Coordination Nationale de la Formation Continuée du moyen-secondaire, Universités de vacances de Thiès (31 mars-05 avril 2003) sur la
didactique de la philosophie / Louis-Roi-Boniface Attolodé, De l’approche de quelques notions du programme
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DE L’APPROCHE DE QUELQUES
NOTIONS DU PROGRAMME
Par Louis-Roi-Boniface Attolodé
Coordonnateur Pédagogique
National de Philosophie
CNFC
Dans un article de la Revue de l’Enseignement Philosophique, François Vezin, alors
professeur au lycée Honoré de Balzac de Paris, notait ce qui suit. «A la question posée : de
quoi faut-il parler en philosophie, c’est-à-dire en classe terminale, puisqu’il s’agit surtout
d’elle, je crois simple et précis de répondre : il faut qu’on y parle uniquement de philosophie.
Le programme des enseignements dits de philosophie, c’est la philosophie elle-même. A quoi
bon en dire plus.»1
L’intention avouée est alors de récuser l’insertion de «problèmes d’actualité», de
«sociologie», de «psychologie», des «sciences politiques» et autres.
L’on peut comprendre que cela ait quelque résonance pour nous, compte tenu du
contenu de notre programme d’enseignement qui, depuis la réforme de 1979, fait une part
importante à des questions dont le caractère philosophique est, à bien des égards, douteux.
Leur suppression était d’ailleurs un axe important de la proposition d’allègement faite, au
séminaire de Rufisque de décembre 1982, par les professeurs de philosophie, mais qui n’a
malheureusement pas été retenue. La réécriture du programme suivant la technique de la
pédagogie par objectifs aura permis de les réduire même s’il en demeure.
Cela n’est finalement pas si grave si l’on ne perd jamais de vue la philosophie elle-
même dans la manière d’aborder des notions qui ne seraient pas frontalement philosophiques.
Autrement dit, la question est moins de dire que le thème retenu relève de la sociologie, de la
psychologie, etc., et par conséquent qu’il faudrait se faire spécialiste de ces disciplines le
temps d’une leçon, ce qui ne se ferait qu’avec beaucoup de superficialité, que de réussir à
ouvrir à la réflexion proprement philosophique de par le mode d’investigation.
1 François Vezin, Remarques sur la question du «programme» de philosophie, Revue de l’Enseignement
Philosophique, 20ème Année – Numéro 3, Février-Mars 1970, p. 12.
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C’est dire que si nous sommes fermement partisans d’une programmation strictement
philosophique dans les thèmes, en ayant en regard plusieurs indications que nous lègue la
tradition, à l’image de Schelling qui affirme que «le meilleur programme d’une vie consacrée
à la philosophie consisterait à commencer par Platon pour finir par Aristote»2, ou encore de
Hegel, récusant Kant qui, à ses yeux, «a donné béatement dans le panneau selon lequel on
apprend non la philosophie mais à philosopher, comme si quelqu’un apprenait à «tabler» et
non à faire une table, une chaise, une porte, un banc, etc3, il ne s’agit plus pour nous de
chercher à épurer notre programme mais de préconiser un mode de traitement qui permette de
faire véritablement, avec et sur lui, de la philosophie, selon l’objectif dévolu à la classe de
philosophie : ouvrir à ce type déterminé de réflexion qu’est la philosophie.
Se superposent alors, à la manière d’une combinatoire, pour nous, deux dimensions
que Vezin s’est soucié de sérier en considérant que la «question qui nous occupe n’est pas de
savoir comment on parle de philosophie mais de quoi on parle dans une classe de
philosophie.»4.
Partant, en effet, du donné que constitue un programme gênant pour un puriste qui ne
voudrait y retrouver que des notions propres à la philosophie, il s’agit, par le biais de quelques
exemples, de montrer que la préparation à la réflexion philosophique demeure possible,
notamment si la philosophie elle-même est la source nourricière de la conception du cours qui
porterait sur ces thèmes, en l’occurrence du «domaine de la vie sociale» de notre programme,
peu avenants pour le philosophe de métier. Car, et ce n’est jamais à oublier, le professeur «a
pour tâche de mettre les élèves en présence de la philosophie.» D’ailleurs, il doit,
précisément, «dans ce but, s’effacer le plus possible devant elle5 Reste à savoir comment y
réussir.
Certainement par un constant recours au legs de la tradition philosophique, à son
histoire ; certes non pas pour en faire défiler les systèmes et perspectives, mais pour y puiser
les ressources nécessaires à une inspiration idoine, parce qu’offrant les arguments d’une
recherche à poursuivre, donc les aliments d’une réflexion à prolonger sous les auspices de
notre contemporanéité.
2 Introduction à la Philosophie de la Mythologie, 16ème Leçon, Ed. Aubier, t. II, p. 144. Cité par Vezin.
3 J. Hoffmeister : Dokumente zu Hegels Entwicklung, p. 371 ; aphorismes du temps d’IENA 69. Cité par Vézin.
4 Vezin, op. cit., p. 13.
5 Ibid.
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Assurément, on y réussit aussi de par la manière de faire. La réflexion
philosophique n’est, en effet, jamais que quête de fondement, au double sens de la fondation
et de la raison d’être, qui vise à donner sens, et signification et direction, de par son mode
d’investigation privilégié : pourquoi ? Dans sa forme générique, pourquoi ? est englobant,
mais il se prête aussi à un dédoublement étant, d’une part, visée du mouvement originel
d’émergence (pourquoi ?) et, de l’autre, quête de l’objectif, du but, de la fin (pour quoi ?). On
comprend alors que les deux sens du pourquoi ? ouvrent aux deux dimensions du fondement
et permettent de rencontrer les deux modalités du sens.
