T4 - L`Histoire antique des pays et des hommes de la Méditerranée

HISTOIRE DES LAGIDES
TOME QUATRIÈME. — LES INSTITUTIONS DE L’ÉGYPTE
PTOLÉMAÏQUE (suite et fin)
PAR AUGUSTE BOUCHÉ-LECLERCQ.
PROFESSEUR A LA FACULTÉ DES LETTRES DE PARIS - MEMBRE DE
L’INSTITUT.
PARIS - ERNEST LEROUX, ÉDITEUR – 1907.
AVERTISSEMENT.
CHAPITRE XXVII. — L’Armée.
§ I. - Le Recrutement. — § II. - La dotation de l’armée territoriale.§ III. - L’organisation et le
commandement. — § IV. - La Police. — § V. - La Marine.
CHAPITRE XXXVIII. — Le Droit.
Section A. - Le Droit civil. — § I. - Les personnes. — § II. - Les titres de propriété. § III. -
Contrats et créances.
Section B. - Le Droit pénal.
CHAPITRE XXIX. — La Juridiction.
§ I. — La juridiction civile. — § II. — La juridiction pénale et administrative.
AVERTISSEMENT.
Il est rare qu’un ouvrage de longue haleine garde les proportions que le plan
préalable de l’auteur lui avait assignées. Celui-ci ne fait pas exception à la règle.
Je n’avais songé tout d’abord qu’à étudier l’histoire des Ptolémées, sans me
préoccuper autrement des institutions, dont j’aurais donné un simple aperçu, en
manière de hors-d’œuvre. Les publications de documents papyrologiques, qui se
succèdent avec une merveilleuse rapidité, m’ont forcé à déplacer le centre de
gravité de l’ouvrage. Ce qui devait être un hors-d’œuvre est devenu partie
intégrante et même la plus importante d’un travail qui, réduit au plan primitif,
eût paru tronqué et insuffisant. Je puis bien avouer que, en présence de la masse
de matériaux à cribler et à mettre en œuvre, textes, commentaires et
monographies provisoires, j’ai été bien des fois tenté de m’arrêter dans ma
tâche, qui me laissait des regrets pour le chemin déjà parcouru et me menait par
des sentiers encore moins déblayés. Rencontrant, d’année en année, des
renseignements nouveaux que je n’avais pu utiliser en temps opportun, je
sentais qu’il était trop tôt pour faire œuvre durable, qui eût chance de ne pas
vieillir même avant d’être achevée.
On n’attend pas d’un auteur lassé par un travail si long et si minutieux, portant
sur des matières si dispersées, qu’il assume au dernier moment la tâche
impossible de condenser en quelques lignes les résultats de ses recherches. Ces
études m’ont rarement donné la satisfaction d’ajouter des notions définitivement
acquises à l’œuvre de mes devanciers ou même de fixer à coup sûr l’état actuel
de nos connaissances, état qui se modifie du jour au lendemain. Atteint ou non,
mon but a été d’exposer les institutions de l’époque ptolémaïque sans y mêler
celles des âges antérieur et postérieur, et cependant sans lei considérer comme
nées avec la nouvelle dynastie ou comme ne devant pas lui survivre. L’esprit
conservateur de la race nous étant un sûr garant de la continuité des traditions
et usages, il m’a paru utile de n’emprunter aux documents de l’époque
pharaonique que les comparaisons indispensables et d’éliminer à peu près
complètement les inductions rétrospectives tirées des textes de l’époque
romaine. En un mot, j’ai entendu faire œuvre d’historien, volontairement asservi
à la chronologie, et non de juriste suivant révolution des principes jusqu’à leurs
dernières conséquences. On s’apercevra assez, du reste, que le Droit est un
domaine où je ne me suis pas introduit de mon plein gré. Là plus encore
qu’ailleurs, il me semblait marcher à tâtons, avec ou sans guide, cheminant pour
ainsi dire dans une galerie creusée entre un sous-sol sondé au hasard par les
égyptologues et une couche supérieure, alluvion de l’époque impériale, que
j’entendais laisser intacte. Comme la presque totalité des monographies
juridiques font état de l’ensemble des documents, cette simplification, en
m’obligeant à vérifier les dates de toutes les preuves alléguées, a, en somme,
compliqué ma tâche.
Je ne suis pas porté à m’exagérer mon mérite, et ce n’est pas avec un sentiment
de complaisance que j’ai passé en revue mes quatre volumes avant d’y mettre le
point final. Pour les gens scrupuleux, un examen de conscience n’est jamais un
plaisir. Il suffit de dire que j’ai fait de mon mieux pour tenir le livre au courant,
réparer les erreurs ou combler les lacunes par des Additions et Corrections de la
dernière heure, et pour en rendre l’usage commode au moyen d’un Index
général analytique. On trouvera sans-doute ce répertoire assez copieur. Il eût pu
l’are davantage. Pour y faire entrer tout le nécessaire — un peu plus que
l’indispensable sans le dilater outre mesure, j’ai dei l’alléger de la majeure
partie des noms de particuliers disséminés dans nos papyrus et me contenter
aussi d’un choix limité pour les fonctionnaires. Enfin, tel qu’il est, construit avec
des pierres d’attente, j’espère que l’ouvrage pourra rendre quelques services à
ceux qui le feront oublier. Mon ambition ne va pas plus. loin. Je me tiendrai pour
satisfait si les critiques compétents estiment que les années employées à ce
labeur n’ont pas été du temps perdu.
