&² Question de Question de Octobre 2008 JeanJean-Baptiste Godinot Quelques lignes d'intro L’affichage publicitaire devient de plus en plus envahissant, surtout en ville dans les quartiers populaires. L’espace public doitdoit-il être colonisé par les entreprises privées privées ? Certaines villes ont déjà dit non... L'auteur JeanJean-Baptiste Godinot est membre et porteporte-parole de l'asbl RESPIRE, ESPIRE fondée en septembre 2005. L'association regroupe des personnes aux croyances et aux parcours divers mais qui sont toutes convaincues convaincues de la nocivité de la surconsommation et des modes de vie qui l'accompagnent. Les membres et adhérents de l'association RESPIRE estiment que la publicité publicité commerciale et le système publicitaire qui l'organise, sont nocifs aux personnes, à la ssociété ociété et à la nature. Ils Ils décident de rassembler leurs forces et d'agir en conscience pour libérer l'espace public de cette propagande publicitaire. RESPIRE est aussi membre de la plateplate-forme Vigilance Action Pub Edité par les Equipes Populaires Rue de Gembloux, 48 à 5002 St Servais 081/73.40.86 -- [email protected] Texte disponible sur le site www.e-p.be La rue est l’un des lieux où la publicité a commencé son développement. A partir de la seconde moitié du XIXème siècle, l’affiche publicitaire commence en effet à envahir les rues. Avec le temps, les techniques publicitaires évoluent fortement, et de la simple affiche en papier placardée sur un mur, on est désormais passé à des affiches multiples déroulantes, rétro-éclairées, disposées à des endroits stratégiquement sélectionnés dans la ville. Les publicitaires sont même en train de développer des affiches animées qui “parlent”, des dispositifs publicitaires qui diffusent des odeurs ou qui envoient des messages sur votre GSM quand vous passez à proximité. Bref, les techniques de manipulations utilisées par l’industrie publicitaire sont toujours plus affinées et intrusives. Pouvoir d'achat en baisse, tentations en hausse Cette inflation publicitaire pose la question de la place que l’on décide de laisser à la pub dans la rue, qui est l’espace public. Veut-on que nos trottoirs deviennent des supports utilisés par les grandes marques pour vendre leurs marchandises ? Si les citoyens n’ont pas le droit d’afficher de grandes peintures sur les murs par exemple, pourquoi les entreprises peuvent-elles se payer des milliers d’affiches de pub ? Est-il normal que tout le monde soit confronté aux messages publicitaires, y compris les enfants ? Le pouvoir d’achat baisse, dit-on, pourquoi alors donner envie à tout le monde d’acheter toujours plus ? Chacun abordera ces questions avec ses sensibilités. Pour une partie de la population de plus en plus importante, la publicité commerciale n’a pas sa place dans la rue qui est l’espace public et qui ne doit donc pas être colonisé par les entreprises privées. Voilà 4 raisons pour lesquelles nous estimons qu’il faut dire stop à l’affichage publicitaire: 1. Le développement développement publicitaire est est un problème pour l'environnement Sans relâche, la publicité assène le message du bonheur par la consommation : “Achetez-ci, c’est la liberté”, “Achetez-ça, c’est le confort”, “Achetez-ceci pour être à la mode”, “Achetez-cela pour être plus fort”. La pub nous incite à être consommateurs, à céder toujours aux promesses de marchandises qui finalement ne rendent pas heureux, à acheter plus, de tout, tout le temps. Et ça marche ! Les grandes marques qui payent les campagnes de publicité ne le feraient pas si ces messages manipulateurs n’avaient pas d’impact sur l’achat de leurs produits. La pub est là pour que les entreprises assurent des profits croissants, en vendant toujours plus. Les avantages en nature : une aubaine pour qui ? La publicité intervient aussi dans les recettes de certaines communes. Notamment lorsque qu’elles concèdent des espaces à des sociétés d’affichage comme J.C. Decaux ou Clearchannel. Celles-ci se livrent d’ailleurs une guerre sans merci pour la conquête de ces espaces publics C’est que l’enjeu financier est alléchant, comme nous allons le comprendre. Comment cela fonctionne-t-il ? Une commune signe une concession de certains espaces publics avec une société d’affichage, qui pourra y installer des panneaux ou des colonnes destinées à recevoir des affiches publicitaires. L’accord dure généralement plusieurs années (12 ans pour les communes bruxelloises). En échange de cette concession, la société paie parfois un forfait locatif annuel, mais le plus souvent, elle offre des compensations en nature à la commune, sous forme de mobilier urbain. Et sur ce point, le catalogue