Appliquer la question du pourquoi à tout thème, à toute notion du programme est
alors la voie royale pour initier proprement à la philosophie même lorsque le libellé du
programme peut paraître ou s’avérer insatisfaisant pour le puriste.
Les intitulés «individu et société» ou «l’idée de norme», par exemple, se verraient,
comme thèmes, mieux dans un programme de sociologie, mais se pensent aussi
philosophiquement. Dans le premier registre, il s’agirait de décrire les modes de rapport,
d’imbrication, qui importent peu au philosophe soucieux, à l’image d’Alain, d’en fixer les
fondements. En atteste cet extrait.
Etat de solidarité, en partie naturelle, en partie voulue, avec un groupe de nos
semblables. Le lien de société est en partie de fait et non choisi, en partie imposé, en
partie choisi ou confirmé par la volonté. Tous les paradoxes de la vie en société
résultent de ce mélange, et l’on ne peut pas nommer société une association qui n’a
pas une part de hasard et une part d’amitié. Le contrat social ne fait jamais que
reprendre volontairement ce qui est subi comme ce qui est aimé. Les sociétés fondées
sur un contrat ne sont pas de véritables sociétés. Une banque, dès qu’il y a menace de
ruine, tout le monde en retire ses fonds et l’abandonne. La véritable société est fondée
sur la famille, sur l’amitié et sur les extensions de la famille.6
6 Alain, Définitions, Paris, Gallimard, 1953, p. 197-198. Il est donné de ce passage une lecture schématique dans
notre ouvrage portant le titre de Méthodologie de la Réflexion en Classe de Philosophie, Dakar, EENAS, 2000,
p. 46-49. Ailleurs, dans un texte de formation sur l’appropriation des contenus des deux premiers domaines de
notre programme de Philosophie et intitulé «La société : une introduction à la vie sociale», il sert de prétexte :
les développements en constituent un commentaire détaillé. Aussi en faisons-nous ici l’exploitation directe.
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Une lecture attentive de cet extrait permet de noter que :
la société est interpellée sous l’angle précis de sa fondation ;
la modalité de réponse d’Alain est une réalisation concrète du schème hégélien de la
négation (assimilation : puisqu’il part du déjà constitué ; puis dépassement : en ce qu’il
récuse l’exclusivité pour prôner le ménage, l’imbrication par quoi se donne son
originalité) ;
les perspectives vers lesquelles il fait signe sont éminemment philosophiques (Hobbes,
Rousseau, Spinoza) ;
la définition concrète qu’il donne du fondement de la «véritable société» est, enfin,
proprement principielle.
De même, la norme, plus souvent perçue dans une dimension sociale, parfois morale,
peut s’envisager à la manière d’un principe opérationnel pour départir la valeur de l’anti-
valeur, quel que soit le registre pris en compte. Cela transparaît dans l’approche proposée de
cet extrait de Claude Lévi-Strauss.
Partout où la règle se manifeste, nous savons avec certitude être à l’étage de la
culture. Symétriquement, il est aisé de reconnaître dans l’universel le critère de la
nature. Car ce qui est constant chez tous les hommes échappe nécessairement au
domaine des coutumes, des techniques et des institutions par lesquelles leurs groupes
se différencient et s’opposent. A défaut d’analyse réelle, le double critère de la norme
et de l’universalité apporte le principe d’une analyse idéale, qui peut permettre - au
moins dans certains cas et dans certaines limites - d’isoler les éléments naturels des
éléments culturels qui interviennent dans les synthèses de l’ordre le plus complexe.7
La règle est à la culture ce qu’est l’universel pour la nature ; de là, la symétrie de l’indication.
7 Claude Lévi-Strauss, Les Structures Elémentaires de la Parenté, Paris, Monton, 1967, p. 9.
règle manifeste certitude étage culture
= = =
Symétriquement
universel reconnaître aisé critère nature
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Si la règle, que traduit encore la norme, s’exprime concrètement à travers les
«coutumes», «techniques» et «institutions», l’universel prend la figure du «constant», du
permanemment donné.
L’on comprend la variation, qui promeut les différences voire les oppositions, attachée
aux expressions de la règle du fait du tribut qu’elle paie à la culture : ce qui vaut pour celle-ci
vaut pour celle-la.
Ce partage n’est cependant pas immédiatement accessible, si tant est qu’il puisse
l’être : l’analyse, la décomposition8 au sens premier, n’est pas de l’ordre du donné mais du
pensable ; l’impossibilité du concret oblige à l’idéal, plus précisément, en rectifiant Lévi-
Strauss, à l’idéel.
L’impossibilité vient de ce que la rencontre des deux dimensions ne se fait que dans
l’homme, «l’ordre le plus complexe», qu’on ne peut découper de manière à sérier «les
éléments naturels», d’un côté, et les «éléments culturels», de l’autre ; il ne se donne jamais
que dans une composition qui oblige, alors, à n’envisager le partage que sous un mode idéel,
encore que cela ne puisse se faire sans réserves («au moins dans certains cas et dans
certaines limites»).
L’idée générale peut donc se formuler ainsi.
Le normatif, ce qui constitue la norme, installe la culture alors que l’invariable
généralité, ce qui se retrouve partout et toujours, en l’homme, indique la nature.
Elle se donne en réponse à la question ci-après.
Qu’est-ce qui délimite la nature et (de) la culture ?
La structure de l’extrait se livre en deux moments.
D’abord, les principes de la culture («règle», «norme») et de la nature
universel», «constant»).
Ensuite, la justification du distinguo qui s’établit à partir de ces
principes et qu’on peut résumer de la manière suivante.
8 L’analyse est la traduction du grec «analysis» qui signifie décomposition.
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