Vénus dévoilée par Magellan L

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Astrophysique et hautes énergies
Vénus dévoilée par Magellan
Pour les astronomes et les planétologues, Vénus est une planète sœur de la Terre avec à peu
près la même masse et le même rayon, ce qui fait tout son intérêt. Mais la surface de Vénus est
en permanence recouverte d’une atmosphère épaisse, opacifiée par un couvert nuageux permanent,
avec une température au sol de 450 °C et une pression de 95 atmosphères. L’observation et l’étude
de la surface ne peuvent donc se faire qu’au moyen de radars basés sur Terre ou embarqués à
bord de sondes interplanétaires. La dernière mission spatiale envoyée vers Vénus, Magellan, s’est
achevée en 1994, et était équipée, entre autres, d’un radar imageur, qui, pour la première fois, a
révélé l’ensemble de la surface de la planète avec une résolution de l’ordre de 100 m. Grâce à
Magellan, la quantité d’informations transmises pendant ses 4 ans de survol vénusien a été
supérieure à la somme de toutes les informations des missions spatiales précédentes. De cette
cartographie très précise de la surface de Vénus, surgit une image nouvelle de l’histoire et de
l’évolution de la planète.
LA MISSION ET LES IMAGES DE
MAGELLAN
es programmes précédents
concernant Vénus avaient
pour but l’étude de l’atmosphère, réalisée dans les année 1970
et 1980 par les sondes Pioneer, Venera et Vega, et l’observation de la
surface au moyen de radars basés
sur Terre (Goldstone et Arecibo) ou
embarqués à bord de sondes spatiales (Pioneer Venus, en 1979, Venera
15 et 16, en 1983 et 1984). Les instruments à bord de Magellan ont
permis une amélioration considérable de la connaissance globale de la
planète grâce à leur très haute précision.
La sonde Magellan a été lancée
par la NASA le 5 avril 1989. Elle a
atteint les environs de Vénus le
8 octobre 1990 et sa mission a duré
L
– Laboratoire de Sciences de la Terre,
UMR CNRS 5570, Ecole normale supérieure de Lyon, 46 Allée d’Italie,
69364 Lyon Cedex 07. E. mail :
[email protected]
– Adresse postale 1996/1997 : lab. de
géologie dynamique de la Terre et des
planètes, bât. 509, université Paris-Sud.
91405 Orsay Cedex
12
jusqu’au 12 octobre 1994. Magellan
a été déposée primitivement en orbite elliptique polaire autour de Vénus, caractérisée par un périgée de
289 km au-dessus du sol vers 9,5°
de latitude nord et un apogée de
8 458 km vers 9,5° de latitude sud.
Sa période de révolution était de 3 h
26. Pendant 37 mn, la sonde survolait un méridien « à basse altitude »,
passant de 2 000 km d’altitude au
pôle Nord à 290 km au périgée.
C’est pendant ce court laps de
temps que les radars embarqués à
bord de la sonde Magellan « imageaient » une bande méridienne de
la planète. La combinaison du mouvement de précession de l’orbite de
Magellan et de la rotation de Vénus
a entraîné une couverture presque
totale en 243 jours. Des modifications de trajectoire ont permis ensuite de réaliser deux autres couvertures, et de cartographier ce qui
avait échappé au premier passage.
Les images de la surface de Vénus acquises par le radar à ouverture synthétique (ROS) (voir encadré 1) se caractérisent par les
variations de l’intensité de l’écho
radar représentées sous forme de niveaux de gris (figure 2). Ainsi, les
parties claires des images correspondent non pas à des terrains
clairs, mais à des terrains qui ré-
émettent un signal intense en direction de la sonde, soit parce qu’ils
sont inclinés en direction du récepteur, soit parce qu’ils sont rugueux.
A l’opposé, les parties sombres de
l’image correspondent soit à des régions situées dans l’ombre d’un relief, soit à une surface relativement
lisse par rapport à la longueur
d’onde incidente. Un signal radar
n’a évidemment pas de couleur.
Pour des raisons esthétiques, on superpose souvent à l’image la couleur orange. Le choix de cette couleur repose d’une part sur la couleur
du sol vénusien telle qu’elle a été
filmée par les caméras couleur des
sondes soviétiques Venera 13 et 14
posées à la surface de Vénus, et
d’autre part sur la grande présomption de l’oxydation du sol vénusien.
