Esprit sain numéro spécial / mardi 14 juin 2011 Montchardon entre terre et ciel INTERVIEW Lama Sangpo REPORTAGE Les maçons du coeur LE PORTRAIT Grete Nootre L’éDITO DE JOËL CHICOUARD a PRIORI On pourrait s’attendre à débarquer dans un centre de soixante-huitards en quête de méditation. Dans un lieu un peu clos où chacun a ses habitudes. Par moments, ce stéréotype n’est pas galvaudé. Certains résidents exprimant plus ou moins ouvertement leur réprobation à voir un « inconnu » n’ayant aucune connaissance du bouddhisme s’immiscer sur leurs plates-bandes. L’endroit, perdu au milieu du massif du Vercors, prête, il est vrai, à une méditation profonde. Et la quiétude que les résidents viennent ardemment rechercher ne se marie pas forcément avec un témoignage parfois impudique de sa personne. Les a priori peuvent alors se renforcer. Mais le travail « d’immersion » devient alors à propos. Car à s’y attarder, le centre d’études tibétaines de Montchardon, c’est plus que ça. C’est une communauté, qui, comme on peut la définir, se réunit autour de valeurs communes. Le partage et le bénévolat, à Montchardon, ne sont pas des vains mots. C’est tous les jours qu’ils sont mis en pratique. A l’épreuve aussi. Et rien ne se fait aisément pour allier entraide et spiritualité. Mais si le bouddhisme en France ne cherche pas à se faire connaître à tout prix de la population, à l’« évangéliser », il tend à montrer une image qui lui est propre. Complexe. Réaliste. Sans a priori. C’est aussi à quoi aspire à montrer ce magazine, Esprit Sain. Bonne lecture ! 2 A la sortie d’un virage de la route escarpée qui mène à montchardon, un panneau annonce l’entrée dans le hameau Au sommaire L’ENTRETIEN AVEC Lama Sangpo « Je ne savais pas que la France existait »....... ......................................................................p.3 LE GRAND REPORTAGE Au coeur de la communauté de Montchardon...............p.4-5 L’ENTRETIEN AVEC Jean-Marc Falcombello, president de l’association du centre de Montchardon. Sa mission première : « Défendre la philosophie bouddhiste au-delà du centre »............ ..p.6-7 ZOOM SUR Historique et infos en bref sur Montchardon.................p.7 LE PORTRAIT DE Grete Nootre. Cette Estonienne, adoptée par la communauté de Montchardon, passionnée de cinéma, a trouvé un mode de vie qui lui convient...............................................p.8 Esprit Sain - Numéro Spécial mardi 14 juin 2011 Rédaction, Mise en page et Crédit photo: Joël Chicouard Photo de une : Vue du centre de Montchardon L’eNTRETIEN avec LAMA SANGPO « Je ne savais pas que la France existait » Seul lama permanent sur le centre de Montchardon, Lama Sangpo a pour mission de transmettre l’enseignement du bouddhisme. Une philosophie dont les moyens de divertissement comme la télévision entravent la pratique. O riginaire du Tibet, moine depuis vingt-cinq ans, Lama Sangpo séjourne dans le centre de retraite de Montchardon depuis fin 2009. Un lieu clos toute l’année dont il ne sort chaque année que trois fois. A chaque occasion pour des stages à destination du public. Comme en cette jolie journée de mai. Assis à une table du réfectoire, il sirote un soda en souriant. Accompagné d’un traducteur, Seunam, un résident, il nous accorde quinze minutes de son temps. Rare et précieux. >> Lama Sangpo, pouvezvous nous expliquer la raison de votre présence à Montchardon ? J’ai « atterri » ici à la demande de Lama Teunsang (directeur spirituel de Montchardon, Ndlr) pour encadrer une retraite de trois. J’enseigne le bouddhisme. S’il n’y a personne qui a la capacité de pouvoir indiquer le chemin à prendre, alors il n’est pas possible de pratiquer cet enseignement. C’est important que quelqu’un soit présent pour dire ce qui est à pratiquer et à délaisser. >> Qu’est-ce-que cette retraite vous apporte sur le plan spirituel ? Quand nous nous retirons, nous ne développons pas d’intérêt par rapport au monde extérieur. Par contre, durant cette période, nous consacrons notre travail sur le monde intérieur, c’est-à-dire au niveau de l’esprit. L’enseignement que le Bouddha nous donne est un moyen qui permet à l’esprit de s’épanouir. C’est la racine de toute chose. La télévision, un obstacle à la pratique du bouddhisme » « >> Vous sortez de votre retraite uniquement pour les stages. Quel est la visée principale de ces enseignements ? Le but principal de l’enseignement du Bouddha par le biais de la pratique, c’est de développer une activité bénéfique pour tous les êtres. Grâce à l’enseignement que j’ai reçu et que je transmets, cela amène automatiquement du bien-être et des Qu’est-ce qu’un lama ? On peut distinguer deux types de lamas : le lama moine et le lama laïque. Lama Sangpo appartient à la première catégorie. À la différence du lama laïque, le lama moine a fait les « vœux ». Il peut donc transmettre le message du Bouddha, la philosophie bouddhiste basée sur la recherche de l’Eveil. Dans tous les cas, pour devenir lama, il faut avoir fait auparavant une retraite de trois ans, trois mois et trois jours. Retraite que Lama Sangpo a effectuée au Tibet onze ans après son entrée au monastère. Le chemin est long avant d’accéder au titre honorifique de lama. Le Lama Sangpo, entre ombre et lumière, comme la part de mystère qu’il paraît soigneusement garder bienfaits aux personnes qui le pratiquent et qui le transmettront ensuite. Mon activité en stage ou au centre de retraite vise toujours à faire ce qu’il y a de plus bénéfique pour ces personnes qui ont formulé cette demande. >> Que pensez-vous de Montchardon ? Est-ce un lieu propice pour une retraite ? En effet, c’est un excellent endroit pour la méditation. Il ne faut oublier que l’existence de ce centre répond à une demande précise : celle de bénéficier d’un lieu propice au développement et à l’enseignement du Bouddha (aussi appelé Dharma, Ndlr). 3 >> Que connaissiez-vous de la France avant de venir ? Quand j’habitais au Tibet, je ne savais pas que la France existait. J’étais dans un monastère sans téléviseur. Seul la mise en œuvre du Dharma importait. Si l’on se met à regarder la télévision, c’est un obstacle qui nous distrait de la pratique. Si nous tombons sous l’influence du divertissement, cela signifie que nous ne mettons pas à profit ce temps pour pratiquer l’enseignement et une activité pour le bien de tous les êtres. Cela amène de l’agitation dans notre esprit. Au Tibet, nous n’avons pas pris l’habitude de nous adonner à ce genre de divertissement. REPORTAGE LE GRAND Au coeur de Montchardon : entre bénévolat et Niché à 850 mètres d’altitude, en plein cœur du Vercors, le centre de Montchardon rassemble en son fondateurs : bénévolat et spiritualité J eudi 2 juin, jour de l’Ascension. Ce jour férié célèbre la montée de Jésus au ciel. Mais au centre d’études tibétaines de Montchardon, on est bien loin de cette fête chrétienne. En ce long week-end prolongé, le centre organise un stage de quatre jours. Le thème ? La Bodhicitta, soit l’esprit d’Eveil. Le Lama Teunsang, à l’origine de la création du lieu, et Jean-Marc Falcombello (voir interview page), président de l’association de Montchardon, sont à la manœuvre. Le premier donne l’enseignement. Le second traduit, du tibétain au français. Quarante personnes venues de France et de Navarre assistent à ce stage. Mais pour accueillir tous ces gens à l’Ascension comme le reste de l’année, la communauté de Montchardon met les bouchées doubles. Les résidents – ils sont une petite dizaine actuellement – sont tous bénévoles et ils le revendiquent. « Le bénévolat, c’est la racine et l’esprit du centre », souligne Grete, résidente estonienne de Montchardon et responsable de l’accueil du Centre