faire’’ de gouvernement initialement élaborés et mis en œuvre en « situation coloniale » –
repose de manière aigüe celle de la spécificité du colonial. Pour rapporter telle pratique
administrative discriminatoire ou telle imagerie racialiste stigmatisante à une même « matrice
coloniale », encore convient-il de pouvoir mesurer sa part précise de raison coloniale. C’est
autour de cette interrogation généalogique que s’est noué le débat, souvent plus militant
qu’académique, sur la « République coloniale28 ». Le problème, tel qu’il est posé par les
initiateurs dudit débat, est de savoir si le vers colonial était, dès le début, dans le fruit
républicain – autrement dit de déterminer dans quelle mesure la forme républicaine d’Etat et
de gouvernement instituée au fil de la période 1875-1914 avait partie liée – idéologiquement
autant qu’institutionnellement ou économiquement – avec le principe pratique de l’expansion
impériale. Nous nous bornerons ici, faute de place et par souci d’éviter la redite29, à énumérer
quelques-unes des principales objections avancées à l’encontre de la thèse de l’adhérence
naturelle du colonial au républicain, et ce non pas par désir de proroger une polémique plus
militante que scientifique, mais à seule fin d’extraire des débats quelques pistes de réflexion
immédiatement utiles à notre réflexion collective sur l’étude des situations impériales.
La colonisation en débat
A une hypothèse « continuiste » trop souvent devenue pétition de principe, un certain
nombre d’auteurs opposent des arguments d’ordre proprement historique30. Tout d’abord,
l’expansion impériale française de l’âge moderne a des racines monarchiques anciennes. Sans
remonter même jusqu’au rêve d’Henri IV puis de Louis XIII de doter le Royaume d’une
Compagnie française des Indes capable de rivaliser avec l’East India Company ou la VOC
néerlandaise31, force est de constater que la Monarchie de Juillet n’a pas été en reste dans la
28 Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et Françoise Vergès, La République coloniale, Paris, Hachette, 2006. Afin
de rendre justice aux auteurs, il convient de souligner que le théorème continuiste de la « République coloniale »
est désormais plus affaire d’usages et de mésusages militants que d’une appropriation strictement universitaire.
29 Voir notre contribution à J.-F. Bayart et al., Legs colonial et gouvernance contemporaine : volume 1, Paris,
FASOPO-AFD, 2005.
30 La critique des historiens s’est en particulier centrée sur l’ouvrage d’Olivier Lecour-Grandmaison, Coloniser,
exterminer. Sur la guerre et l’Etat colonial, Paris, Fayard, 2005 – qui, sans se référer directement à la thèse de la
« République coloniale », en pousse néanmoins la dynamique polémique à l’extrême en suggérant une continuité
directe entre les pratiques coloniales de violence propres à la conquête de l’Algérie dans les années 1830 et les
dispositifs de discrimination raciale et d’extermination du Reich nazi. Consulter notamment Gilbert Meynier et
Pierre Vidal-Naquet, « Coloniser, exterminer : de vérités bonnes à dire à l’art de la simplification idéologique »,
Esprit, décembre 2005, pp. 162-177, et Emmanuelle Saada, compte-rendu critique de Coloniser, exterminer paru
dans Critique internationale, n° 32, juillet-septembre 2006.
31 On trouvera une présentation complète des projets de Compagnie des Indes d’Henri IV et de Louis XIII dans
l’ouvrage apologétique d’Octave J.-A. Collet, L’île de Java sous la domination française. Essai sur la politique
coloniale de la monarchie et de l’empire dans la Malaisie archipélagique, Paris, Falk, 1910.