Astrophysique et hautes énergies
Vénus dévoilée par Magellan
Pour les astronomes et les planétologues, Vénus est une planète sœur de la Terre avec à peu
près la même masse et le même rayon, ce qui fait tout son intérêt. Mais la surface de Vénus est
en permanence recouverte d’une atmosphère épaisse, opacifiée par un couvert nuageux permanent,
avec une température au sol de 450 °C et une pression de 95 atmosphères. L’observation et l’étude
de la surface ne peuvent donc se faire qu’au moyen de radars basés sur Terre ou embarqués à
bord de sondes interplanétaires. La dernière mission spatiale envoyée vers Vénus, Magellan, s’est
achevée en 1994, et était équipée, entre autres, d’un radar imageur, qui, pour la première fois, a
révélé l’ensemble de la surface de la planète avec une résolution de l’ordre de 100 m. Grâce à
Magellan, la quantité d’informations transmises pendant ses 4 ans de survol vénusien a été
supérieure à la somme de toutes les informations des missions spatiales précédentes. De cette
cartographie très précise de la surface de Vénus, surgit une image nouvelle de l’histoire et de
l’évolution de la planète.
LA MISSION ET LES IMAGES DE
MAGELLAN
L
es programmes précédents
concernant Vénus avaient
pour but l’étude de l’atmos-
phère, réalisée dans les année 1970
et 1980 par les sondes Pioneer, Ve-
nera et Vega, et l’observation de la
surface au moyen de radars basés
sur Terre (Goldstone et Arecibo) ou
embarqués à bord de sondes spatia-
les (Pioneer Venus, en 1979, Venera
15 et 16, en 1983 et 1984). Les ins-
truments à bord de Magellan ont
permis une amélioration considéra-
ble de la connaissance globale de la
planète grâce à leur très haute préci-
sion.
La sonde Magellan a été lancée
par la NASA le 5 avril 1989. Elle a
atteint les environs de Vénus le
8 octobre 1990 et sa mission a duré
jusqu’au 12 octobre 1994. Magellan
a été déposée primitivement en or-
bite elliptique polaire autour de Vé-
nus, caractérisée par un périgée de
289 km au-dessus du sol vers 9,5°
de latitude nord et un apogée de
8 458 km vers 9,5° de latitude sud.
Sa période de révolution était de 3 h
26. Pendant 37 mn, la sonde survo-
lait un méridien « à basse altitude »,
passant de 2 000 km d’altitude au
pôle Nord à 290 km au périgée.
C’est pendant ce court laps de
temps que les radars embarqués à
bord de la sonde Magellan « ima-
geaient » une bande méridienne de
la planète. La combinaison du mou-
vement de précession de l’orbite de
Magellan et de la rotation de Vénus
a entraîné une couverture presque
totale en 243 jours. Des modifica-
tions de trajectoire ont permis en-
suite de réaliser deux autres couver-
tures, et de cartographier ce qui
avait échappé au premier passage.
Les images de la surface de Vé-
nus acquises par le radar à ouver-
ture synthétique (ROS) (voir en-
cadré 1) se caractérisent par les
variations de l’intensité de l’écho
radar représentées sous forme de ni-
veaux de gris (figure 2). Ainsi, les
parties claires des images corres-
pondent non pas à des terrains
clairs, mais à des terrains qui ré-
émettent un signal intense en direc-
tion de la sonde, soit parce qu’ils
sont inclinés en direction du récep-
teur, soit parce qu’ils sont rugueux.
A l’opposé, les parties sombres de
l’image correspondent soit à des ré-
gions situées dans l’ombre d’un re-
lief, soit à une surface relativement
lisse par rapport à la longueur
d’onde incidente. Un signal radar
n’a évidemment pas de couleur.
Pour des raisons esthétiques, on su-
perpose souvent à l’image la cou-
leur orange. Le choix de cette cou-
leur repose d’une part sur la couleur
du sol vénusien telle qu’elle a été
filmée par les caméras couleur des
sondes soviétiques Venera 13 et 14
posées à la surface de Vénus, et
d’autre part sur la grande présomp-
tion de l’oxydation du sol vénusien.
En superposant les images radars
sur les données topographiques ob-
tenues par l’altimètre radar, égale-
ment présent sur Magellan (voir
encadré 1), l’agence spatiale améri-
caine, la NASA, a réalisé de magni-
fiques images en trois dimensions.
On a rendu ces images encore plus
esthétiques en les colorant en
orange, en exagérant les reliefs d’un
facteur 10 à 20, et en donnant une
belle couleur noire au ciel, ce qui,
vu le très important couvert nua-
geux de la planète, est une erreur
Laboratoire de Sciences de la Terre,
UMR CNRS 5570, Ecole normale supé-
rieure de Lyon, 46 Allée d’Italie,
69364 Lyon Cedex 07. E. mail :
Adresse postale 1996/1997 : lab. de
géologie dynamique de la Terre et des
planètes, bât. 509, université Paris-Sud.
