Situations-Types et Évolutions de la Place de la Logistique dans l

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Logistique & Management
Situations-Types et Évolutions
de la Place de la Logistique
dans l’Organisation
Nathalie FABBE-COSTES
Professeur des Universités, Université de la Méditerranée (Aix-Marseille II)
CRET-LOG (Centre de Recherche sur le Transport et la Logistique)
E-mail : [email protected]
Pierre-Xavier MESCHI
Professeur des Universités, Université de Valenciennes
CRET-LOG (Centre de Recherche sur le Transport et la Logistique)
E-mail : [email protected]
Depuis son émergence en France au début des années 1980, la fonction logistique
s’est développée et est reconnue comme une fonction-clé pour les sociétés industrielles et commerciales. Mais quelle est la place de la logistique dans les organisations ? Cette question intéresse autant les managers que les chercheurs en Sciences
de Gestion. Est-ce une grande fonction opérationnelle plutôt centralisée ou une
fonction stratégique de conception/contrôle d’un dispositif global de pilotage des
flux (ce qu’on appelle aujourd’hui la supply chain) ? Est-il possible de dégager une
typologie des situations actuelles ? Au-delà de la place dans la structure, quelle est
la place de la logistique dans l’organisation ? dans la stratégie des firmes ?
L’expérience du CRET-LOG et notre connaissance approfondie du milieu de la logistique nous conduisait à formuler certaines hypothèses que nous avons souhaité
confronter à la réalité des pratiques. Aussi avons-nous engagé un programme de recherche sur ce sujet impliquant successivement une recherche bibliographique et
exploratoire, puis une recherche empirique auprès d’entreprises industrielles et
commerciales françaises.
L’article présente les principaux résultats de cette recherche qui d’une part confirme
le statut “stratégique” de la logistique et d’autre part atteste qu’il n’existe pas “une”
place pour la fonction logistique, mais des places possibles. Nous présentons la typologie empirique qui se dégage de notre enquête et la confrontons à la typologie
exploratoire initialement envisagée.
L’intérêt des entreprises industrielles et commerciales pour la gestion des flux a émergé
dès la fin des années 1970. Avec la prise de
conscience qu’il devenait nécessaire de développer une réflexion globale sur le pilotage
des flux, un nouveau métier s’est affirmé :
celui de logisticien. Les années 1980 ont vu se
multiplier les services, départements ou direc-
Vol. 8 – N°1, 2000
tions « logistique » et la fonction du même
nom trouvait progressivement sa place dans
les entreprises. La reconnaissance de la logistique ne s’est néanmoins pas faite sans conflits
ni sans remises en question régulière. Pour
véhiculer le changement proposé, la logistique (et donc les responsables logistiques)
devait être en « position » de le faire ; elle
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Logistique & Management
devait être visible dans l’organisation et occuper une place qui lui permettait légitimement
de faire état de ses idées, points de vue et propositions. Dans de nombreux cas, la logistique a suscité des réticences, voire une
franche hostilité, au sein des organisations, ce
qui a ralenti et parfois bloqué son évolution.
Elle est longtemps restée dans une position où
il lui était difficile, voire impossible de réaliser la nécessaire connexion entre les fonctions-clés de l’organisation : malgré la
volonté de ses champions dans les entreprises, la logistique reste parfois un processus
brisé (Fabbe-Costes, 1994, p. 3). Mais si la
logistique est encore dans certaines entreprises au stade opérationnel « primitif », dans de
nombreux cas, les directions générales ont
décelé le potentiel stratégique de cette
démarche et la logistique est réellement
reconnue comme une fonction-clé qui a toute
sa place dans l’organisation.
Si la démarche logistique a acquis ses lettres
de noblesse (il suffit pour s’en convaincre de
constater la place aujourd’hui accordée au
Supply Chain Management), la fonction
logistique reste encore pour beaucoup une
énigme. Quelle est « la place » de la logistique
dans la structure des entreprises ? Au-delà de
la place dans la structure, qui est souvent
réduite à sa position dans l’organigramme,
quelle est la place de la logistique dans
l’organisation ? Est-il possible de déceler des
parcours d’évolution du statut de la logistique ? Quelles perspectives futures cela nous
permet-il de pronostiquer ? Telles sont les
questions que l’évolution de la logistique suscite depuis de nombreuses années dans la
communauté universitaire et dans le monde
professionnel.
Sollicitée par l’ASLOG (principale association française de professionnels de la logistique) pour animer une journée de réflexion
sur ces sujets (Fabbe-Costes, 1996) et stimulée par les fructueux échanges avec les professionnels, nous avons engagé une recherche
s’intéressant à la place de la logistique dans
l’organisation des entreprises industrielles et
commerciales. Après une phase bibliographique et exploratoire (Fabbe-Costes & Meschi, 1996), nous avons réalisé une étude
empirique auprès d’entreprises industrielles
et commerciales implantées en France. Notre
article qui présente les résultats de cette
recherche, précise (§.2) la problématique de la
recherche, puis la méthodologie (§.3) et enfin
les résultats obtenus (§.4). La conclusion
envisage les prolongements que nous souhaitons donner à cette recherche.
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Problématique
L’énigme de la place d’une fonction
transversale telle que la logistique
La logistique est une démarche dont l’objectif
principal est d’assurer la qualité, fiabilité,
réactivité, flexibilité et le moindre coût du
processus de circulation physique en vue de
satisfaire un ensemble de clients/acheteurs /
utilisateurs et/ou consommateurs (le bon produit, au bon endroit, au bon moment et au
meilleur coût). Ce processus logistique, qui
est très largement visible et tangible, présente
la caractéristique de traverser/transgresser les
frontières organisationnelles traditionnelles,
aussi bien entre fonctions qu’entre entreprises. Car l’idée logistique vise fondamentalement à supprimer les dysfonctionnements
résultant d’approches fractionnées des processus de circulation de produits, informations et compétences (Mathe & Tixier, 1987,
p. 13). Si le processus est concret, et si les opérations qui le composent ont toujours existé (il
a toujours fallu faire circuler les marchandises), les notions de « chaîne logistique », de
« maîtrise de la chaîne logistique » (Tixier et
al., 1983, pp. 157-163) sont des représentations, des abstractions. La plus moins grande
intégration de la chaîne logistique dépend de
la volonté d’adopter une approche globale de
la circulation physique et d’améliorer la gestion des interfaces tant intra-entreprise
qu’inter-entreprises. Ces principales caractéristiques de la logistique, rapidement résumées, expliquent, selon nous, les difficultés à
positionner la fonction logistique, que nous
préférons d’ailleurs appeler domaine fonctionnel, dont la mission est de concevoir la
chaîne logistique souhaitée par l’entreprise et
ses partenaires, de construire le dispositif
logistique approprié et d’en garantir le bon
fonctionnement.
