue d’un événement qu’on appelle communément un spectacle.
[…]
Pour ma part, je fais parler des gens sur scène. Je me confronte à la question
de la parole et des mots. Mais travailler le geste, l’attitude, le mouvement d’un
acteur sera aussi important que travailler les mots. Je réfute l’idée d’une
hiérarchie entre ces différents niveaux de langage ou d’expression au théâtre.
La poétique théâtrale n’est pas seulement littéraire.
Joël Pommerat, troubles, Actes Sud, 2009
La mise en scène et le texte s’élaborent conjointement au fur et à mesure des
répétions, en collaboration avec l’équipe des comédiens et créateurs artistiques. Cette
recherche se déroule dans des conditions proches de celle de la représentation, c’està-dire avec une scénographie, des costumes, du son, etc.
Les acteurs improvisent sous la direction de Joël Pommerat qui, ensuite, nourri de cette
expérience concrète, écrit seul le texte.
20
ECRIRE L’HISTOIRE
Joël Pommerat dit faire du théâtre pour comprendre et ressentir ce que lui-même ne
connaît pas. Lorsqu’il commence à travailler sur une idée de spectacle, il adopte donc
la conduite d’un chercheur qui tente de se défaire de tout savoir préalable.
Le théâtre est un lieu possible d’interrogation et d’expérience de l’humain.
Non pas un lieu où nous allons chercher la confirmation de ce que nous savons
déjà mais un lieu de possibles, et de remises en question de ce qui nous semble
acquis.
Joël Pommerat, Théâtres en présence, Actes Sud, 2007
Pour Ça ira (1) Fin de Louis, Joël Pommerat a travaillé comme un historien, en menant
une « enquête » sur la Révolution et ses acteurs. Pour observer comment fonctionne la
Révolution, il se positionne « à hauteur d’homme », déployant un regard de type
anthropologique sur les manières de penser et d’agir des révolutionnaires.
Au début des répétitions, Joël Pommerat s’était donc proposé comme méthode de :
-
-
partir le plus possible de la connaissance des faits, en lisant différentes
chroniques de la Révolution relatant au jour le jour l’événement.
partir de la lecture de témoignages directs, notamment les procès verbaux des
débats de l'Assemblée et autres réunions publiques, des journaux, des
correspondances, mémoires intimes ou écrits politiques.
travailler sur les idées et non à partir des biographies.
Partir des faits, des discours et témoignages est une manière d’échapper, autant qu’il
est possible, aux images figées et aux interprétations partisanes de la Révolution dont
l’historiographie est particulièrement clivée.
Pendant 6 mois de répétition étalés sur un an, les acteurs, préalablement nourris par la
lecture de documents d’archive sélectionnés par Joël Pommerat, la dramaturge
Marion Boudier et l’historien Guillaume Mazeau, ont travaillé à travers des
improvisations pour s’approprier les idées et sensibilités politiques de la fin du XVIIIe
siècle.
Hormis Yvain Juillard, choisi pour incarner le roi, les acteurs n’ont pas été
immédiatement distribués dans des rôles particuliers. Pendant les répétitions, ils ont tous
exploré différents positionnements idéologiques.
Les personnages ne sont pas des décalques de personnages historiques, mais les fruits
d’une écriture inspirée par de multiples archives et par les comédiens. La députée
Lefranc n’est pas Robespierre ni Marat, mais une invention à partir des propos de
Robespierre, Marat, Desmoulins, Lanjuinais et d’autres encore, incorporés par Saadia
Bentaïeb et chargés de ses propres « mémoires intimes ».
21
CALENDRIER DU TRAVAIL
3 ateliers-laboratoires :
- mai et juin 2014 au Théâtre Nanterre-Amandiers : deux ateliers d’exploration
avec deux groupes de 35 personnes
- octobre 2014 à l’Esact (Liège) : un atelier avec les étudiants du conservatoire
6 mois de création
- août 2014 au CNCDC (Châteauvallon)
- février 2015 au CentQuatre (Paris)
- mai 2015 à La Ferme du Buisson (Noisiel)
- début juin 2015 à La Commune – Centre Dramatique National d’Aubervilliers
- de juin à début septembre 2015 au Théâtre Nanterre-Amandiers
Création à Mons / Le Manège, dans le cadre de Mons 2015 – Capitale européenne
de la Culture, du 16 au 18 septembre 2015.
Tournée en 2015-2016-2017 en France et à l’étranger.
Écrire l’histoire - Extraits d’un entretien avec la Revue d’Histoire du Théâtre,
n°268, 2015.
1. échapper aux interprétations partisanes
Quelles sont les références historiographiques les plus nourrissantes pour votre
travail sur ce sujet aujourd’hui encore clivant pour la communauté des
historiens de l’héritage révolutionnaire, articulant, pour schématiser, une
conception marxiste fondée sur l’essor de l’aventure collective du peuple
insurgé (Soboul) et une conception libérale fondée sur le triomphe des valeurs
associées à l’essor de l’individu (Furet) ?
Guillaume Mazeau (conseiller historique) : Nous avons voulu éviter de nous
enfermer dans des visions trop manichéennes ou partisanes qui, d’ailleurs,
depuis le Bicentenaire (1989), ne structurent plus autant le champ de la
recherche. Ces histoires un peu hémiplégiques, qui ont eu leur raison d’être,
ont pourtant, à la longue, un peu stérilisé la richesse de l’événement. Nous
avons donc essayé de « tout lire » ou du moins d’utiliser tous les travaux qui
répondaient aux orientations successives que prenait notre enquête, quelque
soit leur orientation, leur statut par rapport à la discipline historique ou même
leur mode d’écriture, d’Albert Mathiez à Jean-Christian Petitfils en passant par
Jules Michelet. Il n’était pas pour autant question de faire comme s’il était
possible de tout mettre en équivalence, ni de défendre une histoire «
objective » ou désengagée de la Révolution, une des motivations de la pièce
étant, sans verser dans la démonstration ni la pédagogie, de remettre en jeu
la confrontation de tous les hommes et de toutes les idées, en les prenant tous
et toutes avec le plus de sérieux possible. L’objectif était de restituer des
situations complexes, en devenir, dans toutes leurs incertitudes, leurs
imperfections et leurs possibles, ce qui est, au fond, une manière de sonder la
politique dans son cœur même, dans ses tensions, ses rapports de force et son
inventivité. Cette approche contextuelle, compréhensive et contrefactuelle
fut aussi l’occasion de transposer l’événement dans une partie de son
historicité, c’est-à-dire son imprévisibilité. C’est pourquoi des livres comme Par
la volonté de du peuple (1997) de Timothy Tackett ou Révolutionnaires (2013)
d’Haim Burstin, qui racontent des histoires à hauteur d’homme, s’attardent sur
les choix des individus, sur la manière dont ils agissent, s’adaptent et évoluent
un peu à tâtons et non en fonction de plans préconçus, ont profondément
22
guidé notre travail de recherche, lui-même fondé sur l’enquête et
l’expérience de plateau. Mais au-delà des livres, nous avons surtout mené un
très important travail d’archives, constituant des corpus en fonction des
directions que le metteur en scène nous donnait, afin de poser les situations et
de bâtir les paysages mentaux des acteurs.
2. improviser à partir d’archives
Comment s’est opéré le travail dramaturgique à partir du matériau historique,
dans l’expérimentation collective du plateau à laquelle vous nous avez
habitué lors de vos précédents spectacles ?
Marion Boudier (dramaturge) : Chaque spectacle réinvente son processus de
création, mais il est vrai qu’un des principes récurrents de la démarche est
l’improvisation dirigée. Pour participer à ces improvisations, les comédiens ont
besoin d’être « chargés ». Bien avant le début des répétitions, Joël Pommerat
avait fait le choix de travailler à partir de documents d’époque. Le premier
travail dramaturgique a donc consisté à rassembler et à sélectionner des
documents : discours parlementaires, journaux, mémoires, correspondances,
compte-rendu... Pour entrer dans la parole politique, pour trouver son
efficacité, les comédiens ont travaillé en improvisations solitaires à partir de
ces documents qu’ils devaient synthétiser et reformuler avec leurs mots. Puis
sont venus les improvisations collectives. Joël Pommerat pouvait par exemple
proposer une situation en précisant la date, le lieu, les personnes présentes,
leurs positionnements idéologiques, quelques axes thématiques, etc.