En superposant les images radars
sur les données topographiques obtenues par l’altimètre radar, également présent sur Magellan (voir
encadré 1), l’agence spatiale américaine, la NASA, a réalisé de magnifiques images en trois dimensions.
On a rendu ces images encore plus
esthétiques en les colorant en
orange, en exagérant les reliefs d’un
facteur 10 à 20, et en donnant une
belle couleur noire au ciel, ce qui,
vu le très important couvert nuageux de la planète, est une erreur
Astrophysique et hautes énergies
Encadré 1
Principe d’acquisition des données altimétriques et
des images radars de la sonde Magellan
La sonde Magellan possédait à son bord deux radars ayant
fourni des résultats en imagerie, à la base des images
présentées ici. Un radar est un instrument actif qui émet une
onde radioélectrique de longueur d’onde centimétrique à
métrique, et qui enregistre l’écho renvoyé par la surface
« éclairée ». Dans le cadre de la mission Magellan, les radars
émettaient en modulation de fréquence et enregistraient des
ondes de 12,6 cm de longueur d’onde (bande S - 2,385 GHz)
en polarisation parallèle horizontale HH.
(1) Le radar altimètre mesurait la distance le séparant de la
surface de la planète à l’aplomb du radar. La mesure du
temps aller/retour du faisceau d’onde radioélectrique, couplée
à une parfaite connaissance de l’orbite de la sonde, donnait
l’altitude moyenne de la surface éclairée, avec une précision
sur l’altitude de ± 80 m. L’altitude de référence choisie (le
zéro vénusien) était le RMP, rayon moyen planétaire, de
6 051,95 km. Une carte altimétrique globale a ainsi été
réalisée (voir figure 4).
(2) Le radar imageur (Radar à synthèse d’ouverture−ROS)
mesurait lui aussi le temps de parcours de l’onde
radioélectrique émise et renvoyée par la surface de Vénus.
Toutefois, son principe d’acquisition était plus complexe. Un
très fin faisceau radar pulsé était envoyé perpendiculairement
à la trajectoire de la sonde (vers l’Est pendant les couvertures
1 et 3, vers l’Ouest pendant la couverture 2) avec un angle au
nadir compris entre 20° et 45° suivant la latitude. La zone
« éclairée » par le radar correspondait au sol à une ellipse
d’environ 20 km × 10 km. Le signal enregistré par le radar
imageur intégrait tous les échos radar provenant de cette zone
« éclairée ». Afin d’améliorer la résolution spatiale des
images, on a utilisé : (1) la variation du temps de parcours de
l’écho radar entre la région de l’ellipse proche du radar et
celle éloignée, dans la direction perpendiculaire à la
trajectoire de la sonde et (2) le mouvement de la sonde par
rapport à la surface entraînant un décalage Doppler du signal
radar, dans la direction parallèle à la trajectoire de la sonde.
A chaque couple variation de parcours/décalage Doppler de
l’écho radar correspondait une zone au sol d’environ 100 m
de diamètre, correspondant à la résolution spatiale des pixels
des images Magellan. On a affecté alors à chaque pixel
l’amplitude de l’écho radar (radiométrie) convertie en niveaux
de gris. L’ensemble de ces pixels formait une image large de
20 km (largeur du faisceau au sol « défilant sous la sonde »)
et longue de 17 000 km (longueur survolée par la sonde à
chaque orbite). Les différentes bandes ont été ensuite
regroupées en mosaïques (voir figure 2).
13
Figure 2 - La région du volcan Sapas Mons (Image NASA JPL).
Exemple de mosaïques regroupant 24 bandes de balayage radar (20 km de large), de 500 km de long chacune. Les limites entre bandes ont été atténuées,
mais elles sont encore visibles sous forme de lignes verticales. L’illumination du cône radar vient de la droite. Les différentes nuances de couleur traduisent
surtout les différences de rugosité : les coulées de lave, rugueuses (donc refléchissant bien le faisceau radar), paraissent plus claires que les terrains
environnants. Quelques falaises tournées vers la droite paraissent aussi très claires dans la partie supérieure de l’image.
