17
ailleurs compréhensible en raison des conditions de la collecte de l’information, handicape son
utilisation postérieure.
Quant au questionnaire proposé, il reste fidèle à l’esprit de la géographie vidalienne. Il s’organise en
trois parties complémentaires : la première est réservée à l’habitation, sa désignation et sa
morphologie générale, ses fonctions et ses usagers. Le deuxième point est consacré à
l’agglomération, à travers la forme de la concentration des maisons (groupement, dispersion) ou
encore l’organisation spatiale du village. En dernier, un troisième volet, à vocation analytique,
essaie d’expliquer les formes d’habitation, l’implantation et le mode de groupement du village en
fonction des conditions naturelles, sociales et économiques35. Aussi bien dans sa démarche
méthodologique que dans ses fondements théoriques, ce travail rappelle une enquête menée en
France sur la maison rurale, sous la houlette de G.H. Rivière, et dont le questionnaire nous est
connu grâce à un dossier synthétique composé par A. Soboul36.
• L’ethnographie et l’ethnologie. De toutes les sciences humaines, l’ethnographie et l’ethnologie
étaient les plus liées à l’aventure coloniale. Au Maroc, cette relation variait en fonction des
régions et des étapes de la conquête. Dans le Haut Atlas, l’Anti Atlas et le Sous, le savoir
ethnographique précéda l’action militaire qui fut de la sorte encadrée par les autorités politiques
fortes d’une connaissance préalable du terrain37. Au Moyen Atlas, la situation était bien
différente : outre la méconnaissance du terrain, les militaires français s’étaient heurtés à une
résistance farouche, ce qui engendra un changement continu des stratégies militaires en vue de
la domination de cette région. Progressivement, l’action conjointe entre connaissance et
pénétration militaire tendait à se compliquer, surtout après la constitution de deux courants
d’approche ethnographique. Le premier, qu’on qualifie d’ethnographie empirique ou
d’ethnographie sur le tas38, faisait de la notice de renseignement l’instrument principal d’une
connaissance du terrain, destinée directement à modeler et orienter l’action militaire. Le second
courant, celui de l’ethnographie scientifique, que représente la revue Hespéris, est
principalement motivé par des considérations d’ordre universitaire39. Mais malgré cette
contingence, les limites entre les uns et les autres étaient largement perméables, et certains
stéréotypes et fondements idéologiques, qui servaient de justification théorique à la
colonisation, se retrouvent dans l’un comme dans l’autre.
Ethnographes et ethnologues de l’époque coloniale ont certainement fourni les meilleures études
dont on dispose sur l’habitat rural au Maroc. L’œuvre d’E. Laoust, avec son étude magistrale sur
l’habitat des transhumants du Maroc central, est emblématique de cet apport. Outre la minutie de
ses descriptions et la grande étendue géographique de ses investigations, ses recherches se
35 Ibid., p. 70.
36 A. SOBOUL, La maison rurale française, Paris, 1995 (1e éd. 1955), p. 125-137. La méthode du questionnaire était
également adoptée pour d’importantes études ethnographiques, telle l’enquête de R. Maunier sur la construction
collective en Kabylie. L’auteur en précise les raisons dans l’introduction de son travail : « Par défaut de temps et de
moyens, l’enquête personnelle ne pouvait suffire. J’ai donc dû l’achever par une enquête indirecte, ou enquête par
questionnaire. J’ai établi, après une première exploration, un questionnaire sur l’habitation kabyle, auquel ont eu à
répondre les instituteurs français et kabyles résidant dans les villages ». R. MAUNIER, La construction collective de
la maison en Kabylie, Paris, 1926, p. 6
37 D. RIVET, « Ethnographie et conquête du Moyen Atlas : 1912-1931 », D. NORDMAN et J.-P. RAISON, Sciences de
l’homme et conquête coloniale. Constitution et usages des sciences humaines en Afrique (XIXe-XXe), Paris, 1980, p.
159-179, (p. 159).
38 D. PROVANSAL, « Etnologues "sur le tas" o la etnologia de expresion francesa en el Magreb », A. RAMIREZ et B.
LOPEZ GARCIA (éds.), Antropologia y antropologos en Marruecos, Barcelone, 2002, p. 171-185.
39 D. RIVET, « Ethnographie et conquête du Moyen Atlas : 1912-1931 », p. 165.