Guillaume Mazeau, les stagiaires dramaturges et moi avons constitué des
pochettes documentaires autour de chaque scène, en précisant le
positionnement des un et des autres, en proposant des extraits de textes
historiques bruts ou réécrits […] S’est ainsi élaborée une dynamique de
palimpseste, voire de palimpseste de palimpseste de palimpseste, qui part
des documents historiques pour aboutir au texte du spectacle en passant par
plusieurs étapes de pré-écriture et de réécriture à travers le travail
dramaturgique et les improvisations. Nourri du matériau documentaire et du
concret des improvisations, Joël Pommerat écrit avec et entre toutes ces
couches, jusqu’à fixer le texte.
3. Incarner
Quel rapport personnel, intime même, le comédien est-il supposé animer et
entretenir avec les événements historiques ?
Bogdan Zamfir (comédien) : Il faut accepter d’aller fouiller dans des endroits
qu’on ne connaissait pas forcément et où on n’avait peut-être pas envie
d’aller. Peu importe que l’acteur soit d’accord ou pas avec le discours qu’il
doit porter (je pense pour moi à la noblesse radicale), ce que Joël Pommerat
demande, c’est un rapport très intime entre l’être que tu vas jouer et toimême. C’est à dire que tu ne vas pas à l’extérieur chercher ce que tu n’es
pas toi-même. Même si tu lis des discours, des archives parlementaires, il faut
aller chercher en soi ce qui fait résonner cette parole extérieure. Pour trouver
le lien intime qui existe entre l’acteur et l’événement historique, il faut
évidemment faire un grand parcours de compréhension intellectuelle. Mais il
ne faut pas que cela devienne intellectuel. Il faut l’habiter avec des émotions
pures […] C’est quelque chose qui part de l’intellect et qui descend jusqu’en
bas, et qui doit vibrer perpétuellement. Ça va de la grande histoire à la petite
histoire et ça fait des allers retours dans tous les sens.
23
UN TOURNANT DANS L’ŒUVRE DE JOËL POMMERAT ?
Documents en annexe :
- photos d’autres spectacles de Joël Pommerat
- extraits de Je tremble (1 et 2) et de Ma chambre froide.
En s’emparant d’un sujet historique pour Ça ira (1) Fin de Louis, Joël Pommerat pourrait
donner l’impression de rompre avec l’inquiétante étrangeté qui caractérisaient ces
œuvres précédentes, mais plus qu’une véritable rupture, ce nouveau spectacle est un
prolongement de son questionnement sur l’idéologie.
Comme ma préoccupation depuis plusieurs années est la question des
idéologies et des représentations mentales, je me suis demandé quel
contexte historique permettait le mieux d’entrer dans l’idéologie
contemporaine Après être allé voir du côté de la Résistance et des
révolutions du XIXe siècle, je me suis rendu compte qu’il fallait revenir à la
racine, à la révolution de 1789 : c’est le mythe fondateur de notre culture, le
cœur de notre roman national. Mais en même temps, on en a une vision
superficielle, figée.
Joël Pommerat, Le Monde, 10/07/2015
Au delà de leurs différences de style, les spectacles de Joël Pommerat, qui peuvent
être plus ou moins épurés, spectaculaires, réalistes, étranges, linéaires ou fragmentés,
sont tous animés par une même quête du réel et par une interrogation d’ordre
philosophique sur l’homme et ses représentations.
Pour Joël Pommerat, représenter le réel c’est rendre compte de toutes ses dimensions.
L’imaginaire, le monde mental, le psychisme de l’individu et la réalité du monde social
sont indissociables. Son théâtre cherche à appréhender cette complexité, et c’est
dans cette optique que ses spectacles allient différents registres, l’observation de la
société contemporaine et la fiction, le familier et le fantastique, le réalisme
psychologique et le conte, par exemple.
le plus étrange avec le plus simple, le plus banal
le plus intime avec le plus épique,
le plus sérieux, le plus tragique avec le plus dérisoire
le plus actuel avec le plus anachronique
réunir tout ça, ces dimensions, toutes, ne pas en laisser échapper
c’est comme cela, peut-être à tort, que je pense pouvoir rendre
théâtralement
un peu de réalité
car mon obsession, c’est ça, saisir un peu de réalité.
Joël Pommerat, notes inédites pour Au monde, 2004.
A travers ses personnages, Joël Pommerat aborde l’homme comme une entité
complexe, à la fois biologique, subjective et sociale. Il observe notamment les liens
24
entre vision du monde, action et perception de soi. Les Marchands révèle par exemple
la valeur accordée au travail comme support identitaire. Cercles/Fictions questionne la
croyance, croyance en soi ou en un idéal supérieur. Le faux cabaret de Je tremble (1
et 2) fait entendre des individus en quête de raisons d’exister, pris par la nécessité ou la
difficulté de vivre avec les autres.
Ça ira (1) Fin de Louis prolonge cette réflexion en mettant en scène la conflictualité de
l’époque révolutionnaire : qu’est ce qui pousse les hommes à la révolte et à la prise de
pouvoir ? A partir de quelle conception de l’Homme refonder la société ? Faut-il
sacrifier ses idées aux circonstances ? A une autre échelle, cette question de
l’organisation du pouvoir était aussi celle des employés de Ma chambre froide…
Dans ses créations antérieures, Joël Pommerat faisait surgir le politique dans l’intime,
souvent au cœur des microcosmes de la famille (Au monde) ou du travail (Les
Marchands, Ma Chambre froide) : cette fois, il plonge directement dans le monde
politique. Mais il n’en montre pas moins la part intime et émotionnelle de
l’engagement.
D’une certaine façon, Ça ira (1) Fin de Louis prolonge également son travail sur les
contes en invitant le spectateur à interroger son rapport à la réalité contemporaine à
travers la reconsidération d’une représentation prégnante dans l’imaginaire collectif :
la Révolution est un mythe qu’il s’agit de « rendre présent » pour mieux le comprendre.
Ça ira (1) Fin de Louis s’inscrit ainsi dans la continuité d’un questionnement tout en
renouvelant certains partis-pris dramaturgiques et scéniques. Joël Pommerat y pousse
encore plus loin son goût pour le récit à partir d’une matière historique et politique, ce
qui est singulier dans le paysage théâtral contemporain « postdramatique », et
renouvelle son écriture scénique à travers une scénographie immersive et des
transitions à vue notamment.
25
ANNEXES
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·
·
Parcours de Joël Pommerat
Distribution
Déroulé du spectacle scène à scène
Liste des personnages
Présentation du spectacle sous forme de dialogue
· Bibliographie
· Chronologie historique
· Extraits de textes d’archives :
o Sieyès, Qu’est-ce que le tiers état ?
o Dufourny, Cahiers du 4e ordre
o Lafayette, extrait des Archives parlementaires
o Marat, L’Ami du peuple
o Montlosier, De la nécessité d’une contre révolution
· Extrait d’un essai de l’historien Timothy Tackett
· Photos du spectacle
· Photos d’autres spectacles
· Extraits de Je tremble (1 et 2) et de Ma chambre froide de Joël
Pommerat
· Méthode d’analyse chorale de l’ANRAT
26
· PARCOURS DE JOËL POMMERAT
Joël Pommerat est né en 1963. Il est auteur-metteur en scène. Il a fondé la Compagnie
Louis Brouillard en 1990.
Joël Pommerat a la particularité de ne mettre en scène que ses propres textes. Selon
lui, il n’y a pas de hiérarchie : la mise en scène et le texte s’élaborent en même temps
pendant les répétions. C’est pour cela qu’il se qualifie d’« écrivain de spectacles ».
En 1995, il crée Pôles, premier texte artistiquement abouti à ses yeux. C’est aussi le
premier à être publié en 2002.
En 2004, le Théâtre National de Strasbourg accueille la création de sa pièce Au monde,
premier grand succès public et critique de la compagnie. Avec la trilogie Au monde
(2004), D’une seule main (2005), Les Marchands (2006), Joël Pommerat ancre plus
directement ses pièces dans la réalité contemporaine et l’interrogation de nos
représentations. Il aborde le réel dans ses multiples aspects, matériels, concrets et
imaginaires.