14
Astrophysique et hautes énergies
ment composé d’une mince couche
(6 km) de basalte, se caractérise
par une bathymétrie moyenne de
− 4 000 m et les continents, principalement constitués de granite ou de
gneiss sur une épaisseur moyenne
de 35 km, ont une altitude moyenne
de + 200 m). En conséquence, un
seul mode d’altitude suggère un
seul type de matériau, constituant
l’enveloppe superficielle, ou croûte
de Vénus ; mais de quelle nature et
de quelle épaisseur est-elle ?
Figure 3 - Reconstruction tridimentionnelle du volcan Sapas Mons (Image NASA JPL).
La combinaison des données de deux radars permet de reconstituer des images en trois dimensions,
ici le volcan Sapas Mons, colorée en orange. Les hauteurs sont exagérées d’un facteur 10. La résolution « horizontale » de la topographie n’est que de quelques kilomètres. Ce genre de paysage est
caractéristique de Vénus, et illustre bien la nature volcanique de la surface. Tous les types de volcans
existent sur Vénus : grands épanchements de lave fluide, avec des coulées de plusieurs centaines de
km de long, volcans boucliers comme ici Sapas Mons, avec deux cratères et de très nombreuses coulées de lave qui s’en échappent radialement, cônes « vulcano-stromboliens », dômes « péléens », calderas, plus quelques formes très bizarres.
scientifique (voir figure 3). Ces modèles numériques de terrain (MNT),
représentation en 3D du relief, se
caractérisent par une résolution spatiale horizontale de 4,5 km et une
précision sur l’altitude de 80 m.
A partir d’images radar acquises
par la sonde Magellan en mode
stéréoscopique, c’est-à-dire imagées
sous deux angles d’illumination radar différentes, l’une d’entre nous
(Véronique Ansan) a développé au
CNES, puis à l’ENS de Lyon, une
nouvelle technique d’élaboration
des MNT qui sont alors générés
avec une résolution spatiale supérieure d’un ordre de grandeur
(225 m) et une précision sur l’altitude de 56 m (voir l’encadré 2).
Aucune mission nouvelle n’étant
prévue dans un avenir immédiat, il
s’agit là de la résolution maximale
avec laquelle devront travailler
les scientifiques pour encore bien
longtemps.
LA CROÛTE VÉNUSIENNE
Magellan a permis d’obtenir une
carte altimétrique complète et précise (voir figure 4), et a confirmé les
résultats préliminaires des missions
Pioneer Venus. La répartition des altitudes sur Vénus est régulière, assez groupée autour d’une sphère de
6 051,95 km de rayon, le rayon
moyen planétaire (RMP) arbitrairement compté comme l’altitude zéro
(voir figure 5). Cette répartition est
unimodale, ce qui est une différence
majeure avec la Terre, où les altitudes ont une répartition bimodale
(le fond des océans, essentielle-
Les analyses pétrochimiques effectuées à la surface de Vénus par
les sondes soviétiques ont montré
que le sol vénusien semble composé
de basalte comme la croûte océanique terrestre. Sur les images de
Magellan, la surface de Vénus est
manifestement volcanique, comme
les océans terrestres. Vénus serait
donc sans continent ; une planète
entièrement océanique au sens géophysique du terme, ce qui est un
comble pour une planète sans une
goutte d’eau ! Quelle est l’épaisseur
de cette croûte ? Des modèles géophysiques, basés sur des analyses
topographiques et sur les propriétés
rhéologiques des basaltes, suggèrent
pour l’instant une épaisseur de 20 à
30 km. Mais il faudra attendre
qu’une nouvelle sonde dépose, sur
Vénus, des sismographes, capables
de fonctionner plusieurs mois par
+ 450 °C, pour en savoir plus !
L’existence d’un seul mode d’altitude sur Vénus, centré sur le RMP,
ne signifie pas que la planète est
plate (voir figure 4). En fait, il
existe toutes les transitions entre
– 4 km et + 11 km d’altitude.
D’après la morphologie des terrains,
on peut distinguer trois catégories
différentes de terrains, et cette distinction morphologique correspond
de fait à des « tranches » d’altitudes.
Les lowlands ou « plaines » ont une
altitude inférieure à 0 km, les highlands, les montagnes et plateaux,
une altitude supérieure à 2 km, et
pour les mesolands, elle est comprise entre 0 et 2 km.