d’Etudes Tibétaines (voir portrait page 6). Depuis le début de la semaine, ils mettent un point d’honneur à offrir les meilleures conditions d’accueil possibles. Ménage, vaisselle, cuisine, courses alimentaires : tout y passe. Chaque résident Les stagiaires de l’ascension se recueillent devant la représentation du bouddha. Un stage préparé d’arrachepied et en amont par les résidents du centre de montchardon met la main à la patte. Disponibles et dévoués, les résidents s’activent au quotidien pour faire tourner la « machine » Montchardon. « Aider au bon fonctionnement du centre, c’est un critère essentiel pour venir dans ce coin reculé du Vercors. Mais on doit auparavant manifester l’envie d’œuvrer au service d’autrui », témoigne Daniel, résident depuis déjà 10 ans au centre et actuellement en charge du pôle administratif. Car s’installer sur la durée à Montchardon, c’est un choix de vie. En communauté. Avec toutes les exigences que cela comporte. Pour tous, la journée démarre très tôt (7 ou 8 heures selon la 4 participation à la prière du matin : la puja). Et chacun à son poste. Seunam au ménage, Sébastien au chantier (voir ci-contre), Mina et Claude en cuisine. « Toute l’énergie des bénévoles ou de moi-même a comme destination première, celle d’aider à l’activité du bouddhisme dans ce lieu. Il n’y a pas, au contraire d’une entreprise, l’idée d’un enrichissement personnel au sens pécuniaire du terme », explique Jeanmarc Falcombello, président de l’association du centre. Et lui d’étayer sa pensée : « Plus que de bénévolat, je parlerais d’“offrande désintéressée de son temps et de son énergie”. La décision appartient à l’individu. On n’impose pas de projet de vie. L’implication personnelle de chaque résident de Montchardon est le fait de son propre chef, de sa propre volonté ou désir. La motivation d’une venue à Montchardon s’affine avec le temps. A l’origine, elle peut trouver son fondement dans la recherche de calme ou de spiritualité… » La spiritualité : un terme qui va de pair avec le bénévolat à Montchardon. Pour Véronique - qui gère l’administration et la boutique -, ce mode de vie suit le cours logique de son existence. Partager les tâches quotidiennes relève, selon elle, de l’évidence. Equipière sur les voiliers jusqu’à l’âge de 35 ans, elle a posé ses LE GRAND Les « maçons du coeur » spiritualité sein deux principes valises à Montchardon, il y a déjà quinze ans. « J’ai toujours fonctionné en communauté, que ce soit sur le bateau ou ici. Je développe ma vie en aidant les autres. Mais, surtout, en me mettant au service du bouddhisme et à son développement. J’ai ainsi mûri mon côté altruiste ». Son dessein est simple : « Je veux être vieux avec une richesse dans le regard ». Pour trouver cette « richesse », elle suit l’enseignement du bouddhisme avec les autres résidents. Mais chacun selon le rythme qui lui convient. Des trois prières quotidiennes, chacun est libre d’y assister ou non. En revanche, les résidents se rassemblent obligatoirement deux fois par semaine pour les groupes de parole. Il s’agit de moments d’échanges. « Le lundi, on partage ensemble nos sentiments. On peut dire ce qu’on a sur le cœur, s’exprimer sur des sujets profonds et parfois sur nos inquiétudes », souligne Grete. Le mercredi, l’objectif de ce deuxième groupe de parole de la semaine consiste ni plus ni moins à évoquer le quotidien. C’est ici que se règlent les tensions qui peuvent de temps en temps apparaître au jour le jour au centre. Car l’esprit zen prôné par la philosophie bouddhiste n’empêche pas toujours d’éviter les conflits. Surtout quand on vit 24h sur 24 et 7 jours sur 7 en communauté... REPORTAGE Le chantier de la nouvelle citerne d’eau illustre au plus haut point les valeurs du centre : générosité et engagement déintéressé Sébastien (au second plan) donne les instructions