Un paléoanthropologue dans l`entreprise dans l`entreprise

PASCAL PICQ
Préface de Jacques Chaize, président de l’APM
UN PALÉOANTHROPOLOGUE
DANS L’ENTREPRISE
S’adapter et innover pour survivre
© Groupe Eyrolles, 2011.
ISBN : 978-2-212-54667-5
© Groupe Eyrolles
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CHAPITRE 3
UNE QUESTION DIFFICILE :
LADAPTATION
Tout le monde a entendu parler de la « survie du plus
apte ». Lidée des espèces parfaitement adaptées à
leur milieu est une vieille lune portée par la méta-
physique et tout particulièrement par le mythe de la
Création. Elle se retrouve en sciences naturelles ainsi que
dans les théories de l’évolution, comme le « programme
adaptationniste » de la théorie synthétique de lévolution
ou néodarwinisme des années 1940 à 1970. Toutes les
différences entre les espèces, quelles soient génétiques,
anatomiques, comportementales, cognitives ou sociales
étaient interprétées comme des adaptations corrélées à
leurs différences denvironnement1. Mais par quels méca-
nismes ? On invoquait la sélection naturelle, considérant
que les variations génétiques produisaient sufsamment
de diversi pour proposer les caractères nécessaires
à ladaptation. Lexemple le plus connu est lacquisi-
1. Lire Lucy et l’Obscurantisme, op. cit.
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Un paléoanthropologue dans l’entreprise
tion de la marche debout ou bipédie chez nos ancêtres
lors du passage de la forêt à la savane (nous reviendrons
sur cette histoire à propos de Lamarck, de Darwin et de
linnovation).
Le triangle de l’adaptation
De vives controverses agitent le petit monde des évolu-
tionnistes au cours des années 1970. Le concept dadap-
tation est vivement critiqué, car, en fait, c’était un faux
concept qui se satisfaisait d’interprétations a posteriori ou
ad hoc. De naît la pire critique que puisse craindre
tout évolutionniste qui ségare dans des explications
naïves : cest panglossien ! Cet adjectif s’inspire du person-
nage de Pangloss dans Candide ou l’Optimisme (1759).
Voltaire en fait une caricature du philosophe allemand
Friedrich Leibniz, qui prétend que « tout est pour le mieux
dans le meilleur des mondes possibles ». Dans un passage
fameux, Pangloss affirme que si nous avons un nez, c’est
pour porter des lunettes et, la preuve, nous portons des
lunettes. Voilà qui prête à sourire, mais nanti de cet aver-
tissement, il devient amusant de revisiter toutes les afr-
mations pseudo-savantes sur l’évolution de lhomme,
sur linterprétation des grandes périodes de l’Histoire
comme du succès et des échecs de certaines entreprises.
Il nexiste pas d’adaptation parfaite
Si une espèce est parfaitement en équilibre avec son
environnement, elle disparaîtra avec celui-ci en raison
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Lévolution et les entreprises
des différents facteurs évoqués précédemment. Comme
toujours dans la vie, il y a des exceptions, comme ces
espèces dites « fossiles », car isolées dans des environne-
ments très particuliers qui nintéressent pas les autres
espèces ; ce sont dultimes refuges. Dune façon plus
générale, il existe une loi empirique de lévolution : liso-
lationnisme est lavant-dernière étape avant l’extinction
(lire p. 106). Quelle entreprise aurait lambition dêtre
un cœlacanthe ?
Cependant, il existe souvent plusieurs façons de
répondre à un même problème. Réguler la température
du corps peut se faire en changeant le pelage ou le plu-
mage (adaptation anatomique) ; en modifiant la taille et
les proportions du corps (adaptation morphologique), en
faisant varier le flux sanguin (adaptation physiologique) ;
en produisant certaines substances moléculaires (adapta-
tion chimique) ; en recherchant des endroits et des abris
plus propices (adaptation comportementale) ; en se rou-
lant pour se couvrir de boue ou de poussière (adaptation
technique) ; en recourant à des inventions technologiques
(habits, habitations, feu, etc.). Inversement, lenvironne-
ment impose des contraintes physiques qui conduisent à
des adaptations analogues, comme pour le vol : ailes des
insectes faites de membranes nervurées ; ailes des oiseaux
avec des plumes implantées sur les os du bras ; ailes des
ptérosaures de l’ère secondaire avec une membrane de
peau tendue entre le corps et un doigt hypertrophié de
la main ; ailes des chauves-souris avec des membranes
tendues entre tous les doigts de la main, très longs, ce
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qui leur vaut le nom de chiroptères ; membranes de peau
entre les membres antérieurs et postérieurs des écureuils
et des lémurs volants, etc. Les hommes nont fait que
sinspirer de toutes ces adaptations pour « inventer » tous
leurs merveilleux objets volants.
Jouer avec les contraintes
Les quelques exemples qui précédent donnent la fausse
idée dune innie inventivité de la nature, dune plasti-
ciintrinsèque qui finit par trouver des solutions. Cest
le principe du transformisme lamarckien auquel s’associe
lexpression « la fonction crée l’organe ». Il nen est rien et
ladaptation est le concept le plus complexe des théories
de l’évolution, comme dans tous les secteurs des activités
humaines.
Parmi les vertébrés, si les vols battus et planés nexis-
tent que chez les mammifères, les reptiles et les oiseaux,
c’est que tous possèdent un organisme symétrique avec
deux paires de membres antérieurs et postérieurs ; le reste
nest que du bricolage. Ladaptation est un compromis
entre les contraintes du milieu, l’histoire des lignées et
leurs structures. La capacité dadaptation ou lacquisi-
tion de nouveaux caractères qui procurent un avantage
dans un contexte environnemental se situent dans ce
triangle avec trois sommets : ladaptabilité ou fonction-
nalité, lhistoire et les structures. Il en est évidemment de
même pour les entreprises. Ce sont les trois sommets
du triangle de ladaptation.
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