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Trait d’Union
2012/06
Pour Reynald Brizais, à propos de cette distinction entre
responsabilité personnelle et professionnelle “Ce qui est
en cause n’est pas une opposition entre du prétendu
personnel, opposé ou non à du prétendu professionnel, mais
la question de la place du subjectif dans une pratique
professionnelle (…) Il n’y a pas d’un côté un moi personnel
et de l’autre un moi professionnel, chacun assumant en
quelque sorte ses responsabilités”. 4Agir en professionnel
indique précisément le détour que l’assistant social est
obligé de faire du côté de sa position personnelle pour
déterminer et mettre en œuvre son acte d’écriture dans la
rencontre avec l’autre. Cela semble supposer une certaine
légitimité professionnelle de l’assistant social dans sa
pratique d’écriture.
-Le positionnement éthique institutionnel qui consiste à
délimiter l’espace propre de la pratique d’écriture où va
s’inscrire ce niveau de responsabilité. Chaque assistant
social, par l’écriture de ses rapports sociaux, doit pouvoir
se référer à son inscription dans un service social du
CPAS. Ainsi, par exemple, l’assistant social ne devrait
jamais se retrouver en position de devoir rendre des
comptes aux usagers uniquement sur le plan individuel,
même si en tant que personne, il se trouvefortement
engagé. Pour Reynald Brizais, “Toute pratique
professionnelle s’inscrit dans un cadre et la qualité de ce
cadreconditionne la qualité de la pratique. Aussi nous
apparaît-il comme une autrenécessité éthique que de
travailler à la sûreté du cadre de travail ”5.La pratique
d’écriture entre alors en jeu dans un réseau de
responsabilités où chacun, assistant social, chef de
service, président, secrétaire, conseillers, de sa place, doit
rendre compte de ce qu’il fait.
L’éthique de la responsabilité pose la question du choix du
côté du sujet auteur de son écrit. En conséquence, la
responsabilité de l’assistant social n’est pas seulement
relative au caractère plus ou moins juste de son écrit, mais
au sens que prend celui-ci du point de vue d’un
positionnement éthique.
La pratique d’écrituredu rapportsocial a tout avantage à
s’inspirer de cette éthique de la responsabilité pour élaborer,
confronter et fairepartager le contenu du rapport social et
pour que celui-ci devienne un outil au service d’une relation
plus transparente, plus professionnelle avec les usagers,
garant des droits et des libertés fondamentales.
Si le rapport social dans les CPAS paraît à ce point sensible
dans le champ du travail social, c’est probablement parce
que cet écrit professionnel active des débats internes et
externes où l’éthique vient traverser la pratique des assistants
sociaux.
L’éthique, si elle interfère dans l’activité des travailleurs
sociaux en CPAS, est en même temps le vecteur d’une
réflexion critique sur les pratiques professionnelles en ce
compris l’écriture des rapports sociaux, et par là, indi-
rectement, elle est garante des droits et des libertés
fondamentales.
L’utilité du rapport social ?
Le rapport social est utile à plus d’un titre.
Tout d’abord, c’est un outil qu’on peut d’emblée classer
dans la catégorie des écrits qui n’ont pas de caractère
littéraire ou fictionnel mais dans le cadre des textes
utilitaires, communément appelés “fonctionnels”.
Parce que le rapport social est un écrit professionnel traversé
par les dimensions juridique, morale et éthique, il est utile.
En effet, l’éthique dont il a été largement question plus haut
renvoie à la capacité à l’origine de l’acte d’écriture du
rapport social, la capacité à problématiser, c’est-à-dire à
mettre en question l’évidence, ce qui s’appelle les faits.
Ce qui est à l’œuvre dans l’écriture du rapport social relève
non pas des connaissances des faits, mais des facultés de leur
donner du sens et de sortir de l’évidence. Problématiser, c’est
choisir l’angle par lequel on va exposer la demande de
l’usager. Problématiser, c’est se situer entre la parole de
l’usager, l’observation et la construction du rapport social.
C’est donc à tout un travail de reformulation auquel se livre
l’assistant social en mobilisant les données recueillies avec
discernement et pertinence.
Pour problématiser, l’assistant social recourt à un outil : le
concept. Expliquer une demande, la décoder, consiste à la
mettreen relation avec autrechose, des mots, des concepts.
Ce avec quoi la demande est mise en relation est, au sens
large, une cause. C’est cette mise en relation qui va rendre la
demande intelligible et le rapport social utile pour décider.
On le sait, le rapport social est le résultat d’un exercice de
recomposition des données au cours duquel apparaissent un
certain nombre de tensions bien souvent induites par les
positions paradoxales occupées par les travailleurs sociaux en
CPAS qui oscillent dans leurs fonctions auprès des usagers
entre aide et contrôle.
Mais justement, la problématisation oblige le travailleur à se
poser de bonnes questions à l’aide de concepts bien choisis,
afin de contrer la difficulté souvent rencontrée lorsque les
assistants sociaux et les décideurs du Comité ne sont pas
toujours sur la même longueur d’onde, que les systèmes de
référence de leurs métiers sont différents et pas toujours
aisément compatibles.
Le rapport social est utile également parce qu’il est le résultat
d’un “savoir écrire”. Comme le souligne Yves Reuter,
“L’écriture est une pratique sociale, historiquement construite,
impliquant la mise en œuvre généralement conflictuelle de
savoirs, de représentations, de valeurs, d’investissements et
d’opérations, par laquelle un ou plusieurs sujets visent à
(re)produire du sens, linguistiquement structuré, à l’aide d’un
outil, sur un support conservant durablement ou provisoire-
ment de l’écrit, dans un espace socio-institutionnel donné”.6
4 Ibid, p 54
5 Ibid., p 54
6 REUTER, Yves, Enseigner et apprendre à écrire,Paris, ESF, 1996, p 58
SOUS LA LOUPE