peut être impressionnant. Selon Kurt Custers1 qui a étudié à la question, les sociétés sont de plus en plus créatives : “Nous avons vu apparaître, outre les éternels bancs publics et corbeilles à papier traditionnelles, de la signalisation piétonne “design”, des systèmes de location de vélos, des VéloCity, des Smartbike1, des bornes de tri sélectif et autres luminaires photovoltaïques - 2 - L’opération peut sembler de prime abord intéressante pour la localité et ses habitants. On sait que les communes sont souvent dans le rouge et que les gens n’aiment pas entendre parler de taxes supplémentaires. Donc si la pub paye du mobilier urbain pour lequel la commune ne devra rien débourser, n’est-ce pas finalement un accord “winwin” ? C’est à voir. D’abord, il faut rappeler que les consommateurs paient la pub, intégrée dans le prix des produits. Un système qui, à la différence des impôts, ne tient pas compte de la hauteur des revenus. En ce qui concerne les communes, il apparaît qu’elles sont largement perdantes dans l’affaire : les sommes qu’elles auraient déboursées pour ce type de mobilier (tenant compte de leurs besoins réels) sont nettement moins importantes que l’argent qu’elles auraient gagné si la société d’affichage avait payé le prix plein d’une location des espaces concédés Et Decaux ou Clearchannel peuvent se le permettre, étant donné la manne considérable provenant de la publicité. Kurt Custers s’est livré à un petit calcul comparatif explicite pour la commune d’Ixelles. En 1999, celle-ci a concédé pour 12 ans à Decaux des espaces pour installer 30 planimètres, 32 faces publicitaires sur des colonnes Morris et120 faces sur Bref, la pub est une incitation efficace à la surconsommation. Pourtant, on sait que l’on consomme trop : si tout le monde consommait comme nous, il faudrait trois planètes nous disent les spécialistes. Le réchauffement climatique, l’épuisement des ressources naturelles, dont le pétrole, la disparition accélérée de centaines d’espèces animales et végétales, la pollution, toutes ces dégradations très graves sont là pour nous montrer que nos habitudes de consommation sont intenables. Dans ces conditions, inciter les gens à consommer toujours plus en leur infligeant de la pub, c’est exactement le contraire de ce qu’il faut faire ! 2. La pub dans l'espace public pose un problème démocratique Quand vous regardez la télévision, vous pouvez zapper la pub. Au cinéma, vous pouvez arriver après la pub. Vous pouvez choisir un journal sans pub ou ne pas acheter de journal, sachant qu’il y a souvent de la pub dedans. Bref, si vous voulez éviter la pub, dans de nombreux cas vous pouvez le faire. Mais dans la rue non ! Vous ne pouvez pas zapper l’affichage publicitaire dans la rue. Ainsi, tout le monde est confronté aux messages manipulateurs des grandes entreprises affichés dans la rue, alors que personne n'a demandé à les voir et qu’on ne peut pas y répondre. Normalement, on peut choisir l’information que l’on reçoit, mais avec la pub dans la rue, les grandes entreprises nous imposent leur message. Le fait que les affiches publicitaires soient imposées à la vue de tous dans la rue est un problème démocratique. 3. La pub dans la rue est une pollution pollution visuelle qui défigure la ville et gêne les usagers Les régions prévoient que certains quartiers doivent être exempts de toute affiche publicitaire, considérant que leur présence enlaidirait l’harmonie architecturale. C’est donc que les pouvoirs publics ont considéré que la pub est une pollution visuelle. D’ailleurs, est-ce que l’on trouverait normal d’avoir des panneaux de pub avec leurs messages criards en plein cœur de la GrandPlace ? Sans doute que non… En fait, les messages publicitaires étant différents et souvent tape-à-l’œil (pour capter votre attention), ils font tache dans le paysage. Plus il y en a, plus les lieux sont défigurés. Par ailleurs, certains panneaux publicitaires gênent les usagers, qu’ils soient piétons, cyclistes ou automobilistes. On a ainsi vu des panneaux de pub distraire des conducteurs et provoquer des accidents. 