Compte tenu de son métier et de ses missions,
la fonction logistique présente deux caractéristiques principales. D’une part, elle procède
d’une
dialectique
permanente
entre
l’opérationnel (la « bonne » gestion des flux)
et le stratégique (la conception des dispositifs
logistiques adéquats aux objectifs de la firme,
voire la formulation de stratégies fondées sur
la logistique). Elle ne peut d’ailleurs réussir
qu’en connectant en permanence pensée et
action. C’est donc une fonction qui traverse
« verticalement » la hiérarchie. D’autre part,
pour faire son métier, elle doit s’interfacer
avec la plupart des autres fonctions de
l’entreprise (notamment le commercial, le
marketing, la production, et l’informatique),
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ainsi qu’avec de nombreux partenaires extérieurs (clients, fournisseurs, prestataires
logistiques). C’est donc une fonction transversale qui mobilise « horizontalement » de
multiples compétences. Compte tenu de ces
deux caractéristiques : quelle peut être la
place d’un tel domaine fonctionnel dans la
structure d’une entreprise et plus largement
dans son organisation ? C’est à cette question
que notre recherche tente d’apporter quelques
éléments de réponse.
Les multiples dimensions
de la problématique
À l’issue d’un travail exploratoire tant bibliographique que de terrain, il nous est rapidement apparu indispensable d’attaquer le
problème selon deux perspectives combinées.
La première est celle de l’officialisation de la
logistique dans la structure de l’entreprise. Or
la structure est l’ensemble des fonctions et des
relations déterminant formellement les missions que chaque unité de l’organisation doit
accomplir, et les modes de collaboration entre
ces unités (Stratégor, 1988, p. 210). La place
de la logistique dans la structure peut donc
effectivement faciliter ou au contraire limiter
sa capacité à construire une chaîne cohérente
et à piloter globalement la circulation. La présence, ou non, de la logistique dans
l’organigramme et, lorsqu’elle existe, sa localisation ont longtemps été considérées révélatrices de sa place dans l’entreprise.
Considérer la place dans la structure présente
l’avantage d’être facilement observable. Mais
compte tenu de l’émergence de nouvelles formes organisationnelles (par exemple les cercles de qualité, les groupes ou unités
entreprenantes) qui ne figurent pas toujours
sur les organigrammes, cette perspective nous
semble très réductrice et mérite selon nous
d’être complétée.
L’approche par la structure a permis à quelques auteurs, parmi lesquels nous citerons
Ballou (1978), Tixier et al. (1983), Mathe &
Tixier (1987), Colin & Paché (1988),
d’identifier quelques archétypes de configurations. La logistique fragmentée présence de
multiples services logistiques subalternes, à
vocation strictement opérationnelle, intégrés
aux grandes fonctions classiques. La logistique opérationnelle centralisée se traduit par
une grande direction logistique chargée
d’élaborer le plan logistique et de contrôler les
opérations logistiques qu’elle dirige hiérarchiquement. La logistique intégrée combine
une division opérationnelle responsable des
moyens logistiques et un département fonc-
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tionnel chargé d’élaborer les méthodes, règles
et procédures. D’autres formes comme la
logistique fonctionnelle ou matricielle ont
aussi été présentées. Certains (Colin & Paché,
1988, p. 162) n’ont pas hésité à envisager sa
disparition : son destin n’est-il pas qu’elle disparaisse justement parce qu’elle a réussi ? La
rapide présentation de ces formes structurelles incite à s’interroger d’une part sur
l’orientation dominante conférée à la logistique (une orientation plutôt stratégique, plutôt opérationnelle ou « équilibrée »), d’autre
part sur le degré de centralisation de la fonction et son niveau de dépendance hiérarchique
vis-à-vis d’autres fonctions.
L’étude, aussi bien sous l’angle théorique que
pratique, des « formes structurelles », leurs
insuffisances, les difficultés qu’elles créent
aux promoteurs et acteurs de la démarche
logistique montrent la limite de l’approche
par la structure, surtout si elle est réduite à
l’étude de la présence et de la position de la
logistique dans l’organigramme des firmes.
C’est ce qui nous a incités à compléter la perspective « officialisation » par une seconde
perspective qui est celle des « pratiques de
gestion logistiques » dans l’entreprise, sa réalité organisationnelle au-delà de la structure
« visible ». C’est la dimension coordination
soulignée par Paché (1994, pp. 34-40).
L’observation de certains cas d’entreprise
nous conduit à identifier deux situations extrêmes. En écho à certains auteurs en management stratégique (Mintzberg, 1990 ; Martinet,
1991 ; ou Koenig & Thietart, 1995 ; Avenier et
al., 1997 ; pour n’en citer que quelques-uns),
nous distinguons coordination logistique
émergente, et délibérée. Dans le premier cas,
la pratique logistique, l’articulation des compétences, la synchronisation des opérations
sont quasi spontanées, se font par ajustement
mutuel. Elles résultent d’une volonté « émergeant de l’action » des acteurs impliqués dans
le processus à se coordonner, que ce soit par
opportunisme, bon sens, par intelligence
organisationnelle ou par éducation (le niveau
de formation à - ou par - la logistique paraît
être un facteur facilitant la coordination émergente). Le succès d’une coordination émergente semble par ailleurs reposer sur la
diffusion dans l’entreprise d’une culture
logistique, au-delà des seuls logisticiens en
titre. Dans le second cas, une démarche intentionnelle, volontaire, consciente, et généralement planifiée d’organisation assure une
coordination
délibérée.
Généralement
impulsée par un acteur (souvent qualifié de
champion) ou un groupe d’acteurs, elle est
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Logistique & Management
soutenue par un dispositif de coordination qui
associe des règles de gestion, des systèmes
d’information et de communication, des procédures... Dans un autre registre, le principe
de coordination renvoie aussi au niveau
d’optimisation adopté (plutôt des optimisations locales ou une volonté d’optimisation
globale) ainsi qu’à une idée de ce qu’est, ou
doit être, la qualité principale de la logistique :
faire respecter les procédures, savoir organiser, ou stimuler l’innovation. Pour finir, le
niveau de coordination et d’optimisation traduit le niveau de maîtrise de la chaîne logistique, mais n’indique en rien qui exécute les
opérations logistiques. Celles-ci peuvent en
effet être réalisées en interne (soit par des personnes officiellement rattachées à la logistique, soit par d’autres services) ou en externe
par des prestataires.
