Patrick TANGUY
Avril 2006
06/100
L'ÉCONOMIE RÉSIDENTIELLE :
un moteur du développement local ?
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Réflexions à partir de l'exemple du Finistère
Agence de DEveloppement et d'Urbanisme du Pays de Brest
Hôtel de Communauté – 24 rue Coat ar Gueven – 29200 Brest – Tél : 02 98 33 51 72 – Fax : 02 98 33 51 69
L’ÉCONOMIE RÉSIDENTIELLE : UN MOTEUR DU
DÉVELOPPEMENT LOCAL ?
REFLEXIONS A PARTIR DE L’EXEMPLE DU FINISTÈRE
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Patrick TANGUY
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Les moteurs du développement local
Pour favoriser la croissance économique et le bien-être des populations (par la qualité
de vie et la cohésion sociale), le développement local est souvent défini comme une
démarche partant du bas et privilégiant les ressources endogènes. Mais, cette stratégie
nécessite à long terme pour la réalisation des objectifs évoqués un apport de richesses de
l'extérieur. Il reste à en choisir les leviers de captation…
L'adaptation du tissu des entreprises à la mondialisation constitue peu ou prou la
préoccupation fondamentale des politiques de développement local. Sans remettre en cause
l'importance de «l'économie productive» soumise à la concurrence extérieure, l'un des
objectifs de notre propos est de mettre l'accent sur l'existence d'autres leviers de
développement local. L'économie d'un bassin repose également sur une économie
résidentielle (ou «présentielle»)
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, non directement soumise aux contraintes de la
mondialisation. Cette dernière est devenue un autre pilier du développement à l’échelle
locale grâce aux deux paramètres essentiels que sont aujourd’hui l’importance de l’économie
mixte et de la redistribution dans la composition des revenus des personnes d’une part, la
mobilité géographique des individus durant les périodes (croissantes) de temps libre d’autre
part.
Cette économie résidentielle met en œuvre d'autres atouts du territoire que ceux
vantés traditionnellement dans les approches économiques. L'analyse suggère alors le
caractère crucial, pour le développement socio-économique, du cadre de vie et de la qualité
de vie, entités complexes dont les contours restent à cerner précisément Néanmoins, il
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Cet article découle directement de l’étude réalisée avec Laurent DAVEZIES (Université Paris XII) pour le compte
du Conseil Général du Finistère et de Brest métropole océane. Elle a été publiée en 2005 aux Presses
universitaires de Rennes dans les actes d’un colloque qui eut lieu en 2003 sous l‘égide de l’Université de Bretagne
Occidentale et consacré aux «nouveaux facteurs d’attractivité dans le jeu de la mondialisation».
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Directeur d’études à l’ADEUPa (Agence de Développement et d’Urbanisme du Pays de Brest). L’auteur tient à
remercier HerTHOUEMENT (Directeur du Master «Ingénierie du veloppement des Territoires en mutation»,
Université de Bretagne occidentale) pour sa contribution.
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Le terme «d’économie résidentielle» est souvent employé pour évoquer la sphère de l’économie locale tournée
vers les ménages. Cependant, dans la littérature économique seules les activités tournées vers les particuliers et
pourvoyeuses de revenus extérieurs au bénéfice du territoire en font partie. Font par exemple vivre ce pan de
l’activité économique, les touristes, les retraités, les étudiants boursiers ou néo-résidants, …
L’économie résidentielle (ou «présentielle», terme emprunté à Ch. Terrier, Ministère du tourisme) comprend peu
d’activités spécifiques (hôtels, campings, ?) destinées aux titulaires de revenus exogènes. En revanche, ces
derniers utilisent l’éventail des services offerts localement, que ce soient les activités répondant aux besoins
courants des populations résidantes (boulangeries, cabinets de médecine, …) ou les services «métropolitains» à
la population (centre hospitalier universitaire, grande école ou université, scène culturelle nationale, grande
surface spécialisée,…). L’ensemble de ces activités constituent l’une des «bases» du développement territorial (en
référence à l’analyse de la «base économique»).
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ADEUPa de Brest –06/100 – Avril 2006
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faudrait se garder de considérer l’économie résidentielle comme la nouvelle panacée du
développement local (cf. infra).
La méthode de la "base" économique.
Comprendre ce qui fait le développement économique et social d'un territoire consiste
à comprendre ce qui y permet - ou y contrarie la dynamique de l'emploi, l'enrichissement
des ménages et leur distribution entre les ménages et les espaces, quelles qu'en soient les
modalités. Un modèle d'analyse existe depuis la moitié du XX
ème
siècle, avec Sombart, Hoyt,
North, … que connaissent bien les économistes urbains : la "théorie de la base".
Que nous dit cette théorie ? Simplement que le développement d'un territoire,
comme d'un ménage, ne dépend que des montants de revenus qu'il capte de l'extérieur. Ces
revenus captés sont la "base" du développement. Les secteurs qui les font rentrer dans le
territoire sont dits "basiques". La production de biens et de services marchands, pour autant
qu'ils soient exportés hors du lieu ils sont produits, n'est qu'une modalité parmi d'autres
de captation de ce revenu "basique". Il sera appelé basique productif. Les salaires publics,
les revenus sociaux, les pensions de retraites, le revenu des résidents "intermittents"
(touristes et résidents secondaires, résidents travaillant à l'extérieur, étudiants, …) sont
autant de revenus "basiques" non directement productifs pour le territoire étudié,
globalement appelés basiques "résidentiels".
