LALIBERTÉ
SAMEDI 9 OCTOBRE 2010
12 RELIGIONS
«PRIER TÉMOIGNER»
«Avec toi… jour
après jour!»
La 21eédition du rassemblement «Prier Té-
moigner» aura lieu les 6 et 7 novembre, à
l’Un iversité d e Fribou rg (Miséricorde). Au
programme des témoignages de nombreux
invités don t Mgr Man sour Labaky, prêtre
maronite libanais, qui a notamment créé
un foyer pour orphelins; Mgr Amédée
Grab, ancien évêque du diocèse de Lau san-
ne, Genève et Fribourg puis de Coire; Sœur
La et itia , m em b re d e la co m m u n a u té d u
Ve r b e d e V i e ; o u e n c o r e l e « c u r é a r b i t r e »
Fran çois-Xavier Am herd t. Chaque ann ée,
la ren con tre «Prier Tém oign er» attire
quelque 1600 chrétiens de toute la Suisse
romande, dont une majorité de jeunes de
13 à 18 ans. De nom breux orateurs anim e-
ront cette édition, placée sous le thèm e
«Ave c t o i… jo u r a p rè s jo u r!»
Le moment fort du week-end sera sans
doute l’intervention de Mgr Mansour La-
baky. Curé de Damour, lorsque cette ville
fu t victim e d’u n m assacre q ui laissa d e
nombreux orphelins en 1976, il a créé pour
eux un foyer et des œuvres sociales et édu-
catives. Le prêtre a aussi fondé la chorale
des Petits chanteurs du Liban. Enseignant,
journ aliste et écrivain , il a reçu de n om -
breux prix, dont le Grand Prix catholique
de littérature en 2002.
APIC
Infos pratiques: www.priertemoigner.ch.
SPIRITUALITÉ
L’abbé Pierre ou
la mort sereine
La mort, pour l’abbé Pierre, n’était autre
qu’une «rencontre longtemps retardée
avec un ami». Mais s’il a attendu 94 années
ce rendez-vous avec son Dieu, Henri
Grouès (de son vrai n om ) n’a cessé d’écrire
sur la mort. La sienne, à laquelle il a échap-
pé plusieurs fois, comme lors de ce naufra-
ge sur le Rio de la Plata. Et surtout celle des
autres. Sereine lorsque sa vieille assistante,
Lu c ie Co u tt a z, re n d so n â m e à Die u q u i
«vie n t c u e illir s a fle u r ». Sc a n d a le u se q u a n d
le p etit Marc, n ouveau -n é d’un e fam ille de
mal-logés, meurt de froid dans une carcas-
se d’autobus une nuit de l’hiver 1954.
Dans un recueil intitulé «La consola-
tion des consolations», Albine Novarino,
professeur de lettres et écrivain, compile
les p aroles et écrits du célèbre prêtre sur la
mort – et les met en écho avec des textes
d’autres auteurs qui l’ont inspiré, de Fran-
çois d’Assise à Baudelaire. Un recueil à
l’im age d e l’ab b é, où la fratern ité d es an o-
nymes côtoie les tentatives de suicide de
Brigit te Ba rd o t, e t o ù il e st q u e stio n d e
l’agon ie du p a p e com m e d es fu sillés de la
Secon d e Gu erre m o n d iale. AMO
> Albine Novarino, «La consolation des consolations:
l’abbé Pierre parle de la mort.» Ed.Albin Michel, coll.
Espaces libres, 240 pp.
BOUDDHISME
Tress er l ’osier
de son esprit
«Tu dois tresser parfaitement un panier
intérieur suffisam m en t gran d pou r conte-
nir tous les aléas de l’existence sans qu’ils
te submergent.» Ce conseil de Jigmé
Kh ye n t s é Rin p o t c h é , u n m a ît re b o u d d h is t e
contemporain, à un vannier père de famil-
le, est cité dan s la «Petite anthologie des
plus beaux textes tibétains» que vient de
publier Matthieu Ricard. Traducteur offi-
ciel du dalaï-lama en français, le média-
tique scientifique devenu moine s’est peu
à peu imposé comme l’ambassadeur du
bouddhisme tibétain dans les pays
fra n cop h on es.