Tel est l’ensemble des dimensions auxquelles
nous nous sommes intéressés dans notre
recherche. La confrontation à des situations
réelles nous a conduits, à l’issue de la phase
exploratoire, à formuler l’hypothèse qu’il
n’existe pas « une place » pour la logistique,
mais « des » places possibles. En nous
appuyant aussi sur l’expérience de l’équipe du
CRET-LOG qui travaille sur la logistique
depuis la fin des années 1970, nous avons proposé une première typologie et avons tracé des
parcours d’évolution de la logistique (observés ou possibles).
Typologie exploratoire et questions
de recherche
La typologie exploratoire proposée (voir
figure 1) croise les deux principales perspectives précédemment évoquées : officialisation
de la fonction et démarche de coordination.
Elle appelle quelques commentaires rapides
que nous ferons dans les encadrés suivants en
retraçant ce qui nous semble a posteriori le
parcours-type d’évolution de la logistique.
Figure 1. Situations-types et évolutions de la place de la logistique.
Situation 1 : Personne n’est officiellement responsable
de la logistique qui n’est pas officiellement reconnue.
La circulation physique « se fait », mais avec des optimisations locales, une vision technicienne des opérations,
des améliorations partielles des processus. Une certaine
coordination existe, par nécessité.
Passage de 1 à 2 : Dans certains cas, une personne s’est
(a été) sensibilisée à la problématique de la gestion des
flux et s’en est faite le « champion ». Il peut s’agir d’un
responsable industriel, commercial, export ou même
du PDG lui-même dans des structures de taille réduite.
Bien que la logistique ne soit pas officialisée dans la
structure, le champion parvient à construire une cohérence de pilotage logistique dans l’entreprise et en devient le leader, souvent charismatique.
Les situations 1 et 2 sont deux cas très différents de logistique fragmentée.
Passage de 2 à 3 : Selon les difficultés rencontrées, notamment vis-à-vis d’autres fonctions, le champion de la
logistique a souvent milité pour que soit « construite »
une fonction logistique visible dans la structure et ayant
une position lui permettant de négocier avec les acteurs
concernés par le pilotage logistique.
Passage de 1 à 3 : Il représente une voie plus courte que
1->2, puis 2->3. Il traduit généralement une prise de
conscience plus rapide de la direction générale qui ressent le besoin d’officialiser la logistique dont elle reconnaît ainsi l’importance stratégique.
Situation 3 : Elle correspond à la logistique centralisée.
Elle a été la situation logistique la plus classique jusqu’au milieu des années 1990, mais les dysfonctionnements sont nombreux. Faire de la logistique une grande
« fonction », c’est la placer dans une situation « naturelle » de conflit, alors que la logistique est une fonction
d’interface. De plus elle l’incite à une grande hégémonie au plan opérationnel... tout est logistique, dès
qu’on touche aux flux ! Cette situation est en fait contradictoire avec le concept même de démarche logistique.
Elle ne fait que reproduire / renforcer les cloisonnements. Mais le passage par cette situation était (est) probablement nécessaire dans de nombreux cas pour
contrebalancer le pouvoir de certaines fonctions dont
les objectifs sont parfois contradictoires avec ceux de la
logistique et qui refusent de coopérer tant qu’on ne leur
impose pas.
Deux grandes options qui permettent de réduire les dysfonctionnements de la situation 3 ont, souvent successivement, été tentées : intensifier la situation 3, la
logistique devenant la grande fonction opérationnelle,
ou passer à une situation type 4 ou 5, où la logistique est
surtout identifiée comme une fonction stratégique de
conception, de contrôle / évaluation et de veille stratégique, les aspects opérationnels étant distribués, et la
cohérence des opérations étant assurée entre autre par
le SICLE (Système d’Information et de Communication
Logistique d’Entreprise), qui serait conçu, maintenu par
les « logisticiens ». Ces deux options traduisent deux visions assez radicalement différentes : la logistique forte,
« grand chef d’orchestre » des rythmes de l’ensemble de
la circulation physique (courant en vogue fin des années
80, et métaphore abondamment utilisée dans la presse
professionnelle de l’époque), et la logistique « intelligence de la firme » (courant des années 90).
Quelques entreprises qui ont intensifié la situation 3 vivent actuellement, ou viennent de vivre, le passage à la
situation 4. Ce passage de 3 à 4 n’est pas sans inquiéter
les logisticiens qui craignent, outre une perte de pouvoir,
une dilution de leur fonction et donc une régression.
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Logistique & Management
Situation 4 : Dans cette situation qui semble se généraliser, un organe logistique est clairement identifié (que ce
soit une direction, un comité, une cellule...). Il a une vocation fonctionnelle, avec peu ou sans responsabilité
opérationnelle directe. C’est une logistique de conception et de coordination, une instance de communication et de négociation qui vise à favoriser l’échange de
points de vue qui s’accompagnent d’autant de perceptions différentes de ce qu’est la logistique, ou de ce
qu’elle devrait être. C’est néanmoins une instance qui
formule le principe de pilotage et en construit les règles
de gestion. Elle a donc aussi une vocation normative. La
configuration de la logistique peut être fonctionnelle
pure, intégrée, ou matricielle (pour reprendre des configurations précédemment citées).
Deux évolutions « originales » nous semblent pouvoir
être avancées pour un avenir proche.
Situation 5 : La turbulence des marchés, leur instabilité,
le rythme des évolutions pourrait inciter à réduire la dimension prescriptive de la logistique, son aspect « normé » en particulier. Dans une situation 5, un organe
logistique officiel maintiendrait « l’esprit » de la démarche logistique, mais ne présiderait pas (que ce soit
directement ou indirectement) à la coordination. Il serait plutôt chargé de former les acteurs (tous) à cette démarche, de leur fournir des outils « support de
délibération / négociation », puis les laisserait inventer
la circulation adéquate en fonction du contexte. Cette
proposition est notons-le assez contradictoire avec la
tendance « certification » des années 1990.