15
Encadré 2 et figure 9
MODÈLE NUMÉRIQUE DE TERRAIN
DE LA VERDANDI CORONA
La sonde Magellan a acquis des images radar en mode
stéréoscopique, lors des différents cycles de couverture. A
partir de deux images radar spatiales prises avec des angles
de vue différents (stéréoscopie) et recouvrant une même région
géographique, il est possible de construire quantitativement le
relief de cette dernière, et de construire un modèle numérique
de terrain (MNT) plus précis que ceux obtenus par le radar
altimètre. Cette technique a été développée au CNES puis à
l’ENS de Lyon par V. Ansan. Ainsi, en utilisant les
caractéristiques d’acquisition géométrique des images
(altitude des radars, orientation des faisceaux radar, angle de
vue et distance entre le radar et le point observé) et la
parallaxe absolue entre les deux images, on peut calculer la
dénivelée topographique des points communs au couple
d’images. Le MNT présenté a été réalisé à partir du couple
d’images radar stéréoscopiques centrées sur la région
Verdandi Corona (200 km de diamètre), située le long de
l’équateur vénusien (voir figure 4 n° 9). Les images ont été
acquises par des faisceaux radar orientés vers la droite (est),
avec des angles de vue différents (40° pour l’image du haut,
couverture 1, et 20° pour l’image du bas, couverture 3). La
zone encadrée correspond à la zone sur laquelle un modèle
numérique de terrain a été calculé. En haut à droite,
visualisation du MNT par superposition d’un code de couleur
correspondant à l’altitude sur l’image radar du cycle 1
(bleu = + 400 m, rouge = + 3 000 m). En bas, vue
tridimensionnelle de la Corona. La dénivelée de la Corona est
de 1 600 m, avec un fond de 400 m d’altitude (bleu) et une
périphérie atteignant 2 000 m (vert), et un sommet de 3 021 m
(coin supérieur gauche).
La résolution horizontale de ces MNT est de 225 m, et la
présision verticale de 56 m (contre respectivement 4 500 m et
80 m pour les MNT obtenus par le radar altimètre).
Documents CNES / ENS de Lyon
16
Astrophysique et hautes énergies
Figure 4 - Carte altimétrique de l’ensemble de la surface de Vénus (entre – 65° et + 65° de latitude) (document NASA JPL).
Les altitudes sont représentées ici en distance séparant le centre de la planète de la surface selon une échelle de couleurs indiquée à droite. Elles s’échelonnent entre 6 048 km et 6 064 km, soit des altitudes relatives comprises entre – 3 km et + 11 km par rapport au rayon moyen planétaire égal à
6 051,95 km. La résolution spatiale de cette carte est de 4,5 km et la précision sur l’altitude est de ± 80 m. Les régions les plus hautes, ou « highlands »,
correspondent approximativement aux couleurs jaune, orange et rouge. Les régions plus basses, « lowlands » et « mesolands », distinguées surtout d’après
des critères morphologiques, ne sont pas séparables sur cette carte et correspondent aux couleurs bleue et verte. Les bandes noires correspondent aux
régions où aucune donnée altimétrique n’a été acquise. Les différents numéros visibles sur la carte correspondent à la localisation de zones particulières,
illustrées dans les figures correspondantes de cet article.
UNE PLANÈTE SANS ÉROSION
Le principal agent d’érosion sur
Terre est l’eau liquide (rivière, mer)
ou gelée (glacier), l’érosion par
l’atmosphère (l’érosion éolienne)
n’ayant qu’un role marginal. Avec
ses 450 °C, Vénus est totalement
dépourvue d’eau liquide. Les images radar ont confirmé ce fait : pas
de mer, ni de lac, ni de fleuve. Pas
non plus d’anciennes traces d’érosion comme l’on en voit sur Mars.
La mission Magellan n’a révélé
aucune trace (directe ou indirecte)
de la présence actuelle ou ancienne
d’eau liquide sur Vénus. Les seules
traces d’érosions ou de dépôts visibles sont éoliennes et très limitées,
ce qui semble indiquer que les basses couches de l’atmosphère ne sont
pas agitées de vents violents.
Figure 5 - Répartition comparée des altitudes
présentes sur la Terre et sur Vénus (courbes
hypsométriques).
La distribution du relief est unimodale sur
Vénus centrée à 0,5 km d’altitude, alors que
celle de la Terre est bimodale, avec un pic correspondant aux continents et un autre au fond
des océans. L’unimodalité des altitudes constatée sur Vénus suggère qu’il n’existe qu’un seul
type de croûte.
