communs sont menacés, même s’il n’existe pas d’homogénéité parfaite des caractéristiques
des habitants.
La focalisation sur la mobilité et le mouvement ne doit pas nous faire oublier d’évoquer aussi
l’immobilité : en effet, la mobilité liée à l’habitat étant assez fortement liée au capital
économique, cela contraint les moins dotés de rester pendant des années dans des conditions
d’habitat et de voisinage pourtant insupportables. Les contributions du présent ouvrage nous
rappellent ainsi combien il est important de prendre en compte aussi le rapport entretenu avec
la mobilité, souvent plus subie que souhaitée, qu’elle soit professionnelle ou non. L’idée,
développée par Feildel et Bailleul, de prendre systématiquement en compte les représentations
des individus étudiés me paraît ainsi fondamentale dans la perspective d’une meilleure
compréhension de la qualité du rapport à l’espace et à l’habitat. L’identité sociale par rapport
à un territoire se construit par un processus d’identification multiple. Les relations sociales y
prennent une place non négligeable, mais, pour exister, celles-ci doivent être stimulées : elles
peuvent l’être du fait de proximités diverses, dans les choix consommatoires, dans l’intérêt
pour certaines activités, ce qui renforce la cohésion sociale du groupe d’habitants du territoire
considéré et participe progressivement de la construction ou de la stabilisation de son
identité ; il peut s’agir aussi de stimulations négatives, lorsque le comportement d’un habitant,
ses choix apparents, ne conviennent pas à ses voisins au point de provoquer des pressions
successives pouvant aboutir au rejet de l’importun – ce qui a également pour tendance à
renforcer les liens entre les habitants et leur détermination à conserver une certaine image de
leur quartier – ; dans d’autres cas, la transformation progressive du profil social du quartier –
du fait d’un turn over important dans les logements – peut aboutir à l’inverse au
déménagement des plus anciens qui constatent que leur mode d’habiter n’est plus en accord
avec celui de leurs voisins, de la plupart des autres habitants : le rapport de force s’inverse
alors, et l’image du quartier se modifie progressivement. Mais cela peut prendre beaucoup de
temps, du fait d’une certaine inertie devant l’idée de devoir déménager, chez les locataires et
peut-être plus encore chez les propriétaires. Ces interactions quotidiennes participent à la
stabilité sociale d’un territoire ou à sa transformation. Mais il ne faudrait pas en oublier pour
autant un certain nombre d’autres caractéristiques du territoire qui ont conduit les habitants à
venir y habiter et qui continuent à en faire venir d’autres. Ces caractéristiques, parmi
lesquelles on peut citer le prix moyen du logement, le type d’habitat, le niveau social moyen
des habitants, la réputation du territoire concerné, etc., autorisent une certaine permanence de
ce profil social, cette identité sociale d’un territoire. En ce sens, l’identité individuelle est bien
moins stable et moins univoque que ce qu’en disaient Berger et Luckmann dès les années
1960, alors qu’ils considéraient la notion d’ « identité collective » comme fallacieuse
(Berger & Luckmann, 2005, 235-236). Bien au contraire, l’identité d’un groupe social – et ici
d’un groupe d’habitants à profil social relativement homogène – semble avoir plus de
permanence dans le temps que l’identité d’un individu, parce qu’elle est, sur la durée, moins
affectée par les positions marginales et les trajectoires erratiques d’une partie des membres du
groupe (si celles-ci ne deviennent pas trop nombreuses). Ce principe peut être ainsi appliqué à
un groupe d’individus habitant un territoire, et ce malgré les différences interindividuelles.
Un dernier aspect de cet ouvrage qui mérite d’être souligné est la volonté de classer, inhérente
au projet de recherche qui l’a structuré. Classer socialement des pratiques n’est guère dans
l’ère du temps. Depuis quelques années, des sociologues de plus en plus nombreux ne jurent
plus que par l’individu, entrainés dans cette pente par Bernard Lahire notamment qui
minimise les régularités sociales en mettant l’accent sur les différences interindividuelles, et
qui rejette la systématicité de l’habitus en montrant les dissonances culturelles de l’individu.
En pointant ainsi le microscope sur l’individu, est-il encore possible de se rendre compte des
logiques sociales à l’œuvre ? Nos collègues biologistes eux-mêmes avaient au cours des