S’inscrivant dans le cadre d’une approche de gestion
plus globale, fondée sur l’autonomie des acteurs et
conforme à une tendance actuelle de la Gestion des
Ressources Humaines qui accorde une place prépondérante à la gestion et à l’organisation des compétences
(Lawler & Ledford, 1992 ; Zarifian, 1994 ; Meschi & Roger, 1996), elle nous semble intéressante pour préserver
l’adaptabilité du dispositif logistique et encourager la
capacité d’innovation aujourd’hui reconnue nécessaire. Cette situation permettrait d’établir une réelle dialectique délibérée / émergent.
Situation 6 : Le « retour » à une situation 2, voire 1, peut
apparaître comme une provocation. Certains logisticiens redoutent une telle évolution. Compte tenu de
l’actuelle reconnaissance de la logistique, ce ne serait a
priori pas un retour en arrière, mais plutôt une évolution
qui traduirait le fait (probablement illusoire) que chacun
est pleinement conscient de son rôle logistique, que la
culture logistique est acquise par tous, et donc que
l’identification de la fonction n’est plus nécessaire. Elle
pourrait aussi traduire un passage à une quasi-formal
structure (Schoonhoven & Jelinek, 1990, pp.107-109)
plus adaptée aux incessantes adaptations et innovations
logistiques.
Cet état de nos réflexions nous a incités d’une
part à confronter notre typologie exploratoire
à une approche empirique des situations
actuelles, et d’autre part à affiner notre
connaissance du comment la logistique trouve
sa place dans l’organisation : rôle dans la formulation de la stratégie, dispositifs de pilotage, modes de coordination, compétences
activées... Entre une institutionnalisation
sclérosante et le possible « échec » d’une dilution, les possibilités d’avenir pour la logistique sont multiples, notamment compte tenu
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des nouvelles formes organisationnelles en
cours d’expérimentation dans les entreprises
et compte tenu des technologies de
l’information et de la communication qui
autorisent une « main mise virtuelle » des
logisticiens en titre sur le pilotage logistique,
même si la réalisation des opérations est
répartie entre plusieurs acteurs.
Méthodologie de la Recherche
Modalités de Recherche
Étudier la place de la logistique dans les organisations nécessite au préalable de définir des
modalités d’action par lesquelles un chercheur en sciences de gestion formalise et tente
de résoudre la problématique qu’il s’est posé
(Avenier, 1986, p. 6). En d’autres termes, il
s’agit de déterminer une méthodologie de
recherche pertinente en regard des questions
posées. Notre choix s’est porté sur des modalités quantitatives d’observation et de description du phénomène étudié plutôt que sur des
modalités qualitatives d’exploration.
Comme l’ont expliqué Pras & Tarondeau
(1979), la recherche exploratoire se prête
davantage à l’éclaircissement d’un problème
mal défini ou trop vaste. Elle s’envisage naturellement lorsque le problème posé est très
ouvert et que les chercheurs en gestion sont
incapables de formuler des questions de
recherche précises. Ce n’est pas le cas de cette
recherche pour deux raisons ; il est important
tout d’abord de noter que la logistique est
aujourd’hui considérée comme un champ de
recherche et d’investigation relativement
« ancien ». Puis, en relation plus étroite avec
notre recherche, les contours et les hypothèses
sous-jacentes de notre problématique ont été
précisés et détaillés dans des observations et
réflexions préliminaires (Fabbe-Costes,
1996 ; Fabbe-Costes & Meschi, 1996). Respectant ainsi la séquence méthodologique de
Lambin (1990, p. 69) pour qui une étude
exploratoire est un préalable indispensable à
toute étude quantitative, les questions de
recherche proposées découlent d’une
recherche exploratoire et ont été traitées à partir d’informations issues d’un questionnaire.
Population de Recherche
Comme indiqué § 1, notre population de
recherche ne comprend que des entreprises
industrielles ou commerciales (distributeurs)
pour lesquelles la logistique est une fonction
support. Un questionnaire qui reprend
l’ensemble des dimensions soulignées § 2 a
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Logistique & Management
été élaboré et pré-testé auprès d’une dizaine
d’experts et de responsables de services ou de
départements logistiques afin d’améliorer la
qualité et la précision des différentes questions. Le questionnaire, légèrement modifié, a
été adressé en avril 1998 par voie postale à des
responsables logistiques d’entreprises françaises ou étrangères installées en France. Le
nom et l’adresse de cette personne-cible proviennent des annuaires de l’ASLOG (ASsociation française pour la LOGistique), de la
SOLE (antenne française de la SOciety of
Logistics Engineers) ou d’informations et
contacts personnels. Le questionnaire a été
ainsi envoyé à 800 personnes. À l’issue de
cette procédure de recueil des données, 111
questionnaires ont pu être exploités (soit un
taux de retour de 13,8 %). Si nous prenons en
considération les risques inhérents à
l’utilisation d’un questionnaire postal (faible
retour) et la difficulté de cibler le « bon interlocuteur » qui n’a pas nécessairement le titre
de logisticien au sein de l’entreprise, ce taux
de réponse (supérieur à 10 %) nous a semblé
satisfaisant. Même s’il n’est pas possible de
faire des observations sur l’ensemble des responsables logistiques, certaines généralisations pourront se faire sous certaines
conditions.
Résultats
Caractéristiques générales et profil-type des
entreprises, des individus et des « logistiques »
La répartition par secteur d’activité de
l’échantillon est légèrement déséquilibrée au
profit des entreprises industrielles : celles-ci
sont au nombre de 67 (soit 60 % de
l’échantillon) alors que les entreprises de distribution ne sont que 44 (soit 40 % de
l’échantillon). L’exploitation d’un certain
nombre
de
questions
relatives
à
l’identification globale des entreprises, des
logisticiens interrogés et de la fonction dans
laquelle ils travaillent nous ont permis de
dégager un profil-type des entreprises et des
répondants. Ainsi, les entreprises de notre
échantillon apparaissent plutôt prospères et
semblent confrontées à une forte intensité de
la concurrence. Cette situation de prospérité
s’accompagne d’ailleurs d’une hausse des
effectifs et d’un développement de la taille des
entreprises (l’analyse de variance est statistiquement significative à p<0,01).