En 2006, Au monde, Les Marchands et Le Petit Chaperon rouge sont reprises au Festival
d’Avignon, où Joël Pommerat créé également Je tremble (1 et 2) en 2008. Il poursuit sa
réécriture des contes avec Pinocchio en 2008 et Cendrillon en 2011. En 2010, il présente
Cercles/Fictions dans un dispositif circulaire, qu’il explore à nouveau dans Ma Chambre
froide l’année suivante. En 2013, il crée La Réunification des deux Corées dans un
dispositif bi-frontal.
Son dernier spectacle, Ça ira (1) Fin de Louis, a été créé en septembre 2015 au
Manège de Mons, dans le cadre de Mons 2015 – Capitale européenne de la culture.
A l’opéra, Joël Pommerat a collaboré avec Oscar Bianchi en adaptant sa pièce
Grâce à mes yeux (Thanks to my eyes, Festival d’Aix en Provence, 2011). En 2014, il met
en scène Au monde, opéra de Philippe Boesmans d’après sa pièce, au Théâtre de la
Monnaie à Bruxelles.
Joël Pommerat a reçu de nombreux prix pour son œuvre. Depuis ses débuts, il a été
soutenu par de longs partenariats avec le Théâtre de Brétigny-sur-Orge et le Théâtre
Paris-Villette. A l’invitation de Peter Brook, il a également été artiste en résidence au
Théâtre des Bouffes du Nord entre 2007 et 2010.
Il est actuellement artiste associé au Théâtre national de Bruxelles ainsi qu’à l’OdéonThéâtre de l’Europe. Depuis 2014, il fait partie de l’association d’artistes de NanterreAmandiers.
Joël Pommerat cherche à créer un théâtre visuel, à la fois intime et spectaculaire. Il
travaille sur une grande présence des comédiens et le trouble des spectateurs. Il est
revenu sur sa démarche artistique dans deux ouvrages : Théâtres en présence (2007)
et, avec Joëlle Gayot, Joël Pommerat, troubles (2010). Tous ses textes sont publiés aux
Éditions Actes Sud.
27
· DISTRIBUTION
UNE CREATION THEATRALE DE JOËL POMMERAT
Avec
Saadia Bentaïeb,
Agnès Berthon,
Yannick Choirat,
Eric Feldman,
Philippe Frécon,
Yvain Juillard,
Anthony Moreau,
Ruth Olaizola,
Gérard Potier,
Anne Rotger,
David Sighicelli,
Maxime Tshibangu,
Simon Verjans,
Bogdan Zamfir.
EQUIPE DE CREATION
Scénographie et lumière
Eric Soyer
Costumes et recherches visuelles
Perruques
Habillage/Couture
Renfort perruques
Isabelle Deffin
Estelle Tolstoukine
Elise Leliard, Claire Lezer, Lise Crétiaux
et l’équipe de Nanterre-Amandiers
Julie Poulain
Son
Recherche musicale
Recherche sonore et spatialisation
François Leymarie
Gilles Rico
Grégoire Leymarie et Manuel Poletti
Dramaturgie
Marion Boudier
Collaboration artistique
Marie Piemontese, Philippe Carbonneaux
Assistante à la mise en scène
Lucia Trotta
Conseiller historique
Guillaume Mazeau
Assistant dramaturgie et documentation
Guillaume Lambert
Renfort dramaturgie et documentation Marie Maucorps
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Renfort conseil historique
Aurore Chery
Direction technique
Construction décors
Construction mobilier
Réalisation accessoires
Emmanuel Abate
Ateliers de Nanterre-Amandiers
Thomas Ramon – Artom
Jean-Pierre Costanziello, Mathieu Mironnet,
Pierre-Yves Le Borgne
Régie lumière
Régie son
Régie plateau
Julien Chatenet et Gwendal Malard
Grégoire Leymarie
Jean-Pierre Costanziello, Mathieu Mironnet,
Pierre-Yves Le Borgne
Claire Lezer, Siegrid Petit-Imbert, Lise Crétiaux
Habilleuses
Stagiaires costumes
Aloys Picaud, Eloïse Pons
Stagiaire scénographie
Laura Chollet
Stagiaires dramaturgie et mise en scène
Elise Boch, Pauline Collet
BUREAU DE PRODUCTION - COMPAGNIE LOUIS BROUILLARD
Anne de Amézaga : Co-directrice
Jean-François Louchin : Administrateur
Gil Paon : Assistante de la co-directrice et attachée à la communication
Lorraine Ronsin-Quéchon : Chargée de la logistique des tournées et attachée à la
production
Isabelle Muraour : Presse et diffusion
Fanny Trujillo: Comptable
Yane Agius : Renfort paie
Rachel Levieux : Chargée d'accueil et secrétaire de production
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· DEROULE DU SPECTACLE SCENE A SCENE
PREMIERE PARTIE
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·
Scène 1 : A Versailles, le roi et le Premier Ministre en charge des finances
annoncent aux personnes les plus importantes de France (membres de la classe
noble et de l’Eglise) leur intention de réformer la fiscalité pour tenter de résoudre
la crise économique.
Scène 2 : Les notables s’opposent à cette réforme jugée despotique et
demandent la convocation d’un Parlement national des Etat généraux
Scène 3 : Un aristocrate commente la constitution originelle de la monarchie.
Scène 4 : A Paris, élection primaire du 49e district pour élire les délégués qui
éliront les députés aux Parlement des Etats généraux et pour rédiger un cahier
de recommandations.
Scène 5 : Ouverture des Etats généraux commentée par une journaliste
espagnole.
Scène 6 : Les députés du tiers-état un mois après l’ouverture débattent du
« blocage » et de la réunion des 3 assemblées (tiers, noblesse, église) en une
seule.
Scène 7 : Ultime négociation entre le tiers et la noblesse au sujet de la réunion
des 3 assemblées.
Scène 8 : Réunion de crise autour du roi alors que son fils vient de mourir.
Scène 9 : Le tiers fait un coup d’état en se déclarant seul Assemblée nationale.
Scène 10 : Confession du député Ménonville puis discours du roi qui condamne
le coup de force du tiers. Panique autour du roi car les députés refusent de
quitter la salle et se déclarent inviolables.
Scène 11 : A Paris dans une assemblée de quartier, les habitants discutent de la
pénurie et de leur peur face à l’encerclement militaire de Paris. Interrogatoire
d’un militaire étranger qui se prétend déserteur.
DEUXIEME PARTIE
·
·
·
·
Scène 12 : Débat sur la Déclaration des Droits de l’Homme à l’Assemblée tandis
qu’à Paris la prison centrale est attaquée.
Scène 13 : Le roi est reçu en triomphe à l’Hôtel de Ville de Paris par des officiels
et la population.
Scène 14 : A l’Assemblée, les débats sur la violence populaire sont interrompus
par l’arrivée du Premier ministre au sujet de la crise financière ; un noble libéral
propose l’égalité totale.
Scène 15 : Le Premier ministre apprend au roi et à son entourage que les
députés de la noblesse et de l’église ont proposé l’abolition de tous leurs
avantages.
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TROISIEME PARTIE
·
·
·
·
·
Scène 16 : A Paris, le député Carray rend visite à l’assemblée de son quartier
pour condamner la violence ; on lui reproche le tournant réactionnaire de
l’Assemblée.
Scène 17 : Des parisiennes interrompent les débats de l’Assemblée pour exiger
une aide alimentaire immédiate ; elles sont reçues par le roi qui annonce qu’il va
s’installer à Paris.
Scène 18 : Des députés, le Maire de Paris et le chef de la police citoyenne
accueillent le roi et la reine dans leur nouvelle demeure parisienne. Dans les
nouveaux locaux de l’Assemblée, la député Versan de Faillie annonce une
contre-révolution violente.
Scène 19 : Dans une assemblée de quartier, arrestation de deux militants
radicaux partisans d’une intensification armée de la révolution et opposés à la
nouvelle loi électorale.