La mission Magellan a permis
par ailleurs la découverte d’environ
1 000 cratères d’impact sur Vénus
(voir figure 6). Ces cratères ont une
taille supérieure à 1,5 km ; le plus
grand ayant 280 km de diamètre.
Un cratère de 1 500 m de diamètre
est creusé par une météorite d’environ 75 m de diamètre. L’absence de
petits cratères est normale car les
météorites plus petites ont été détruites en entrant en interaction avec
l’atmosphère, très dense. Seules les
plus grosses ont pu atteindre la surface de Vénus. Le nombre de mille
cratères peut sembler élevé, en particulier par rapport à la Terre où
l’on n’en dénombre qu’environ 150.
Mais sur Terre, ce nombre augmente
tous les ans grâce à de nouvelles découvertes, il est en effet très difficile
d’identifier les cratères effacés partiellement par l’érosion et/ou masqués par le couvert végétal.
Sur une planète sans érosion, le
nombre de cratères par unité de
17
Figure 6 - Cartes des cratères présents sur la Terre (en haut) et sur Vénus (en bas).
La carte terrestre correspond aux cratères d’impact identifiables sur image satellite et est donc de
nature équivalente à la carte vénusienne. Chaque point noir représente un cratère. La répartition des
cratères connus sur Terre dépend de facteurs géologiques, du couvert végétal et de la « densité » de
géologues, et est très largement incomplète, mais l’hétérogénéité de la cratérisation sur Terre est un
fait réel. La cratérisation de Vénus est, elle, particulièrement homogène. Sur la carte de Vénus ont
été reportés (à la même échelle et à la bonne localisation) le bouclier canadien et l’Ouest australien,
montrant que Vénus est aussi cratérisée que les surfaces terrestres âgées d’environ 500 millions
d’années les mieux connues.
surface est une indication de l’âge
de cette surface. Par exemple, les
continents lunaires âgés de plus de
4 milliards d’années sont au moins
10 fois plus cratérisés que les mers
âgées « seulement » de 3,5 milliards
d’années. Sur Terre, si il n’y avait
pas l’eau de mer masquant le fond
des océans, on verrait beaucoup
plus de cratères sur les continents
(vieux) qu’au fond des océans (jeu18
nes), et les parties les plus vieilles
des continents auraient, et ont effectivement, beaucoup plus de cratères
que les jeunes plaines sédimentaires. Sur Terre, le maximum de
cratères connus existe là où il n’y a
ni érosion, ni tectonique importante
ni sédimentation depuis longtemps,
là où le couvert végétal n’est pas
trop dense, et là où le produit national brut par habitant est suffisam-
ment élevé pour payer des géologues ! C’est le bouclier canadien et
l’Ouest australien qui réunissent le
mieux ces conditions (leur surface
est presque inchangée depuis
500 millions d’années) et qui possèdent le plus de cratères connus (voir
figure 6). Sur Vénus, et cela a été
une considérable surprise, la répartition des cratères est relativement
uniforme (voir figure 6) : toute la
surface de Vénus aurait donc le
même âge. Cet âge peut être estimé
à 500 millions d’années d’après ce
que l’on sait de la population
des astéroïdes et comètes recoupant
l’orbite de Vénus, l’incertitude relative à ces populations d’astéroïdes
et de comètes entraînant évidemment une large incertitude sur cette
chronologie vénusienne. Cet âge de
500 millions d’années est très jeune
pour le système solaire, surtout si
l’on se rappelle que la plus vieille
roche terrestre connue a 3,96 milliards d’années.
Il faut donc en conclure qu’il
s’est passé « quelque chose » il y a
environ 500 millions d’années qui a
entièrement renouvelé la surface de
Vénus. Est-ce une éruption volcanique catastrophique noyant toute la
surface sous des flots de lave, ou un
recyclage généralisé de la surface de
Vénus ? On ignore pour l’instant
s’il s’agit d’un phénomène brusque
(géologiquement parlant), ou si
l’âge de 500 millions d’années correspond à une moyenne intégrée
d’un processus beaucoup plus lent.
Cette surprenante découverte de
Magellan pose un problème nouveau et aucune unanimité sur la signification géologique de cet « âge
de cratérisation » ne se dégage pour
l’instant.
