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La foi est-elle irrationnelle ?
Paul Clavier, professeur agrégé de philosophie à l’ENS
Conférence organisée par la Communauté Chrétienne de l’Ecole Polytechnique
5 novembre 2009
La croyance en Jésus-Christ n’est pas une inférence nécessaire à partir de prémisses
rationnelles. Mais Dieu ne nous prend pas pour autant pour des imbéciles. Il nous donne les
moyens de lire la cohérence de son projet pour l’humanité.
La question centrale est celle de la mise en cohérence de la raison et de la foi. Leur
cohabitation est non seulement possible mais indispensable.
Il y a une tendance à opposer croyance et rationalité. Ce qui je crois, je ne le sais pas
et ce que je sais, je n’ai pas besoin de le croire. Au mieux, on les juxtapose ; au pire, on les
oppose. On considère alors que la croyance commence là où la rationalité s’arrête. C’est une
division du travail qui nous arrange bien.
Dès l’Antiquité, Tacite estime que la piété est une affaire de croyance. Saint Augustin
va jusqu’à dire que Dieu est mieux connu quand il n’est pas connu. Le rapport à Dieu est
alors de l’ordre de la métaconnaissance. L’idée sous-jacente à cette pensée est que Dieu est
incompréhensible. Ainsi, si l’on comprend lorsqu’on parle de Dieu, c’est que ce n’est pas
Dieu. Le problème est qu’on en arrive alors à ne plus parler de Dieu.
Saint Jean Chrysostome évoque lui aussi l’incompréhensibilité de Dieu. Quant à
Pascal, il considère que la preuve métaphysique de l’existence de Dieu est absurde. C’est
parce que les preuves manquent que la foi a du sens. Il y a chez Pascal une forme de
provocation contre l’hégémonie rationaliste de l’époque de Descartes. Le Mémorial de
Pascal est le témoignage d’une grande effusion mystique. Il parle du Dieu d’Abraham, d’Isaac
et de Jacob, non des philosophes et des savants. Dieu n’est donc pas une pure abstraction de
l’esprit. Le problème est alors celui du rapport entre Dieu comme cause première du monde
et Dieu comme source du salut de l’humanité.
Kierkegaard sert également clairement l’option de l’irrationalité de la croyance. La
question de l’existence de Dieu est une vraie question à laquelle la majorité de nos
contemporains apportent une réponse négative. Chez Pascal, on trouve des expressions
emblématiques du divorce entre foi et raison : « C’est le cœur qui sent Dieu, non la raison » ;
« Dieu est sensible au cœur, non à la raison » ; « Le cœur a ses raisons que la raison ignore ».
Une telle pensée amène à scinder l’être humain en deux, entre ce que je sais et ce que je
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crois. Cela revient à mener une vie de schizophrène, avec d’une part un cœur croyant et
d’autre part une raison athée.
On peut considérer dans un premier temps que c’est une situation très confortable.
En réalité, c’est un piège. Il est essentiel d’unifier nos différentes facultés. Pour cela, il faut
en finir avec une polarisation tantôt positiviste, tantôt intérioriste. L’idée que la Créateur
nous aurait donné deux facultés qui ne sont pas en cohérence (et peuvent même être
antagonistes) n’est pas recevable. La question de l’existence de Dieu n’est pas purement
subjective.
Dans Oscar et la dame en rose d’Eric Emmanuel Schmitt, la dame en rose dit à Oscar
de faire exister Dieu : « Chaque fois que tu croiras en lui, Il existera un peu plus ». Dieu est
alors considéré comme de l’autosuggestion. On rejoint ainsi la vision psychanalytique selon
laquelle Dieu est le produit des angoisses de l’homme. On est alors dans le domaine du
subjectivisme théologique qui fait de la croyance en Dieu une méthode Cauet, un effet
Placebo. Comment Dieu pourrait-il alors nous sauver ?
On trouve également dans Les Bas-Fonds de Maxime Gorki : « Si tu crois en lui, Il
existe ; si tu n’y crois pas, Il n’existe pas ». L’existence de Dieu dépend alors de ma foi.
Baudelaire en vient à dire : « Dieu est le seul être qui n’a pas besoin d’exister pour
gouverner ». On finit par entrer dans un schéma de punition et de régulation sociale. Dès
lors, à quoi bon prier un dieu que l’on a fabriqué ? Croire suppose que l’on croie à une vérité.
Notre raison doit être mise au service de Celui qui nous a fait pour l’amour. Dans les
Méditations métaphysiques, Descartes affirme que « je suis, j’existe » est la première réalité
que l’on peut connaître et il est beau de voir que c’est la définition même de Dieu.