Scène 20 : Le roi renvoie son ministre et rassure son entourage. Il pense que ça
ira…
NB : le texte n’étant pas édité à ce jour, la numérotation des scènes est toujours
susceptible d’évoluer.
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· LISTE DES PERSONNAGES
LE ROI ET SON ENTOURAGE
- LOUIS XVI (Yvain Juillard) : Figure paternelle respectée par la majorité des Français
mais qui demeure une énigme : est-il réformateur, manipulé ou indécis… ?
- LA REINE (Anne Rotger) : Conservatrice, passionnée, elle s’immisce dans les conseils
politiques. Elle est détestée par la population.
- ELISABETH, LA SŒUR DU ROI (Agnès Berthon) : Convaincue de la supériorité de la
noblesse, elle refuse de prendre en compte la nouvelle réalité sociale et politique.
- LE PREMIER MINISTRE MULLER (Yannick Choirat) : Réformateur, il préconise une réforme
complète de la fiscalité pour sortir l’Etat de la crise. Renvoyé par le roi après la
déclaration du tiers-état en Assemblée nationale, il est rappelé au moment où la
violence augmente dans le pays.
- LE CHEF DU PROTOCOLE (Anthony Moreau) : Fidèle présence, à la fois intendant,
secrétaire et confident.
- DES MILITAIRES ET DES OFFICIERS : Partisans de l’arrestation des principaux leaders
politiques du tiers-état et d’une répression armée des émeutes populaires.
L’ÉGLISE ET LA NOBLESSE
- DECROY - ARCHEVEQUE DE NARBONNE (Philippe Frécon) : Opposé à l’abolition des
avantages dont bénéficie l’Eglise en contrepartie de son action sociale, il se dit
concerné par la misère du peuple alors qu’il représente l’opulence des privilégiés.
- DUMONT BREZE (Anthony Moreau) : Il s’oppose au despotisme du roi et du Premier
ministre qui veulent imposer une réforme fiscale sans convoquer le parlement des Etats
généraux mais regrette finalement d’avoir participé à la déstabilisation du pays et
rejoint les députés contre-révolutionnaires.
- VERSAN DE FAILLIE (Agnès Berthon) : Elle obéit à l’ordre du roi de rejoindre l’Assemblée
nationale mais refuse de participer aux débats et prône une contre-révolution armée.
- DE LACANAUX (Simon Verjans) et MARBIS (Bogdan Zamfir) : Ils forment avec Versan de
Faillie le parti réactionnaire de l’Assemblée, partisans d’une réaction armée et violente
contre les radicaux et le peuple.
- DU REAU (Gérard Potier) : Il rompt avec ses codéputés réactionnaires et fait don d’une
part de sa fortune à l’Assemblée pour aider au redressement économique du pays.
LES DEPUTES DU TIERS-ÉTAT
. MODERES
- CARRAY (Éric Feldman) : Partisan de la négociation et de la création d’un cadre
légal, il devient plus conservateur à partir de l’irruption violente du peuple dans les
affaires publiques et finit par proposer au roi une démission en masse des députés afin
de le réinstaurer dans son pouvoir.
- LAMY (Gérard Potier) : Président de l’Assemblée nationale au moment où les nobles la
rejoignent, il est ensuite nommé Maire de Paris.
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- MENONVILLE (Maxime Tshibangu) : Fasciné par les talents d’orateur de ses codéputés,
il est surpris par la tournure que prennent les événements mais fait finalement toujours
face…
. RADICAUX
- LEFRANC (Saadia Bentaïeb) : Elle appelle ses codéputés à se déclarer Assemblée
nationale, instante qu’elle considère comme la seule légitime à décider des lois. Elle
défend le peuple, comprend son recours à la violence mais tout en adhérant aux
mêmes idées que les journalistes engagés Marie Soto et Hémé Kristophe, elle est contre
leurs appels à la haine.
- POSSION-LAVILLE (Yvain Juillard) : Il propose la rédaction d’une Déclaration des Droits
de l’Homme en préambule de la Constitution mais soutient la nouvelle loi électorale
qui exclut une partie des citoyens en fonction de leurs revenus.
- BOBERLE (Simon Verjans), BOUDIN (Philippe Frécon), LAGACHE (Anthony Moreau) : Ils
forment le parti des radicaux avec Lefranc et Possion-Laville.
. CONSERVATEURS
- GIGART (David Sighicelli) : Attaché aux structures traditionnelles de la société, il se
rallie à la déclaration de l’Assemblée Nationale face à l’intransigeance et au mépris
de la noblesse. Lorsque les conservateurs l’emportent à l’Assemblée, il en devient le
président.
- HERSCH (Ruth Olaizola) : Particulièrement bouleversée par la violence, elle a des
positions idéologiques similaires à celles de Gigart.
- CABRI (Yannick Choirat) et CAMUS (Anne Rotger) : Ils forment le parti conservateur
avec Gigart et Hersch.
HABITANTS DE PARIS, MEMBRES DE COMITÉS DE QUARTIER
Convoqués pour écrire des cahiers de recommandations et pour élire des délégués qui
éliront leurs députés au Parlement des Etats généraux, les habitants de Paris continuent
à se réunir après les élections.
Plus ou moins politisés au départ, une partie des membres de ces comités de quartier
devient de plus en plus active. Ils cherchent à s’organiser pour réagir à la pénurie
alimentaire et à la violence grâce à des réquisitions et à la création d’une police
citoyenne. Méfiants envers l’entourage du roi, certains en viennent à douter de lui et
reprochent aux députés de les trahir.
- CHARLES YVON DUTREUIL (Philippe Frécon) : Face à la menace d’une répression
militaire, il décide de s’armer et rejoint la nouvelle police citoyenne pour défendre les
parisiens. Promu responsable de la sécurité du roi à Paris, il est finalement chargé de
l’arrestation de ses anciens camarades de quartier.
- MARIE SOTTO (Agnès Berthon) et KRISTOPHE HEME (Bogdan Zamfir) : Ce sont deux
militants ultra radicaux. Marie Soto est l’une des femmes reçues par le roi lorsque les
parisiens vont à Versailles pour exiger des solutions immédiates à la crise et la signature
des nouvelles lois. Ils sont arrêtés pour appels au meurtre par voie de presse contre les
ennemis de la révolution. Selon eux, la révolution n’est pas terminée.
33
· PRESENTATION DU SPECTACLE
SOUS FORME DE DIALOGUE
JOËL POMMERAT, ENTRETIEN AVEC MARION BOUDIER, SEPTEMBRE 2015.
Les personnages de Ça ira (1) Fin de Louis me font penser aux employés de Ma
chambre froide qui soudain doivent prendre en main la gestion de leur entreprise…
Comment situerais-tu Ça ira (1) par rapport à tes précédents spectacles ?
D’une certaine manière, mais à des époques et à des échelles différentes, les
personnages de ces spectacles sont confrontés aux mêmes types de problème : un
contexte économique difficile, une réorganisation du pouvoir, différentes idées de
l’homme et de l’existence… Les idées et leur mise en œuvre concrète, les individualités
et les intérêts collectifs entrent en tension. Pour continuer à aborder ce point de
rencontre entre la pensée, l’imagination et l’action, j’ai cette fois choisi une matière
historique. Ça ira (1) raconte cet apprentissage, l’inventivité et les difficultés liés à la
mise en place d’une organisation démocratique.
Ça ira (1) Fin de Louis n’est donc pas un spectacle sur la Révolution.
La Révolution inspire la dynamique des événements et certains personnages, mais il ne
s’agit pas de reconstituer 1789. C’est un cadre qui sert à l’observation de conflits
humains, qui permet de montrer la lutte politique, l’engagement de tous les membres
de la société, l’effort et l’effervescence de ce moment d’invention de la politique telle
que nous la connaissons encore aujourd’hui.
Le motif principal du spectacle serait-il l’engagement ?
Les motifs sont nombreux et touchent à des questions à la fois concrètes et
philosophiques : l’engagement certes, mais aussi le courage, la violence, la justice, la
représentation en politique, la légitimité du pouvoir, la souveraineté populaire, le
peuple… Qu’est-ce que vivre ensemble ? Quel rapport instaurer entre l’homme et la
société ? Comment s’organiser pour survivre, pour créer du commun, pour se
défendre, pour construire une société plus juste, etc. ? Ce sont des questions qui
traversent tout le spectacle, plutôt que des réponses.