Il est possible également de dresser un portrait
du logisticien interrogé. Même s’il apparaît
que celui-ci est dans la plupart des cas un
106
homme (84 % des répondants), le croisement
des informations relatives au sexe et à l’âge
atteste néanmoins d’une féminisation progressive de la profession de logisticien. En se
référant à l’âge moyen des répondants (77 %
des répondants ont moins de 40 ans), nous
pouvons considérer que la logistique est une
fonction dont les responsables sont plutôt jeunes. L’analyse croisée de l’ancienneté dans la
fonction logistique (5 années en moyenne) et
dans l’entreprise (7 années en moyenne) met
en lumière une forte corrélation entre le temps
dans la fonction et le temps dans l’entreprise
(coefficient de corrélation égal à 0,65). Ce
constat accrédite l’idée qu’il se fait des carrières dans la fonction logistique. Cependant,
au-delà de l’existence de parcours professionnels au sein de la logistique, cette forte corrélation soulève des questions sur les raisons qui
justifient l’existence de tels parcours : la
logistique est-elle une fonction qui
« enferme » et dont il est difficile de
s’extraire ? Les logisticiens se sentent-ils si
« bien » au sein de cette fonction, qu’ils y restent et y font carrière ?
En ce qui concerne la fonction logistique
elle-même, deux grandes tendances ont été
mises en lumière : la « surface » accrue et la
reconnaissance du rôle stratégique de la logistique. Pour un peu moins de la moitié des
entreprises interrogées (46 entreprises, soit
43 % de l’échantillon), l’évolution des effectifs de la fonction logistique est depuis 5 ans
en hausse. Seulement 21 entreprises (20 % de
l’échantillon) ont connu une réduction des
effectifs dans cette fonction. De plus, le constat d’une forte association (Chi2=33,04 avec
p<0,0001) entre la variation des effectifs
totaux et celle des effectifs de la fonction
logistique montre que cette dernière bénéficie
(ou pâtit) d’une progression (ou d’une réduction) de taille au moins équivalente à celle de
l’entreprise dans son ensemble. L’accroissement des effectifs de la fonction logistique
va de pair avec la reconnaissance de son rôle
stratégique au sein de l’entreprise (l’analyse
de la variance est significative à p<0,05).
Deux résultats enregistrés mettent en évidence la réalité stratégique de la logistique :
dans 71 entreprises (65 % de l’échantillon),
le responsable logistique est membre à part
entière du comité de direction et une grande
majorité d’entreprises (81 entreprises, soit
75 % de l’échantillon) a inscrit une rubrique
« logistique » dans son plan stratégique. Le
croisement de ces deux informations (voir
tableau 1) précise d’ailleurs la nature de cette
réalité stratégique.
Vol. 8 – N°1, 2000
Logistique & Management
57 % des entreprises considèrent pleinement
la logistique et les logisticiens dans leur
management stratégique, 27 % des entreprises lui accordent une place stratégique (par le
biais de l’existence d’une rubrique dans le
plan stratégique ou en faisant participer le responsable logistique au comité de direction),
mais pour 16 % d’entre-elles la logistique
n’est visiblement pas (ou pas encore) considérée comme « stratégique ».
Concernant la participation du responsable
logistique aux décisions stratégiques, les
répondants apportent des éléments qui confirment cette tendance « stratégique ». On peut
ainsi observer dans le tableau 2 que les responsables logistiques sont largement associés
aux décisions concernant de nouveaux investissements et de nouveaux marchés, les restructurations et le choix de nouveaux
partenaires. Même si ces décisions s’éloignent des décisions purement « logistiques »,
il est intéressant de noter que ce sont néanmoins des décisions souvent liées à la définition du dispositif global de pilotage des flux
(autrement dit le design de la supply chain).
Plus largement, la participation du responsable logistique au processus de planification
stratégique confirme la reconnaissance stratégique de la logistique. Les résultats du tableau
3 montrent que dans 68 % des entreprises de
notre échantillon, le responsable logistique
est directement associé à la formulation et/ou
la mise en œuvre du plan stratégique de
l’entreprise. Dans 57 % des cas, la voix de la
logistique compte dès la conception du plan. Il
reste néanmoins 16 % des entreprises qui ne
tiennent pas compte de l’avis du responsable
logistique.
Un dernier résultat apporte une information
importante qui, sans infirmer ou contredire les
deux constats précédents, appelle néanmoins
certaines remarques et questions. Ainsi,
l’hypothèse d’un parcours professionnel
menant de la direction de la fonction
logistique à la direction générale est perçue
comme peu plausible ou peu réaliste par les
logisticiens (contrairement à ce qu’affirme
l’article Le supply chain manager un
homme-orchestre du Figaro Economie du
01/02/99, p. 51). Seulement 13 d’entre eux
(12 % des répondants) considèrent que la
fonction logistique est un passage obligé pour
accéder à la direction générale de l’entreprise
(alors que 88 % des répondants pensent le
contraire). En d’autres termes, la carrière de
logisticien ne semble déboucher que rarement
sur des postes de direction générale. Une pre-
Vol. 8 – N°1, 2000
Tableau 1. Logistique, comité de direction et plan stratégique
Directeur logistique membre du
comité de direction et/ou rubrique
logistique dans le plan stratégique
Nombre
d’entreprises
% de notre
échantillon
Membre du comité et présence d’une
rubrique
61
57%
Membre du comité mais pas de rubrique
9
8%
Présence d’une rubrique mais pas de
participation au comité
20
19%
Pas de rubrique ni de participation au
comité
17
16%
Tableau 2. Logistique et participation aux décisions stratégiques
Participation
Pas de
participation
Développement de nouveaux
investissements
75 (70%)
32 (30%)
Restructurations
72 (69%)
32 (31%)
Choix de nouveaux partenaires
72 (69%)
32 (31%)
Développement de nouveaux marchés
56 (54%)
48 (46%)
Développement de nouveaux produits
52 (49%)
54 (51%)
Fusions/acquisitions
28 (28%)
73 (72%)
Décisions Stratégiques
Tableau 3. Logistique, participation à l’élaboration
et la mise en œuvre de plans stratégiques
Le responsable logistique participe
oui
A l’élaboration et la mise en oeuvre
32 (29%)
A l’élaboration uniquement
30 (28%)
A la mise en œuvre uniquement
12 (11%)
A été associé à titre consultatif
17 (16%)
N’a été ni associé, ni consulté
17 (16%)
68% au total
32%
mière explication de ce résultat tiendrait à la
« jeunesse » de la fonction et des logisticiens
eux-mêmes, qui ne sont pas encore « reconnus » comme des cadres généralistes et qui
n’ont pas, pour la plupart, l’âge d’accéder à de
telles responsabilités. Une autre explication
possible accréditerait l’idée d’une hyperspécialisation des cadres de la logistique (i.e. une
carrière exclusivement réalisée au sein de la
fonction logistique) qui les gênerait dans leur
évolution vers des fonctions de management
général.