aux autres bénévoles du chantier. Ici Romain (de dos) L es murs de pierre disposés dans le centre ? Intégralement faits à la main », affirme avec conviction Jean-Marc Falcombello, président de l’association de Montchardon. Au centre, en effet, on a donné de sa personne pour ériger ce lieu dédié à l’étude et à la pratique du bouddhisme. Et on en donne encore aujourd’hui pour continuer à le développer. Preuve en est avec le chantier de la nouvelle citerne d’eau. Ces travaux sont destinés à faire face à la consommation d’eau croissante sur le site, surtout en été. Le mot d’ordre sur le chantier : générosité et engagement désintéressé. Des valeurs qui guident et inspirent l’engagement des bénévoles aussi bien en cuisine, à l’accueil ou sur le chantier. Actuelle- ment, deux mois après le début des travaux, trois bénévoles sont au four et au moulin. Le plus ancien, Sébastien, dirige les opérations. « Je séjourne à Montchardon depuis sept ans. J’ai appris les rudiments du bâtiment (sic) sur le tas », observe-t-il avec fierté. S’il n’est pas nécessaire d’avoir des compétences élargies de la construction, une bonne condition physique se révèle indispensable. Romain, ancien étudiant aux beaux-arts, manie désormais aussi bien la truelle que le pinceau. Son aide, il l’apporte sans contrepartie. Ce don de soi anime également le troisième larron, Stefan. Un homme costaud, la quarantaine, originaire de Düsseldorf, de l’autre côté du Rhin. « A l’origine, je suis venu à Montchardon 5 comme résident, racontet-il avec un accent non dissimulé. Ma quête ? Surtout le calme et la spiritualité même si la vie en Allemagne me convenait. Je souhaitais tout de même m’échapper du tumulte de la ville et je me retrouve aujourd’hui comme bénévole sur ce chantier. » Les travaux ont débuté fin mars et avancent dans les temps. Le terrassement achevé, les trois « maçons du cœur » parachèvent le petit local technique, situé en contrebas de la future citerne. Au mois d’octobre, la citerne d’eau devrait voir le jour. L’énergie déployée par les bénévoles aura ainsi contribué à faciliter l’activité du bouddhisme. Une cause noble qui incombe aux résidents de Montchardon. L’eNTRETIEN AVEC JEAN-MARC FALCOMBELLO « Défendre la philosophie bouddhiste au-delà Un pied dans le centre de Montchardon et un autre à Genève. D’un côté, président de l’association Espace 2, l’une des radios de la Radio Télévision Suisse. Jean-Marc Falcombello, partage sa vie faire connaître au-delà de Montchardon le bouddhisme en général et le centre en particulier. >> Vous êtes venus pour la première fois à Montchardon en 1981, à 18 ans. Qu’est-ce qui vous a conduit ici ? Tout simplement un intérêt pour le bouddhisme et l’enseignement du Bouddha. Je m’y intéressais depuis l’âge de 16 ans. J’avais lu des livres. Je trouvais ça génial. La philosophie bouddhiste me correspondait parfaitement et pleinement. Quand j’ai rencontré le Lama Teunsang, authentique moine tibétain, je me suis dit qu’il allait pouvoir m’enseigner le bouddhisme dans une tradition vivante. Et ainsi que j’allais pouvoir apprendre aux cotés d’un digne représentant de cette tradition. >> Vous avez rencontré le Lama Teunsang à Montchardon ? La première fois, je l’ai rencontré à Genève lors d’un enseignement qu’il donnait une fois par mois. J’ai suivi ce « cours » et j’ai très vite compris qu’il « Si on peut passer sa vie à étudier jean - marc falcombello résidait à Montchardon. Je me suis donc rendu làbas, à Pâques en 1981. >> Veniez-vous chercher des réponses dans votre vie en général ? Je venais continuer l’étude du bouddhisme. C’est comme quelqu’un qui étudie l’œuvre d’Em- Kant , on peut la passer à étudier la vie du manuel Kant. On consacre sa vie à l’étude d’une pensée, d’une philosophie. Si on peut passer sa vie à étudier Kant, on peut la passer à étudier