LES VOLCANS DE VÉNUS
Les volcans représentent l’élément morphologique dominant de
Vénus : des milliers d’édifices volcaniques divers et variés parsèment
toute la surface de la planète, qui
est un véritable musée des formes
Astrophysique et hautes énergies
volcaniques. Ces volcans sont répartis à peu près régulièrement à la surface de Vénus, contrairement à la
Terre où des alignements volcaniques fréquents sont les signes de la
tectonique des plaques. Trois hauts
reliefs sont particulièrement volcaniques : les régions Beta (voir figure 4 point 7), Alta (point 2-3) et
Themis (à l’est du point 9) où la
concentration de volcans est trois
fois plus importante qu’ailleurs sur
Vénus. Ces volcans sont situés sur
trois dômes topographiques, parcourus de longues vallées qui ne sont
pas sans rappeler la vallée du Rift
africain, révélant peut-être un embryon de tectonique des plaques.
La mission Magellan n’a pas observé de volcans en éruption. Les
centaines de milliers d’images n’ont
pas toutes été examinées en détail,
loin s’en faut, mais aucun changement significatif entre deux survols
successifs d’une même région n’a
été constaté. Doit-on considérer que
les volcans de Vénus sont éteints ?
Assurément pas car la très faible
cratérisation des volcans prouve un
âge très jeune, et la mesure des surfaces sans impacts de météorites,
associée aux modèles de cratérisation, suggère que la production
magmatique, moyenne sur les
500 derniers millions d’années, est
d’environ 0,5 km3/an, ce qui est
comparable à la production actuelle
des points chauds terrestres.
Vénus est une planète tectonique ; sa surface révélée par Magellan présente des terrains extrêmement déformés par des forces
internes mais de façon différente de
la Terre. Sur Vénus, les déformations géologiques se répartissent sur
l’ensemble de la planète alors que
sur la Terre elles sont limitées aux
frontières de plaques et caractérisent
justement la tectonique des plaques.
Les mécanismes et les moteurs de
ces déformations, sur Vénus, sont
encore mal compris et sans doute
sans équivalent sur Terre.
Dans les lowlands (altitude
< 0 km), la déformation est complexe, avec des ceintures ou chaînes
de rides (plis ?) et des fossés (fractures), larges d’une centaine de
kilomètres et longues de quelques
milliers de kilomètres. Rides et fractures sont souvent perpendiculaires.
Les parties plates des lowlands présentent des lignes droites très réfléchissantes, régulièrement espacées,
distribuées en réseau parallèle, voire
en réseau orthogonal, sur des milliers de km2. Leur origine, fentes
tectoniques ou cassures d’une plaine
de lave par refroidissement, est encore mystérieuse.
La tectonique des highlands (altitude > 2 km) est plus classique.
L’exemple caractéristique est le
bombement volcanique du Beta Regio (voir figure 7). Mesurant à peu
près 2 000 km de diamètre, il
culmine à 4 000 m au-dessus des
plaines environnantes, et porte deux
volcans géants : Theia et Rhea
Mons. Ce bombement volcanique
est parcouru du nord au sud par une
gigantesque fracture se divisant en
deux, vers le sud. Cette fracture,
large de plus de 100 km, profonde
de 2 à 3 km, n’a rien à envier à la
vallée de l’Est africain (Les Afars ;
Ethiopie) et elle témoigne que la
surface de Vénus s’est étirée latéralement de 25 % dans cette région
(voir figure 7). Ces bombements
volcaniques fracturés pourraient résulter d’un gigantesque panache ascensionnel dans le manteau vénusien, un « giga point chaud » qui
dégénère en dorsale, comme en
Ethiopie. Il existe également des
« plateaux » qui dominent les plaines environnantes de 2 à 4 km, et
sont bordés de chaînes de montagnes pouvant atteindre 10 km de
haut. Ces chaînes de montagnes
sont constituées de rides (plis) à peu
près parallèles à la limite du plateau. Ce dispositif n’est pas sans
rappeler l’Himalaya, sur le bord sud
du plateau du Tibet. Ces chaînes de
montagnes s’abaissent graduellement en s’éloignant du plateau, et
sont remplacées par un « fouillis »
de plis et de fractures allant un peu
dans toutes les directions, et parfois
sur plus de 2 000 km de large ; un
Figure 7 - Le rift de Beta Regio (mosaïque
d’images NASA JPL).