L’économie n’étant qu’affaire de flux, le parti pris est le suivant : le recensement de
l’essentiel des revenus «basique consiste en un dénombrement aux «frontières» du
territoire comme le ferait un douanier, sans préjuger de l’utilisation qui en est faite
ultérieurement.
Ensuite, le revenu "basique" va stimuler le développement en suscitant la demande
locale pour des biens et services produits et fournis sur place par les boulangers, les femmes
de ménage, les médecins, employés communaux, etc. Ces activités, dont le développement
dépend d'abord du niveau de la demande locale, sont appelées "domestiques" et forme le
"secteur" domestique (cf. figure 1).
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Figure 1 - Schéma du développement local selon la théorie de la base
La situation paradoxale de l’économie du Finistère
Un rapide constat de la situation économique de la pointe de la Bretagne met en effet
en évidence une situation paradoxale. A beaucoup d'égards, son entrée dans le XXI
ème
siècle
devrait s'opérer sous des auspices plutôt préoccupants, alors même que les évolutions
observées sont plutôt satisfaisantes.
Elle se trouve confrontée à des difficultés d’ordre structurel dans ses secteurs
essentiels : l’agriculture et la pêche sont en crise et appellent des changements importants
(donc longs) dans les façons de produire. La construction - réparation navale militaire a
connu une réduction sensible de son activité depuis la fin de la guerre froide, certaines
activités électroniques confrontées à une mise en compétition mondiale sont menacées, mise
en compétition qui par ailleurs n'exclut plus les contrats de Défense Le tourisme aussi est
confronté à l'incertitude, tributaire de la qualité de l'environnement littoral (catastrophes
maritimes à répétition) et de la difficile compatibilité d'activités (question de la qualité de
l'eau, …). S'ajoute au risque d'altération de l'image de la région auprès des visiteurs
potentiels, le retard relatif pris par le secteur (professionnalisation insuffisante, qualité
d'hébergement perfectible,…).
Bien qu'elle possède des niches de compétences et une population bien formée, la
région a longtemps été spécialisée dans des industries de main-d'œuvre peu qualifiée ou
faiblement rémunérée.
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Pour nombre de spécialistes du développement local, la croissance aujourd'hui ne
serait portée que par les "emplois stratégiques" très qualifiés, c'est à dire dans les grandes
métropoles françaises et en premier lieu à Paris... La liste est longue des raisons de penser
que le Finistère porte bien son nom et serait, au regard du manuel du parfait développeur
local, peut-être bien "fini"…
Pourtant, on n'observe actuellement rien de tel. Certes, le Finistère change, mais
avec un résultat à bien des égards positif. Il fait preuve d’un relatif dynamisme dans la
période récente aussi bien en termes d’emploi qu’en termes d’évolution des revenus. Le
département fait partie des quinze départements les plus créateurs d’emploi dans la seconde
moitié de la précédente décennie. Les comparaisons ne doivent donc pas s’arrêter à Nantes
ou Rennes dont les départements respectifs ne constituent pas les repères témoignant d’une
situation moyenne. Dans la période écoulée, ils figuraient tout simplement au plan national
parmi les cinq départements obtenant les meilleurs résultats en la matière Entre 1986 et
1996, la zone d’emploi de Brest a connu en termes de revenu net imposable (par foyer
fiscal) l’une des évolutions les plus favorables de la vingtaine de zones d’emploi équivalentes
en taille (critère du nombre d'emplois). Seules Mulhouse (les travailleurs frontaliers y
contribuant de façon significative), Le Mans et Dijon connaissent une hausse plus soutenue
dans la période. Et si l'on retient la phase plus récente 1994-2000, une seule zone d'emploi
(Mulhouse) possède un rythme équivalent de hausse du revenu net imposable. Le niveau
qu’il atteint désormais place la région brestoise au milieu de ce groupe et au 3
ème
rang en
Bretagne (derrière Rennes et Vannes). D’autre part, la zone d’emploi de Quimper possède
toujours le revenu net moyen par habitant le plus élevé de Bretagne en 1996 comme en
1986 (source : INSEE 2000).
L’explication du paradoxe par l’apport de l’économie résidentielle
Comme nous le dit la théorie de la base économique, ce sont les revenus venus de
l’extérieur et captés par les Pays qui constituent le moteur de leur développement
économique et social. Pour donner un ordre de grandeur de l’apport de l’économie
résidentielle, il est donc fondamental de déterminer les grandes composantes des revenus
"basiques", c'est-à-dire d'origine exogène.
On a considéré que sur l’ensemble du revenu des ménages, étaient basiques : (i) les
revenus du secteur productif privé, agriculture comprise, issus de ventes à l’extérieur de
leurs bassins d’implantation (la «base productive»), (ii) les salaires publics (payé par l’Etat
ou par les collectivités locales dont l’essentiel des ressources sont des dotations de l’Etat ou
des ressources fiscales importées, (iii) les pensions de retraite et les dépenses des touristes,
(iv) les prestations sociales et (v) les revenus des capitaux mobiliers.
En revanche, ont été écartés de la base : (i) les revenus des activités privées
tournées vers le marché local, (ii) les revenus immobiliers et fonciers. Ils ont été considérés
comme revenus "domestiques".
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