91405 Orsay Cedex
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Encadré 1
Principe d’acquisition des données altimétriques et
des images radars de la sonde Magellan
La sonde Magellan possédait à son bord deux radars ayant
fourni des résultats en imagerie, à la base des images
présentées ici. Un radar est un instrument actif qui émet une
onde radioélectrique de longueur d’onde centimétrique à
métrique, et qui enregistre l’écho renvoyé par la surface
« éclairée ». Dans le cadre de la mission Magellan, les radars
émettaient en modulation de fréquence et enregistraient des
ondes de 12,6 cm de longueur d’onde (bande S - 2,385 GHz)
en polarisation parallèle horizontale HH.
(1) Le radar altimètre mesurait la distance le séparant de la
surface de la planète à l’aplomb du radar. La mesure du
temps aller/retour du faisceau d’onde radioélectrique, couplée
à une parfaite connaissance de l’orbite de la sonde, donnait
l’altitude moyenne de la surface éclairée, avec une précision
sur l’altitude de ±80 m. L’altitude de référence choisie (le
zéro vénusien) était le RMP, rayon moyen planétaire, de
6 051,95 km. Une carte altimétrique globale a ainsi été
réalisée (voir figure 4).
(2) Le radar imageur (Radar à synthèse d’ouverture−ROS)
mesurait lui aussi le temps de parcours de l’onde
radioélectrique émise et renvoyée par la surface de Vénus.
Toutefois, son principe d’acquisition était plus complexe. Un
très fin faisceau radar pulsé était envoyé perpendiculairement
à la trajectoire de la sonde (vers l’Est pendant les couvertures
1 et 3, vers l’Ouest pendant la couverture 2) avec un angle au
nadir compris entre 20° et 45° suivant la latitude. La zone
« éclairée » par le radar correspondait au sol à une ellipse
d’environ 20 km ×10 km. Le signal enregistré par le radar
imageur intégrait tous les échos radar provenant de cette zone
« éclairée ». Afin d’améliorer la résolution spatiale des
images, on a utilisé : (1) la variation du temps de parcours de
l’écho radar entre la région de l’ellipse proche du radar et
celle éloignée, dans la direction perpendiculaire à la
trajectoire de la sonde et (2) le mouvement de la sonde par
rapport à la surface entraînant un décalage Doppler du signal
radar, dans la direction parallèle à la trajectoire de la sonde.
A chaque couple variation de parcours/décalage Doppler de
l’écho radar correspondait une zone au sol d’environ 100 m
de diamètre, correspondant à la résolution spatiale des pixels
des images Magellan. On a affecté alors à chaque pixel
l’amplitude de l’écho radar (radiométrie) convertie en niveaux
de gris. L’ensemble de ces pixels formait une image large de
20 km (largeur du faisceau au sol « défilant sous la sonde »)
et longue de 17 000 km (longueur survolée par la sonde à
chaque orbite). Les différentes bandes ont été ensuite
regroupées en mosaïques (voir figure 2).
Astrophysique et hautes énergies
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Figure 2 - La région du volcan Sapas Mons (Image NASA JPL).
Exemple de mosaïques regroupant 24 bandes de balayage radar (20 km de large), de 500 km de long chacune. Les limites entre bandes ont été atténuées,
mais elles sont encore visibles sous forme de lignes verticales. L’illumination du cône radar vient de la droite. Les différentes nuances de couleur traduisent
surtout les différences de rugosité : les coulées de lave, rugueuses (donc refléchissant bien le faisceau radar), paraissent plus claires que les terrains
environnants. Quelques falaises tournées vers la droite paraissent aussi très claires dans la partie supérieure de l’image.
14
scientifique (voir figure 3). Ces mo-
dèles numériques de terrain (MNT),
représentation en 3D du relief, se
caractérisent par une résolution spa-
tiale horizontale de 4,5 km et une
précision sur l’altitude de 80 m.
A partir d’images radar acquises
par la sonde Magellan en mode
stéréoscopique, c’est-à-dire imagées
sous deux angles d’illumination ra-
dar différentes, l’une d’entre nous
(Véronique Ansan) a développé au
CNES, puis à l’ENS de Lyon, une
nouvelle technique d’élaboration
des MNT qui sont alors générés
avec une résolution spatiale supé-
rieure d’un ordre de grandeur
(225 m) et une précision sur l’alti-
tude de 56 m (voir l’encadré 2).
Aucune mission nouvelle n’étant
prévue dans un avenir immédiat, il
s’agit là de la résolution maximale
avec laquelle devront travailler
les scientifiques pour encore bien
longtemps.
LA CROÛTE VÉNUSIENNE
Magellan a permis d’obtenir une
carte altimétrique complète et pré-
cise (voir figure 4), et a confirmé les
résultats préliminaires des missions
Pioneer Venus. La répartition des al-
titudes sur Vénus est régulière, as-
sez groupée autour d’une sphère de
6 051,95 km de rayon, le rayon
moyen planétaire (RMP) arbitraire-
ment compté comme l’altitude zéro
(voir figure 5). Cette répartition est
unimodale, ce qui est une différence
majeure avec la Terre, où les altitu-
des ont une répartition bimodale
(le fond des océans, essentielle-
ment composé d’une mince couche
(6 km) de basalte, se caractérise
par une bathymétrie moyenne de
4 000 m et les continents, princi-
palement constitués de granite ou de
gneiss sur une épaisseur moyenne
de 35 km, ont une altitude moyenne
de + 200 m). En conséquence, un
seul mode d’altitude suggère un
seul type de matériau, constituant
l’enveloppe superficielle, ou croûte
de Vénus ; mais de quelle nature et
de quelle épaisseur est-elle ?