Ce cratère d’impact se situe dans le rift de
Beta Regio (30°N-283°E) (voir figure 4 n° 7).
Son diamètre est de 37 km. Il a été déformé par
un réseau de fractures orientées N-S, particulièrement « actives » dans sa partie Est. Lors
de cette déformation la partie Est du cratère a
presque disparu, mais un petit arc de cercle est
encore visible à l’Est, ce qui permet de mesurer
une élongation Est-Ouest du cratère de 15 km.
L’illumination radar vient de la gauche.
peu comme si toute l’Inde du Nord,
au pied de l’Himalaya, était remplacée par un champ de montagnes
russes chaotiques (voir figure 8).
Que ce soit pour les bombements
volcaniques ou les plateaux, il
existe une forte corrélation entre la
topographie et les anomalies de gravité obtenues indirectement par les
variations d’accélération de la sonde
Magellan, en orbite autour de Vénus. Cela suggère qu’il existerait un
fort couplage mécanique entre les
matériaux constituant les cent premiers kilomètres de profondeur
(lithosphère) et ceux sous-jacents
constituant l’asthénosphère mus par
la dynamique interne de la planète.
La tectonique des mesolands
(0 km < altitude < 2 km) est la plus
originale, et semble unique dans
le système solaire. Ces mesolands
contiennent environ 500 structures
circulaires, de 100 à 2 600 km de
diamètre, consistant en un ou deux
anneaux en relief, alternant avec des
anneaux déprimés, le tout parcouru
de fractures radiales et concentriques, et piqueté de nombreux volcans (voir figure 9). Ces structures
ont été baptisées « coronae », et on
ne connaît pas de structures terres19
Des corps qui avaient toutes les raisons d’être identiques d’après les
modèles établis avant leur exploration se sont révélés très différents.
C’est le cas des satellites des planètes externes, où chacun est différent
de ses « confrères ». C’est aussi le
cas de Vénus et de la Terre, montrant des similitudes physiques
(rayon moyen : 6 051,95 km pour
Vénus et 6 378 km pour la Terre,
densité moyenne : 5,25 pour Vénus
et 5,52 pour la Terre, gravité à
l’équateur : 8,87 m.s–2 pour Vénus
et 9,78 m.s–2 pour la Terre), mais
d’aspect et de fonctionnement si
différents. La nature a apparemment
beaucoup plus d’imagination que les
théoriciens.
La dynamique de la Terre est à
peu près comprise, croit-on, et les
géologues pensaient que le « modèle Terre » était le mode de fonctionnement des planètes de tailles
terrestres. Ils en étaient tellement
convaincus qu’ils avaient essayé de
retrouver les éléments majeurs caractéristiques de la tectonique des
plaques (dorsales ou zones de subduction) avec les données très fragmentaires obtenues avant Magellan.
Or les différences sont majeures.
Figure 8 - Un plateau : Ishtar Terra, et ses montagnes bordières (mosaïque d’images NASA JPL).
a) Mosaïque d’images radar centrée sur Ishtar Terra (65°N-333°E) (voir figure 4 n° 8). Ce haut relief
vénusien de taille comparable à l’Australie se compose d’un haut plateau, Lakshmi Planum, de
4,5 km d’altitude, entouré de chaînes de montagnes Freyja, Akna, Danu et Maxwell Montes. Ce dernier est le plus haut relief vénusien (10 km), dont l’altitude est comparable à celle de l’Himalaya.
b) Zoom sur la région encadrée de la figure 8 a correspondant à Maxwell Montes. L’illumination
radar vient de la gauche.
tres ou planétaires équivalentes. Au
moins cinq scénari différents sont
actuellement discutés pour expliquer
la mise en place de ces coronae. La
connaissance précise de la topographie des coronae que nous pourrons obtenir au laboratoire grâce à
la stéréoscopie devrait nous permet20
tre d’aborder ce problème avec des
données plus précises (voir l’encadré 2).
DEUX FAUSSES JUMELLES
La grande leçon de l’exploration
du système solaire, c’est la variété.