En synthèse de ces grandes caractéristiques de
la logistique, il nous est apparu que cette fonction avait obtenu (ou était en passe d’obtenir)
107
Logistique & Management
ses lettres de noblesse « organisationnelle ».
Qu’il s’agisse du constat de l’accroissement
de la taille de ses effectifs ou de la reconnaissance de son rôle stratégique, il ne fait plus
de doute que la logistique est aujourd’hui une
fonction incontournable des entreprises
industrielles et commerciales, de plus en plus
sollicitée pour réfléchir et intervenir dans
des domaines dépassant son périmètre traditionnel de compétences (par exemple les restructurations, les choix de nouveaux
investissements…).
Les « places» de la logistique dans
l’organisation des entreprises
L’existence de différentes « places » de la
fonction logistique au sein des entreprises
françaises constituait l’une de nos principales
hypothèses de recherche. Afin de tester cette
hypothèse, une analyse typologique « hiérarchique » nous a permis de partitionner, puis de
regrouper les 111 entreprises de notre échantillon (sans nous être fixé a priori de nombre
de groupes à obtenir). Il s’agissait ici de classer les 111 entreprises de l’échantillon selon
leur positionnement vis-à-vis d’un certain
nombre de dimensions (15 dimensions au
total, qui sont celles soulignées § 2) relatives à
la nature (5 dimensions), à la structuration (3
dimensions), au partage (3 dimensions) et à
l’identité (4 dimensions) de la fonction logistique. À l’issue de cette analyse typologique,
nous avons retenu une partition de notre
échantillon en quatre groupes d’entreprises,
car ce choix de partition était celui qui présentait la meilleure « qualité » statistique (faible
variance intra-groupe et forte variance
inter-groupe). À partir des 15 dimensions utilisées, il a été possible de définir le type de
logistique qui correspondait à chacun des
quatre groupes d’entreprises identifiés.
Quatre types ou « places » de la logistique au
sein de l’organisation ont ainsi pu être observés dans notre échantillon. Afin de décrire ces
groupes d’entreprises, une analyse de la
variance multivariée a été effectuée. Dans
cette optique, nous avons considéré comme
variable à expliquer, la typologie émergente
obtenue, et comme variables explicatives les
15 dimensions caractérisant le type de logistique mise en place par les entreprises de notre
échantillon. Le tableau 4 résume les résultats
de cette analyse et présente le profil-type de la
logistique pour chaque groupe d’entreprises.
Les quatre logistiques identifiées ont été qualifiées : logistique en phase de reconnaissance
(groupe 1), logistique grande fonction centralisée (groupe 2), logistique mûre et institution-
108
nalisée (groupe 3) et logistique archaïque ou
diluée (groupe 4). Explicitons chacune
d’entre elles.
Le groupe 1 (réunissant 25 entreprises, soit
23 % de l’échantillon) présente des caractéristiques intermédiaires entre la situation 1 et 2
de notre typologie exploratoire. Les éléments
les plus caractéristiques de ce groupe sont les
suivants : la logistique n’est pas pleinement
reconnue comme une fonction stratégique,
elle reste à dominante opérationnelle et les
opérations logistiques sont quasi-exclusivement réalisées par le service logistique de
l’entreprise. La logistique ne bénéficie pas
d’une conception globale de gestion des flux
et elle se construit plutôt par optimisations
locales. De plus, il n’existe pas de véritable
culture logistique dans l’entreprise en dehors
des logisticiens. Deux éléments caractéristiques de ce groupe ne correspondent pas aux
situations 1 et 2 de la typologie exploratoire.
Tout d’abord, le caractère officiel de la fonction logistique tel qu’il est affirmé par les
entreprises du groupe 1 se démarque des
situations exploratoires 1 et 2 où la logistique
n’a a priori pas de reconnaissance officielle.
Dans ce premier cas de divergence entre résultats empiriques et situations théoriques, il
nous semble que le caractère officiel de la
fonction logistique des entreprises du groupe
1 relève davantage de l’effet d’annonce ou
d’affichage que de la reconnaissance d’une
réalité organisationnelle de la logistique.
Ensuite, le caractère « plutôt indépendant » de
la fonction au sein de l’organigramme ne
reflète pas ici aussi les situations exploratoires
1 et 2 où celle-ci apparaît largement
« inféodée » à d’autres fonctions telles que la
production ou le commercial. Ce décalage traduit, à notre avis, un phénomène de « transition » ou d’évolution de la situation 1 à la
situation 3 de notre typologie exploratoire. En
synthèse, ce groupe 1 rassemble des entreprises qui, pour certaines, ont pris conscience de
l’importance de la logistique et affichent une
volonté de faire évoluer leur gestion et leur
organisation dans ce domaine. Mais si la circulation physique se « fait », c’est encore sur
la base d’optimisations locales, une vision
technicienne des opérations et des améliorations partielles des process : c’est une logistique en phase de reconnaissance et de
développement.
Le groupe 2 (réunissant 37 entreprises, soit
34 % de l’échantillon) correspond très exactement à la situation 3 de notre typologie
exploratoire. On retrouve ici toutes les caractéristiques de la logistique « grande fonction
Vol. 8 – N°1, 2000
Logistique & Management
Tableau 4. Description de la Typologie des « Places » de la Logistique.