Pas si «p etit» qu e ça (plus de 400 pages,
quand même), ce recueil de textes, souvent
traduits directement par ses soins, offre
une palette la plus large possible des diffé-
rents courants spirituels tibétains. Il y com -
pile en particulier les sources qui évoquent
la voie boudd hique dan s son asp ect le p lu s
pratique, à savoir «l’utilisation de chaque
instant de l’existence pour progresser vers
l’Eveil.» AMO
> Matthieu Ricard, «Chemins spirituels: petite antho-
logie des plus beaux textes tibétains.» Ed. NiL, 432 pp.
«Nous prônons la liberté et la responsabilité»
PROPOS RECUEILLIS PAR
MELISSA LLORENS
Guide sp irituel de la Voie soufie Alâ-
wiyya, écrivain, pédagogue, confé-
rencier, mem bre fondateur du
Con seil fran çais d u Culte m usulm an ,
le cheikh Khaled Ben toun es p arcou rt
le m ond e en s’efforçan t de tran s-
mettre un idéal d’humanité basé sur
des valeurs communes, au-delà des
appartenances religieuses. Il se fonde
sur la liberté et la tolérance qui pré-
valen t d an s cette b ran ch e d e l’islam . A
l’occasion d’u n p assage récen t à
Martigny, il livre sa vision de la voie
soufie et de sa place dans la société.
Quel est le rapport du soufisme à l’islam
traditionnel?
Khaled Bentounes: Il fait partie de
l’islam tradition n el d epu is sa créa-
tion et même avant. Il correspond à
une sagesse qui a toujours habité
l’être h u m ain . En ce q u i con cern e
l’islam p olitiqu e, c’est u n e au tre p aire
de manches. Les religions, et pas seu-
lem en t l’islam , son t trop sou ven t or-
chestrées par ceux qui sont au pou-
voir. En vous approp riant votre
liberté, vou s cham bou lez l’ordre éta-
bli. C’est en cela que le soufisme est
dérangeant. En effet, c’est une voie
qui prône la liberté et la responsabili-
té. Nous ne voulons pas d’un dogma-
tisme paralysant.
Et quels liens avec les autres religions?
Je so u h a it e c r é e r d e s p o n t s , o r g a n is e r
des rencontres interreligieuses, car je
pense qu’il existe des valeurs parta-
gées p ar tous les hom m es: solidarité,
respect, liberté. Avec les jeunes
scouts (il est président fondateur de
plusieurs associations culturelles et
sociales en Algérie et en France com-
me les scouts musulmans de France,
ndlr), nous essayons de cultiver l’al-
térité, de la percevoir comme une ri-
chesse. Nous encourageons ces
jeu n es à d évelop per u n e citoyenn eté
partagée et responsable, au-delà de
leu r ap partenan ce religieu se. Nous
tentons de les préparer au monde
globalisé de dem ain .
Comment se positionne le soufisme
entre tradition et modernité?
Il correspond à un e m odernité, m ais à
une modernité humanisée et pas fai-
te uniquement de valeurs boursières.
C’est pour cette raison que nou s
nous accrochons à des valeurs uni-
verselles. Il faut n ourrir la con scien ce
de l’être humain qui va vers de
grands défis, qu’ils soient écono-
miques ou écologiques. Nous sou-
haitons préserver l’avenir, mais pas
uniquement sur un aspect mercanti-
le. Nous souh aiton s voir s’y intégrer
des valeurs philosophiques et hu-
maines ainsi qu’une pluralité de cou-
tumes et de croyances. Il nous faut
reconnaître cette pluralité comme
une richesse.
Vous avez mentionné un défi écologique,
quel est votre point de vue sur ce défi?
Selon l’éd u cat ion sou fie, la n a tu re
possède un caractère sacré et nous la
respectons, dans une relation de vi-
van t à vivan t. Pou rtan t, ce qu i pré-
vaut au jourd’h u i, c’est un e relation
de domination qui représente un
danger pour l’avenir. Nous devons
nous questionner sur l’impact de nos
actions dans notre environnement.
C’est en ce sens que je dis qu’il faut
nourrir la conscience de l’être hu-
main. Par exemple à Copenhague
(durant le Som m et m on dial sur le cli-
mat, ndlr), les grands de ce monde
ont fait le constat que la situation
était grave, mais ont pris la décision
de ne rien faire. Nous nous opposons
à ce courant défaitiste.
Votre discours pourrait être perçu
comme utopique?