Il y a toujours des raisons de croire. Cela ne veut pas dire qu’un acte de foi soit déduit
de raisons mais il faut croire que cet état de choses est possible, même s’il ne l’est pas
humainement. Les enfants ont des raisons de croire au Père Noël. On peut avoir des raisons
de croire aux fantômes. Ainsi, nos croyances ne sont pas des autosuggestions déconnectées
de nos perceptions. On ne peut pas croire à volonté. Nos croyances dépendent
nécessairement d’un certain nombre de facteurs liés à notre expérience et à celle des autres.
Peut-on penser être le fabriquant de soi-même, ne rien devoir à personne ? Le fait
d’être n’est-il pas fondamentalement se recevoir de l’autre ? Cette interrogation habite la
pensée de Saint Augustin. A la question : « A qui devons-nous d’être ? », Saint Pierre
répond : « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? ».
Chez Pascal, on trouve la stratégie du pari. Or un pari suppose une entité sur laquelle
on parie. Il faut connaître les possibilités de pari. Ainsi, l’acte de foi n’est pas un saut dans le
vide. Saint Pierre affirme : « Je sais en qui j’ai mis ma confiance ». L’acte de foi suppose un
minimum de connaissances. Les raisons de croire nous encouragent dans notre
cheminement. « Le secours nous vient du Seigneur qui a fait le ciel et la terre » (psaume).
Il y a donc un acte humble de l’intelligence à poser : nous devons notre existence à
quelqu’un. Dans le deuxième livre des Macchabées au chapitre 7, on trouve l’affirmation
suivante : « Si quelqu’un peut me sauver, c’est celui à qui je dois l’existence ». Dieu nous a
fait de rien. Si nous tombons dans le néant, Lui seul peut nous en tirer. L’exemple d’un
cardinal chinois ayant vécu 22 ans d’incarcération dans la solitude la plus totale peut nous
éclairer à cet égard. La seule chose qui lui a été donné en prison, c’était une branche d’arbre
qui passait à travers l’ouverture de sa cellule. La présence de la Création a ainsi été le seul
réconfort qui lui a permis de tenir pendant 22 ans. Dieu est à l’œuvre.
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Le monde existe-t-il par lui-même ou par la volonté d’un autre ? Pascal considère que
« la raison ne nous soumettrait jamais si elle ne jugeait qu’il y a des occasions elle doit se
soumettre ». L’acte de foi ne doit pas être remplacé par un calcul. L’encyclique Fides et Ratio
affirme par ailleurs que « la foi et la raison sont les deux ailes qui permettent ç l’esprit
humain de s’élever vers la contemplation de la vérité ». Voler avec une seule aile, c’est
tourner en rond. Il faut qu’il y ait à la fois le gouvernail de la raison et l’élan de la foi. Leur
complémentarité est nécessaire : « La foi privée de la raison a mis l’accent sur le sentiment
et l’expérience encourt le risque de ne plus être une proposition vraie ». Le danger est alors
celui du mythe et de la superstition. « La connaissance naturelle de Dieu est un présupposé
nécessaire pour accueillir l’existence de Dieu ». Pour Descartes, si l’on sépare la foi et la
raison, on tourne en rond. On en arrive à dire qu’il faut croire qu’il y a un Dieu parce que
c’est ainsi dans les Saintes Ecritures, et qu’il faut croire les Saintes Ecritures parce qu’elles
viennent de Dieu. Il est impératif de tirer les gens de la superstition et du mythe.
Quels sont les canons du Catéchisme de l’Eglise Catholique sur foi et raison ? La
raison est présentée comme une condition pour accueillir la foi : « Dieu peut être connu avec
certitude par la lumière de la raison humaine sur les choses créées ». Sans cette capacité,
l’homme ne pourrait atteindre la Révélation. L’Eglise a confiance en la possibilité de parler
de Dieu à tous les hommes, d’où le dialogue avec les autres religions, la philosophie, les
sciences. Rendre raison ne s’oppose pas à rendre grâce. La vie des saints en est un argument
particulièrement parlant.
Nous pouvons nous appuyer sur trois exemples de la coopération entre raison et foi.
Considérons tout d’abord le sacrifice d’Isaac que Dieu demande à Abraham. Si
Abraham n’était pas sûr de l’existence de Dieu, Abraham serait un assassin. Mais il a toutes
les raisons de croire en Dieu qui lui a donné un fils dans sa vieillesse et a ainsi mis la vie
était la mort. Dans l’épitre aux Hébreux, Saint Paul rappelle qu’Abraham pensait que la
puissance de Dieu pouvait aller jusqu’à la résurrection des morts.