la vie du Bouddha. On peut le considérer comme un processus d’étude, d’approfondissement, de compréhension. Tradi- Bouddha », assure tionnellement, jamais tu ne cesses d’enrichir ton écoute, ce qui va enrichir ta réflexion, qui va alors enrichir ta pratique. C’est-à-dire, concernant le bouddhisme, l’intégration des principes philosophiques dans la vie au jour le jour. Les habitants du Village et du hameau de Montchardon ont fumé le calumet de la paix N os relations avec les résidents du centre sont cordiales. Comme celles d’un maire avec ses administrés, en somme », explique avec sobriété JeanClaude Potié, le maire d’Izeron, commune à laquelle est rattaché le hameau de Montchardon. Le premier magistrat ne fait pas de différenciation avec les « bouddhistes » de Montchardon. Seulement admet-il la méfiance des habitants du village à la création du centre, dans les années soixante-dix. « Au début, reconnaît-il, les habitants considéraient les membres de ce centre bouddhiste comme des Indiens, des trouble-fête. En France, on a de toute façon toujours peur de la nouveauté ». Presque trente-six ans plus tard, les opinions ont majoritairement changé. Un respect mutuel s’est instauré entre les habitants du Village et celui du hameau de Montchardon. 6 Pourtant, le temps n’a pas effacé tous les scepticismes. A l’image d’André Gauthier, un ouvrier du bâtiment à la retraite rencontré à Saint-Pierre-de-Chérennes, un village contigu d’Izeron. « Je ne sais pas si c’est une secte mais je n’ai pas l’intention de m’y rendre », bredouille-t-il d’un accent typiquement dauphinois. André peut toutefois revenir sur ses opinions puisque le centre organise toute l’année des journées portes ouvertes. Et le dimanche, des visites gratuites du centre. Les responsables de Montchardon ont même, l’année dernière, distribué une lettre à tous les habitants d’Izeron. Avec pour objectif, expliquer la démarche du centre, des origines à nos jours. Le tout dans un souci de transparence. A ceux qui en doutaient, le centre Karma Migyur Ling, le jardin de l’activité immuable, ne cesse d’évoluer… L’eNTRETIEN AVEC zoom sur du centre » MONTCHARDON EN BREF de Montchardon. De l’autre, journaliste à entre le bouddhisme et la radio. Et s’attèle à >> Avez-vous pu mener de front l’activité professionnelle et spirituelle ? Oui car on peut dire que les situations rencontrées dans la vie professionnelle sont autant d’occasions d’intégration. C’est véritablement une chance. On ne s’en rend pas compte tout de suite. C’est compliqué, face aux épreuves de la vie, de constater le rapport entre la difficulté de ces épreuves et la possibilité d’intégration du sens de celles-ci. « C’est difficile de nos jours, dans le monde dans lequel on vit, de comprendre le sens d’une démarche spirituelle » >> Comment êtes-vous devenu président de l’association ? Je connaissais Jean-Pierre Schnetzler, le fondateur du lieu en 1975. Avec l’âge, il voulait passer la main et que quelqu’un prenne les destinées de l’association. >> En quoi consiste cette fonction de président d’association ? Un rôle de représentation avant tout. Il représente l’activité et les buts de l’association, c’est-àdire réunir les conditions opportunes à l’étude du bouddhisme. Le président s’en charge principalement à l’extérieur du centre. Pour en parler ou les défendre. Par exemple, auprès du maire de la commune d’Iseron sur laquelle est bâti le centre et de ses habitants. Ou comme invité le l’émission Le Jour du Seigneur, le dimanche sur France 2. >> Dans les villages alentours, ce centre bouddhiste est parfois méconnu et considéré comme énigmatique voire sectaire. Votre rôle consiste-t-il à balayer ces préjugés ? J’ai pour tâche de leur répondre et les inviter à se renseigner sur le centre. Pour mieux connaître le centre bouddhiste, il faut soit faire l’effort de