Juillet 1907.
A. B
OUCHÉ
-L
ECLERCQ
.
CHAPITRE XXVII. — L’ARMÉE.
L’ancienne Égypte, pareille en cela à tous les États antiques, n’avait point
d’armée permanente, si l’on entend par des troupes toujours groupées et en
armes. Rome seule, pour garder les frontières de son vaste empire, s’est imposé
ce fardeau, qui, alourdi par l’habitude d’une défiance mutuelle, épuise
aujourd’hui les nations modernes et les rend incapables de panser leurs plaies
intérieures. Mais l’Égypte entretenait une milice qui constituait non pas une
caste, mais une classe à tendances héréditaires de guerriers toujours prêts à
répondre à l’appel du roi
1
. Le souverain avait à son service une garde de
mercenaires, étrangers pour la plupart, qui étaient des soldats de profession et
formaient le noyau permanent de l’armée active. Les miliciens ne recevaient
point de solde, mais des lots de terres dont ils avaient l’usufruit. On estimait au
Ve siècle avant notre ère, dit Maspero, que douze aroures de terre labourable
leur suffisaient amplement
2
, et la tradition attribuait au fabuleux Sésostris la loi
qui avait fixé leur dotation à ce taux
3
. Ils ne payaient aucune taxe, et on les
dispensait de la corvée durant le temps qu’ils passaient hors de chez eux en
service actif ; à cela près, ils encouraient les mêmes charges que le reste de la
population. Beaucoup d’entre eux n’avaient rien en dehors de leur fonds et y
menaient la vie précaire du fellah, cultivant, moissonnant, tirant l’eau et paissant
leurs bêtes dans l’intervalle de deux appels
4
. D’autres jouissaient d’une fortune
indépendante ; ils affermaient le fief à prix modéré
5
, et ce qu’ils en tiraient leur
arrivait en surcroît du revenu patrimonial. Comme ils auraient pu oublier les
conditions auxquelles ils tenaient ce domaine militaire et s’en considérer les
1
Sur l'organisation des milices égyptiennes au temps des Pharaons, voyez G. Maspero,
Études égyptiennes, II, pp. 35 sqq., Hist. anc., I, pp. 305-308. Journ. des Savants, 1897,
p. 17. Les miliciens s’appelaient monfitou, puis aouou, âhaoutti, les combattants ; les
hommes en service actif, mâshdou, c’est-à-dire les marcheurs ou piétons. Ahaouïti (de
ahaou, combattre) est l’équivalent exact du mot µαχιµος. Diodore (I, 54) parle de
620.000 fantassins, 24.000 cavaliers et 1.700 chefs au temps de Sésostris : il sait, du
reste, que le système pharaonique s’est continué, les cultivateurs en Égypte fournissant
des soldats (I, 28). D’après Révillout (Précis, pp. 41. 82 sqq.), ce système, essayé par
Ahmès Ier, abandonné par Thoutmès III, aurait été définitivement établi par Ramsès II.
Sur l’assimilation de Sésostris à Ramsès II on à un Ousirtasen ou Senwosret, de la XIIe
dynastie, voyez G. Maspero (La Geste de Sésostris, Journ. des Savants, 1901, pp. 593-
609, 665-683), qui relègue dans la légende Sésostris, fabriqué avec les surnoms (Ssts)
de Ramsès II et Ramsès III.
2
Hérodote, II, 141. Le κλήρος contenait donc 3 hectares 1/3. Maspero fait observer que
ces fiefs militaires étaient presque triples, par l'étendue, des abadiehs reconnues
suffisantes, dans l’Égypte moderne, pour nourrir toute une famille de paysans... A
l’effectif de 410.000 hommes, chiffre donné par Hérodote (II, 162-166), les µάχιµοι
auraient possédé près de la moitié du sol.
3
Diodore, I, 51. 73. 93. Cf. Aristote, Polit., VIII, 2, 4.
4
Maspero se réfère ici au papyrus 63 du Louvre, de l’époque ptolémaïque (164 a. C.).
c’est-à-dire qu’il admet la continui du régime ; postulat discutable, car les Lagides,
défiants à l’égard des Égyptiens, n’ont pas trai les miliciens indigènes comme les
étrangers. Ceux-ci pouvaient obtenir des lots de 100 amures, tandis que les µάχιµοι
égyptiens étaient mis à la portion congrue de 5 à 7 aroures. De même, les Lagides se
sont bien gardés de transplanter annuellement ces soldats, qu’ils voulaient, au contraire,
attacher à la glèbe.
5
Diodore, I, 74.
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