Ça ira (1) met en scène des « camps » opposés, à la différence de tes spectacles
précédents qui se focalisaient sur un groupe et ses contradictions internes (Au monde
se passe dans une famille de dirigeants alors que Les Marchands inverse la perspective
en plongeant dans le récit d’une ouvrière par exemple). Comment organiser cette
conflictualité ?
Pour entrer dans la complexité humaine de ce moment politique, les personnages
incarnent une variété de positionnements dans différents groupes : le roi et son
34
entourage, les députés, les parisiens. Ils sont représentés dans des lieux de débats, de
réunion : la résidence royale et l’Assemblée à Versailles, l’Hôtel de Ville et les
assemblées de quartier à Paris.
La conflictualité est le moteur de l’intrigue. Elle existe à tous les niveaux, entre ces
différents groupes, entre les membres de chaque groupe et en chaque individu. Il y a
des lignes de fractures collectives et des nuances individuelles, des revirements, des
prises de conscience. On suit des trajectoires politiques, entre autres avec les députés
du tiers que l’on voit évoluer dans leurs convictions et comportements.
Le spectacle représente aussi des personnes moins politisées pour qui l’engagement
prend des formes diverses. L’engagement dans l’action politique n’est pas que le
résultat d’idées politiques. Et puis il y a les circonstances, la réaction de chacun aux
événements et à la violence notamment.
Les comédiens incarnent tous plusieurs individus, certains ont en charge des
personnages tout à fait opposés, avec des points de vue divergents ou contradictoires.
A travers la distribution, les acteurs changent de « camp », expérimentent différentes
sensibilités, ce qui leur donne une connaissance intime de la complexité et des
nuances que le spectacle cherche à représenter.
Sans ce foisonnement, le risque est de simplifier, de reproduire des images stéréotypées
ou manichéennes ou de prendre trop vite parti. Pour sentir la force du renversement
révolutionnaire, il faut faire sentir ce à quoi il s’oppose, sans préjugés, en cherchant les
nuances, la sincérité de chaque position. L’attitude du roi et de son entourage par
exemple est au départ plus complexe qu’un simple refus passéiste et dictatorial du
changement.
On ne retrouve pas les grands héros de la Révolution dans ce spectacle : l’écriture est
chorale, mais il y a Louis, présent dès le titre. Est-ce le personnage principal du
spectacle selon toi ? Y en a-t-il d’autres ?
Louis est une énigme autour de laquelle gravitent tous les personnages qui s’interrogent
sur ses intentions, cherchent à les orienter ou simplement à les interpréter. C’est le seul
personnage historique nommé. Il est l’un des fils conducteurs de la séquence historique
représentée, depuis la crise financière de 1787 jusqu’au printemps 1791 peu avant sa
tentative de fuite.
Mais le héros de cette pièce, c’est l’imaginaire politique, les idées. Pour faire vraiment
réentendre ces discours, il me semble qu’il fallait se débarrasser de la rhétorique et de
l’apparence des révolutionnaires, retrouver une certaine innocence du regard. Par
exemple, à l’époque Robespierre n’est pas Robespierre, mais Monsieur Dupont.
Comment raconter une histoire dont on connaît déjà la fin ?
L’idée de départ était de déployer l’histoire et ses acteurs sans préjugés, sans grille de
lecture psychologique. La Révolution Française est une grande scène mythique de
notre histoire contemporaine, avec son lot de légendes et de héros, de bons et de
méchants, d’interprétations plus ou moins bien intentionnées véhiculées par notre
imaginaire collectif. Pour contourner ces légendes, les comédiens ont travaillé à partir
d’archives et de discours d’époque en privilégiant les idées par rapport au style et à
l’étude des caractères. J’ai vu des représentations théâtrales, télévisuelles ou
cinématographiques dans lesquelles on en venait plus ou moins à faire le procès des
idées au moyen de la psychologie, par exemple pour Robespierre, Danton, Saint Just
ou d’autres icônes.
35
Dans Ça ira (1), ces personnalités ne sont pas identifiables. Le spectateur est placé
dans un état de découverte des événements, comme s’il était lui-même contemporain
de ce qui se déroule sous ses yeux. Les personnages sont des anonymes dont il ne sait
rien à l’avance.
L’écriture est portée par deux tentatives apparemment contradictoires : présenter les
événements tels qu’ils se sont passés en respectant les grandes étapes du début de la
Révolution, et les présenter comme s’ils se passaient maintenant. Le spectacle invente
en quelque sorte un nouveau temps : le passé-présent. Pourquoi ?
On ne peut pas reconstituer le passé. Le passé n’existe plus. Il s’agit toujours d’une
fiction, pour l’historien comme pour l’écrivain ou le metteur en scène. Ça ira (1) est une
fiction vraie, c’est-à-dire une fiction que j’ai voulue la plus vraie possible.
Je cherche à rendre vie au passé, cela passe naturellement par des entorses à
l’histoire, par exemple le fait de représenter des femmes politiques. Je ne prétends pas
juger le passé avec nos yeux d’aujourd’hui, mais nous le représentons nécessairement
avec ce que nous sommes, avec nos identités contemporaines, on ne peut pas
masquer cette distance.
Au niveau de la temporalité du spectacle, nous sommes dans un temps recréé. Il y a à
la fois contraction du temps (plusieurs années en une scène) et étirement. Le spectacle
prend par exemple le temps de dérouler le « blocage » des Etats généraux avant la
déclaration de l’Assemblée nationale.
A travers le langage, les costumes, le son, etc., j’ai voulu représenter le passé au
présent, donner une sensation de temps présent face au passé. Je ne cherche pas à
être fidèle à une époque mais à des événements, à un processus. Si reconstitution il y
a, c’est au sens d’une recherche de concret, de vérité sensible pour faire apparaître
les événements historiques comme pour la première fois. Histoire sensible qui ne figure
pas dans les textes et qu’il faut bien prendre le risque de chercher et d’incarner
puisque nous sommes au théâtre.
Rendre le passé présent n’est pas tout à fait la même chose qu’actualiser, c’est mettre
le spectateur dans le temps présent de l’événement passé. Le spectacle ne construit
pas de clins d’œil ou d’analogies avec l’époque actuelle, même si je suis évidemment
conscient des nombreux échos possibles entre hier et aujourd’hui.
Ça ira (1) n’est ni une reconstitution ni une actualisation, mais un objet théâtral qui,
comme toute création artistique, met en jeu une relation au réel et de l’imaginaire, de
la connaissance et de la fiction, les émotions et les références de chacun de ses
producteurs et récepteurs. Son entre-deux temporel en fait pour moi une forme de
réminiscence : c’est une création mentale qui vient se superposer à la fois à un
souvenir passé, à nos représentations ou connaissances du passé, et à une expérience
du présent, au contexte politique dans lequel nous vivons.
Peut-on dire que Ça ira (1) est un spectacle politique ? Faire de la salle entière le lieu
du spectacle peut être reçu comme la volonté de faire participer le public, de l’inciter
à une prise de conscience, voire à une prise de position.
Ça ira (1) est un spectacle sur la politique plutôt qu’une pièce politique si on entend
par là militante. Je ne travaille pas déconnecté du monde qui m’entoure. Je suis
sensible à notre époque et je réagis nécessairement à la crise des valeurs
démocratiques en Europe, mais je ne prétends pas tenir un discours sur ce contexte à
travers ce spectacle.
36
Le dispositif du spectacle est immersif mais non participatif. Je n’aime pas
particulièrement être pris en otage au théâtre par des spectacles qui me demandent
de réagir ou qui prennent à parti frontalement leurs spectateurs. Dans Ça ira (1) le
public devient une partie de l’assemblée, c’est pour lui donner à sentir l’énergie du
débat, l’inconfort aussi des ces prises de paroles parfois cacophoniques…
Nous avons pensé la scénographie un peu comme dans nos créations en cercle ou en
bifrontal, mais nous n’avons rien aménagé matériellement parlant. Nous avons juste
décidé que la scène serait la salle de spectacle dans son entier, gradin des
spectateurs compris. En conséquence, on peut dire que le spectateur est « sur » la
scène et qu’il côtoie bien évidemment les acteurs de très près. L’espace de la fiction et
l’espace des spectateurs fusionnent.