Le deuxième exemple qui peut être mis en avant pour illustrer la complémentarité de
la foi et de la raison est l’Annonciation. Marie est « comblée de grâces » mais elle
s’interroge : « Comment cela va-t-il se faire puisque je ne connais pas d’homme ? ». Marie
exerce sa raison et fait preuve de bon sens. Alors l’ange lui explique. Ce n’est pas totalement
rationnel mais ce n’est pas irrationnel non plus. L’ange évoque le signe de la grossesse
d’Elisabeth. Sa parole vient du maître de la vie. Marie assume sa nature humaine. Suite à
l’explication de l’ange, elle déclare : « Je suis la servante du Seigneur ».
Nous pouvons enfin regarder la Christ qui nous invite sans cesse à nous replacer dans
la perspective du Dieu créateur : « Regardez les lys dans les champs ». Pédagogiquement, le
Christ donne des signes. La réaction de ses auditeurs est alors la suivante : « Qui est cet
homme pour que même le vent et la mer lui obéissent ? ».
Dieu ne nous a pas laissé sans motifs de crédibilité.
* * *
Croire en un Créateur est un saut que beaucoup ne font pas. Nous devons avoir de
l’humilité vis-à-vis des autres en souvenir de nos propres lenteurs. Il faut prendre conscience
qu’une chose ne peut pas exister par soi-même. Ne peut être considérée comme auto-
existant que ce qui est éternel. Je ne suis pas éternel donc je ne suis pas auto-existant.
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Vouloir exister par soi-même relève de l’orgueil qui peut être lié à une blessure. C’est
souvent le cas avec des personnes qui ont beaucoup souffert et qui ne veulent plus rien
devoir à personne. Il est en effet difficile dans ces conditions de reconnaître que l’existence
est un don. Il peut également y avoir, derrière le refus de reconnaître un père des cieux, un
rapport compliqué à la paternité. Dieu partage tellement avec l’homme qu’Il accepte que
l’image de la paternité divine soit remise entre les mains des hommes.
Pourquoi croire au Dieu des chrétiens plutôt qu’à d’autres puissances ? C’est tout
l’enjeu de la théologie des religions. Il est clair que la relation d’un être humain avec le
Seigneur est marquée par la religion qui lui est accessible. C’est le poids de l’héritage. Il y a
aussi l’idée qu’on devrait pouvoir rechercher des motifs de crédibilité. Ainsi, j’ai plus de
raison de croire en un Dieu qui me demande d’aimer mon prochain qu’en un dieu qui me
demande de détruire les infidèles. Il y a confusion entre le sir de puissance de l’homme
et le dessein de Dieu lié au respect de toute vie humaine.
L’être humain a le devoir de chercher la vérité, bien qu’il y ait une inertie liée aux
configurations socio-historiques. Le précepte de charité se retrouve dans plusieurs religions.
Ainsi, dans l’Islam, être mendiant n’est pas déshonorant. Il convient de s’approcher du projet
de Dieu, même sur plusieurs années, générations voire siècles. Toutes les religions ne se
valent pas. Saint Pierre affirme qu’on ne peut être sauvé que par le nom de Jésus-Christ, fils
du Dieu vivant. Ce qui est certain, c’est que celui qui cherche Dieu d’un cœur droit est dans
le cœur de Dieu. Aussi l’expression « hors de l’Eglise, point de salut » est à comprendre au
sens le plus large d’Eglise.
La pluralité des religions demeure une véritable énigme. C’est à la foi un vrai
problème et un beau chantier. La foi en Jésus-Christ est appelée à être universelle. Elle n’est
pas majoritaire mais tout homme en est capable. La vérité n’est pas une mosaïque
condamnée à être éparpillée mais l’unité est possible, selon le vœu même du Christ : « Que
tous soient un ». Il y a aussi cette grande promesse qui est l’intuition de la Jérusalem
céleste : en Abraham, toutes les nations honoreront le Créateur.
Les miracles ne remettent pas en cause la rationalité de la foi. Le buisson ardent n’est
pas un effet naturel. Il a une cause surnaturelle et est l’œuvre du maître de la nature.
L’image est très belle : c’est celle d’un feu sans destruction. Pour Pascal, les miracles sont
des indices du surnaturel, ce qui ne veut pas dire qu’ils sont irrationnels au sens où ils
seraient faux, issus d’un mauvais raisonnement. Moïse est finalement un grand rationaliste…
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