lire des livres sur le sujet. Soit se rendre au centre et demander quels en sont la philosophie et les valeurs. >> Comprenez-vous leurs appréhensions ? Très bien. Il est très difficile de nos jours, dans le monde dans lequel on vit, de comprendre le sens d’une démarche spirituelle car ça va à l’encontre de la logique de la société actuelle : la compensation de l’effort par l’obtention d’un gain personnel. Ce n’est pas un jugement mais un fait. La méfiance des gens s’explique par de la méconnaissance. Les visites du centre organisées le dimanche ou les journées portes ouvertes, c’est donc important. Mais mon rôle est d’expliquer, pas de justifier. Globalement, il existe néanmoins une bonne compréhension de notre démarche à l’extérieur ». Retraite anticipée Trois ans, trois mois, trois jours. C’est la durée de la retraite méditative qu’effectuent, depuis août 2010, 17 personnes, dont Lama Sangpo, dans un bâtiment spécifiquement conçu à cet effet. Les retraitants, coupés du monde extérieur, reçoivent une formation intensive. Ils consacrent leur temps à la pratique méditative et aux prières. Seule une personne extérieure se charge de les approvisionner. Le bouddhisme a la cote Une fréquentation digne d’un grand monument. En 2010, le centre d’études tibétaines de Montchardon a accueilli 18 000 personnes en stage. Soit une moyenne de 50 stagiaires par jour. 60 % de ces personnes viennent de la région Rhône-Alpes, 40 % du reste de la France ou d’Europe. 1994, année-clé Cette année a marqué à tout jamais la vie du centre. Deux raisons à cela. Premièrement, la reconnaissance par l’Etat du centre Karma Migyur Ling en tant que congrégation religieuse. Deuxièmement, la visite du Dalaï-Lama. Considéré comme la réincarnation du premier dalaïlama né en 1391, ce dernier a profité d’un séjour en France pour bénir le temple de Montchardon. Générosité épreuve à toute Le centre vit essentiellement grâce aux dons. Les frais de session des stages compensent seulement les frais d’organisation. 35 ans de bouddhisme à Montchardon 1959. Année décisive pour le bouddhisme. Le peuple tibétain se soulève contre le régime chinois. Le dalaï-lama fuit le Tibet et se réfugie temporairement en Inde. Depuis, nombre d’éminents maîtres tibétains sont envoyés en Occident pour transmettre le message du Bouddha. Le vénérable Kalou Rinpoché par exemple. En 1972, de passage à Paris, il se voit proposer par Jean-Pierre Schnetlzer, un médecin grenoblois fasciné par le bouddhisme, de fonder un centre d’études tibétaines en France. Seule condition exigée : qu’un lama tibétain enseigne dans le centre. Kalou Rinpoché accepte. Une longue recherche est alors menée par Schnetlzer pour dénicher l’endroit idoine, propice à la méditation. Une vieille ferme inhabitée et retirée dans le massif du Vercors, dans le hameau de Montchardon à Izeron, fera l’affaire. En 1975, sous l’impulsion de Lama Teunsang et Schnetlzer, le centre est bâti. 36 ans plus tard, le site de Montchardon s’est agrandi. Un temple, des bâtiments d’hébergement ou encore un centre de retraite sont sortis de terre. Et le tout grâce à des centaines de bénévoles. Aujourd’hui encore, le centre a conservé l’esprit communautaire de ses débuts. 7 LE portrait DE GRETE NOOTRE Une Nootre Grete Originaire d’Estonie, Grete mène à Montchardon une vie austère et non moins enrichissante. Avant cette aventure humaine, son quotidien, sans cesse en mouvement, était rythmé par sa passion : le cinéma A Montchardon, on vient de France mais aussi des pays alentours (Belgique, Suisse, Allemagne) pour suivre le Dharma, les enseignements du Bouddha. Grete Nootre – prononcez Grété -, elle, est originaire d’Estonie. Un petit pays d’Europe du Nord méconnu, coincé entre la Finlande et la Russie. Résidente du centre depuis trois ans, elle puise dans ce coin reculé du Vercors « une liberté, un détachement avec le cercle de la rémunération ». Sa volonté de travailler comme bénévole et de continuer sa recherche spirituelle est chevillée au corps. Elle a choisi la France comme elle aurait pu choisir l’Amérique du Sud. « Ma priorité en tout cas restait d’apprendre une nouvelle langue ». Modeste, elle maîtrise désormais sans coup férir la langue de Molière. Une réussite de plus pour cette jeune femme éclectique. Le septième art comme art de vivre Née à 65 km de Tallinn, la capitale estonienne, Grete grandit dans une « famille stable ». Avec un petit frère, de deux ans son cadet. D’un père maçon et d’une mère professeur de littérature mondiale, elle baigne rapidement dans la culture et les livres. Elle quitte le domicile familial à 16 ans pour l’internat. Aux années studieuses du lycée se succèdent alors huit longues années (anthropologie, sociologie) sur les bancs de l’université. En 2005, quand elle quitte la Grete a trouvé à montchardon un mode de vie qui lui correspond fac, elle n’obtient pourtant aucun diplôme. Des années vaines ? Pas vraiment car Grete mène en parallèle de ses études d’autres activités. Dans le cinéma principalement. Un univers qui la passionne. En 2001, elle commence à exercer dans un premier temps comme critique de cinéma dans plusieurs journaux estoniens (notamment Estii Päevaleht, quotidien national). Un métier de journaliste qui lui plaît mais qui ne la « rassasie » pas. « Voir un film et le critiquer, ça ne s’avère pas suffisant selon moi. Pour critiquer un film, il faut aussi connaître la cuisine, les influences du réalisateur et les traditions du cinéma », estime-t-elle. Pour nourrir sa soif de septième art, elle s’inscrit dans une école de cinéma. Et devient alors 8 assistante de réalisateur. « Un travail dur et épuisant » mais qui la comblait de par « l’esprit d’équipe et la créativité de chaque membre sur le plateau de tournage ». Et comme elle fourmille de projets à réaliser ou concevoir, elle participe, de 2004 à 2007, à un festival du film en Estonie. Sa mission : choisir les films et créer un journal pendant la compétition. « En Estonie, j’aimais changer souvent d’activité. Je n’ai jamais vécu dans la routine », explique-t-elle avec le sourire, elle qui désormais réitère les mêmes tâches chaque jour à Montchardon. Sérénité affichée Cette vie intense ne lui déplaît pas. Mais depuis toujours, Grete a des envies d’ailleurs. En 2008, l’encyclopédie qu’elle a rédigée sur le cinéma estonien (elle menait aussi un travail d’archiviste !) est publiée. Sans projet immédiat, elle saute enfin le pas et rejoint la France. « Un déchirement malgré tout. Certains me prenaient pour une folle et ce fut délicat avec la famille car je ne savais pas combien de temps j’allais partir », avoue-t-elle, non sans émotion. « Pour vivre en harmonie avec la nature », un prof de yoga estonien lui indique Montchardon. Avant de s’installer dans le Vercors, Grete pose son baluchon deux semaines en Italie et dans un écovillage, près de Dijon. Elle atterrit au centre bouddhiste en mars 2008. Sa démarche personnelle est profonde. « Je n’étais pas stressé. Je recherchais quelque chose sur lequel je n’arrivais pas à mettre des mots », explique-t-elle sobrement aujourd’hui. Plus de trois ans après, la jeune Estonienne tire un bilan positif de cette vie en communauté. « Vivre ici, c’est fort. C’est un défi. On se confronte à soi-même et aux autres. Je pense que je suis plus ouverte aux autres et que j’ai plus de confiance en moi qu’auparavant. Je ne suis plus fixé uniquement sur le résultat », affirme-t-elle sans concession. Sa sérénité affichée l’incite-t-elle à vouloir demeurer tout au long de sa vie à Montchardon ? « Je sentirai le moment où je devrai m’en aller ». Des paroles pleines de sagesse. Un effet du bouddhisme, très certainement…