Penses-tu que le théâtre puisse être un lieu de débat démocratique ?
Le théâtre est un lieu de simulacre et d’expérience collective extraordinaire, mais je ne
pense pas qu’il soit potentiellement un lieu plus politique que d’autres types de
rassemblement d’individus. Il réunit des gens qui sont dans une forme de connivence,
qui peuvent se rassembler, se recueillir, se faire plaisir, se chamailler entre eux. Mais ce
n’est pas le lieu du débat politique. Quand je fais un spectacle, même comme Ça ira
(1), je ne considère pas que je mène une action politique qui aurait pour projet de
transformer la société. Le théâtre aujourd’hui n’a aucun moyen de réaliser une chose
pareille, du fait même qu’il est fréquenté par une minorité de personnes. Je regrette
qu’il ne puisse pas interpeller plus largement la société. Mais il faut être lucide, prendre
la mesure de l’endroit où l’on est. J’essaie de faire le théâtre que j’aimerais voir et que
je suis capable de faire, un théâtre où la vie peut pénétrer.
JOËL POMMERAT, ENTRETIEN AVEC MARION BOUDIER, SEPTEMBRE 2015.
37
· BIBLIOGRAPHIE
ELEMENTS DE BIBLIOGRAPHIE
Liste non exhaustive proposée par Joël Pommerat et sa dramaturge Marion Boudier
L'écriture de Ça ira (1) Fin de Louis est avant tout nourrie par des archives et
témoignages d'époque, notamment les procès verbaux des débats de l'Assemblée et
autres réunions publiques, des journaux, des correspondances de députés, mémoires
intimes ou écrits politiques.
Entre autres, par exemple : Les Archives parlementaires ; Le Moniteur ; Mémoires de
Jean-Sylvain Bailly, premier maire de Paris ; Correspondance inédite du Marquis de
Ferrières, député de la noblesse de Saumur aux Etats généraux ; Journal d'Adrien
Duquesnoy, député du tiers-état de Bar-le-Duc ; Lettres et bulletins de Barentin à Louis
XVI ; Journal politique national de Rivarol ; Les Révolutions de Paris, journal de Loustalot ;
L’Ami du peuple, journal de Marat ; Gazette d'un parisien sous la révolution, lettres du
libraire Nicolas Ruault à son frère ; Lettres de Louis XVI et de Marie-Antoinette…
Du côté des historiens ont été notamment consultés les ouvrages suivants :
- Haim Burstin, Révolutionnaires. Pour une anthropologie politique de la Révolution
française, éd. Vendémiaire, 2013.
- Jacques Godechot, La Prise de la Bastille, éd. Gallimard, [1965] 1989.
- Eric Hazan, Une histoire de la Révolution française, éd. La Fabrique, 2012.
- Jean Clément Martin, Nouvelle Histoire de la Révolution française, éd. Perrin, 2012
- Albert Mathiez, Les Grandes Journées de la Constituante, Editions de La Passion, 1989.
- Guillaume Mazeau, Le Bain de l’Histoire, éd. Champvallon, 2009.
- Jules Michelet, Histoire de la Révolution française
- Jean-Christian Petitfils, Louis XVI, éd. Tempus Perrin, 2010.
- Jacques de St Victor, La Première Contre-révolution, éd. Puf, 2010.
- Timothy Tackett, Par la volonté du peuple. Comment les députés de 1789 sont
devenus révolutionnaires, éd. Albin Michel, 1997.
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· CHRONOLOGIE HISTORIQUE
39
· EXTRAITS DE TEXTES D’ARCHIVES
o
o
o
o
o
SIEYES, Qu’est-ce que le tiers état ?
DUFOURNY, Cahiers du 4e ordre
LAFAYETTE, extrait des Archives parlementaires
MARAT, L’Ami du peuple
MONTLOSIER, De la nécessité d’une contre révolution
SIEYES, QU’EST-CE QUE LE TIERS ETAT ? (JANVIER 1789)
On fermerait en vain les yeux sur la révolution que le temps et la force des choses ont
opérée ; elle n’en est pas moins réelle. Autrefois, le tiers était serf, l’ordre noble était
tout. Aujourd’hui le tiers est tout, la noblesse est un mot. Mais sous ce mot s’est glissée
une nouvelle et intolérable aristocratie ; et le peuple a toute raison de ne point vouloir
d’aristocrates.
Dans une pareille position, que reste-t-il à faire au tiers s’il veut se mettre en possession
de ses droits politiques d’une manière utile à la nation ? Il se présente deux moyens
pour y parvenir. En suivant le premier, le tiers doit s’assembler à part : il ne concourra
point avec la noblesse et le clergé, il ne restera avec eux ni par ordre ni par têtes. Je
prie qu’on fasse attention à la différence énorme qu’il y a entre l’assemblée du tiers
état et celle des deux autres ordres. La première représente vingt-cinq millions
d’hommes et délibère sur les intérêts de la nation. Les deux autres, dussent-elles se
réunir, n’ont de pouvoirs que d’environ deux cent mille individus et ne songent qu’à
leurs privilèges. Le tiers seul, dira-t-on, ne peut pas former les états généraux. Eh ! Tant
mieux ! Il composera une assemblée nationale.
DUFOURNY, CAHIERS DU 4E ORDRE, BROCHURE
S'il est démontré, s'il est évident d'ailleurs que le puissant et le riche ont moins besoin de
la société que le pauvre, que c'est pour le faible, le pauvre et l'infirme que la société
s'est formée, et que c'est enfin une des clauses fondamentales du pacte de société
que de préserver tous les individus de la faim, de la misère et de la mort qui les suit ; je
ne demanderai pas seulement pourquoi il y a tant de malheureux, mais pourquoi ils ne
sont pas considérés chez nous comme des hommes, comme des frères, comme des
Français. Pourquoi cette classe immense de journaliers, de salariés, de gens non gagés,
sur lesquels portent toutes les révolutions physiques, toutes les révolutions politiques,
cette classe qui a tant de représentations à faire, les seuls qu'on pût peut-être appeler
du nom trop véritable, mais avilissant et proscrit, de doléances, est-elle rejetée du sein
de la Nation ? Pourquoi n'a-t-elle pas de représentants propres ? Pourquoi cet Ordre
qui, aux yeux de la grandeur et de l'opulence, n'est que le dernier, le quatrième des
Ordres, mais qui, aux yeux de l'humanité, aux yeux de la vertu comme aux yeux de la
religion, est le premier des Ordres, l’Ordre sacré des Infortunés ; pourquoi, dis-je, cet
Ordre, qui, n'ayant rien, paye plus, proportionnellement, que tous les autres, est le seul
qui, conformément aux anciens usages tyranniques des siècles ignorants et barbares,
40
ne soit pas appelé à l'Assemblée nationale et envers lequel le mépris est, j'ose le dire,
égal à l'injustice ?
Tout présente des abus ou des crimes ; tout dictera sans doute des réformes et des
remèdes ; ainsi, lorsque la sensibilité nationale pourra s'arrêter sur ce tableau de la
misère constante d'un grand nombre d'hommes, sur la chute d'un grand nombre
d'individus élevés dans l'aisance, qui peut douter qu'elle ne commande au génie de
dévoiler quelques nouveaux moyens, non seulement de diminuer le nombre des
infortunés et de les soulager, mais de prévenir les fléaux qui dévorent ces véritables
héros de la société ? C'est alors qu'inspiré par le plus puissant des sentiments, celui de
l'humanité, le génie français aura la gloire immortelle de découvrir quelques nouvelles
bases morales pour une société mieux organisée, telle enfin que jamais la propriété,
l'aisance et surtout la richesse, que l'état social procure à un certain nombre
d'individus, ne soient fondés sur l’oubli, sur la criminelle oppression, sur l'indigence, la
misère, la douleur et la mort d'un grand nombre d'hommes.