60 abris de bus. En échange, la commune perçoit chaque année 348 € par face concédée, et a reçu du mobilier : nouvelle signalisation, poubelles, indicateurs d’attente dans les abris de bus, un auvent pour abriter les spectateurs de football et un service d’aspiration des déjections canines. Le tout, avec les versements, se monte à environ 2 millions € pour les 12 années. Mais que représentent, sur la même période, les gains de la société Decaux qui loue ces emplacements concédés pour des campagnes de pub ? En partant du prix locatif d’une face publicitaire, on peut estimer les gains à environ 10.284.200 €. Même s’il n’est pas tenu compte du coût d’équipement et des frais d’entretien, la différence reste substantielle Preuve que l’on en prend conscience, il semble que le système de compensations perd du terrain au profit de l’instauration d’un impôt exigé par un règlement communal. Cyclocity, Cyclocity, ou quand Decaux s’occupe de transports publics Installer des systèmes de locations de vélos dans les centres urbains semble devenir un second métier pour les sociétés d’affichage publicitaire. Oslo, Madrid, Paris, Bruxelles… Les capitales européennes font place à la petite reine. Très bien, mais pourquoi font-elles appel à Decaux ou Clearchannel pour installer ces parcs à deux roues ? En fait, c’est un peu l’inverse qui se passe, ces sociétés négociant avec acharnement leurs projets. A Paris, en 2006, Decaux a emporté le marché public à un poil près devant sa rivale, après avoir réussi à annuler le résultat du premier appel d’offre sur un obscur point de détail de procédure. Le résultat : 15.000 vélos contre 1.650 supports publicitaires. Une aubaine pour la société, qui, en plus de perspectives financières considérables, s’octroie une image sympathique, en phase avec la préoccupation des Parisiens pour la santé publique, environnement et la lutte contre les embouteillages. Un regret tout de même : : les autorités n’ont pas accepté de considérer, comme le demandait Decaux, que le système soit considéré comme un authentique service public. Bruxelles aussi possède son Cyclocity. Un service public ? Les emplacements se trouvent de préférence là où le commerce bat son plein, dans des quartiers attractifs comme la porte de Namur. Le système mis en place permet à la société Decaux de savoir qui loue son vélo à quel endroit et d’enregistrer ainsi par milliers des renseignements sur les habitudes des consommateurs. Un bon plan pour l’avenir… publicitaire ! - 3 - 4. La pub dans la rue renforce les inégalités sociales Comme dit avant, certaines zones sont protégées de la pub pour maintenir l’harmonie des lieux. Très souvent, il s'agit des beaux quartiers où l'on retrouve une population aisée. Dans les quartiers moins favorisés et dans les lieux de grand passage par contre, la protection face à la pub est moins importante. Or on sait que l’éducation est l'une des meilleures défenses contre la manipulation publicitaire : plus une personne a la capacité d’être critique face à un message, moins elle risque d’être influencée. Et comme de bien entendu, ceux qui ont fait les études les plus longues sont souvent aussi ceux qui habitent les beaux quartiers. La situation est donc paradoxale: ce sont les personnes les plus favorisées qui sont les mieux protégées de la pub alors qu'elles sont les mieux armées pour s'en défendre, et les personnes les moins favorisées qui sont le plus matraquées par les messages des grandes marques alors qu'elles y sont plus vulnérables. Le résultat est grave et profondément injuste. On sait par exemple que l'obésité et le diabète touchent surtout les jeunes des milieux modestes, et que la pub est un facteur crucial de déclenchement de ces maladies. De la même façon, le surendettement frappe durement surtout les foyers à petits revenus, et là encore, la pub joue un rôle particulièrement néfaste. La pub renforce les inégalités sociales. Supprimer la pub de la rue : impossible ? Si, c’est possible ! De plus en plus de personnes réagissent à cette invasion de messages publicitaires souvent jugés débiles. Parfois même les pouvoirs publics ! Plusieurs villes ont ainsi pris des mesures fermes pour limiter la quantité de publicité dans l’espace public. L’exemple le plus intéressant est sans doute celui de Sao-Paulo, la plus grande ville du Brésil (20 millions d’habitants), qui a interdit toute publicité extérieure. La mairie avait d’abord essayé de limiter la quantité de pub, mais les publicitaires trouvaient toujours des façons de contourner les règlements pour placer leurs affiches et leurs enseignes. Du coup, le maire a décidé d’interdire complètement la publicité. Plusieurs sondages indiquent que la population est très satisfaite de cette décision : la ville est plus belle et moins stressante depuis que la pub a disparu. Si une ville de 20.000.000 d’habitants dans un pays moins riche que la Belgique peut faire ça, c’est bien que c’est possible ici. La pub en rue : stop ! -------------------------------------------1 Kurt Custers, La publicité dans l’espace public, Etopia, février 2007. Kurt Custers fut chef de cabinet de l’échevin de l’urbanisme à Ixelles de 2004 à 2006. 1 Smartbike : vélos modernes adaptés aux centres urbains. - 4 -