Les analyses pétrochimiques ef-
fectuées à la surface de Vénus par
les sondes soviétiques ont montré
que le sol vénusien semble composé
de basalte comme la croûte océani-
que terrestre. Sur les images de
Magellan, la surface de Vénus est
manifestement volcanique, comme
les océans terrestres. Vénus serait
donc sans continent ; une planète
entièrement océanique au sens géo-
physique du terme, ce qui est un
comble pour une planète sans une
goutte d’eau ! Quelle est l’épaisseur
de cette croûte ? Des modèles géo-
physiques, basés sur des analyses
topographiques et sur les propriétés
rhéologiques des basaltes, suggèrent
pour l’instant une épaisseur de 20 à
30 km. Mais il faudra attendre
qu’une nouvelle sonde dépose, sur
Vénus, des sismographes, capables
de fonctionner plusieurs mois par
+ 450 °C, pour en savoir plus !
L’existence d’un seul mode d’al-
titude sur Vénus, centré sur le RMP,
ne signifie pas que la planète est
plate (voir figure 4). En fait, il
existe toutes les transitions entre
– 4 km et + 11 km d’altitude.
D’après la morphologie des terrains,
on peut distinguer trois catégories
différentes de terrains, et cette dis-
tinction morphologique correspond
de fait à des « tranches » d’altitudes.
Les lowlands ou « plaines » ont une
altitude inférieure à 0 km, les hi-
ghlands, les montagnes et plateaux,
une altitude supérieure à 2 km, et
pour les mesolands, elle est com-
prise entre 0 et 2 km.
Figure 3 - Reconstruction tridimentionnelle du volcan Sapas Mons (Image NASA JPL).
La combinaison des données de deux radars permet de reconstituer des images en trois dimensions,
ici le volcan Sapas Mons, colorée en orange. Les hauteurs sont exagérées d’un facteur 10. La réso-
lution « horizontale » de la topographie n’est que de quelques kilomètres. Ce genre de paysage est
caractéristique de Vénus, et illustre bien la nature volcanique de la surface. Tous les types de volcans
existent sur Vénus : grands épanchements de lave fluide, avec des coulées de plusieurs centaines de
km de long, volcans boucliers comme ici Sapas Mons, avec deux cratères et de très nombreuses cou-
lées de lave qui s’en échappent radialement, cônes « vulcano-stromboliens », dômes « péléens », cal-
deras, plus quelques formes très bizarres.
Astrophysique et hautes énergies
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Encadré 2 et figure 9
MODÈLE NUMÉRIQUE DE TERRAIN
DE LA VERDANDI CORONA
La sonde Magellan a acquis des images radar en mode
stéréoscopique, lors des différents cycles de couverture. A
partir de deux images radar spatiales prises avec des angles
de vue différents (stéréoscopie) et recouvrant une même région
géographique, il est possible de construire quantitativement le
relief de cette dernière, et de construire un modèle numérique
de terrain (MNT) plus précis que ceux obtenus par le radar
altimètre. Cette technique a été développée au CNES puis à
l’ENS de Lyon par V. Ansan. Ainsi, en utilisant les
caractéristiques d’acquisition géométrique des images
(altitude des radars, orientation des faisceaux radar, angle de
vue et distance entre le radar et le point observé) et la
parallaxe absolue entre les deux images, on peut calculer la
dénivelée topographique des points communs au couple
d’images. Le MNT présenté a été réalisé à partir du couple
d’images radar stéréoscopiques centrées sur la région
Verdandi Corona (200 km de diamètre), située le long de
l’équateur vénusien (voir figure 4 n° 9). Les images ont été
acquises par des faisceaux radar orientés vers la droite (est),
avec des angles de vue différents (40° pour l’image du haut,
couverture 1, et 20° pour l’image du bas, couverture 3). La
zone encadrée correspond à la zone sur laquelle un modèle
numérique de terrain a été calculé. En haut à droite,
visualisation du MNT par superposition d’un code de couleur
correspondant à l’altitude sur l’image radar du cycle 1
(bleu=+400m,rouge=+3000m).Enbas, vue
tridimensionnelle de la Corona. La dénivelée de la Corona est
de 1 600 m, avec un fond de 400 m d’altitude (bleu) et une
périphérie atteignant 2 000 m (vert), et un sommet de 3 021 m
(coin supérieur gauche).
La résolution horizontale de ces MNT est de 225 m, et la
présision verticale de 56 m (contre respectivement 4 500 m et
80 m pour les MNT obtenus par le radar altimètre).
Documents CNES / ENS de Lyon
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