Dimensions de la fonction logistique
Groupe 1
Groupe 2
Groupe 3
Groupe 4
Nature de la logistique
La logistique, fonction officialisée ?*
Officialisée
Fortement
officialisée
Fortement
officialisée
Moyennement
officialisée
La logistique, fonction stratégique ?*
Moyennement
stratégique
Stratégique
Stratégique
Moyennement
stratégique
La logistique, fonction opérationnelle ?*
Moyennement
opérationnelle
Très
opérationnelle
Opérationnelle
Moyennement
opérationnelle
Mixte
Délibérée
Délibérée +
Plutôt émergente
Plutôt locale
Mixte
Globale
Locale
La démarche logistique est ?*
La logistique procède par optimisation ?*
Structuration de la logistique
Existence d’un « champion » de la logistique ?*
Parfois
Oui
Non
Plutôt non
Nécéssité de construire une logistique « visible » ?*
Parfois
Oui
Non
Plutôt non
Plutôt
indépendante
Très
indépendante
Plutôt
dépendante
Plutôt
dépendante
Indépendance de la logistique dans l’organigramme ?*
Partage de la logistique
Existence d’une « culture » logistique dans
l’entreprise ?*
La logistique, fonction répartie ?*
Les opérations logistiques sont réalisées par ?*
Non
Plutôt non
Plutôt non
Plutôt non
Plutôt centralisée
Centralisée
Plutôt centralisée
Répartie
Service
logistique
Service
logistique et
autres acteurs
Plutôt service
logistique
Autres acteurs
(intra et
prestataires)
Identité de la logistique
Le logisticien est perçu comme un organisateur ?***
Plutôt oui
Oui
Oui
Plutôt oui
La logistique repose sur des règles et des procédures ?**
Plutôt oui
Oui +
Oui
Plutôt oui
La logistique repose sur la réalisation des tâches et des
objectifs ?***
Plutôt oui
Oui
Oui
Oui
La logistique repose sur une forte capacité
d’innovation ?**
Plutôt oui
Oui
Oui
Plutôt non
* P < 0,0001
** p < 0,001
*** p < 0,01
centralisée », placée en situation de pouvoir
négocier avec les autres fonctions, et identifiée comme le grand « chef d’orchestre » des
rythmes de l’ensemble de la circulation physique. Elle a une vocation opérationnelle
marquée (elle « fait » la logistique), avec
même une nette tendance hégémonique au
plan opérationnel. Le caractère délibéré de la
gestion des flux physiques se retrouve dans
l’importance du respect des règles et des procédures et l’idée que la logistique est une
fonction stratégique de conception, de contrôle, d’évaluation et de veille stratégique.
Dans ce deuxième groupe, seuls les logisti-
Vol. 8 – N°1, 2000
ciens, qui sont clairement les experts de la
gestion des flux, ont une culture logistique qui
n’est donc pas « diffusée » dans l’ensemble de
l’entreprise. La logistique est probablement
pour les entreprises de ce groupe une compétence « centrale », considérée comme cruciale, donc développée en interne et
capitalisée par des « experts ». Le fait de
« faire », plutôt que de « faire faire » la logistique, semble être important pour ces entreprises. La logistique mise en place par les
entreprises du groupe 2 est militante et
conquérante : elle s’affirme au sein de
l’organisation et centralise l’ensemble des
109
Logistique & Management
opérations logistiques. Elle prend cependant
le risque de s’enfermer et d’ériger des frontières aussi imperméables que les cloisonnements organisationnels contre lesquels se sont
battus ses champions. Ce statut de « grande
fonction centralisée » représente probablement pour certaines entreprises plus un
passage nécessaire qu’une situation organisationnelle définitive.
Le groupe 3 (réunissant 32 entreprises, soit
29 % de notre échantillon) est proche du
groupe 2, mais il s’en distingue par plusieurs
éléments qui nous font envisager une plus
grande maturité de la fonction. Comme pour
le groupe 2, celui-ci possède une logistique
officialisée dont le rôle stratégique est
reconnu, mais le caractère de grande fonction
centralisée et opérationnelle est ici nettement
moins marqué. Contrairement à la logistique
mise en place au sein des entreprises du
groupe 2, celle-ci n’est pas automatiquement
indépendante au sein de l’organisation, elle
n’a pas besoin de l’appui d’un champion, et
n’a pas besoin d’être plus « visible ». Deux
hypothèses peuvent être formulées pour expliquer ces éléments de divergence entre les
groupes 2 et 3. Tout d’abord, il serait envisageable que dans les entreprises du groupe 3 la
logistique, après une phase de militantisme et
de conquête organisationnelle (phase caractéristique du groupe 2), se soit « institutionnalisée ». Cette institutionnalisation a ainsi pu
contribuer à rendre la fonction moins agressive dans sa volonté d’exister, de s’affirmer et
d’être reconnue par la direction générale et les
autres fonctions de l’entreprise. La logistique
a peut-être aussi perçu le risque d’enfermement et de cloisonnement auquel peut
conduire la logistique telle qu’elle a été développée au sein des entreprises du groupe 2. En
ce sens, celle-ci cherche à mieux s’articuler
avec les autres fonctions dans une optique de
pilotage global et transversal des flux : il
semble d’ailleurs que la démarche logistique
y soit plus délibérée et consciente, avec
une logique d’optimisation globale et
d’innovation plus accentuée que dans les
entreprises du groupe 2. L’absence d’un
champion est intéressante car si celui-ci a
existé et a joué un rôle important dans le passé,
il apparaît aujourd’hui soit qu’il a été oublié,
soit qu’il est parti, soit qu’il ne se reconnaît
plus dans ce rôle. Une deuxième hypothèse
explicative de cette divergence entre les
groupes 2 et 3 renvoie à une situation organisationnelle où la logistique s’est imposée
d’elle-même et la direction générale lui a
« naturellement » donné les moyens de son
110
développement et de son institutionnalisation.
Dans ce cas, il n’a jamais été vraiment nécessaire de lutter pour faire reconnaître la logistique car chacun, au sein de l’entreprise, a eu
conscience de sa valeur ajoutée et de la nécessité de gérer les flux. Des entretiens approfondis permettraient probablement de montrer
que ces deux cas de figure cohabitent au sein
des entreprises du groupe 3.
Le groupe 4 (réunissant 15 entreprises, soit
13 % de notre échantillon) est celui qui est le
plus difficile à interpréter. Certains éléments
nous incitent à le rapprocher de la situation 1
de la typologie exploratoire, d’autres nous
suggèrent de le rapprocher des situations 4 et
5. Les éléments militant en faveur d’un rapprochement avec la situation 1 sont les suivants : de tous les groupes identifiés, la
logistique du groupe 4 apparaît comme la
moins officialisée, comme la démarche la plus
émergente et celle qui procède le plus par des
optimisations locales. Le plus frappant des
éléments est, comme pour la logistique du
groupe 1, la faiblesse du rôle stratégique
accordé à la logistique. Les éléments militant
en faveur d’un rapprochement avec les situations 4 et 5 sont les suivants : c’est une fonction très répartie au sein de l’organisation et la
logistique opérationnelle n’est pas l’exclusive
des logisticiens de l’entreprise ; les opérations
logistiques sont déléguées à d’autres acteurs
intra-organisationnels (par exemple production ou commercial) et/ou externes (comme
les prestataires logistiques) dans le cadre
d’une politique de sous-traitance et d’externalisation.
