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Réalité ancienne et désignation tardive
A ses origines, le tasawwuf est sans nom. Cela explique non seulement la difficulté
de le distinguer de l’islam mais également de dater son apparition historique. A ce sujet une
figure soufie majeure du X
e
siècle écrit : « Le soufisme était auparavant une réalité sans
nom ; il est maintenant un nom sans réalité. » Outre l’idée que la réalité a précédé le nom
donné à la dite réalité, cette sentence laisse également entendre que la qualité de soufi
renvoie moins aux apparences extérieures ou à une étiquette, qu’à une attitude intérieure,
faite d’exigence et de sincérité. A ce sujet une catégorie de spirituels de l’islam, qu’on a
désigné sous le vocable de malamati (« les gens du blâme »), ont délibérément choisi de
refléter extérieurement la réalité inverse de leur état intérieur. Il s’agissait alors pour ces
malamati de ne laisser transparaitre d’eux mêmes, et pour ainsi dire, aucune « odeur de
sainteté ». Pour le Cheikh Ibn ‘Arabi (m. 1240), considéré comme le plus grand des maîtres
soufi (Shaykh al-akbar), ce type spirituel est le plus élevé qu’il puisse être.
C’est donc au IX
e
siècle que le soufisme prend forme et commence progressivement
à se doter d’une doctrine et d’une structure initiatique. Cette codification, qui concerne
également les autres sciences religieuses, va permettre d’assurer la transmission de cette
science dite « de l’intérieur » (‘ilm al-bâtin) qui se distingue de la « science de l’extérieur »
(‘ilm al-zâhir). Par la suite la « visibilité » du soufisme va s’affirmer avec l’apparition des
premières confréries organisées. Elles sont fondées sur la filiation spirituelle, matérialisée
par une chaîne initiatique (silsila), qui de maitre en maitre remontent jusqu’au prophète
Muhammad, et sur la relation de maître à disciple qui garantit la transmission de la baraka
(« influx spirituel »). Notons que comme tous les rituels soufis, cette allégeance spirituelle
(bay‘a) repose sur un modèle d’un événement relaté dans le Coran
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.
La Voie soufie (tarîqa) qui est une à l’origine va au cours de l’histoire suivre un
processus de ramification. Ces turuq (pluriel de tarîqa), ou confréries, vont être désignées
du nom de leur fondateur éponyme. La tarîqa Shadhiliyya par exemple tire son nom de son
fondateur Sidi Abû l-Hasan al-Shâdhilî (m. 1258). Ce nom est quelquefois complété par
celui d’une figure majeure de la chaine initiatique considéré comme l’artisan d’une
revivification. C’est le cas, par exemple, de la tarîqa shadhiliyya-darqawiyya, dont le
« revivificateur », Mulay al-‘Arbi al-Darqawi (m. 1824), a vu son nom ajouté à celui de son
fondateur initial.
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A la suite de la trêve dite de d’Hudaybiyah, une majorité de compagnons ont renouvelé le pacte d’allégeance avec le
Prophète : Cf Cor. 48 : 10.