LAFAYETTE,
EXTRAIT DES
ARCHIVES
PARLEMENTAIRES
41
MARAT, L’AMI DU PEUPLE, 10 NOVEMBRE 1789 (CONTRE LA LOI
MARTIALE)
Le peuple ne se soulève que lorsqu’il est poussé au désespoir par la tyrannie. Que de
maux ne souffre-t-il pas avant de se venger ! Et sa vengeance est toujours juste dans
son principe, quoiqu’elle ne soit pas toujours éclairée dans ses effets, au lieu que
l’oppression qu’il endure n’a sa source que dans les passions criminelles de ses tyrans.
Et puis, est-il quelque comparaison à faire entre un petit nombre de victimes que le
peuple immole à la justice dans une insurrection, et la foule innombrable de sujets
qu’un despote réduit à la misère, ou qu’il sacrifie à sa cupidité, à sa gloire, à ses
caprices ! Que sont quelques gouttes de sang que la populace fait couler, dans la
révolution actuelle, pour recouvrer sa liberté, auprès des torrents qu’en ont versé un
Tibère, un Néron, un Caligula, un Caracalla, un Commode ; auprès des torrents que la
frénésie mystique d’un Charles IX en a fait répandre ; auprès des torrents qu’en a fait
répandre la coupable ambition de Louis XIV ? Que sont quelques maisons pillées en un
seul jour par la populace, auprès des concussions que la nation entière a éprouvées
pendant quinze siècles sous les trois races de nos rois ? Que sont quelques individus
ruinés, auprès d’un milliard d’hommes dépouillés par les traitants, par les vampires, les
dilapidateurs publics ?
Mettons de côté tout préjugé et voyons.
La philosophie a préparé, commencé, favorisé la révolution actuelle ; cela est
incontestable ; mais les écrits ne suffisent pas, il faut des actions. Or, à quoi devons nous
la liberté, qu’aux émeutes populaires ?
C’est une émeute populaire, formée au Palais-Royal, qui a commencé la défection de
l’armée et transformé en citoyens deux cent mille hommes dont l’autorité avait fait des
satellites. Et dont elle voulait faire des assassins.
C’est une émeute populaire, formée aux Champs-Elysées, qui a éveillé l’insurrection de
la nation entière ; c’est elle qui a fait tomber la Bastille, conservé l’Assemblée nationale,
fait avorter la conjuration, prévenue le sac de Paris, empêché que le feu ne l’ait réduit
en cendres et que ses habitants n’aient été noyés dans le sang.
C’est une émeute populaire, formée au marché Neuf à la halle, qui a fait avorter la
seconde conjuration, qui a empêché la fuite de la maison royale et prévenu les
guerres civiles qui en auraient été les suites trop certaines.
Ce sont ces émeutes qui ont subjugué la faction aristocratique des Etats Généraux,
contre laquelle avaient échoué les armes de la philosophie et l’autorité du monarque ;
ce sont elles qui l’ont appelé, par la terreur, au devoir, qui l’ont amené à se réunir au
partie patriotique et à concourir avec lui pour sauver l’Etat.
Suivez les travaux de l’Assemblée nationale, et vous trouverez qu’elle n’est entrée en
activité qu’à la suite de quelque émeute populaire, qu’elle n’a décrété de bonnes lois
qu’à la suite de quelque émeute populaire, et que dans des temps de calme et de
sécurité cette faction odieuse n’a jamais manqué de se relever pour mettre des
entraves à la Constitution ou faire passer des décrets funestes.
C’est donc aux émeutes que nous devons tout, et la chute de nos tyrans, et celle de
leurs favoris, de leurs créatures, de leurs satellites, et l’abaissement des grands, et
l’élévation des petits, et le retour de la liberté, et les bonnes lois qui la maintiendront en
assurant notre repos et notre bonheur.
42
MONTLOSIER, DE LA NECESSITE D’UNE CONTRE REVOLUTION (1791)
43
· EXTRAIT D’UN ESSAI DE
L’HISTORIEN TIMOTHY TACKETT
TIMOTHY TACKETT,
PAR LA VOLONTE DU PEUPLE. COMMENT LES DEPUTES DE 1789 SONT DEVENUS REVOLUTIONNAIRES,
ALBIN MICHEL, 1997
On peut certes dire que l’énigme de la Révolution n’a pas de réponse, que
l’interprétation historique sera toujours dépendante des différences fondamentales qui
existent entre les idées très personnelles qu’ont les historiens sur les ressorts de la
motivation humaine, sur le fait de savoir si les idées, le pouvoir ou les intérêts matériels
égoïstes sont les constituants fondamentaux de la « nature humaine ». Mais pour avoir
la possibilité de formuler un jugement, il est essentiel d’avoir toutes les données,
d’entendre tous les témoignages pertinents. En dépit de l’extraordinaire quantité
d’écrits sur la révolution au cours des deux derniers siècles, il existe un grand nombre
d’actions, de choix, et d’aspirations de la part des participants de 1789 qui demeurent
peu sûrs ou inconnus. En fait, il est peut-être utile de cesser de chercher les origines de
la Révolution française au moyen d’analyses générales, pour s’intéresser plutôt à
l’expérience révolutionnaire des individus qui ont pris part aux événements et ont
incarné cette Révolution. Comment des hommes et des femmes sont devenus des
révolutionnaires ? Comment en sont-ils arrivés à cette incroyable conclusion, si rare
dans les cours des affaires humaines, que le monde politique et institutionnelle qu’ils
avaient toujours connu devait être renversé et réformé de fond en comble ? Quelles
sont leurs règles de comportement, leur système de valeur, leur culture politique au soir
de la Révolution ? […]
Il est évident que pour avoir une approche des expériences et des sentiments des
députés de 1789, un large éventail de témoignages doit être réunis. Nous ne devons
pas seulement utiliser les minutes officielles et les rapports produits par l’Assemblée
nationale, mais aussi les comptes-rendus des journaux et les réflexions des observateurs
extérieurs. Nous devons prendre en considération les informations biographiques sur les
carrières et les activités des députés que nous donnent diverses sources et études. Mais
surtout, nous devons nous intéresser à ce qu’écrivent les députés eux-mêmes, dans les
journaux personnels qu’ils tiennent alors, dans leurs lettres et dans leurs mémoires.
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· PHOTOS DE TRAVAIL
RESIDENCE A LA FERME DU BUISSON, MAI 2015
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TRAVAIL A LA FERME DU BUISSON, VISIONNAGE DE DOCUMENTAIRES CONTEMPORAINS
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RESIDENCE AU THEATRE NANTERRE-AMANDIERS, JUIN-SEPTEMBRE 2015
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· PHOTOS D’AUTRES SPECTACLES
AU MONDE, CREATION 2004
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LES MARCHANDS, CREATION 2006
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CERCLES/FICTIONS, CREATION 2010
51
MA CHAMBRE FROIDE,
CREATION 2011
52
LA GRANDE ET FABULEUSE HISTOIRE DU COMMERCE, CREATION 2011
53
LA REUNIFICATION DES DEUX COREES, CREATION 2013
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EXTRAITS DE JE TREMBLE (1 ET 2)
ET DE MA CHAMBRE FROIDE DE JOËL
·
JOËL POMMERAT, JE TREMBLE (1ET 2), 2008.
–2–
Silence. La scène est vide. Un rideau lumineux et scintillant masque le fond. A l’avant, un micro
sur pieds. Une femme entre et se dirige vers le micro. Comme si elle allait chanter. Sa robe
scintille elle aussi. Sa voix résonne et prendra de plus en plus d’ampleur au fur et à mesure de la
scène.
LA FEMME. Bonsoir mesdames, messieurs.
Avez-vous remarqué comme moi une chose ?
Nous n’avons plus d’avenir ! Est-ce que vous avez remarqué ça ? Comme moi ?
Est-ce qu’il est arrivé à quelqu’un présent ici ce soir de rêver sérieusement à un avenir pour lui et
pour notre société, notre belle société humaine, je dirais, dans les trois derniers mois écoulés ?
Un vrai beau rêve d’avenir pour notre société humaine ?
Est-ce que quelqu’un pourrait sérieusement me dire cela ?
Je ne crois pas…
Mais où sont passées les idées, nom de Dieu ?!
Donnez-moi une idée qui me fasse rêver, nom de Dieu, et vite !
Moi j’en peux plus.