Je n e p r é t e n d s p a s à u n m o n d e id é a l,
même si j’estime qu’une utopie par-
tagée par des millions de personnes
peut devenir une réalité. En re-
van che, j’estim e q ue n ous p ou von s
et devons œuvrer chacun à notre
échelle.
Comment percevez-vous le débat récur-
rent en Suisse sur l’interdiction de la
burqa?
Ce que je con state, c’est qu’un e fois
encore, ce sont les femmes qui trin-
quent! Eveillons les consciences et
dépassons ces problèmes narcis-
siques. Ce débat frise le ridicule face
aux défis énormes qui attendent
notre monde. Certaines personnes
n’ont m êm e pas accès au m inimum
vital. En regard, le débat su r la burqa
se situe au ras des pâquerettes.
LE COURRIER
Courant mystique,le soufisme veut
donner une autre image de l’islam
RENCONTRE
• L’Association internationale soufie Alâwiyya organise ce week-end
un congrès à Genève.Cet islam mystique et éclairé invite à la paix et à la tolérance.
RACHAD ARMANIOS
«L’isla m es t u n e re ligio n d e la lib e r t é e t
de la fraternité universelle, pas de la
violen ce et de l’extrém ism e!» Le
cheikh Khaled Bentounes, président
de l’Association internationale soufie
Alâ w iyya , e s t im e q u ’o n n ’a p a s e n c o -
re pris la m esure des conséquences
négatives des attentats du 11 sep-
tembre 2001 pour l’image de l’islam
et la paix dans le monde.
C’est pou rquoi les représentan ts
de «l’islam de la tolérance» ont pour
devoir d’apporter leur témoignage,
affirme-t-il. Donner «une autre ima-
ge de l’islam », «tisser des liens» sont
donc les buts du congrès «Genève
2010 – un islam spirituel libre et res-
ponsable» organisé ce week-end à
Palexpo par la section suisse de
l’association soufie.
Islam mystique
Le ch eikh Ben to u n e s se d it issu
d’une voie de l’islam mystique et sé-
culaire, qui a compté parmi ses fi-
dèles l’élite du monde musulman.
C’est au n om de cet islam de la raison
qu’il invite les musulmans à sortir du
com munautarisme et à apporter à la
société les fruits de leur citoyenneté
exemplaire.
Quant aux m édias, peu enclins à
relayer les voix de l’islam tolérant, à
eux de parler «des trains qui arrivent à
l’h eu re», in vite le sou fi, en con féren ce
de presse. Fort bien, mais le devoir
des musulmans tolérants n’est-il pas
aussi de susciter le débat intramusul-
man en confrontant leurs coreligion-
naires qui enferment l’islam sous une
chape de plom b ou du moins dans le
dogme? «On s’y efforce», répond le
cheikh Bentounes. Pas forcém ent
avec succès: presque pas de repré-
sentants de l’islam institutionnel
parmi les invités du congrès ou les
membres du comité d’honneur... Des
personnalités diverses et d’autres
religions prom ettent toutefois des
débats passionnants.
Ecologie et spiritualité
L’ A l g é r i e n m i l i t e a u s s i d e p u i s
longtem p s p our le resp ect d e la n atu -
re, liant écologie et spiritualité, un
thème aussi au cœur du congrès.
Pour en parler, Philippe Roch, ancien
directeur de l’Office fédéral de l’envi-
ronnement qui, comme le musul-
man, réfléchit depuis longtemps à
ces questions. «J’analyse la capacité
de l’homme à détruire la nature par
l’idéologie m atérialiste et p ositiviste
qui a expulsé la spiritualité de nos
vies», observe-t-il.
«Da n s l’Algé r ie d e m o n e n fa n ce ,
les paysan s n ou s disaien t de ne p as
marcher en chaussures sur le blé, car
sur chaque grain est écrit le nom de
Dieu», se souvient pour sa part le
cheikh Bentounes. Un islam écolo
pour tirer la barbe à Ben Laden: qui
dit mieux?
LE COURRIER
> www.aisa-suisse.ch
Le cheikh Khaled Bentounes ne veut pas d'un «dogmatisme paralysant»: «Je souhaite créer des ponts, organiser des rencontres interreligieuses,
car je pense qu'il existe des valeurs partagées par tous les hommes.» CATHERINE TOUAIBI/LDD