La Terre actuelle évacue une part
très importante de son énergie par
de grandes cellules de convection
(la tectonique des plaques), alors
que Vénus semble avoir choisi
d’évacuer la sienne par d’étroites
cellules en forme de panaches (les
points chauds) comme le suggèrent
le nombre et la distribution des volcans et édifices magmatiques. La
surface de la Terre actuelle est divisée en douze plaques majeures, indemnes de déformations importantes, limitées par des zones étroites
où se concentrent volcanisme et déformations tectoniques (tectonique
des plaques). Ces plaques se déplacent les unes par rapport aux autres,
entraînées par les cellules de
convection mantellique. En opposition, la surface de Vénus est déformée intensément sur son ensemble,
mais aucun déplacement latéral important comparable à ceux observés
Astrophysique et hautes énergies
sur la Terre n’a été mis en évidence.
En conséquence, Vénus semble
avoir une surface très déformée
mais très peu mobile.
La Terre renouvelle les 2/3 de sa
surface très régulièrement (le temps
moyen de résidence des fonds océaniques est de 200 millions d’années), mais conserve « éternellement » en surface le dernier tiers
(les continents). Vénus semble avoir
au contraire renouvelé l’ensemble
de sa surface par un processus inconnu, il y a environ 500 millions
d’années.
Pour expliquer toutes ces différences, un scénario très qualitatif
fait l’objet actuellement d’un relatif
consensus. La dynamique de la
Terre s’explique bien par la présence d’une coquille (lithosphère)
très visqueuse (ν≈1024 Pa.s), reposant sur une enveloppe de plusieurs
centaines de km d’épaisseur (asthénosphère) nettement moins visqueuse (ν≈1020 Pa.s) et le moteur
de la dynamique est le contraste de
viscosité lithosphère/asthénopsphère, supérieur à quatre ordres de
grandeur. Pour Vénus, ce contraste
pourrait être beaucoup plus faible et
modifier profondément la dynamique de la planète. Il faudrait par
exemple que l’intérieur de la chaude
et volcanique Vénus soit plus visqueux que celui de la Terre.
Une telle différence semble pouvoir s’expliquer assez naturellement,
car sur Terre il existe de l’eau liquide, pas sur Vénus. Une énorme
quantité de cette eau terrestre hydrate les minéraux du fond des
océans ; elle est réinjectée dans les
couches profondes de la Terre au niveau des zones de subduction (zone
où une plaque terrestre « passe »
sous une autre et pénètre les profondeurs telluriques). On peut chiffrer
cette quantité d’eau retournant au
manteau à quelques dizaines de
m3.s-1, ce qui fait un débit déjà respectable. Cette eau se disperse ensuite dans le manteau. Or, la présence de petite quantité d’eau dans
des roches chaudes diminue leur
viscosité. Le CO2 pourrait avoir un
rôle analogue : une fraction importante de calcaire, déposé sur les
fonds océaniques, retourne au manteau (via la subduction) et l’alimente donc en CO2. L’influence de
la teneur en carbonate sur la viscosité du manteau n’a pas encore été
évaluée précisément mais il est probable que cela en diminue aussi la
viscosité.
Sur Vénus, pas d’eau liquide,
donc pas de minéraux hydratés, ni
de dépôts de calcaire pouvant retourner au manteau et en abaisser la
viscosité. Dans ce type d’hypothèse,
ce serait donc les conditions exter-
nes qui gouverneraient la dynamique interne de la Terre et Vénus !
Que cette hypothèse soit valable ou
non, cela montre en tous cas qu’une
planète est un tout, et qu’il ne faut
pas en dissocier les divers aspects.
Cela montre aussi qu’il est urgent
de déterminer la viscosité du manteau vénusien, ce qui devrait pouvoir être abordé par des études gravimétriques fines (études que les
données MNT de Magellan vont
permettre de commencer), par des
mesures de viscosité en laboratoire... Rendez-vous donc dans quelques années pour des réponses... et
de nouvelles questions.
POUR EN SAVOIR PLUS
Blamont (J.), « Vénus dévoilée », Ed.
Odile Jacob, 1987.
Lang (K.R.) & Whitney (C.A.),
« Vénus, la planète voilée », dans Vagabons de l’Espace, pp. 95-125,
Springer Verlag, 1993.
Masson (Ph.) & Ansan (V.), « Vénus », Encyclopaedia Universalis,
Corpus, pp. 444-448, 1995.
Phillips (R.J.), « La tectonique de Vénus », La Recherche, n° 262, pp. 142150, 1994.
Saunders (S.), « La surface de Vénus », Pour la Science n° 160, pp. 8691, 1991.
Article proposé par : Pierre Thomas, Véronique Ansan
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