Une telle politique expliquerait pourquoi la
logistique dans ces entreprises n’est pas
perçue comme une grande fonction opérationnelle. Le constat de la distribution ou de la
répartition de la logistique dans ces entreprises appelle deux hypothèses. La première (qui
renvoie aux situations exploratoires 4 et 5) est
que la logistique a été délibérément distribuée. Cela suppose d’avoir étudié le rapport
coûts/avantages de « faire » ou « faire faire » la
logistique et surtout d’avoir réfléchi à une
répartition judicieuse des opérations logistiques et des responsabilités entre les acteurs
internes et externes de l’entreprise. La
seconde hypothèse (qui renvoie à la situation
1) est que ces entreprises ont fait faire la logistique faute de savoir la faire ou parce que c’est
la solution économique et organisationnelle la
plus simple aujourd’hui. Dans ce cas, nous
sommes en présence d’une logistique
d’intendance, plus subie que véritablement
gérée. En reprenant les résultats du tableau 1,
Vol. 8 – N°1, 2000
Logistique & Management
nous pouvons constater que les entreprises du
groupe 4 se retrouvent massivement (pour
73 % des entreprises) dans les 16 %
d’entreprises pour lesquelles le responsable
logistique ne participe pas au comité de direction et le plan stratégique ne comporte pas de
rubrique logistique. Le groupe 4 est aussi
celui pour lequel la capacité d’innovation est
jugée la moins importante. En synthèse, il
nous semble que ce groupe associe deux
populations radicalement différentes mais qui
se « manifestent » dans le cadre de notre
enquête par des comportements proches : une
population d’entreprises avec une logistique
« archaïque » (proche de la situation 1 de la
typologie exploratoire) et une autre avec une
logistique relativement développée mais
diluée (proche des situations exploratoires 4
et 5), la seconde étant probablement moins
nombreuse que la première.
Remarquons, en conclusion de ces résultats
concernant les places de la logistique dans les
organisations, qu’il est logique que notre
recherche empirique, qui ne montre que des
phénomènes statistiquement observables, ne
révèle pas les situations 5 et 6 de notre typologie exploratoire qui étaient plus prospectives qu’observées. De même, la situation 4
n’est probablement pas suffisamment généralisée pour « exister statistiquement » et former
un groupe à part entière. Le groupe 3 de notre
recherche empirique peut néanmoins apparaître comme une évolution de la situation 3
vers la situation 4. Ceci nous incite à renouveler la recherche dans un ou deux ans pour
mesurer l’évolution.
Conclusion
Cet article a présenté les principaux résultats
d’une recherche empirique s’intéressant à la
place de la fonction logistique dans les organisations. Elle nous a permis, après une phase
bibliographique et exploratoire, de produire,
grâce à une large enquête auprès d’entreprises
industrielles et commerciales, un premier état
des lieux des situations actuelles. Cette
recherche confirme d’une part que la logistique est désormais largement reconnue
comme « stratégique » et que les responsables
logistiques sont pleinement associés à des
décisions stratégiques qui dépassent le strict
cadre de la logistique. Elle confirme d’autre
part qu’il n’existe pas « une place » pour la
logistique mais bien « des » places puisque
quatre types de logistique ont émergé de
l’analyse des réponses à notre questionnaire.
Bien que la méthodologie retenue ne nous
Vol. 8 – N°1, 2000
permette pas de conclure sur ce point, il nous
semble que ces places correspondent à des
niveaux différents de maturité logistique.
Ces résultats nous encouragent à poursuivre
notre programme de recherche. Quatre voies
d’approfondissement nous semblent envisageables. La première consisterait à renouveler
cette enquête pour analyser empiriquement
l’évolution de la fonction. En effet, la méthodologie retenue pour cette première phase ne
permet que d’établir un état des lieux au
moment de l’enquête, pas de déceler les parcours d’évolution passés, ni de prédire leur
évolution avenir. Renouveler l’opération ne
permettrait
cependant
pas
d’étudier
l’évolution entreprise par entreprise, ce que
seules des études de cas longitudinales permettent de faire, mais d’un point de vue global : quels nouveaux types de situations se
dégagent 2 ou 3 ans plus tard.
La deuxième voie de recherche consisterait à
s’intéresser aux facteurs explicatifs de ces
situations logistiques. Pourquoi les entreprises ont telle ou telle logistique ? Telle serait la
question de recherche. Quels sont les déterminants de la place de la logistique : la recherche
de performances particulières (à définir et
mesurer), la structure du secteur d’activité (la
pression des partenaires amont et/ou aval),
l’ancienneté de la fonction dans l’entreprise,
les contraintes associées au marché (nature de
la « demande », l’exigence des donneurs
d’ordre…) voire des facteurs culturels ? Cette
deuxième voie pourrait aussi déboucher sur
des résultats à caractère prescriptif si l’on
s’intéresse plus au lien entre la place de la
logistique dans l’organisation et les performances de la logistique mais aussi de
l’entreprise dans son ensemble.
La troisième voie consisterait à rapprocher
nos résultats et les comparer aux résultats
obtenus dans le cadre d’autres recherches
empiriques récentes (notamment Dröge et
Germain, 1998) ainsi qu’en élargissant la
réflexion à d’autres fonctions transversales
(telles que la qualité, la veille technologique et
stratégique, les systèmes d’information…)
qui présentent des similitudes organisationnelles intéressantes. Ces comparatifs permettraient de déboucher sur des résultats d’une
portée plus générale.
Enfin, il nous semble indispensable de compléter cette recherche par des études de cas
approfondies. Le choix d’une méthodologie
quantitative, qui nous a permis d’établir un
état des lieux, ne permet pas de saisir toute la
complexité de la problématique et constitue
111
Logistique & Management
une limite à notre analyse. Nous souhaiterions
en particulier mieux étudier les aspects
formels et surtout informels caractérisant la
place de la logistique dans les organisations,
la nature des interfaces avec les autres fonctions de l’entreprise ainsi qu’avec les partenaires extérieurs, les principes de
coordination et de prise de décision. Nous
souhaiterions aussi mieux étudier les phénomènes de hiérarchies croisées et inversées
mises en évidence par Thomas (1999) ainsi
que la piste de la quasi-formal structure
évoquée § 2 dans l’encadré décrivant la situation 6 de notre typologie exploratoire.
Malgré les limites soulevées, l’éclairage
empirique qu’apporte cette première phase de
la recherche constitue selon nous une solide
base de travail pour poursuivre les recherches.
La logistique est un domaine fonctionnel relativement jeune, en plein développement et
vivant un changement permanent, il nous
semble utile d’accompagner ce développement par des recherches aidant à prendre du
recul par rapport à l’actualité et à l’activité au
quotidien.
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