Une idée, un avenir –
vous êtes où les gens dont c’est le boulot, dont c’est le métier, dont c’est la responsabilité
quand même ?
Qu’est-ce que vous faites ?
Vous êtes où les gens qui êtes responsables des idées ?
Vous pourriez pas me refiler un peu de rêve quand même ?
Qu’est-ce que vous foutez, nom de Dieu, vous vous grattez le cerveau ou quoi ?
Mais ça se gratte pas un cerveau,
Ça se fait chauffer, ça se fait bouillir, ça s’éclate et c’est tout
à coup de pensées
des pensées bien fortes, et surtout bien constructives,
voilà, c’est tout.
Moi je veux rêver je vous le dis,
car j’y ai droit, comme tout le monde
car j’en peux plus, je veux mon avenir
je veux qu’on me donne mon avenir
j’y ai droit ;
La femme arrête subitement de parler, mais on continue à entendre sa voix qui résonne dans
tout le théâtre.
VOIX DE LA FEMME. Qui pourrait prétendre que je n’ai pas le droit à mon avenir ?
Qui pourrait me dire en face que je n’ai plus le droit de rêver à mon avenir, à un bel avenir, à un
avenir qui puisse m’enthousiasmer,
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un rêve qui puisse me porter, qui puisse m’emporter, avec ses ailes, ses grandes ailes de
l’euphorie, de l’optimisme, et du plaisir vers mon avenir ?
Qui ?
Ah non ! Vraiment
je ne suis pas contente,
ce soir je ne suis pas contente
et je le dis.
Voilà.
Noir.
JOËL POMMERAT, MA CHAMBRE FROIDE, 2011
ACTE II, SEQUENCE 2 - PREMIERE REUNION DES EMPLOYES
Quelques jours plus tard, quelques heures avant l’ouverture du magasin. Dans le bureau
d’Adeline.
NATHALIE – Je vous le dis j’ai signé, mais je sais pas ce que j’ai signé... Devenir propriétaire d’une
entreprise ça me fait le même effet que devenir propriétaire d’un semi-remorque ou d’un
hélicoptère…
ALAIN – Quatre !
NATHALIE – Quatre quoi ?
ALAIN – Propriétaire de quatre entreprises !
NATHALIE – Quatre entreprises ! J’ai même pas les moyens de me faire à manger tous les jours.
ADELINE – Moi… je me sens très mal.
JEAN-PIERRE - On s’est fait avoir quelque part
ALAIN – Qu’est-ce que tu dis ?
JEAN-PIERRE – On s’est fait avoir dans cette histoire...
ALAIN – Mais par qui ?!
JEAN-PIERRE – Blocq !
ALAIN – Recommence pas, Jean Pierre ! Blocq il est plus là alors c’est fini de focaliser sur lui !
JEAN-PIERRE – Me donne pas d’ordre, recommence pas, je suis encore ton supérieur que ça te
plaise ou non. Alors tes ordres tu te les gardes. Tu te défoule sur Estelle si ça te démange, elle
tout le monde peut lui donner des ordres.
ALAIN – On va pas repartir dans les enfantillages c’est pas possible... T’es plus mon supérieur Jean
Pierre, tu es mon associé!
Silence .
ADELINE – Je me demande si on a pas fait la plus grosse connerie de toute notre vie
ALAIN – (timidement) C’est dingue ce qui nous arrive, mais c’est quand même pas pire que le
chômage ! Moi j’ai jamais été propriétaire de ma vie, alors je savoure excusez moi... Je suis
devenu co-propriétaire d’un capital de cinquante millions de francs du jour au lendemain…
C’est un rêve... Non ?
JEAN-PIERRE – Il est sur son nuage lui.
ADELINE – Passe encore d’hériter d’un magasin et d’essayer d’apprendre à le diriger, mais
devenir en même temps patron de trois sociétés dans lesquelles j’ai jamais mis les pieds ça me
dépasse je l’avoue et ça me liquéfie.
ALAIN – On n’est peut être pas obligés de faire couler ces boîtes, non ?!
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ADELINE – Qui s’y connaît ici en gestion d’une entreprise ?
ALAIN – C’est peut être pas si compliqué, Blocq c’était pas un génie, pardon.
JEAN-PIERRE – N’importe quoi ! C’est Napoléon lui ! Rien ne l’arrête !
Chi dit quelque chose dans un français incompréhensible.
ESTELLE – (traduisant) « On ouvre dans 2 heures, faut arrêter de parler, faut travailler. »
Silence court.
JEAN-PIERRE – Ce qui est encore plus bizarre pour moi c’est qu'on te donne des trucs qui
appartenaient à quelqu’un qui n’est pas même pas encore mort... T’as l’air con.
ALAIN – Tu es dépressif toi, tu verras toujours la version complètement déprimante des choses.
JEAN-PIERRE – Qu’est-ce que tu as dis ?
ALAIN – J’ai dit : « dépressif ». (Silence.) Quand on chiale sur la viande des clients pendant deux
années consécutives, c’est qu’on est dépressif Jean-Pierre, on va voir un docteur !
ADELINE – Faut arrêter tous les deux !
ALAIN – (à Jean-Pierre) Je te plains…
ADELINE – En tout cas, déjà pour commencer, va falloir engager un directeur au magasin.
JEAN-PIERRE – Quelqu’un qui va diriger ? Comme Blocq ? On peut peut-être en discuter ?!
ADELINE – On va pas arrêter de discuter Jean-Pierre, n’ayez pas d’inquiétude préparez vous à
discuter jour et nuit même.
NATHALIE – J’ai horreur des réunions je vous préviens.
ADELINE – Faudra faire évoluer tes goûts, je m’excuse… Ensuite la chose qu’on doit faire
c’est élire un président du conseil d’administration qui aura la signature de la banque et...
ALAIN – C’est vous qui devez faire ça non ?!
ADELINE – Moi ? C’est hors de question. Y’a quelqu'un que ça intéresse?
JEAN-PIERRE – Bon alors moi. Si ça peut arranger, je veux bien rendre ce service…
ADELINE – Ok, Jean Pierre. Quelqu’un d’autre ?
CHI – Moi…
ADELINE – (Surprise.)Chi, très bien ! C’est tout ?
ALAIN – Je veux bien me présenter aussi
ADELINE – Alain… Bon commence avec Chi. Qui vote pour Chi ? (Chi lève la main.) Bon ben une
voix très bien. Alain maintenant ? (Tout le monde lève la main sauf Chi et Jean-Pierre.) Euh, six
voix donc. Jean-Pierre maintenant ? (Après une hésitation, Jean-Pierre lève la main.) Une voix.
Voilà. Donc c’est Alain je crois… qui devient premier président délégué du conseil
d’administration des entreprises anciennement Blocq.
JEAN-PIERRE – Comme ça c’est clair.
CLAUDIE – Bon faut aller bosser maintenant. Je vous le dis moi, j'en ai rien à foutre de tout ça. La
seule chose que je veux c'est pas perdre mon boulot.
ADELINE – Quand est-ce qu’on se revoit pour continuer à parler et décider de ce qu’on va
devenir ?
NATHALIE – Je vous préviens que si je deviens propriétaire c’est pour moins travailler,
pas pour faire plus d’heures
Chi dit quelque chose dans un français incompréhensible.
JEAN-PIERRE – (à Estelle) Qu’est ce qu’il a dit ?
ESTELLE – « Sans compter qu’on doit se revoir par rapport à cette connerie de pièce théâtrale. »
Chi dit quelque chose dans un français incompréhensible.
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ESTELLE – Il me parle en fait... (traduisant Chi.) « Ce jour là t’as quand même perdu une belle
occasion de fermer ta gueule, Estelle. »
ALAIN – Ça c’est certain.
JEAN-PIERRE – Une pièce sur Blocq, c’est complètement pervers ce truc.
ALAIN – Ça c’est sûr, on te dit pas merci, Estelle…
NATHALIE – Dis donc, Estelle... pour avoir proposé un truc pareil... en fait tu es vraiment amoureuse
de lui alors ?! C’est pas une blague ?
Rires.
JEAN-PIERRE – Elle est mariée, Estelle, quand même !
Noir.
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· METHODE D’ANALYSE CHORALE DE L’ANRAT
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